Intervention de Annick Billon

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Annick BillonAnnick Billon :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sans surprise, la commission mixte paritaire a échoué sur la question du conseil national de réflexion. Sans surprise, le groupe Union Centriste votera la motion de procédure présentée par notre collègue Catherine Morin-Desailly.

Une fois tout suspense évacué, qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à notre positionnement : nous ne nous opposons en rien au principe du retour de biens et d’objets culturels dans leurs pays d’origine. Au contraire, comme les autres groupes du Sénat, nous avons autorisé la sortie des collections publiques des vingt-sept biens concernés par le présent projet de loi. Mais, comme notre rapporteure, nous constatons un grave problème de méthode. En l’occurrence, nous avons été réduits à entériner des décisions diplomatiques prises par l’exécutif.

C’est la première fois qu’un retour est autorisé par une loi d’initiative gouvernementale, ce qui équivaut, sans cadre digne de ce nom, à traiter le Parlement comme une simple chambre d’enregistrement. Hasard du calendrier ou preuve supplémentaire d’un véritable mépris de la représentation nationale, au moment où nous discutions de ce texte au Sénat une couronne malgache était transférée en catimini. Dernier acte de cette tragédie dans laquelle le Parlement joue le rôle de figurant, il aura fallu attendre la commission mixte paritaire pour apprendre la création d’une cellule interministérielle dédiée à la question des restitutions.

Mais s’il ne s’agissait que du Parlement, l’affaire serait entendue, il en a l’habitude. Le problème, c’est qu’une telle dérive met en danger le patrimoine national. La méthode rend le principe d’inaliénabilité théorique et soumet les collections muséales au fait du prince.

Le risque est grand de voir les biens et objets culturels français ravalés au rang de goodies diplomatiques – pardon, chère Catherine Morin-Desailly –, de les voir filer au gré des déplacements présidentiels pour entretenir des relations amicales avec tel ou tel dirigeant ou pour signer tel ou tel contrat. Un risque que le Sénat a identifié de longue date : c’est bien pour cela que nous avions créé la Commission scientifique nationale des collections, que la loi ASAP vient de supprimer.

Nous voulions lui substituer un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. En effet, le présent texte nous donnait l’occasion de dépasser le cadre ponctuel des restitutions au Bénin et au Sénégal. Il s’agissait bien d’anticiper, car les demandes vont se multiplier. La boîte de Pandore est ouverte. Anticiper en ne retombant pas dans les errements susdécrits d’une diplomatie présidentielle toute puissante, qui en viendrait à considérer que les collections sont à la disposition du chef de l’État. Il s’agit donc de créer un cadre scientifique.

On nous rétorque que ce cadre existe déjà, puisque, d’une part, les demandes sont étudiées par les ministères concernés et, d’autre part, il faut une loi pour chaque transfert. Aux tenants du premier argument, il faut rappeler les principes de la séparation des pouvoirs : l’avis scientifique des ministères reste l’avis scientifique de l’exécutif… Et l’argument de la loi ne tient plus dès lors que le Parlement est traité comme une chambre d’enregistrement. D’ailleurs, si la procédure actuelle est si satisfaisante, pourquoi créer une cellule interministérielle ad hoc ? N’est-ce pas déjà là l’aveu d’un malaise ?

Dernier argument et le moins recevable de tous, celui de la simplicité : passer par un conseil scientifique indépendant serait trop compliqué. Oui, c’est vrai, tout décider de manière unilatérale est toujours plus simple ! La démocratie, c’est compliqué !

Je tiens, pour finir, à saluer le travail de la rapporteure et de la commission sur ce projet de loi.

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