Je suis moi aussi très étonné par cet amendement du Gouvernement, car je garde un souvenir précis des débats précédents.
Nous avons évoqué la question lors de l’examen d’un projet de loi de simplification. J’ai entre les mains le compte rendu de la séance au cours de laquelle il nous a été dit avec force par plusieurs orateurs, notamment par M. Hyest, président de la commission des lois, qu’il était nécessaire d’en discuter dans le cadre non pas d’une loi de simplification, mais du projet de loi à venir sur la bioéthique. Nous y sommes !
Je veux aussi souligner l’admirable travail accompli par les services du Médiateur de la République depuis plus de deux ans sur ce sujet. §Ils ont bien voulu associer Jean-Pierre Godefroy et moi-même à leurs réflexions.
Il apparaît de manière extrêmement claire au Médiateur de la République, saisi de nombreuses situations concrètes, que la position de la Cour de cassation ouvre la voie à une obligation de légiférer. Faute de loi – d’ailleurs, cela a été explicitement dit, comme l’a rappelé Jean-Pierre Godefroy –, nous sommes dans une situation de grande incertitude.
Je veux soutenir avec beaucoup de force la position de la commission des affaires sociales. Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur pour avis de la commission des lois d’avoir bien voulu préciser qu’il s’exprimait à titre personnel puisque cette commission n’a pas été saisie de l’amendement du Gouvernement.
À l’évidence, il est aujourd’hui nécessaire d’inscrire dans la loi une définition juridique de la notion de viabilité. Cette notion conditionne en effet le type d’acte d’état civil établi pour l’enfant sans vie et constitue l’un des deux critères conduisant à lui conférer la personnalité juridique.
Or décider qui, en droit, est une personne ou ne l’est pas, ne peut être laissé à l’appréciation diverse des médecins, des juges ou des circulaires. Cela relève, à l’évidence, de la loi.
J’ajoute que la notion de viabilité détermine une série de droits d’ordre civil, social et pénal. Elle intervient en outre dans quatre articles du code civil, à savoir les articles 79-1, 318, 725 et 906.
Je rappelle que la viabilité conditionne un certain nombre de droits sociaux. L’enfant né mort et viable ouvre droit au congé de maternité et, depuis peu, au congé de paternité, dans les conditions définies par le décret et l’arrêté du 9 janvier 2008. Jusqu’à présent, la sécurité sociale comprenait cette notion de viabilité par référence aux critères de la circulaire de 2001. Celle-ci étant invalidée pour défaut de base légale, les organismes sociaux sont conduits à accorder ces congés quel que soit le niveau de développement du fœtus décédé puisqu’ils ne peuvent plus invoquer de texte juridique justifiant de limiter l’octroi de ces prestations sociales aux enfants nés sans vie ayant atteint un certain stade de développement.
C’est ce qui a été clairement précisé par le Médiateur de la République, saisi, je le répète, de nombreuses situations.
Jean-Pierre Godefroy a parlé des aspects pénaux ; je n’y reviens pas.
Enfin, je précise que l’absence de définition juridique de la viabilité est source de contentieux et de dérives.
À défaut de critères objectifs de viabilité ayant force juridique, la procédure mise en place conduit à transférer la responsabilité de la prise de décision au corps médical au cas par cas, alors que c’est un sujet qui relève d’une décision de politique publique.
L’absence de décision législative est d’ailleurs source d’une inégalité de traitement entre les familles concernées.
Enfin, les critères de viabilité définis par l’OMS et repris par le texte de la commission font l’objet d’un large consensus, et il est tout à fait exact que des dispositions similaires existent dans pratiquement tous les pays d’Europe. Du reste, la France est devenue, depuis l’invalidation des circulaires de 2001 et 2008, le seul État dans lequel ces critères ne sont définis dans aucun texte législatif.
Voilà toutes les raisons pour lesquelles je crois très profondément qu’il faut soutenir la position de la commission des affaires sociales et rejeter cet amendement.