Intervention de Gérald Darmanin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 12 janvier 2021 à 18h15
Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur

Gérald Darmanin, ministre :

Je l'ai bien compris...

Cela aurait toutefois comme conséquence que les policiers municipaux sont sous l'autorité exclusive du procureur de la République. Comment un maire peut-il recruter des policiers municipaux pour que ceux-ci ne soient que sous l'autorité du procureur de la République ? Ce serait tout de même une façon un peu étonnante d'imaginer l'intérêt commun, mais je doute que ce soit la volonté première de ceux qui formulent une telle demande.

Le procureur de la République est celui qui donne un certain nombre de possibilités d'action, qui autorise l'enquête et qui permet les privations de liberté. Il mène sa politique pénale comme il l'entend, dans le cadre que lui laisse la loi. La police municipale, dans le cadre de l'expérimentation, sera sous l'autorité de ce que décidera le procureur de la République, qui classera ou pas tel ou tel constat.

Le procureur de la République reste notre pierre angulaire. Les policiers nationaux agissent souvent sous l'autorité d'un magistrat : je suis un employeur, mais pas toujours le donneur d'ordre. Et c'est très bien ainsi, puisque c'est ainsi qu'est fondé notre droit.

Sur les tâches indues et le refus de délégations de service public, je comprends bien la rhétorique du groupe communiste et je respecte tout à fait cette position idéologique. En revanche, je ne peux partager la conclusion du sociologue que Mme Assassi a cité : si la conséquence est la suppression de postes, pourquoi sommes-nous le gouvernement qui a le plus créé de postes sous la Ve République, alors même que nous luttons contre les tâches indues ?

En tant que ministre de l'intérieur, je ne comprends pas pourquoi ce sont quasi systématiquement des policiers qui assurent l'accueil de jour dans les commissariats. Un personnel administratif peut tout à fait le faire, une fois formé à l'accueil et à l'accompagnement. Évidemment, c'est seulement le fonctionnaire de police qui prendra la plainte. Voilà une tâche indue qu'il s'agit de confier non pas à quelqu'un du privé, mais à un autre fonctionnaire, ce que l'on appelle la substitution.

Dans les centres de rétention administrative, ce sont toujours des forces de l'ordre qui s'occupent de la bagagerie. Pourquoi ? On pourrait tout à fait déléguer cette tâche à d'autres : le policier aux frontières, armé, formé, a peut-être mieux à faire.

Il en est de même pour les gardes statiques devant les chambres de certains détenus qui sont par exemple en réanimation : elles sont toujours assurées par des policiers. Si cela va de soi lorsqu'il s'agit de personnes impliquées dans le grand banditisme par exemple, ce n'est pas toujours le cas. On a des conventions avec l'administration pénitentiaire.

Aujourd'hui, ce sont presque toujours des policiers qui assurent le transport vers les centres de rétention administrative. On peut imaginer que d'autres prennent en charge ces déplacements, car c'est du temps policier pris.

Il ne s'agit pas toujours de déléguer à la sécurité privée, même si, pour moi, ce n'est pas un mauvais mot. Il s'agit de faire en sorte que chaque fonctionnaire puisse faire le travail pour lequel il a été formé et pour lequel il est le mieux utilisé. Quand on parle de tâches indues, il ne faut pas y voir de la privatisation à outrance. Par ailleurs, des agents de sécurité privée pourraient accomplir un certain nombre de tâches. Je pense en tout cas que l'on devrait expérimenter.

L'augmentation de la délinquance dans les campagnes, qu'a évoquée Mme Gatel à la suite de l'article du Figaro, relève de trois types, qui correspondent à trois grands maux qui touchent notre société.

Il y a d'abord les violences conjugales et intrafamiliales, qui sont également en augmentation dans les territoires ruraux.

Il y a ensuite la délinquance routière et je souhaite que le Sénat nous aide à trouver les moyens de lutter contre ce phénomène. Toutes les demi-heures, toutes les vingt minutes en zone gendarmerie, on constate des délits routiers et des refus d'obtempérer de la part de personnes qui, parce qu'elles n'ont pas le bon permis de conduire, roulent sans assurance ou sont sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiants, prennent la vie de gendarmes, de policiers ou d'autres en refusant de s'arrêter.

Il y a enfin les actes commis contre ce que l'on pourrait appeler le monde agricole : introduction dans les fermes, vol de carburant, atteintes aux bestiaux, etc.

Ces augmentations traduisent une forme de délinquance qu'il faut prendre en compte. La création de postes dans la gendarmerie nationale est une réponse ; l'implantation territoriale compte, mais l'implantation numérique compte beaucoup également. Vous savez que les gendarmes ont particulièrement avancé dans leur présence territoriale, notamment grâce aux tablettes et à la géolocalisation. Nous espérons que les centres de supervision (CSU) communaux, intercommunaux ou à une échelle plus large permettront de mieux les accompagner. De ce point de vue, je le répète, l'abandon de certaines tâches indues permet de libérer un certain nombre d'effectifs pour les remettre sur le terrain.

Mme Boyer a évoqué des sujets qui ont un rapport très lointain avec le texte, mais je ne voudrais pas la frustrer en ne lui répondant pas. Elle évoque le temps, sans doute important et béni, où Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur : j'étais alors étudiant. J'ai été parlementaire avec elle, après la défaite du président Sarkozy. En évoquant les vingt ans d'augmentation massive de l'immigration, j'imagine qu'elle fait aussi volontiers sa propre autocritique...

On ne peut pas comparer les choses comme elle l'a fait. Comment comparer des chiffres dans des moments où les régimes, notamment du Maghreb et de l'Afrique, connaissaient une stabilité politique un peu différente - Libye, Tunisie, Maroc, Turquie, les théâtres syrien ou irakien - et n'étaient pas dans les mêmes prédispositions ? L'action du président Sarkozy, même si je la loue sur les questions de sécurité, n'est pas tout à fait comparable avec la politique migratoire que nous connaissons : il faudrait sinon attaquer non seulement le bilan du Président de la République, mais aussi celui de la chancelière Merkel, puisque les chiffres de l'immigration en Allemagne sont bien plus importants.

Mme Boyer devrait se méfier des chiffres. Quand on fera le bilan de l'année 2020, elle constatera une baisse de la délivrance des titres de séjour de 40 %. Sur 135 000 demandeurs d'asile, seul un quart reçoit des titres d'asile. Notre problème n'est pas tant le nombre de personnes qui viennent sur le territoire national que notre difficulté à les reconduire dans leur pays : les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont un vrai sujet. En outre, en 2020, il n'y avait plus de vols réguliers vers les pays du Maghreb, les pays lointains qui sont des théâtres de guerre, voire les pays avec lesquels nos relations diplomatiques sont plus que compliquées pour obtenir des laissez-passer consulaires, par exemple le Pakistan. Ceci explique sans doute cela.

Les naturalisations ont augmenté de 20 % entre 2007 et 2012. Comme maintenant.

Il faut donc faire attention aux comparaisons, elles ne sont pas toujours raison. Il ne faut pas pour autant caricaturer le débat migratoire : il mérite une vraie discussion et sans doute une amélioration de l'action publique, singulièrement dans la reconduite aux frontières, puisque, dans le contrôle des frontières, il n'y a jamais eu autant de policiers et de gendarmes. C'est d'ailleurs le Président de la République, et avant lui le président Hollande, qui a rétabli les contrôles aux frontières, conformément aux modalités prévues dans les accords de Schengen. Je pense personnellement qu'il faut revoir ces accords ; le Président de la République a encouragé l'Union européenne à le faire et à rétablir nos frontières, ce qui n'était pas le cas au début des années 2000. Il n'est pas question d'en faire le procès à quiconque, puisque le contexte climatique et géopolitique était très différent.

La formation des policiers constitue un sujet tout à fait essentiel, je le comprends mille fois et je l'ai moi-même évoqué. Réduire les formations a été une erreur.

Je pense à la formation initiale. Le Parlement doit toutefois aussi comprendre que l'on ne peut pas à la fois demander plus d'effectifs au ministre de l'intérieur et plus de temps de formation : si l'on fait plus de formation initiale quand on recrute des policiers, il faut accepter qu'ils viennent moins vite dans les commissariats. Ce débat a sans doute poussé mes prédécesseurs à raccourcir cette formation initiale, à tort.

Je pense également à la formation continue. La formation continue théorique, qu'elle soit juridique, physique ou technique, n'est pas suffisante. Les policiers du commissariat de Limoges devaient par exemple bénéficier de cinquante heures de formation annuelle, ils n'en ont fait qu'une dizaine parce qu'ils n'en ont pas le temps : ils sont hyper mobilisés et on n'a pas réglé le problème des horaires dans la police nationale. Quand on a besoin de temps, on le prend toujours sur la formation. C'est regrettable, car on empêche les policiers d'être dans un bon cycle de travail et on ne leur permet pas d'accéder à cette formation à laquelle ils ont droit. C'est de la responsabilité de l'État employeur, c'est-à-dire de moi ; c'est pourquoi nous allons changer les choses.

C'est pareil pour la formation continue pratique. Les policiers doivent par exemple faire trois tirs administratifs par an. Vous constaterez qu'ils sont quasiment tous concentrés au mois de décembre, par manque de stand de tir. On peut imaginer créer des stands de tir communs avec les polices municipales ou des stands de tir mobiles. La première chose que fait l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), lorsqu'il y a un problème avec un policier, c'est de vérifier qu'il a bien fait ses trois tirs. Or seulement 60 % des policiers font leurs trois tirs administratifs dans l'année.

Il faut donc améliorer les durées de formation initiale et continue, mais déjà appliquer ce que l'on sait faire. Cela exige un important travail de ressources humaines, ce que j'ai demandé au directeur général de la police nationale. Les gendarmes ont un système différent, mais qui mérite lui aussi d'être amélioré et revu. Le directeur général de la gendarmerie y travaille.

Il faut également améliorer la coordination de nos forces entre police et gendarmerie. En matière de maintien de l'ordre, le travail des CRS et des gendarmes mobiles sur le terrain est complémentaire : il faut que ces personnels passent plus de temps à se former ensemble, pour avoir des réflexes communs et mieux se connaître.

J'en viens au code de la justice pénale des mineurs et à la façon dont le garde des sceaux imagine les prochains textes. Évidemment, certains policiers sont dévolus à des tâches spécifiques dans leur fonction et dans leur métier et ils accomplissent un travail très courageux en ce qui concerne les mineurs. Ils font preuve de beaucoup d'humanité et se heurtent aussi à de nombreuses difficultés pour traiter cette forme de délinquance malheureusement grandissante. Le garde des sceaux et moi-même travaillons pour former aux nouveaux outils juridiques, qui seront conformes aux volontés du législateur.

C'est le magistrat seul qui décide de la culpabilité. Le logiciel dont il a été question et qui s'appelle Cassiopée vient de la magistrature, quand bien même c'est la police qui délivre la convocation. Cela ne signifie pas pour autant que police et gendarmerie ne doivent pas mieux gérer leurs process de logiciels notamment d'enquêtes pénales. Nous y travaillons : deux expérimentations sur la procédure pénale numérique sont en cours à Amiens et à Blois, et j'encourage votre commission à s'y intéresser. Elle se veut le rapprochement des deux procédures, ce qui évitera de nombreux doublons. Nous généraliserons cette procédure à la fin de l'expérimentation. Il en est de même pour les doubles écrans, comme je l'ai fait à la direction générale des finances publiques (DGFiP), l'utilisation de logiciels d'intelligence artificielle ou de dictée plus efficaces, comme le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), qui est en cours de réforme. En matière de procès-verbaux mal rédigés, la police nationale et la gendarmerie doivent aussi faire des efforts.

Nous manquons d'officiers de police judiciaire (OPJ) sur le terrain, alors que 3 000 personnes ont cette qualification, mais sont parties dans des services qui ne sont pas des services de police judiciaire. C'est pourquoi j'ai mis fin aux primes de ces OPJ et ai essayé d'améliorer les primes de ceux qui prennent le risque d'être OPJ sur le terrain ou assument ce travail parfois fastidieux.

Je pense que nous réglerons, structurellement, ce problème. Être officier de police judiciaire est un métier qui doit permettre de garantir le respect du droit et de la procédure. Les procureurs ont donc eu raison de vous alerter sur ce point.

J'ai déjà évoqué l'article 24. Quelle que soit sa rédaction, ce qui intéresse le ministre de l'intérieur, c'est que l'on puisse continuer à protéger les policiers et les gendarmes. Le temps de la navette parlementaire n'aura sans doute jamais été aussi bénéfique à une disposition législative. Tant que le but est atteint et que tout le monde est rassuré, le Gouvernement ne pourra évidemment qu'y être favorable.

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