Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 13 janvier 2021 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 9 h 35.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Nous sommes heureux de recevoir Mme Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France (BNF). Il s'agit de votre première audition par notre commission depuis votre nomination à ce poste en 2016. Nous portons un intérêt particulier à la BNF, comme en témoigne notamment le travail de nos rapporteurs pour avis, notre ancienne collègue Françoise Laborde, puis son successeur, Julien Bargeton.

Le budget de votre établissement s'établit en 2021 à 216 millions d'euros, soit 70 % du programme « Livre et industries culturelles ». Comme nous l'a exposé il y a quelques jours Julien Bargeton, la BNF sera confrontée à plusieurs grands défis en 2021, notamment l'achèvement espéré des travaux du quadrilatère Richelieu entamés en 2010 et la réalisation du futur centre de stockage, qui semble susciter - comme nous l'a indiqué Roselyne Bachelot lors de son audition le 10 novembre dernier - un véritable engouement de la part des collectivités territoriales.

La BNF, garante du stockage et de la préservation de la mémoire de notre pays, est également confrontée au défi de l'archivage numérique. Il concerne sa capacité non seulement à numériser l'ensemble des collections patrimoniales dont elle a la charge, mais aussi à archiver la partie publique de l'ensemble des sites et publications diffusés sur internet. Peut-être souhaiterez-vous nous suggérer des évolutions législatives vous permettant de remplir votre mission dans de meilleures conditions ?

Debut de section - Permalien
Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France

Je vous remercie de votre invitation. C'est un honneur pour moi d'évoquer cette grande maison devant vous.

L'impact de la crise de la covid sur la BNF nous occupe tous nécessairement. D'un point de vue budgétaire, cet impact - de l'ordre de 5 millions d'euros - est plutôt limité, car notre modèle économique est très peu dépendant du marché. Cet impact est pris totalement en charge par la BNF, car il n'y a finalement eu aucune compensation de la part de l'État ; la fin de gestion a donc été quelque peu aride. Cet impact budgétaire limité nous a permis de préserver les fragiles équilibres budgétaires de la BNF et de poursuivre nos projets, notamment salariaux : la mise en place, enfin, du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEP), et l'engagement d'une démarche sur l'égalité salariale femmes-hommes, etc. Nous avons restreint nos dépenses de fonctionnement. Le résultat de 2020 est positif, avec une capacité d'autofinancement équivalente à celle de 2019 et donc un prélèvement sur fonds de roulement mesuré.

En revanche, l'impact de la crise sur notre activité a été très important. Après chaque confinement, nous avons rouvert assez tôt, mais nous avons enregistré une baisse de la fréquentation de 60 %, ainsi qu'une baisse des abonnements usagers. Symétriquement, nous avons bénéficié d'une intensification de la fréquentation de nos très nombreuses offres en ligne : alors que nous accueillons en temps normal 1,3 million de visiteurs sur site chaque année, nous comptons 16 millions de visites sur la bibliothèque numérique et 16 millions également sur les autres propositions de la bibliothèque, dont 4 millions sur notre offre spécifique dédiée à la presse depuis 2017, Retronews. L'année 2020 nous a donc permis de renforcer notre présence en ligne avec une hausse de la fréquentation de Retronews de 20 % et de nos expositions numériques de 45 %. Nous avons profité de la situation pour accélérer les projets que nous avions engagés en matière de dématérialisation de la relation avec les usagers : adhésion et billetterie en ligne, streaming, etc.

On dit souvent que la BNF est une institution coûteuse, mais c'est avant tout une institution culturelle utile et surtout la plus ancienne du pays ! Depuis le 14ème siècle, elle poursuit une aventure technique et régalienne. Le dépôt légal a été inventé par François Ier en 1537, puis copié et transposé dans de nombreux autres pays. Constituer une mémoire, c'est essentiel en démocratie. La BNF est une institution paradoxale : fragile sur le plan budgétaire, elle est solide par ses missions et ses projets.

Je présente souvent la BNF au travers de ses paradoxes. C'est une institution tout à la fois patrimoniale et très technologique. La BNF a entamé sa transition numérique il y a déjà vingt ans et elle la poursuit. Le travail de la BNF est réalisé au bénéfice de nos publics, mais aussi de nos quelque 400 partenaires, dont nous hébergeons, conservons et diffusons les collections numériques. C'est ainsi que nous avons été chargés de la numérisation des actes du Grand Débat national.

Mais la BNF reste fragile sur son modèle économique. Véritable service public, elle dégage peu de recettes propres. Cela est protecteur en période de crise, mais à long terme, dans un contexte contraint pour les dépenses publiques, c'est une fragilité. Notre réponse est celle de la pédagogie, car notre modèle économique est peu transformable, sauf à renoncer à des missions historiques. Quelque 60 % de nos dépenses sont des dépenses de ressources humaines (RH), car nous sommes une industrie de main d'oeuvre. Quant aux autres dépenses - bâtiments, fluides -, elles sont contraintes à 70 %. Reste une vingtaine de millions d'euros pour développer notre offre aux usagers et notre offre culturelle. Nous sommes donc tout à la fois une très grosse institution et une petite institution culturelle avec des moyens très raisonnablement gérés. Certains pays - la Grande-Bretagne par exemple - dégagent des recettes sur le dépôt légal, mais cela ne me semblerait pas bienvenu en France. Certes, l'accès à nos salles de lecture n'est pas gratuit, mais nous ne pouvons pas non plus augmenter le prix du billet de quelques euros.

Notre réponse passe aussi par une gestion rigoureuse. Nous avons fait des efforts sur nos ressources humaines, notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), en réduisant de 10 % nos effectifs. Sachez que le projet Richelieu, qui mobilise une soixantaine d'emplois, est intégralement financé par redéploiement ; nous allons adopter un schéma immobilier stratégique pour redéployer notre patrimoine à la demande de l'Inspection générale des finances ; enfin, nous travaillons en continu à transformer nos métiers, comme en matière de gestion du dépôt légal des oeuvres audiovisuelles.

Ces transformations créent incontestablement des risques de tensions sociales, bien compréhensibles ; mais le travail de fond que nous réalisons avec les organisations syndicales est positif, que ce soit sur la grille indemnitaire ou les conditions de travail - notamment sur le bâtiment de Tolbiac.

Notre institution est très forte de ses missions et n'a jamais renoncé à ses grands projets. Certes, la gestion du dépôt légal a été interrompue pendant le premier confinement, mais le retard a, depuis, été comblé. Le chantier Richelieu a été mis totalement à l'arrêt pendant trois mois sur la période cruciale des six derniers mois de travaux : la reprise du chantier a donc été lente. Alors que nous aurions dû ouvrir le site à l'automne 2021, nous ne devrions être en mesure de le faire qu'à l'été 2022, soit avec neuf mois de retard. La fin du chantier est prévue pour le printemps 2021, mais s'ouvre alors une période de travaux complémentaires avec l'installation du musée, la réalisation du jardin, la restauration des façades et surtout le déménagement des collections - 12 millions de documents - qui devrait prendre neuf mois. Ce palais, dont les espaces patrimoniaux exceptionnels étaient relativement fermés, pourra être redécouvert. Sur le plan scientifique, la BNF, l'Institut national de l'histoire de l'art et la bibliothèque nationale de l'Ecole des chartes y mèneront des travaux de recherche. Côté grand public, nous aurons donc une bibliothèque ouverte à tous et consacrée plus particulièrement à l'histoire de l'art, à la bande dessinée et à la médiation numérique ; un musée qui permettra d'accéder aux collections de la bibliothèque ; et une salle d'exposition.

La création du futur centre de conservation - au sein duquel nous installerons un conservatoire national de la presse - est un enjeu majeur pour la BNF. À chaque grande étape de son développement - au 19e siècle lors de l'installation à Richelieu, au 20e siècle lors de la construction du site François-Mitterrand, et maintenant -, la BNF a certes réglé la question de l'espace, mais s'est également ouverte à d'autres sujets, comme celui de la presse aujourd'hui. L'installation en dehors de Paris constitue également un signe important.

La stratégie numérique est un chantier continu. La question du dépôt légal numérique n'est pas encore totalement aboutie, ni aux plans législatif et réglementaire ni dans notre capacité à absorber toute cette production. Nous ne sommes pas encore dans une logique de dépôt, mais dans une logique d'absorption par des robots. Nous pouvons recueillir ce qui est produit en ligne, mais si le contenu est protégé, nous ne pouvons pas le conserver. Il nous manque une brique dans notre dispositif législatif. Au 16e siècle, la France était en avance ; aujourd'hui, de ce point de vue, nous sommes plutôt en retard. Nous attendons donc beaucoup à cet égard de la proposition de loi déposée par Mme Darcos sur le sujet.

La réfection du quadrilatère Richelieu a été l'occasion d'échanges nourris avec notre ministère de tutelle. Nous bénéficions d'un soutien régulier sur le plan budgétaire. Notre budget n'est pas très important. Nous avons conscience que les 2 millions de subventions supplémentaires représentent une somme importante. Nous travaillons en ce moment à notre trajectoire budgétaire sur dix ans, avec l'objectif de lisser les besoins et les financements dans le temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Le contrat d'objectif et de performance (COP) 2016-2021 s'achève cette année. Quel bilan faites-vous sur son exécution et quels devraient être selon vous les grands axes du futur contrat d'objectif ?

La préservation des collections de la IIIe République est urgente et essentielle pour notre mémoire. Les journaux se dégradent en raison de la composition de l'encre et du papier. Pouvez-vous nous faire un point précis sur ce dossier ? Vos crédits sont-ils suffisants ?

La loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite « loi Dadusi », charge la BNF de la conservation des sites internet en «.fr ». La vie de nos concitoyens est largement devenue numérique pendant la période de confinement. Le nombre de sites a fortement augmenté. Avez-vous pris des mesures pour traiter spécifiquement cette période ?

Debut de section - Permalien
Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France

Nous faisons un bilan du COP tous les ans. Celui-ci contient de nombreux indicateurs parce que nous avons beaucoup de missions, et nous les suivons tous. Le COP constitue pour nous autant un élément dans la discussion avec le ministère qu'un outil de gestion. Un bilan approfondi était prévu à la mi-2020, mais la crise sanitaire a bouleversé le calendrier.

Le premier axe du COP est lié à l'accueil du public et l'adaptation aux besoins des usagers. Face à la baisse de la fréquentation, mon prédécesseur avait engagé une réflexion pour faire évoluer notre politique des publics. Le bilan est positif : la courbe de la fréquentation s'est inversée ; le nombre de détenteurs d'une carte de lecteur a augmenté de 20 % par exemple. Un autre axe concerne l'objectif de ne plus traiter les collections numériques différemment des collections physiques. Le troisième axe concerne l'intensification de la coopération avec tous nos partenaires et de notre présence sur le territoire national dans le cadre de projets d'éducation artistiques et culturels. Le numérique est un outil précieux à cet égard. Le quatrième axe est relatif à la bonne gestion. La Cour des comptes nous a demandé dans un contrôle de préciser notre trajectoire de long terme et de moderniser nos outils de gestion des RH, mais a souligné notre bonne gestion passée. Ces axes seront aussi au coeur, certainement, du prochain COP.

Le centre de conservation de la presse devrait voir le jour en 2027. L'idée est de rassembler les collections de presse qui sont majoritairement conservées dans deux départements de la bibliothèque. Cela permettra de les conserver dans de meilleures conditions et de faciliter les études sur ce fonds. Comme nous avons déjà beaucoup attendu, certains documents datant de la IIIe ou de la IVe République sont en danger. Le ministère de la culture nous a octroyé une enveloppe de 30 millions d'euros pour ce projet, sur un budget estimé à 90 millions, mais nous n'avons pas de réponse pour le moment concernant nos propositions sur le traitement de ces collections. Nous avons peu d'espoir d'obtenir des fonds au titre du programme d'investissements d'avenir (PIA), faute de modèle économique associé, même si ce programme nous a pourtant permis de financer la plateforme Retronews. Nous sommes ainsi en discussion avec le ministère pour présenter et défendre nos projets.

Une évolution législative et réglementaire est nécessaire pour pouvoir récupérer les données numériques protégées. Toute cette part de la création artistique, notamment audiovisuelle, qui n'est plus diffusée en salle et n'est pas nécessairement diffusée à la télévision, n'est plus appréhendée ni par le dépôt légal géré par l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ni par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Il appartient à la BNF de récupérer ces oeuvres qui seront perdues du point de vue patrimonial si on ne se dote pas du cadre législatif adapté. En revanche les collectes et le dépôt légal du web fonctionnent très bien. Ce n'est pas aussi systématique que pour le livre ou la presse, mais nous procédons à des collectes chaque année pour avoir une vision de l'internet français, en lien avec les bibliothèques du dépôt légal en région. Nous organisons aussi des collectes spécifiques en cas d'événements d'importance : élections, attentat, manifestation des gilets jaunes, etc. Dans ce cas, les conservateurs programment des robots avec des mots-clefs pour enregistrer ce qui se passe en ligne. Cela est particulièrement vrai pour la crise de la covid où dès janvier, nous avons, en lien avec un certain nombre de partenaires à l'échelle internationale, organisé la collecte numérique autour de cette crise, en repérant non seulement les sites internet, mais aussi tout ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux, afin d'avoir une vision assez complète de la manière dont la crise a été perçue par les institutions, les médias, la société.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Élu de l'Oise, je voudrais savoir où en est le projet de centre de conservation. L'appel à manifestation d'intérêt, paru cet été, était assez précis - je remercie d'ailleurs le directeur général de la BNF d'avoir informé les parlementaires. Ce projet suscite l'intérêt de nombreux EPCI dans le département. Où en est le processus de sélection ? Il était question d'un choix définitif en janvier 2021. La crise sanitaire a dû modifier le calendrier. Quel est le nouveau calendrier ? Quels sont les critères de choix ? Dans l'Oise, tous les sites répondent à l'exigence d'un accès en deux heures en train, ou trois heures en voiture depuis Paris. Avez-vous déjà fait des visites de sites ? Quel rôle également peuvent jouer les collectivités dans le financement ? Outre les EPCI, les départements ou les régions peuvent participer. Dans l'Oise, la volonté partenariale se fait jour. Avez-vous déjà une première sélection ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Je voudrais vous interroger sur le numérique et la pérennité de vos collections numériques. Comme vos tests sur les CD-ROM l'ont montré, un chantier immense s'ouvre pour assurer la pérennité de la conservation des objets numériques, tant en raison des procédés techniques d'enregistrement que de la fiabilité du support lui-même. Il serait paradoxal que notre civilisation qui produit le plus grand nombre de documents soit celle qui réussisse à en conserver le moins ! Il faut aussi évoquer le problème de la place nécessaire pour conserver ces informations numériques, tout comme celui des techniques d'archivage. Cette problématique concerne aussi d'autres institutions, comme les ministères et les opérateurs de la recherche. On manque d'un plan national de conservation des archives numériques. Enfin, quelles seront vos relations avec la Cité internationale de la langue française qui sera installée à Villers-Cotterêts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

J'ai dû déposer ma proposition de loi visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs juste avant Noël pour qu'elle puisse être inscrite à l'ordre du jour et que le Conseil d'État en soit saisi. Elle vise de nombreux aspects, y compris le dépôt légal numérique. Je veux aussi rappeler le combat que nous avons mené pour éviter que Google ne numérise l'ensemble de nos oeuvres françaises. Dans les années 2008-2009, Google avait décidé de s'emparer des contenus culturels, notamment des livres. L'entreprise avait commencé à numériser, sans autorisation préalable, les fonds des bibliothèques américaines, mais plus de la moitié des ouvrages dans ces bibliothèques ne sont pas de langue anglaise. Google a expliqué à la BNF qu'il pouvait aussi numériser son fonds. Votre prédécesseur, appuyé par le ministère et tous les partenaires - notre commission avait d'ailleurs suivi de près ce dossier - a décidé plutôt de numériser par ses propres moyens les fonds de la bibliothèque des oeuvres indisponibles, c'est-à-dire celles qui ne sont pas encore entrées dans le domaine public, ainsi que les nouveautés déjà traitées par les éditeurs, qui ont commencé à numériser l'ensemble de leurs nouveautés à partir de la fin des années 2000. On compte environ 500 000 oeuvres dites indisponibles, non commercialisées mais sous droit d'auteur. La numérisation a pris une dizaine d'années. Les équipes de la BNF ont réalisé un travail remarquable pour identifier ces oeuvres, les numériser et les commercialiser sur un portail internet spécifique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Quelle est la responsabilité de la BNF en ce qui concerne la préservation de notre patrimoine écrit et intellectuel ? Comment concevez-vous votre rôle dans la diffusion de nos compétences et de la culture française ? Enfin, je voulais aussi vous interroger sur la question de la restitution des manuscrits.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Nous avons en effet récemment débattu de la loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Nous avions aussi créé au Sénat une mission d'information sur les restitutions. Nous avions évoqué, dans nos discussions, la question de la restitution des manuscrits coréens. Ces manuscrits sont-ils toujours en situation de dépôt en Corée ? D'autres oeuvres de la BNF sont-elles susceptibles de faire l'objet de demandes de restitution de la part de pays étrangers ou du fait de la volonté de notre Président de la République ?

Quel est l'état de votre relation avec l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC), centre de recherche renommé installé en Normandie, qui conserve la mémoire de l'édition et constitue un lieu de ressources pour les scientifiques ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

La BNF a pour mission de collecter, de cataloguer, de conserver le patrimoine, et de garantir l'accès à tous aux collections ; celles-ci, malgré les efforts entrepris ces dernières années, souffrent toujours, malheureusement, d'un manque de visibilité auprès du public, notamment auprès des jeunes, en dépit d'événements comme le Hackathon BNF. Comment la BNF adapte-t-elle ses outils pour attirer l'attention des internautes et du jeune public ? Je pense notamment à la bataille du référencement que mène la BNF depuis plusieurs années. Je voudrais enfin saluer le succès de Gallica, qui reçoit des millions de visiteurs chaque année.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Pour rebondir sur ce qu'a dit Catherine Morin-Desailly sur la coopération avec l'IMEC, je pense qu'un projet plus vaste serait souhaitable. Une institution comme la vôtre a de grandes capacités ; il faudrait donc plus de visibilité dans les projets de coopération. Par les temps qui courent, alors que nous sommes en pleine mutation sociétale, ce sont autant d'éléments qui peuvent nous aider à réfléchir. En France, nous avons cette capacité : profitons-en !

Pendant le confinement vous avez cherché à valoriser vos collections. Avez-vous eu beaucoup de consultations en ligne ? Le moment que nous venons de vivre a-t-il permis à la BNF d'élargir son public ? Puisqu'on parlait de la jeunesse, avez-vous mis en oeuvre une offre à travers le Pass culture ?

Debut de section - Permalien
Laurence Engel, présidente de la Bibliothèque nationale de France

Oui, nous avons pris du retard pour le centre de conservation. Nous aurions dû lancer la procédure en mars, mais n'avons pu le faire qu'en juin. Le retard est moins lié au covid qu'au succès de notre appel à manifestation d'intérêt, puisque plus de 50 collectivités ont répondu. Il a fallu étudier sérieusement leurs dossiers, ce qui n'était pas toujours évident car certains n'étaient pas très précis.

Notre premier critère est la qualité du foncier. Parfois, les sites proposés sont inondables, voisins de sites Seveso, ou tout simplement trop petits. Or nous avons besoin au minimum de 15 000 mètres carrés. Les autres critères principaux étaient la distance à Paris, la qualité de vie pour les agents et le financement. Nous nous sommes aussi préoccupés des possibilités de coopération culturelle.

Nous ne pouvons pas nous déplacer dans les 54 lieux proposés. Nous avons été très heureux de voir que la BNF suscitait un tel engouement, d'autant plus qu'il s'agit d'un projet technique : nous ne proposons pas d'ouvrir un musée. La BNF est une institution qui a beaucoup de projets d'investissement, comme la rénovation du site de Tolbiac. Quand elle vient dire qu'il manque encore un peu de place, et qu'il faut une réserve pour le dépôt légal, elle s'attend plutôt à un succès d'estime... Mais quand on dépasse la question budgétaire, on constate que les Français, à travers leurs collectivités, considèrent le dépôt légal, la mémoire, comme des éléments très importants.

Nous allons malheureusement décevoir des collectivités qui remplissaient tous les critères. Ce témoignage d'intérêt doit nous conduire à resserrer les liens avec elles. Nous établirons sous peu notre sélection et organiserons les visites dès février.

J'en profite pour rappeller le prix de la carte de lecteur : 15 euros par an pour le haut-de-jardin et 50 euros pour le rez-de-jardin, Richelieu ou l'Arsenal - un peu moins pour les étudiants.

Laure Darcos a insisté sur la décision de souveraineté prise il y a vingt ans grâce à Jean-Noël Jeanneney, qui a lancé la bataille contre Google qui s'est déroulée pendant le mandat de Bruno Racine. Nous avons mis l'accent sur la numérisation de masse. Mais vingt ans après, je constate que ce qui était dangereux dans la proposition de Google était moins le risque d'une perte de patrimoine - nous aurions malgré tout conservé nos documents, y compris en version numérique - que d'oublier le reste, car numériser ne suffit pas, il faut aussi investir dans la conservation pérenne. La BNF est parvenue à convaincre ses tutelles que Google, à long terme, ne nous ferait pas faire des économies, ce qui n'était pas évident.

Nous avons ainsi investi dans toute la chaîne y compris pour la conservation pérenne du numérique natif. La BNF est capable de transformer régulièrement les supports de conservation. Effectivement, conserver du papier est plus simple ; on peut toujours le lire 20, 30 ou 150 ans après. Pour le numérique, il faut disposer de la machine qui sait le lire. Il faut donc un réinvestissement permanent. La BNF s'organise pour s'en assurer dans la durée. Aujourd'hui, nous disposons de plusieurs versions, mais localisées au même endroit, ce qui n'est pas optimal. Nous proposons la fonction de tiers archivage à nos partenaires, y compris nationaux, comme Beaubourg.

La question des indisponibles n'est pas propre à la France. Nous n'avons pas terminé la numérisation des objets physiques. Après les grands efforts des quinze dernières années consacrées aux livres, nous devons nous concentrer sur les objets tels que les estampes, ainsi que sur la presse ; nous accueillons enfin des objets numériques.

Nous sommes en relation avec les équipes de Villers-Cotterêts et cherchons à développer nos liens. Philippe Bélaval, qui connaît bien la BNF, est bien placé pour savoir qu'ils sont naturels. François 1er, ce n'est pas seulement l'édit de Villers-Cotterêts, c'est aussi le début du dépôt légal ; nous avons donc une histoire en partage.

Nous avons bien conscience de notre responsabilité, et pas seulement du point de vue de la conservation, et concernant d'autres supports que le livre. C'est pourquoi nous nous battons pour que notre périmètre ne soit pas réduit et obtenir des aménagements législatifs sur le dépôt légal. Même si cela peut paraître fou de vouloir conserver le net, il faut le faire pour les générations futures. Cette fonction d'institution culturelle participant à la diffusion de la culture française à l'international, notamment sur le net, est assumée par la BNF, même si elle n'est pas suffisamment connue. Gagner la bataille du référencement, c'est produire des métadonnées sur ce qui est produit sur le net : c'est ce que fait la BNF par le catalogage. Elle est très présente dans les instances internationales qui régissent cette activité. Si la BNF, si les bibliothèques nationales en général n'existaient pas, les productions de l'esprit sur le net disparaîtraient rapidement. Nous avons la base qui permet aux industries culturelles, comme YouTube, d'être présente dans les instances de coopération internationale.

Les bibliothèques travaillent entre elles dans une mécanique très normalisée et internationalisée à travers ce qu'on appelle la réunification numérique. C'est un travail entre pays, entre cultures, entre collections, dans une dynamique pouvant aller jusqu'à la restitution. La BNF y est très investie : nous avons ainsi constitué une collection numérique appelée « patrimoine partagé » pour raconter des histoires communes. Notre dernier opus concerne le Vietnam, dont nous conservons le dépôt légal pour sa période coloniale.

Nous avons publié un document qui fera écho au travail de cette année sur nos collections étrangères, afin de bien les identifier, grâce à une numérisation des inventaires. Nous avons aussi créé avec le musée du Quai Branly une bourse de recherche afin de créer une communauté avec les chercheurs. Les manuscrits coréens se trouvent toujours en Corée, sous la forme d'un dépôt renouvelé tous les cinq ans.

Notre public est jeune, car une bibliothèque, par construction, accueille les étudiants. Nous travaillons à être mieux connu, à faire savoir que cette bibliothèque est ouverte à tous. Nos salles sont de nouveau souvent saturées. Nous avons créé cette année BDnF, une application permettant de créer sa propre BD à partir des images de la BNF, et qui rencontre un très grand succès.

Nous travaillons avec l'IMEC - mais uniquement sur les manuscrits. Les relations ont pu être tendues, mais elles ne le sont plus du tout ; Nathalie Léger fait ainsi partie de notre conseil scientifique.

Nous sommes très fiers de ce que nous faisons pour l'éducation culturelle et artistique, notamment avec les expositions itinérantes à la disposition des établissements scolaires, comme celle sur la laïcité créée après les attentats de 2015, ou plus récemment sur les fake news, qui circulent toujours dans les classes.

Nous participons au Pass culture, mais je ne saurais trop vous dire comment dans l'immédiat car le dispositif évolue. L'enjeu est de toucher des jeunes publics. Par le passé, je sais que nous avions développé des manifestations autour des jeux vidéo, qui font partie des objets que nous conservons.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Merci pour vos réponses très précises. Nous aurons le plaisir de venir au quadrilatère Richelieu pour visiter le chantier et mieux comprendre le travail de vos équipes.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Nous nous réunissons à présent pour entendre le rapport de notre collègue Pierre-Antoine Levi et établir le texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ».

Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur pour nous présenter ses conclusions sur cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Antoine Levi

À la demande du groupe UC, le Sénat examinera en effet le 21 janvier prochain une proposition de loi de Pierre Morel-À-L'Huissier, membre du groupe UDI et indépendants, adoptée par l'Assemblée nationale et visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes.

Chant du coq, sonneries des églises, crottins de cheval, coassements des grenouilles ou encore cancanements des canards et des oies : voici quelques-uns des contentieux de voisinage sur lesquels s'est penchée la justice.

La presse quotidienne régionale se fait d'ailleurs l'écho, depuis quelques années, de nombreuses pétitions ou contentieux dans les territoires ruraux relatifs à des sons et odeurs qui y sont présents depuis des générations.

Si certains cas peuvent étonner - comme cette demande de vacanciers dans le Var en 2018 de recourir à des insecticides pour se débarrasser de cigales trop bruyantes -, il n'en demeure pas moins que les élus locaux sont régulièrement interpellés sur ces sujets et doivent parfois jouer le rôle de médiateurs dans un conflit de voisinage.

Ces conflits de voisinage relatifs au patrimoine sensoriel des campagnes ne sont pas nouveaux : les gênes occasionnées par les odeurs et sons dans les territoires ruraux sont présentes depuis plusieurs décennies devant les tribunaux. En 1987, la cour d'appel de Dijon a ainsi été amenée à statuer sur le trouble anormal de voisinage causé par le chant d'un coq en milieu rural. Quant au dérangement lié aux sonneries civiles des églises et horloges municipales la nuit, il a été examiné par le Conseil d'État dès 1974.

Ces conflits s'inscrivent dans une évolution plus générale de la société. Aussi bien en ville qu'à la campagne, la population est moins tolérante au bruit et de manière générale au dérangement. Chacun, y compris dans les territoires ruraux, considère son habitation de plus en plus comme un ilot, déconnecté de l'ilot voisin.

Troisième point, et je pense que nous en sommes tous convaincus : les territoires ruraux, riches d'atouts, ne doivent pas être réduits à ces faits divers médiatisés. Le chant trop matinal ou trop fréquent d'un coq ou les cloches des églises ne doivent pas effacer l'action dynamique des communes et intercommunalités rurales, porteuses de projets de territoires et de développement. Les territoires ruraux, en pleine évolution, sont des territoires d'avenir dont il est important de faire connaître toutes les potentialités.

La volonté de certains d'opposer ruraux d'un côté et néoruraux ou urbains de l'autre est contre-productive. D'un côté, les territoires ruraux sont source d'intérêt croissant de la part d'une partie de la population urbaine, auquel contribuera le développement du télétravail à marche forcée en raison du confinement. De l'autre, ces territoires ont besoin que de nouveaux habitants s'y installent pour continuer à vivre et prospérer. Territoires ruraux et urbains vivent d'interactions et d'échanges.

Ces conflits de voisinage de plus en plus médiatisés restent marginaux et mineurs par rapport aux autres problématiques des territoires ruraux. J'ai auditionné André Torre, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), qui travaille depuis plusieurs années sur les conflits de voisinage. Il a ainsi étudié les causes de ces contentieux.

À la campagne, ils sont d'abord liés aux infrastructures : le tracé d'une route, d'une autoroute, l'extension d'un aéroport et la compensation des dommages, ou encore les atteintes à l'environnement du fait de ceux-ci. Ils sont ensuite causés par l'usage des sols, avec les plans d'occupation des sols qui transforment des terres agricoles en terrains industriels ou bâtis. Ils concernent également l'eau - qualité et quantité. Ces contentieux sont enfin dus à la pollution de l'eau et de l'air, mais également aux émanations toxiques.

Selon M. Torre, le nombre de conflits de voisinage en lien avec le patrimoine sensoriel des campagnes est stable ces dernières années. En revanche, leur médiatisation est croissante, ce qui ne doit pas faire oublier les autres problèmes auxquels doivent faire face nos territoires ruraux : le numérique, la desserte et l'enclavement territorial ou encore l'accès aux services publics.

Certaines odeurs font partie de l'environnement traditionnel d'un territoire et sont indispensables à son équilibre sociétal, mais aussi économique. Ces gênes sont inhérentes aux territoires ruraux. J'ai auditionné Christian Hugonnet, président de la semaine du son de l'Unesco et expert en acoustique auprès des tribunaux. Je reprends à mon compte ses mots : « le silence n'appartient pas plus à la campagne qu'à la ville. » Le bruit n'est pas forcément le même à la ville et à la campagne, mais il est présent partout.

J'en viens maintenant au droit actuel. Pour évaluer le trouble anormal de voisinage généré par les bruits et odeurs, le juge prend en compte les circonstances de temps et de lieu. Le caractère rural du lieu d'habitation est souligné de manière explicite dans plusieurs décisions. Mais, le chant d'un coq peut tout de même constituer un trouble anormal du voisinage en milieu rural, s'il est jugé trop fort et trop fréquent.

Il existe toutefois une exception au trouble anormal du voisinage : l'antériorité de l'activité génératrice du trouble. Les activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques ne peuvent générer un trouble anormal dès lors que le permis de construire du bâtiment exposé aux nuisances est postérieur à leur existence, à deux conditions : qu'elles s'exercent conformément aux lois et règlements et dans les mêmes conditions que précédemment.

Les sonneries des églises bénéficient d'un régime juridique particulier issu de la loi de séparation des Églises et de l'État et des textes d'application de cette loi. Quatre principes se dégagent : elles sont réglées par arrêté municipal ; lorsqu'elles correspondent à une manifestation religieuse - messe, enterrement -, elles relèvent de la liberté de culte ; lorsqu'elles sont civiles, elles sont autorisées par la pratique locale - dont le juge administratif a longtemps exigé qu'elle soit attestée depuis 1905, mais qui, depuis une jurisprudence de 2015 du Conseil d'État, peut se borner à une pratique régulière et suffisamment durable ; enfin, la responsabilité de la commune peut être engagée si le maire a refusé sans justification valable de prendre des mesures pour assurer la tranquillité publique, ainsi qu'il ressort d'une décision de la cour administrative d'appel de Nancy de 2001 - mais seulement si un trouble anormal est constaté, la sonnerie de cloches n'étant pas en soi un trouble anormal.

J'en arrive maintenant à la proposition de loi. Un texte de loi est-il nécessaire ? Les personnes auditionnées, dans leur grande majorité, ont indiqué que celui-ci pouvait être utile, à deux conditions : que le recensement de ce patrimoine sensoriel soit effectué en partenariat avec l'ensemble des acteurs locaux, et que ce texte soit un outil à destination des élus locaux, facilitant la pédagogie et le dialogue sur ces questions.

La proposition de loi en elle-même a été profondément modifiée lors de son examen par l'Assemblée nationale. Elle a même été intégralement réécrite par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale sur la base de l'avis formulé par le Conseil d'État.

L'article 1er du texte dont nous sommes saisis aujourd'hui prévoit d'insérer dans le code de l'environnement la notion de « sons et d'odeurs qui caractérisent » les espaces, ressources et milieux naturels et terrestres. Cela permet de les inclure, de manière explicite, dans le patrimoine commun de la nation. La symbolique est forte en affirmant la dimension sensorielle du patrimoine naturel.

L'article 1er bis prévoit de confier aux services régionaux de l'inventaire une mission d'étude et de qualification de l'identité culturelle des territoires. Je me suis interrogé sur l'attribution d'une nouvelle mission aux services régionaux. Ils me semblent, après réflexion, les mieux à même de remplir cette mission, puisqu'ils élaborent déjà une carte d'identité des territoires. Il s'agirait de la compléter en y intégrant des éléments relatifs au patrimoine sensoriel.

La formation du personnel participant à l'élaboration de l'inventaire ne lui permet pas de remplir pleinement la nouvelle mission prévue par la proposition de loi. Mais il pourrait être formé à ces nouvelles missions et le panel de chercheurs associés élargi : le Gouvernement a d'ailleurs levé le gage. Quant à la question de la méthodologie, je rappelle que les services de l'inventaire ont dû faire un travail similaire de définition de méthodologie, de grilles de critères, ou encore de thésaurus lors de sa mise en place pour le patrimoine dans les années 1960-1970.

Enfin, l'article 1er ter prévoit un rapport du Gouvernement sur le trouble anormal du voisinage. Le Sénat supprime habituellement les demandes de rapport, mais je vous propose de conserver celui-ci.

Une réforme de la responsabilité civile est prévue depuis plusieurs années, sans avoir encore abouti. Nos collègues de la commission des lois ont déposé en juillet dernier une proposition de loi reprenant le projet de la Chancellerie et incluant des dispositions relatives au trouble anormal du voisinage.

Ce rapport est de nature à éclairer les futurs débats sur ce projet de réforme de la responsabilité civile, attendu de longue date. Il serait l'occasion de procéder à un recensement précis des critères d'appréciation pris en compte par le juge lorsqu'il se prononce dans une affaire de trouble anormal du voisinage, notamment la prise en compte des circonstances de lieu.

Je vous propose d'adopter conforme ce texte qui affirme la volonté du Parlement de protéger le patrimoine sensoriel des campagnes sans toutefois remettre en question les équilibres juridiques existants. Il peut constituer un outil utile pour les élus locaux au quotidien pour les accompagner dans leurs démarches de pédagogie et de médiation.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Il nous revient à présent de définir le périmètre de la proposition de loi en vertu de l'article 45 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Antoine Levi

Je vous propose de considérer que le périmètre inclut les dispositions relatives à la protection et à la valorisation du patrimoine sensoriel des territoires ruraux.

En revanche, je vous propose d'estimer que n'auraient pas de lien, même indirect, avec le texte, les amendements relatifs à la protection et la valorisation du patrimoine matériel, à la protection et la valorisation des territoires urbains, au régime juridique, fiscal et social applicable au secteur agricole et aux agriculteurs et à l'aménagement des territoires ruraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Merci pour cette présentation particulièrement précise. L'intitulé de cette proposition de loi inattendue et originale a pu étonner ou faire sourire. Mais elle n'est pas anecdotique et encore moins comique. Certains parleront d'un texte symbolique, car elle nous parle du sens que nous voulons donner au vivre-ensemble, en particulier dans la ruralité. Nous aurions sans doute préféré l'éviter : le bon sens, la tolérance, la courtoisie et la discussion valent toujours mieux qu'une loi !

Cette proposition de loi de Pierre Morel-À-L'Huissier, notre collègue député de Lozère, part d'un triste constat : notre société est de plus en plus conflictuelle, de plus en plus judiciarisée, avec des issues parfois ubuesques, kafkaïennes. Le ridicule ne tue pas, mais il peut alimenter les prétoires et les tribunes médiatiques.

Difficile d'avoir des statistiques infaillibles, mais le ministère de la justice a recensé ces dernières années plus de 1 800 dépôts de plainte pour dommages liés à l'environnement et 490 recours pour troubles anormaux de voisinage - pas tous liés à la ruralité - ont été examinés. Parmi eux, quelques affaires clochemerlesques, comme aurait dit Gabriel Chevallier, ou abracadabrantesques, comme aurait dit Arthur Rimbaud, ayant pour héros malheureux des animaux qui chantaient trop : des coqs, des grenouilles qui croassent, des cigales qui craquettent, des canards qui cancanent, sans compter des chiens, des ânes, et même des goélands. Je n'oublie pas les cloches trop sonores, ainsi que des moteurs de tracteurs ou de trayeuses dont la mélodie mécanique n'est pas du goût de tous. Seul le pivert semble s'être faufilé entre les mailles du filet des grincheux ! Mais pas les déjections d'abeilles, qui ont fait l'objet d'un recours à Pignols, dans le Puy-de-Dôme.

Toujours est-il que l'identité et l'authenticité de la vie rurale peuvent s'avérer menacées si nous n'y prêtons pas garde, de même que cette évidence : on ne vit pas à la ville comme on vit à la campagne. Apporter un bouclier juridique solide pour soutenir les maires ruraux et les magistrats confrontés à des plaintes farfelues n'est donc pas inutile. L'outil législatif proposé par Pierre Morel-À-L'Huissier a ainsi un double objectif : protéger ce patrimoine sensoriel de nos campagnes, qui constitue une partie de l'ADN de notre pays, mais aussi instaurer les bases d'un dialogue constructif entre deux voisinages qui peuvent avoir du mal à se comprendre. Le texte permet également de préciser deux définitions : le patrimoine sensoriel à inventorier selon les territoires et le trouble anormal du voisinage, une notion floue et jusqu'à présent jurisprudentielle en l'état actuel du droit.

Il faut rendre hommage à Pierre Morel-À-L'Huissier et à sa méthode. Cosigné par 71 députés de tous bords, le texte a été soumis à la sagacité du Conseil d'État, autopsié par les conseillers ministériels concernés, avant d'être ciselé, magnifié, perfectionné par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, et qui a su faire consensus. Il mérite d'être voté conforme : c'est ce que fera le groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Monier

Nous avons tous, lorsque nous pensons à nos territoires respectifs, des sons ou odeurs caractéristiques qui nous viennent à l'esprit. Maire de Vinsobres, commune viticole, c'est pour moi le son du tracteur. Mais si je pense au sud de la Drôme, ce sont bien sûr les cigales que j'entends.

Cette proposition de loi peut paraître anodine à première vue, voire cocasse, mais il n'en est rien. Elle traduit en réalité l'existence d'une frontière de plus en plus marquée, séparant habitants de longue date des territoires ruraux et nouveaux arrivants, qu'ils soient touristes de passage ou résidents fraîchement installés, souvent désireux de commencer une nouvelle vie en marge de l'agitation urbaine.

Si à la campagne, l'activité prend des formes différentes qu'en ville, cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas ; les sons des tracteurs, l'odeur du lisier, le chant du coq en sont les conséquences. La campagne s'apprivoise : il est nécessaire que celles et ceux qui font le choix d'y vivre apprennent à la connaître.

Au fil des auditions, nous avons pu constater que les conflits de voisinage qui parvenaient effectivement jusqu'au tribunal ne constituaient que la partie émergée de l'iceberg : bon nombre d'entre eux sont réglés bien en amont, le plus souvent grâce à la médiation active des maires. Si nous en entendons autant parler, c'est que la presse, locale, mais aussi nationale s'en fait régulièrement l'écho, suscitant de nombreuses réactions oscillant entre moquerie et consternation. Cette ampleur médiatique révèle l'intérêt que ce sujet suscite pour l'opinion publique.

Aux conséquences très concrètes pour les acteurs des territoires concernés, le texte apporte plusieurs pistes de réponse. Le complément apporté au premier article du code de l'environnement constitue un premier jalon dans la reconnaissance et la protection de ce patrimoine sonore et olfactif qui participe de la richesse de nos espaces naturels.

Le texte propose par ailleurs de confier aux services régionaux de l'inventaire le soin d'étudier et de qualifier l'identité culturelle des territoires, dans une logique de valorisation et de transmission du patrimoine propre à la ruralité. La pertinence de cet échelon décentralisé nous a été confirmée au cours de nos auditions.

Enfin, la demande d'un rapport sur la possibilité d'engager la responsabilité civile pour trouble anormal du voisinage, en éclairant la portée juridique de cette problématique, nous permettra de mieux la poser d'un point de vue législatif. Même si le Sénat n'aime pas voter les demandes de rapports, il faut faire une exception pour celle-ci.

Si les différentes solutions introduites par cette proposition de loi auraient sans nul doute pu être affinées, l'existence même de ce texte a le mérite de poser les premières bases d'une discussion collective autour d'un sujet qui nous renvoie finalement à une problématique fondamentale, celle du vivre-ensemble.

Soulignons par ailleurs que le député rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, Pierre Morel-À-L'Huissier, a eu l'initiative de saisir le Conseil d'État et de largement remanier son texte en fonction de son avis. Il serait donc contre-productif de le modifier. C'est pourquoi le groupe SER le votera.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Bravo à nos collègues pour leur travail en un temps très court. Cette proposition de loi est originale, mais opportune : d'ici à quelques jours, la semaine du son sera lancée. Son fondateur, Christian Hugonnet, qui a été auditionné par notre rapporteur, témoigne que notre monde est beaucoup plus rétinien qu'auditif et prend insuffisamment en compte les qualités acoustiques. Il est pourtant nécessaire de réguler le bruit. Ce texte nous parle de la difficulté du vivre-ensemble, mais surtout du déficit d'appréciation des sons qu'il faut réparer dans notre éducation. Je vous invite à participer aux ateliers proposés cette semaine dans le cadre de cette manifestation. L'attention au son peut ainsi permettre d'appréhender les questions de biodiversité.

J'approuve cette proposition de loi qui met un coup de projecteur sur des questions légitimes. Les cloches rythment la vie des villages, mais aussi des villes, dont certains habitants se plaignent aussi qu'elles les dérangent la nuit. Notre commission, qui a dans son champ de compétences l'architecture, devrait se préoccuper de la prise en compte du son dans nos bâtiments et notre urbanisme. Le groupe UC soutiendra ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Je me suis d'abord interrogée sur l'intitulé de ce texte, ayant le sentiment d'avoir affaire à un sujet un peu secondaire sur lequel j'étais étonnée d'avoir à légiférer. Puis j'ai compris qu'il s'agissait de faciliter la tâche des maires face aux conflits de voisinage. Ce texte va-t-il cependant tout régler ? Ce ne sera pas facile.

Attention à la vision idéalisée du rural qui se dégage de ce texte. Il ne faut pas faciliter l'introduction de nouveaux bruits et de nouveaux effluves ou l'augmentation du nombre des fermes usines et des épandages de pesticides, comme en Gironde. Ils se font avec peu de bruit et d'odeur, mais leurs conséquences sanitaires sont bien là. Nous voterons ce texte.

Je m'interroge sur un point : y a-t-il eu une réelle augmentation du nombre de conflits de voisinage ou bien plutôt une hausse de leur médiatisation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Nous souhaitons voter ce texte conforme. Il est intéressant de le mettre en perspective avec la manière dont nos concitoyens conçoivent leur habitat, qu'ils souhaitent hermétique. Je le dis sans jugement de valeur : cela tient à un certain individualisme, mais aussi au fait que la société ne convient plus à leurs attentes. Il faut aussi tenir compte d'une conception de la nature comme milieu sous cloche, sans activités.

Ce texte dit quelque chose sur la judiciarisation croissante de tous les conflits. Ceux-ci sont intrinsèques à la vie, mais rien n'oblige à les porter au tribunal. Beaucoup de nos concitoyens ne peuvent plus se loger au coeur des grandes métropoles. Ce qui a longtemps été une ascension sociale - l'acquisition d'un pavillon avec son bout de jardin - tourne au déclassement : la vie dans un environnement sans médecin, sans service public, sans transports en commun. Nous voyons donc arriver dans nos communes rurales des gens qui ne sont pas préparés à y vivre, parce que ce n'est pas leur choix : ils viennent simplement parce qu'ils ne peuvent pas vivre ailleurs.

Il faudrait aussi contraindre les lotisseurs à organiser des rencontres entre les acquéreurs et le maire, qui pourrait leur expliquer à quoi ressemble la vie dans sa commune. J'ai bien peur que ces conflits ne fassent qu'augmenter avec l'envie de campagne générée par le confinement...

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

La ruralité doit avoir des défenseurs ; ce texte n'est pas anecdotique. Les épiphénomènes dont il est question font sourire, mais ils reflètent une réalité durable sur le territoire. Le groupe RDPI votera ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Un point sur les services régionaux de l'inventaire. Lorsque je travaillais dans une direction régionale des affaires culturelles (DRAC), ils y étaient rattachés. En 2005, ils ont été confiés aux régions, sous prétexte que leur activité n'était pas régalienne. Ce texte leur donne une mission législative, mais sans changer leur rattachement administratif. Il faudra se demander si la protection du patrimoine ne devrait pas être du ressort de la DRAC. Il y a un chantier à mener sur les interactions complexes entre collectivités et État en matière patrimoniale. Les services ont mis 35 ans pour réaliser 35 % de l'inventaire. Ce texte les incite à aller plus vite, mais ajoute de nouveaux objets qui n'étaient pas prévus.

Une précision sur les sonneries de cloches ; elles sont soumises à deux régimes : celui de l'article 43 de la loi de 1905 et celui du Concordat. Les cloches ne sonnent pas de même façon en Alsace-Moselle et ailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Antoine Levi

Merci pour votre soutien unanime. J'ai échangé avec Pierre Morel-À-L'Huissier, qui m'a confirmé que le texte avait été modifié de manière significative après la consultation du Conseil d'État. Il y est attaché ; je l'ai félicité. Comme beaucoup d'entre vous, j'ai tout d'abord été étonné par cette initiative législative. Mais le texte m'a rapidement beaucoup intéressé. Il constituera une boîte à outils pour les élus.

L'une des raisons du problème vient de la méconnaissance du travail agricole. Les agriculteurs sont obligés de travailler la nuit, non pour embêter leurs voisins, mais en vertu de la règlementation. Je pense notamment à l'arrêté visant à protéger les insectes pollinisateurs qui interdit certains traitements des champs en présence des abeilles, soit le jour.

Il n'y a pas eu d'augmentation des troubles de voisinage, mais les plaintes pour pollution sont plus nombreuses. On oublie que la campagne a une vie économique. Nul ne peut accepter une odeur de purin toute la journée, mais il faut bien accepter quelques nuisances.

Cette proposition de loi est un début. Le plus judicieux est de la voter conforme. La première audition nous avait un peu perturbés ; la dernière nous a confortés dans le fait que c'est aux services de l'inventaire de faire ce travail. Je tiens d'ailleurs à remercier l'ensemble de mes collègues qui ont participé à ces auditions malgré le calendrier très contraint et avec lesquels j'ai longuement échangé dans le cadre de mes travaux. Cette loi devrait aider les élus.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Aucun amendement n'a été déposé. Je mets donc aux voix la proposition de loi.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Belle unanimité ! Merci à notre rapporteur, qui élabore son premier rapport. (Applaudissements.)

La réunion est close à 11 h 45.