Intervention de Laurence Engel

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 janvier 2021 à 9h35
Audition de Mme Laurence Engel présidente de la bibliothèque nationale de france bnf

Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France :

Je vous remercie de votre invitation. C'est un honneur pour moi d'évoquer cette grande maison devant vous.

L'impact de la crise de la covid sur la BNF nous occupe tous nécessairement. D'un point de vue budgétaire, cet impact - de l'ordre de 5 millions d'euros - est plutôt limité, car notre modèle économique est très peu dépendant du marché. Cet impact est pris totalement en charge par la BNF, car il n'y a finalement eu aucune compensation de la part de l'État ; la fin de gestion a donc été quelque peu aride. Cet impact budgétaire limité nous a permis de préserver les fragiles équilibres budgétaires de la BNF et de poursuivre nos projets, notamment salariaux : la mise en place, enfin, du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEP), et l'engagement d'une démarche sur l'égalité salariale femmes-hommes, etc. Nous avons restreint nos dépenses de fonctionnement. Le résultat de 2020 est positif, avec une capacité d'autofinancement équivalente à celle de 2019 et donc un prélèvement sur fonds de roulement mesuré.

En revanche, l'impact de la crise sur notre activité a été très important. Après chaque confinement, nous avons rouvert assez tôt, mais nous avons enregistré une baisse de la fréquentation de 60 %, ainsi qu'une baisse des abonnements usagers. Symétriquement, nous avons bénéficié d'une intensification de la fréquentation de nos très nombreuses offres en ligne : alors que nous accueillons en temps normal 1,3 million de visiteurs sur site chaque année, nous comptons 16 millions de visites sur la bibliothèque numérique et 16 millions également sur les autres propositions de la bibliothèque, dont 4 millions sur notre offre spécifique dédiée à la presse depuis 2017, Retronews. L'année 2020 nous a donc permis de renforcer notre présence en ligne avec une hausse de la fréquentation de Retronews de 20 % et de nos expositions numériques de 45 %. Nous avons profité de la situation pour accélérer les projets que nous avions engagés en matière de dématérialisation de la relation avec les usagers : adhésion et billetterie en ligne, streaming, etc.

On dit souvent que la BNF est une institution coûteuse, mais c'est avant tout une institution culturelle utile et surtout la plus ancienne du pays ! Depuis le 14ème siècle, elle poursuit une aventure technique et régalienne. Le dépôt légal a été inventé par François Ier en 1537, puis copié et transposé dans de nombreux autres pays. Constituer une mémoire, c'est essentiel en démocratie. La BNF est une institution paradoxale : fragile sur le plan budgétaire, elle est solide par ses missions et ses projets.

Je présente souvent la BNF au travers de ses paradoxes. C'est une institution tout à la fois patrimoniale et très technologique. La BNF a entamé sa transition numérique il y a déjà vingt ans et elle la poursuit. Le travail de la BNF est réalisé au bénéfice de nos publics, mais aussi de nos quelque 400 partenaires, dont nous hébergeons, conservons et diffusons les collections numériques. C'est ainsi que nous avons été chargés de la numérisation des actes du Grand Débat national.

Mais la BNF reste fragile sur son modèle économique. Véritable service public, elle dégage peu de recettes propres. Cela est protecteur en période de crise, mais à long terme, dans un contexte contraint pour les dépenses publiques, c'est une fragilité. Notre réponse est celle de la pédagogie, car notre modèle économique est peu transformable, sauf à renoncer à des missions historiques. Quelque 60 % de nos dépenses sont des dépenses de ressources humaines (RH), car nous sommes une industrie de main d'oeuvre. Quant aux autres dépenses - bâtiments, fluides -, elles sont contraintes à 70 %. Reste une vingtaine de millions d'euros pour développer notre offre aux usagers et notre offre culturelle. Nous sommes donc tout à la fois une très grosse institution et une petite institution culturelle avec des moyens très raisonnablement gérés. Certains pays - la Grande-Bretagne par exemple - dégagent des recettes sur le dépôt légal, mais cela ne me semblerait pas bienvenu en France. Certes, l'accès à nos salles de lecture n'est pas gratuit, mais nous ne pouvons pas non plus augmenter le prix du billet de quelques euros.

Notre réponse passe aussi par une gestion rigoureuse. Nous avons fait des efforts sur nos ressources humaines, notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), en réduisant de 10 % nos effectifs. Sachez que le projet Richelieu, qui mobilise une soixantaine d'emplois, est intégralement financé par redéploiement ; nous allons adopter un schéma immobilier stratégique pour redéployer notre patrimoine à la demande de l'Inspection générale des finances ; enfin, nous travaillons en continu à transformer nos métiers, comme en matière de gestion du dépôt légal des oeuvres audiovisuelles.

Ces transformations créent incontestablement des risques de tensions sociales, bien compréhensibles ; mais le travail de fond que nous réalisons avec les organisations syndicales est positif, que ce soit sur la grille indemnitaire ou les conditions de travail - notamment sur le bâtiment de Tolbiac.

Notre institution est très forte de ses missions et n'a jamais renoncé à ses grands projets. Certes, la gestion du dépôt légal a été interrompue pendant le premier confinement, mais le retard a, depuis, été comblé. Le chantier Richelieu a été mis totalement à l'arrêt pendant trois mois sur la période cruciale des six derniers mois de travaux : la reprise du chantier a donc été lente. Alors que nous aurions dû ouvrir le site à l'automne 2021, nous ne devrions être en mesure de le faire qu'à l'été 2022, soit avec neuf mois de retard. La fin du chantier est prévue pour le printemps 2021, mais s'ouvre alors une période de travaux complémentaires avec l'installation du musée, la réalisation du jardin, la restauration des façades et surtout le déménagement des collections - 12 millions de documents - qui devrait prendre neuf mois. Ce palais, dont les espaces patrimoniaux exceptionnels étaient relativement fermés, pourra être redécouvert. Sur le plan scientifique, la BNF, l'Institut national de l'histoire de l'art et la bibliothèque nationale de l'Ecole des chartes y mèneront des travaux de recherche. Côté grand public, nous aurons donc une bibliothèque ouverte à tous et consacrée plus particulièrement à l'histoire de l'art, à la bande dessinée et à la médiation numérique ; un musée qui permettra d'accéder aux collections de la bibliothèque ; et une salle d'exposition.

La création du futur centre de conservation - au sein duquel nous installerons un conservatoire national de la presse - est un enjeu majeur pour la BNF. À chaque grande étape de son développement - au 19e siècle lors de l'installation à Richelieu, au 20e siècle lors de la construction du site François-Mitterrand, et maintenant -, la BNF a certes réglé la question de l'espace, mais s'est également ouverte à d'autres sujets, comme celui de la presse aujourd'hui. L'installation en dehors de Paris constitue également un signe important.

La stratégie numérique est un chantier continu. La question du dépôt légal numérique n'est pas encore totalement aboutie, ni aux plans législatif et réglementaire ni dans notre capacité à absorber toute cette production. Nous ne sommes pas encore dans une logique de dépôt, mais dans une logique d'absorption par des robots. Nous pouvons recueillir ce qui est produit en ligne, mais si le contenu est protégé, nous ne pouvons pas le conserver. Il nous manque une brique dans notre dispositif législatif. Au 16e siècle, la France était en avance ; aujourd'hui, de ce point de vue, nous sommes plutôt en retard. Nous attendons donc beaucoup à cet égard de la proposition de loi déposée par Mme Darcos sur le sujet.

La réfection du quadrilatère Richelieu a été l'occasion d'échanges nourris avec notre ministère de tutelle. Nous bénéficions d'un soutien régulier sur le plan budgétaire. Notre budget n'est pas très important. Nous avons conscience que les 2 millions de subventions supplémentaires représentent une somme importante. Nous travaillons en ce moment à notre trajectoire budgétaire sur dix ans, avec l'objectif de lisser les besoins et les financements dans le temps.

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