Intervention de Ludovic Haye

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 décembre 2020 à 8h15
Justice et affaires intérieures — Stratégie de l'union européenne pour l'union de la sécurité 2020-2025 : communication et avis politique de mm. andré reichardt et ludovic haye

Photo de Ludovic HayeLudovic Haye, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, comme vient de l'indiquer André Reichardt, la nouvelle stratégie européenne pour l'union de la sécurité est globale et foisonnante, parfois un peu trop. Elle fait l'objet d'un consensus, d'autant plus que son contenu est discuté depuis longtemps au sein du Conseil et, plus particulièrement, du comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure (COSI) - je rappelle qu'André Reichardt avait présenté une communication sur le COSI le 14 décembre 2017.

La sécurité a pris une place considérable dans les débats européens. Nous observons toutefois que, contrairement à la situation prévalant sous la précédente Commission, il n'y a plus de commissaire spécifiquement dédié à l'union de la sécurité - il s'agissait alors du Britannique Julian King. C'est pourquoi il nous a semblé important d'insister sur le pilotage politique dont cette stratégie doit faire l'objet.

Néanmoins, nous pouvons saluer le fait que la sécurité devrait bénéficier de moyens en hausse sensible au cours des prochaines années. Ainsi, la sécurité devrait se voir allouer 4,67 milliards d'euros par le cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Certaines des 33 actions-clefs inscrites dans la stratégie ont déjà été présentées par la Commission. C'est le cas - André Reichardt l'a dit - de la stratégie en faveur de la lutte contre les abus sexuels commis contre des enfants et des plans d'action antidrogue et contre le trafic d'armes à feu. En octobre et novembre derniers, la Commission a lancé les premières initiatives sur la protection des espaces publics, dont les lieux de culte. La semaine dernière, elle a présenté ses propositions de révision du mandat d'Europol et programme de lutte contre le terrorisme et la radicalisation. Ce programme était prévu en septembre 2021, mais les attentats récents en France et en Autriche l'ont incitée à anticiper.

En 2021, sont prévus :

- la publication du programme de lutte contre la criminalité organisée ;

- le réexamen de la directive dite API, qui viserait à étendre l'interdiction d'embarquer en cas de risque sécuritaire aux ressortissants européens, ainsi que la collecte et l'analyse des données de voyage aux trajets sortants et intra-Schengen, comme aux modes de transport autres qu'aériens (routier, ferroviaire et maritime) ;

- l'évaluation de l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies ;

- la présentation d'un code de coopération policière européen et d'une coordination policière européenne en temps de crise ;

- ou encore le réexamen de la législation sur le gel et la confiscation des avoirs.

L'audition très intéressante de Gilles de Kerchove, et les informations que nous ont apportées la nouvelle direction des affaires européennes et internationales du ministère de l'intérieur, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) nous ont guidés dans la préparation de l'avis politique que nous vous soumettons.

Nous partageons pleinement plusieurs axes de la stratégie, en particulier l'intégration dans ce texte de préoccupations technologiques telles que l'intelligence artificielle, les capacités spatiales et le calcul à haute performance. Ces technologies apporteront une valeur ajoutée irremplaçable à la sécurité européenne dans un contexte où la cybercriminalité ne cesse de croître et où les autorités doivent réagir très rapidement. Nous sommes également d'accord avec le diagnostic de menaces évolutives et du caractère potentiellement déstabilisateur des menaces hybrides qui émanent tant d'États hostiles que de groupes privés, et dont les conséquences sont multiples. Naturellement, nous souhaitons affirmer explicitement que les mesures prévues par la stratégie doivent être mises en oeuvre dans le respect des droits fondamentaux.

Nous pensons que la lutte contre le terrorisme doit rester la priorité de la politique européenne de sécurité, dans un contexte de menace davantage endogène. Du reste, M. de Kerchove a rappelé que « le terrorisme a toujours été le moteur de l'intégration de l'Union européenne en matière de sécurité ». Selon lui, « le terrorisme d'atmosphère, le terrorisme émotionnel sont plus spontanés, ce qui rend leur prévention par les services de renseignement plus difficile ». Cette priorité antiterroriste doit donc s'accompagner d'actions résolues contre la radicalisation. L'actuel réseau européen en la matière, le RAN, n'est pas suffisamment opérationnel.

Comme l'avait aussi relevé M. de Kerchove, nous observons, surtout sur Internet, la convergence de trois types de discours : d'abord, les contenus terroristes illégaux, qui doivent être retirés tout de suite - nous pouvons nous réjouir du récent accord en trilogue sur ce sujet -, ensuite, les discours de haine et, enfin, la désinformation, celle-ci n'étant d'ailleurs pas nécessairement illégale. Toujours est-il que l'approche volontaire longtemps retenue par l'Union européenne dans ses relations avec les grandes plateformes d'Internet a démontré qu'elle n'était plus adaptée : un cadre contraignant est désormais indispensable.

Selon nous, il importe également d'insister sur le fait que la lutte contre la criminalité organisée doit aussi comporter des actions en direction de la corruption.

Notre avis politique insiste aussi sur le rôle des agences européennes, et d'Europol en premier lieu, dont le mandat révisé doit lui permettre de mieux coopérer avec les pays tiers et le secteur privé et de tirer bénéfice de l'interopérabilité des systèmes d'information. Il s'agit d'une réforme très importante pour la meilleure coordination des enquêtes de nature transfrontalière.

La question des données est également fondamentale en matière de sécurité, pour ce qui concerne en particulier les preuves numériques, le cryptage et la conservation des données. Vous le savez, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu plusieurs arrêts qui pourraient compromettre la tâche des services de police et de renseignement. Comme l'a dit M. de Kerchove, « le cumul du chiffrement et de l'absence d'accès aux métadonnées laisse les autorités aveugles ». Des travaux sont en cours sur ce sujet, mais la question est redoutablement complexe sur le plan juridique. Enfin, nous demandons le respect de l'échéance de 2023 pour réaliser l'interopérabilité des systèmes d'information de l'Union européenne.

Dans la continuité des travaux antérieurs de notre commission, nous soulignons l'intérêt de réfléchir à l'extension du mandat du Parquet européen aux infractions terroristes transfrontières, à la criminalité organisée ou encore à la cybercriminalité.

Enfin, nous considérons que le succès de la stratégie requiert d'en approfondir la dimension extérieure, non seulement avec le voisinage oriental et méditerranéen, mais aussi avec le Royaume-Uni, le Brexit ne pouvant avoir pour conséquence une détérioration du niveau de sécurité globale en Europe.

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