Nous auditionnons aujourd'hui M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur.
Monsieur le Ministre, avant de vous laisser la parole pour évoquer la proposition de loi sur la sécurité globale, je formulerai deux interrogations.
Trois décrets du 2 décembre 2020 ont modifié les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel en permettant de recueillir des données relatives à l'appartenance syndicale, aux activités politiques, aux convictions philosophiques et religieuses, mais également les identifiants sur les réseaux sociaux et certaines données de santé, ceci au nom de la sécurité publique ou de la sûreté de l'État. Si le Conseil d'État, saisi en référé, a estimé qu'aucun des arguments avancés par les requérants n'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions, le fait d'attester que des opinions puissent représenter un danger en elles-mêmes démontre une rupture dans la manière de penser la sûreté de l'État. N'y a-t-il pas là un risque ?
Deuxième question : comment le Beauvau de la sécurité et le débat sur la répartition entre police et gendarmerie annoncés par le Gouvernement s'articuleront-ils avec l'examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale ? Y a-t-il des complémentarités entre ces démarches ?
Les fichiers que vous évoquez ont été créés entre 2009 et 2011, puis codifiés dans le code de la sécurité intérieure. Les trois décrets ont été publiés le 2 décembre 2020, notamment suite à un contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en 2017 et en 2018. Trois fichiers sont concernés par ces modifications, qui poursuivent des finalités différentes.
Le fichier Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP) relève de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police de Paris. Il s'agit d'informations nécessaires recueillies dans le cadre d'enquêtes menées par les renseignements territoriaux sur les personnes ayant vocation à accéder à des bâtiments ou à des sites sensibles pour l'État, comme des préfets et des ambassadeurs. L'objectif est de savoir si elles sont ou non dignes d'accéder à des fonctions de souveraineté et de sûreté de l'État.
Les fichiers Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP), qui relève de la DGPN, et Gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP), qui est son équivalent pour la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) - les deux fichiers ne sont pas fusionnés -, sont légèrement différents du fichier EASP. Il s'agit de la conservation des identités d'individus dont l'activité peut porter atteinte à la sûreté de l'État, intéresser l'ordre public ou être en lien avec des faits de violence collective. Contrairement à beaucoup de fichiers de souveraineté, ces fichiers ont été publiés, ce qui garantit l'information des citoyens et des parlementaires. Ils ont été modifiés à la demande de la CNIL. Nous avons repris les dispositions de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, dite loi RGPD, que la Haute Assemblée avait approuvée. Le texte qui nous avait été transmis par les instances européennes mentionnait les « opinions », et non les « activités » politiques. C'est la CNIL qui nous a demandé de modifier cette référence. Nous avons également ajouté des catégories sur les activités sur les réseaux sociaux, qui étaient évidemment moins liées qu'aujourd'hui à des activités subversives ou à des atteintes à la sûreté de l'État en 2009 et en 2011.
Ainsi que M. le président vient de le rappeler, le Conseil d'État a, dans une décision toute récente, donné raison au ministère de l'intérieur.
L'élargissement de la liste des informations collectées soulève des interrogations. Il y avait des personnes physiques ; il y a désormais des personnes morales. Plusieurs personnalités publiques et juristes estiment que l'on va tout de même un peu loin. S'agit-il, comme je l'ai lu, de régulariser des pratiques qui avaient déjà cours sans base juridique ? Comment les fonctionnaires chargés de renseigner ces fichiers seront-ils formés ? Il faut tout de même un peu de discernement et de subtilité pour apprécier des options philosophiques et politiques.
Surtout, dans un contexte de grande tension dans notre pays et de désordres psychologiques individuels et collectifs, n'est-ce pas jeter de l'huile sur le feu ? Les questions de sécurité publique sont extrêmement sensibles. Ces fichiers semblent de nature à entretenir un climat qui n'est pas sain, en donnant le sentiment de contrevenir aux libertés publiques.
Pourquoi étendre ces fichiers aux opinions politiques, aux convictions philosophiques et religieuses, mais également à l'appartenance syndicale ? En quoi ce fichage permettrait-il de lutter plus efficacement contre la menace terroriste ? Je m'interroge notamment sur la notion d'atteinte « aux institutions de la République ».
Les associations pourront désormais être concernées. Quelles garanties le Gouvernement prévoit-il pour protéger leur liberté et la liberté d'opinion en leur sein ?
Je ne peux pas laisser dire que les décrets contreviennent aux libertés publiques. Ils ont été validés par le Conseil d'État et la CNIL en amont, et de nouveau par le Conseil d'État en aval. Ils sont d'autant plus respectueux des libertés publiques qu'ils ont été conçus à la demande de la CNIL.
Encore une fois, c'est le législateur qui a fait référence aux « opinions » politiques dans le cadre de la loi RGPD, texte voté par la Haute Assemblée. On ne peut pas reprocher au Gouvernement de reprendre par parallélisme la formulation du législateur.
Les décrets dont nous discutons n'ont pas créé ces fichiers. Ils existaient déjà. Simplement, en 2017, la CNIL leur reprochait d'être très sommaires dans leur rédaction. C'est donc à sa demande que nous avons introduit des catégories plus précises. Elle a d'ailleurs qualifié ce travail de régularisation des pratiques des services. Les agents sont évidemment formés, et ils sont d'un grand professionnalisme. Les éléments qu'ils rentrent sont ensuite validés par le service central.
Monsieur Durain, vous évoquez le contexte. Pour ma part, depuis que je suis ministre de l'intérieur, je suis confronté à un contexte terroriste extrêmement important, ainsi qu'à des actions subversives, comme celles des Black Blocs lors des manifestations. Les décrets viennent lutter contre ceux qui portent atteinte à la sûreté de l'État et aux institutions.
Madame Benbassa, la référence aux « institutions de la République » figure dans le premier fichier, consacré aux personnes susceptibles de se rendre sur des sites ou dans des bâtiments relevant de la sûreté de l'État ou d'accéder aux fonctions de préfet, d'ambassadeur, de directeur d'administration centrale ou de chef d'un service de renseignements. Il est normal que la République puisse vérifier la compatibilité de ces personnalités avec les fonctions éminentes qu'elles seront amenées à exercer.
Il ne s'agit non pas de ficher des personnes selon leur opinion religieuse, syndicale ou politique, mais d'identifier les liens d'individus ayant commis des actions violentes. Cela permet d'avoir plus d'informations, en complément du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Les individus ne sont pas fichés par opinion politique, par opinion syndicale ou par opinion religieuse, mais parce qu'ils ont commis des actions violentes. L'objectif est évidemment de voir quel serait leur cercle d'action. Il convient de relativiser : les fichiers concernent 60 000 personnes, contre 19 millions pour le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ).
Monsieur le ministre, je propose d'aborder à présent la proposition de loi relative à la sécurité globale.
Le Beauvau de la sécurité et la répartition entre police nationale et gendarmerie intéressent beaucoup, je le sais, les parlementaires, en particulier les membres de la Haute Assemblée, en charge de représenter les collectivités territoriales.
Le travail que j'ai engagé à la demande du Président de la République permettra de construire une grande loi de programmation de la sécurité intérieure. Cela n'avait pas été fait depuis le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur. Les organisations syndicales de la police et les représentants des gendarmes ont approuvé les propositions que je leur ai adressées concernant les méthodes qui présideront à nos discussions. J'ai suggéré que des membres du Parlement et des élus locaux, notamment des maires, puissent participer à nos travaux sur la formation, sur les inspections, sur le maintien de l'ordre, etc. Des mesures seront envisagées sur ces différents thèmes. Je souhaite également que puissent être organisés dans tous les territoires de la République des débats publics avec les policiers, les gendarmes, mais aussi les acteurs de la société civile. Le Président de la République pourrait conclure le Beauvau de la sécurité au mois de mai.
Le Livre blanc de la sécurité intérieure avait été commandé par mon prédécesseur. Il porte sur la sécurité en général : organisation des forces de l'ordre, mais également sécurité civile et réponses face aux grandes crises. Parmi les propositions figure effectivement une nouvelle répartition entre la police et la gendarmerie, les territoires de la délinquance ayant évolué. Ce n'est pas nous qui avons proposé les nouvelles cartes, mais nous allons les examiner. Tout en maintenant la distinction entre la police et la gendarmerie, on peut envisager de mutualiser certaines actions face à la cybercriminalité, au trafic de drogue ou aux cambriolages. J'engagerai une discussion avec les élus et les forces de l'ordre territoire par territoire, en regardant les chiffres de la délinquance.
Je salue le travail très important que les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue ont réalisé à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à la sécurité globale. Ce texte très ambitieux, qui a été l'un des mieux votés de la législature, permet des avancées considérables dans trois domaines : les compétences de la police municipale, la sécurité privée et l'utilisation des images.
Il prévoit un continuum : si l'État est et doit rester le responsable de la sécurité publique, tout le monde participe. Je pense aux agents de sécurité privés, dont l'un a empêché un attentat voilà cinq ans en ne laissant pas un terroriste pénétrer dans le Stade de France, ou aux agents de police municipale, qui, nous l'avons vu récemment à Nice, sont parfois primo-intervenants face au terrorisme. Si le rôle de l'État en matière de sécurité doit demeurer, nous devons mieux travailler avec nos partenaires sans les considérer comme des acteurs de seconde zone. Ayant été maire, j'ai moi-même souvent regretté que la police municipale soit considérée par l'État comme une force d'appoint.
Nous traitons dignement les compétences de police municipale avec une expérimentation tout à fait originale à l'article 1er, mais nous renforçons en parallèle la place de l'État. Le texte ne prévoit aucun désengagement de l'État. La police municipale pourra constater des délits, aura des compétences judiciaires, mais elle ne pourra pas procéder à des actes d'enquête. Le renforcement des compétences des polices municipales sera gage de meilleure action pour la sécurité de nos concitoyens. D'ailleurs, Christian Estrosi, le président de la commission consultative nationale des polices municipales, a salué ce texte. Bien entendu, certains éléments peuvent toujours être améliorés.
Nous instituons de nouveaux délits pour mieux lutter contre certaines armes par destination, comme les mortiers. Nous sommes également favorables à l'interdiction du protoxyde d'azote, voire à certaines dispositions relatives aux rodéos.
Nous apportons des réponses extrêmement concrètes sur la question des images, avec la mise en place des centres de supervision urbains (CSU). Leur mutualisation permettra aux petites communes, notamment dans les zones gendarmerie, de mettre en place la vidéoprotection sans se ruiner.
Il s'agit aussi de régulariser l'utilisation des drones. Nous voulons encadrer l'utilisation des images, en protégeant la vie privée de nos concitoyens. De même, la généralisation des caméras-piétons permettra une meilleure protection des fonctionnaires de police ou de gendarmerie et facilitera les enquêtes.
En ce qui concerne la sécurité privée, nous voulons non pas faire des agents de sécurité des « policiers bis », mais prendre au sérieux cet acteur économique très important. Nous allons renforcer les contrôles et les sanctions du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), qui dépend du ministère de l'intérieur, et apporter une aide sur la formation et la déontologie des agents.
Le Gouvernement sera évidemment attentif à la rédaction que le Sénat proposera sur l'article 24. Nous souhaitons ardemment pouvoir continuer à protéger nos forces de l'ordre. Il est normal de protéger ceux qui nous protègent.
Lors des nombreuses auditions que nous avons déjà menées avec Loïc Hervé, nos interlocuteurs nous ont alertés sur l'élargissement à titre expérimental des prérogatives judiciaires des agents de police municipale. En l'occurrence, l'autorité fonctionnelle est le procureur, puisqu'il s'agit d'une action de police judiciaire, et l'autorité hiérarchique est le maire, qui recrute les agents de police municipale. Comment prévenir les risques de confusion ? Quid de l'évaluation ?
La montée en puissance des polices municipales qui est prévue vous paraît-elle de nature à renforcer le continuum de sécurité ? Comment renforcer la police municipale et la police nationale sans enlever des prérogatives à l'une ou à l'autre ?
Nous avons été alertés sur la formation des polices municipales. Certains agents ont des difficultés à rédiger des procès-verbaux. Si nous élargissons les compétences des polices municipales, comment éviter la multiplication des vices de forme ?
Concernant la police municipale à Paris, la préfecture de police de Paris et les élus parisiens nous ont fait part de leur satisfaction s'agissant des conditions dans lesquelles le texte avait été préparé. Mais une question reste posée. Le Gouvernement souhaite que la création de la police municipale soit décidée par un décret en Conseil d'État. Or, selon nous, la création doit résulter d'une délibération de la collectivité locale. Pensez-vous évoluer sur ce point ?
L'article 23, qui prévoit de supprimer du crédit de réduction automatique de peine les infractions commises contre des agents des forces de l'ordre. Ce ne serait par ailleurs plus la gravité de l'infraction qui justifierait une plus grande sévérité dans les conditions d'exécution de la peine, mais la personne au préjudice de laquelle l'infraction a été commise. Ce dispositif vous paraît-il en adéquation avec l'objectif de diminution de la population carcérale et respectueux de l'échelle des peines ?
Enfin, dernière question sur le fameux article 24, qui nous a fait beaucoup travailler avant la trêve des confiseurs. J'ai bien compris que votre intention est de mieux protéger les policiers - c'est aussi le souhait d'une large majorité de nos collègues -, et de le faire par le biais de la loi sur la liberté de la presse, car le code pénal exposerait les journalistes à des risques trop lourds, notamment en ce qui concerne les comparutions immédiates. Cependant, on voit bien que toutes les réactions et toutes les analyses juridiques convergent pour dire que, au regard des principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité, d'une part, et de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, on a un vrai problème d'équilibre. Le Sénat étant très attaché et aux libertés fondamentales et au renforcement de l'autorité, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait quand même utiliser le code pénal, mais, si l'on entre par le code pénal pour mieux protéger les policiers, il faut évidemment que l'on puisse résoudre le problème de maintien de la liberté d'informer et, surtout, que l'on n'envisage pas cette incrimination sous l'angle des opérations de police.
Votre collègue garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, proposera à l'Assemblée nationale, à la fin de ce mois, un article 25, devenu article 18, sur la loi relative aux valeurs de la République qui va dans ce sens, avec une incrimination générale et une peine aggravée quand il s'agit de fonctionnaires dépositaires de l'autorité publique. L'Assemblée nationale va débattre à la fin du mois de la loi sur les valeurs de la République, et nous allons être saisis mi-mars de la loi sur la sécurité globale. Dans ces conditions, comment voyez-vous l'articulation entre ces deux textes ? En clair, est-ce que le Gouvernement fait un lien entre l'article 24, qui pourrait être inséré dans le code pénal, et cet article 18 ? Ce dernier article est-il votre réponse au débat qui s'est ouvert sur la question ?
En complément de ce qui a été dit par Marc-Philippe Daubresse, et avant d'aborder les trois sujets qui m'échoient, je voudrais d'abord dire que, comme nous examinerons ce texte en mars au lieu de janvier, nous aurons davantage de temps pour mener des auditions. C'est d'autant plus important qu'il s'agit d'une proposition de loi, qui, par définition, n'a pas connu d'étude d'impact ni de passage en Conseil d'État, et encore moins d'avis de la CNIL. D'ailleurs, je remercie le président de la commission des lois d'avoir saisi cette dernière. Nous auditionnerons prochainement sa présidente.
Petite remarque : je trouve le titre de ce texte de loi absolument horrible et je me demande qui l'a inventé. J'imagine que ce n'est pas vous, monsieur le ministre. Celui qui a trouvé l'adjectif épithète à mettre à côté de sécurité mériterait, à défaut d'une médaille, une sévère correction, parce que ce n'est pas ainsi que l'on vend un texte.
J'en viens à mes trois sujets. D'abord, la sécurité privée. Vous demandez au Parlement d'habiliter le Gouvernement à réformer le Conseil national des activités privées de sécurité par ordonnance. Vous savez que nous n'aimons pas cette procédure dans cette maison. Est-ce que, d'ici au mois de mars, un certain nombre d'éléments de cette réforme ne pourraient pas être inscrits en dur dans la loi, les points plus accessoires étant réservés à l'ordonnance ? J'ai déjà quelques pistes.
Sur la sécurité privée, toujours, l'Assemblée nationale est allée plus loin que ce qui était prévu dans le projet de loi initial sur la question de la sous-traitance. Que pensez-vous de la solution retenue ? Vous paraît-elle réaliste pour un secteur économique dans lequel le recours à la sous-traitance en cascade est devenu monnaie courante ? C'est bien de réguler l'activité privée, mais il y a un certain nombre de principes que nous devons quand même respecter.
Plus généralement, quelle est la place que vous envisagez pour les agents de sécurité privée dans le cadre du continuum de sécurité ? Est-ce que vous souhaitez d'autres élargissements ? Où mettez-vous la limite avec le service public proprement dit, qui doit être assumé par des policiers, des gendarmes ou des policiers municipaux ?
J'en viens maintenant à la question des drones. La proposition de loi instaure un cadre spécifique. La jurisprudence administrative la plus récente démontre, s'il le fallait, la nécessité d'avoir un ancrage juridique pour l'utilisation des drones. Les matériels sont déjà dans les services de police et de gendarmerie, où ils sont utilisés. Je suis un élu de la montagne, vous le savez, et, comme sur les littoraux du pays, il est utile de recourir à des drones, notamment pour des opérations de sauvetage, la surveillance des frontières. Le Raid ou le GIGN en ont aussi besoin. Évidemment, il n'est pas question de remettre en cause ce type d'utilisation et le droit doit être adapté à cet effet.
En revanche, dès que l'on touche l'ordre public, les questions de vie privée, la prévention des infractions, il faut a minima s'armer de dispositifs de garantie, de contrôle ou d'encadrement pour préserver les libertés publiques. Nous essayons d'y réfléchir avec Marc-Philippe Daubresse pour aboutir à une solution équilibrée. Quelles finalités précises doivent-être autorisées par la loi pour l'usage des drones ? Quelles limites prévoir ? Comment préserver le droit à la vie privée de nos concitoyens ?
Enfin, sur les caméras mobiles, nous avons entendu ici les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie. C'est quelque chose qui est utile, notamment dans la pacification des relations avec les citoyens. Quel bilan faites-vous de leur usage ? Nous avons eu un certain nombre de remontées sur la qualité des matériels. Est-ce que l'on arrivera à avoir des matériels français ou européens suffisamment bien conçus, avec des capacités de mémoire suffisantes ?
Pensez-vous que les agents ou leurs supérieurs hiérarchiques devraient avoir accès plus rapidement aux images contenues dans les terminaux ? Est-ce qu'il faut être vraiment dans une logique de séparation du porteur de la caméra et de celui qui utilise ces images ou est-ce que vous pensez au contraire que l'on pourrait permettre, dans un certain nombre de cas de figure, le rapatriement ou l'exploitation des images beaucoup plus rapidement afin de résoudre des problèmes ? Je pense notamment à une lecture de plaque d'identité.
M. Daubresse évoque la question des polices municipales, d'abord en me demandant comment garantir la solidité juridique de l'expérimentation. L'article 1er prévoit une expérimentation quand même large de trois ans, avec très peu de conditions pour y participer : 20 policiers municipaux et un chef de service, ce qui répond à votre question des procès-verbaux, mais nous y reviendrons.
La participation à l'expérimentation repose bien évidemment sur la volonté des élus de recourir à cette expérimentation. Le temps que la loi soit votée et que les décrets soient pris, deux années de mandat seront passées, donc cette expérimentation de trois ans correspondra à la fin du mandat des maires actuels. Cela permettra aux électeurs de trancher démocratiquement.
Nous souhaitons faire confiance aux élus locaux, sans aucune obligation, contrairement à ce que souhaitaient certains députés, tant en ce qui concerne la création que l'armement. C'est à la carte. Il s'agit de choix locaux, l'État gardant le monopole de la sécurité intérieure.
Les délits concernés par cette expérimentation ne nécessitent pas d'enquêtes judiciaires ; il s'agira pour les policiers municipaux de résoudre des problèmes de bon sens. Par exemple, nous avons mis en place l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs de stupéfiants dans les cas où les personnes ne détiennent pas une grosse quantité de stupéfiants. Actuellement, un policier municipal ne peut pas verbaliser quelqu'un qui fume un joint dans la rue. Soit il détourne les yeux, soit il essaie de retenir cette personne le temps que la police nationale arrive, mais ce n'est pas si simple. Cette situation est un peu absurde. Il y a un certain nombre de faits bêtes comme chou qui doivent pouvoir relever de la police municipale car ils ne nécessitent pas d'actes d'enquête.
Sur la capacité des policiers municipaux à rédiger de bons procès-verbaux à transmettre au procureur de la République, c'est aussi un problème qui concerne les policiers nationaux et les gendarmes, et qui tient plus à notre mauvaise organisation. Dans le Beauvau de la sécurité, nous aborderons ainsi le sujet de l'encadrement, qui est essentiel. Un chef est là pour relire et corriger les procès-verbaux de ses collaborateurs. Il n'est pas simplement là pour transmettre au procureur de la République ou à son substitut. Dans les mauvaises réponses pénales, vues du côté de la police, il n'y a pas que les difficultés de la justice ; il y a aussi des policiers ou des gendarmes qui rédigent mal les procès-verbaux, ce qui entraîne des vices de forme. C'est d'abord une question d'effectifs en officiers de police judiciaire (OPJ). En ce qui concerne le texte qui nous est soumis, il n'est pas prévu que le policier municipal transmette directement au procureur de la République. C'est pour cela qu'il faut un directeur ou un chef de service. Vous le savez, à plus de 20 policiers municipaux, les directeurs ou chefs de service sont souvent des anciens officiers de gendarmerie, des anciens gradés de la police nationale ou des personnes qui passent des concours spécifiques extrêmement difficiles qui ont les compétences juridiques pour relire et corriger les procès-verbaux avant de les transmettre au procureur. Il y a enfin les formations que nous devons à chaque agent public.
Sur la Ville de Paris, permettez-moi, monsieur le rapporteur, d'avoir une légère différence d'appréciation. Il me semble que la création de la police municipale devra effectivement relever d'une délibération du Conseil de Paris, comme pour toute police municipale.
En revanche, les statuts de la police municipale relèveront du décret en Conseil d'État, comme, là encore, pour toute police municipale. Il n'y a donc pas d'iniquité avec les autres territoires. J'ajouterai que Paris est, par nature, un endroit où la sécurité publique est particulière. C'est d'ailleurs pour cela qu'il y a une préfecture de police. L'État doit y garder un oeil particulier, et la maire de Paris en convient. Ce n'est pas une question de confiance avec ses élus. J'ai cru comprendre, par ailleurs, que la maire de Paris ne souhaitait pas que la police municipale de Paris soit armée, ce que je respecte. Si, demain, une autre majorité veut qu'il en soit autrement, elle prendra une délibération en ce sens.
Sur l'article 23 de la proposition de loi, nous n'avons pas fait le choix des aggravations, qui existent déjà, pour les personnes dépositaires de l'autorité publique. Nous avons préféré supprimer la possibilité de remises de peine pour les personnes ayant porté atteinte à des fonctionnaires dépositaires de l'autorité publique. Ce n'est pas très différent de ce qui existe : c'est déjà une circonstance aggravante que d'agresser un policier, un gendarme ou toute autre autorité publique. Je tiens à préciser que nous avons rédigé ce dispositif avec le garde des sceaux, alors que certains députés souhaitaient une aggravation des peines ou des peines planchers.
Sur l'article 24, je n'ai pas de fétichisme particulier. Je voudrais cependant exposer quelques idées simples en préambule d'un débat compliqué.
Comme vous l'avez fait, je tiens à souligner la grande importance de protéger nos forces de l'ordre. Je rappelle le drame de Magnanville, qui ne concernait pas simplement les forces de l'ordre, puisque Mme Schneider, qui a été égorgée devant son enfant, était agent technique, administratif et scientifique.
Je vous renvoie sur le site Copwatch, notamment dans notre région, où sont listés les policiers, avec leur photo, leur nom, leur prénom, et dans des conditions qui ne laissent planer aucun doute : ce n'est pas pour leur envoyer des chocolats à Noël !
Je ne peux pas dire que l'article 24 a été bien rédigé. Nous n'en serions pas là si tel avait été le cas. Cependant, si je comprends l'idée du Sénat et d'autres parlementaires de passer par le code pénal, je m'en étonne, ce qui ne veut pas dire que je ne souscrirai pas éventuellement à la rédaction proposée par l'Assemblée nationale et le Sénat. En effet, le code pénal présente l'avantage, c'est vrai, de sortir de la loi sur la presse, et donc de sortir de l'idée, fausse à mon sens, mais répandue chez les journalistes, que ces derniers seraient concernés. Toutefois, je rappelle que le code pénal permet la garde à vue et la comparution immédiate, ce que ne permet pas la loi sur la presse. Le code pénal est donc plus dur. Je soumets cela à la sagacité des législateurs.
Par ailleurs, le choix de la loi sur la presse s'est fait en cohérence avec ce qui existe déjà en matière de protection des identités de certains policiers et gendarmes. Vous avez tous vu des policiers de l'antiterrorisme ou de la grande criminalité portant des cagoules lors d'opérations.
Pour l'instant, vous constaterez que j'ai fait plus de droit que de politique, mais il était important de souligner ces points pour expliquer la position que nous avons retenue.
Monsieur Daubresse, vous évoquez la fusion de l'article 24 et de l'article 25 devenu article 18 de la loi sur les valeurs de la République. J'y suis pour ma part très défavorable, car ils ne poursuivent pas les mêmes buts.
L'article 24 prévoit la protection des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie lors des opérations de police. L'Assemblée nationale a d'ailleurs ajouté les policiers municipaux, et on pourrait même imaginer les douaniers ou les agents de l'administration pénitentiaire. Il s'agit de les protéger non pas en tant que tels, mais dans le cadre des opérations de police.
L'article 25, devenu 18, s'adresse, lui, à toute personne dépositaire de l'autorité publique. Malgré mon estime pour les magistrats ou les élus, la protection qu'ils méritent n'est pas de même nature que celle que nous devons aux forces de l'ordre qui risquent leur vie dans des opérations sur le terrain. Ensuite, il prévoit de protéger l'individu et sa famille, ce que ne retient pas l'article 24. Enfin, l'adverbe « immédiatement » est important. Il répond à l'affaire « Samuel Paty ». La fatwa numérique lancée évoquait l'identité de l'enseignant - qui n'est pas une personne dépositaire de l'autorité publique en l'occurrence -, créant les conditions du drame.
Il me semble donc que ces deux articles sont différents. J'entends les préférences du Sénat et nous regarderons évidemment cela. Je ne connais pas la position finale du Gouvernement, puisque je ne connais pas votre rédaction, mais nous souhaitons en tout cas différencier les deux textes.
Monsieur Hervé, s'agissant du CNAPS, j'entends bien que les ordonnances ne réjouissent pas les parlementaires. Cependant, nous devons saisir ce moment pour légiférer dans ce domaine, et l'habilitation que nous vous demandons est, à mes yeux, très importante pour structurer ce domaine d'activités. Il faut beaucoup discuter avec cette filière professionnelle un peu éparpillée sur les questions de sanctions, de formation, avant d'aboutir à une rédaction. Ce que je peux vous proposer, monsieur le rapporteur, c'est non seulement d'éclairer très largement les débats, mais aussi de vous associer le plus étroitement possible à la rédaction de l'ordonnance afin de structurer une filière qui en a besoin.
Vous souhaitez connaître les limites de la sécurité privée. C'est assez clair. Nous excluons tout pouvoir de contrainte, la possibilité de constater des délits, de faire des enquêtes. Il s'agit de s'en tenir strictement aux compétences de surveillance, qui sont essentielles. Imaginez qu'il faille mettre des policiers municipaux et nationaux, des gendarmes dans chaque grand magasin dans chaque festival. Les agents de sécurité privée concourent à la sécurité de nos concitoyens, mais leurs compétences s'arrêtent à celles de l'État régalien et des collectivités locales.
Sur les drones, je souhaite que l'on mette en place un cadre juridique qui nous permette de fonctionner comme avec les caméras de vidéoprotection, qui reposent sur le même principe, et dont plus personne ne conteste l'utilité. Vous avez parlé de liste à la Prévert. Nous sommes prêts à mettre davantage de garanties. Peut-être que le texte de l'Assemblée nationale n'est pas assez propre, en ce qui concerne notamment la protection des domiciles privés. Les travaux du Sénat pourront contribuer à l'éclairer.
Nous avons listé les cas d'usage, et si je devais comparer avec ce que font nos voisins, qui ne sont pourtant pas d'affreuses dictatures numériques, nous n'avons pas à rougir. Ainsi, les Danois et les Suédois les utilisent pour des finalités judiciaires et pour le maintien de l'ordre, tandis que les Espagnols retiennent exactement les mêmes usages que ceux prévus dans le texte.
Nous sommes l'un des derniers pays à légiférer sur les drones, ce que nous a d'ailleurs reproché la CNIL. Et j'insiste, il n'est nullement question de reconnaissance faciale dans ce texte.
J'en termine sur le bilan des caméras-piétons. La généralisation de l'équipement interviendra au 1er juillet 2021. Il suffit d'aller voir les policiers et les gendarmes pour comprendre que cet équipement apaise tant le fonctionnaire que la personne qui est en face, car les enregistrements sont des éléments probants pour l'autorité judiciaire. Chacun sait que la réponse judiciaire est différente selon qu'un même fait a été filmé ou pas. La parole du policier ou du gendarme n'est jamais aussi forte que la caméra qui montre.
Vous avez raison, le matériel n'est aujourd'hui techniquement pas à la hauteur. Ainsi, il faut entrer son numéro d'identification, ce qui n'est pas évident dans le feu de l'action. Par ailleurs, la batterie se décharge très rapidement. J'ai donc lancé un nouvel appel d'offres pour renouveler l'intégralité de ces caméras. Évidemment, je ne peux pas savoir à ce stade si elles seront françaises ou européennes. Nous souhaitons la solution la plus efficace possible pour que le temps d'utilisation soit plus important et pour que les images puissent être utilisées différemment. D'abord, le fonctionnaire, s'il doit pouvoir les visualiser, ne doit en aucun cas pouvoir les modifier. Cette visualisation est utile pour vérifier quelque chose qui aurait pu leur échapper dans le feu de l'action et ainsi éviter des crimes ou des délits. Il m'apparaît également normal que le fonctionnaire puisse rédiger son rapport en regardant les images, ce qui n'empêche pas l'autorité judiciaire de se faire ensuite son propre avis. Enfin, les images doivent pouvoir être transmises à l'autorité judiciaire ou à l'autorité administrative lorsqu'il y a une difficulté.
Les drones sont très efficaces pour surveiller la montagne, les mers, les frontières. Ils sont aussi pertinents pour la surveillance des manifestations et des regroupements violents, à condition que cela soit encadré.
En principe, les citoyens doivent être informés lorsqu'ils font l'objet de captations vidéo dans des espaces publics. Pour garantir que ces captations à grand angle de vue n'empiètent pas sur les libertés et sur la vie privée, ne peut-on pas envisager un renforcement du rôle du procureur pour s'assurer du bon usage des images ?
Monsieur le ministre, je remarque que vous défendez cette proposition de loi comme s'il s'agissait d'un projet de loi...
Dans une lettre adressée aux parlementaires, la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe critique vertement l'article 24, estimant qu'il porte atteinte à la liberté d'informer. Comment recevez-vous ces critiques ?
Tout le débat s'est cristallisé sur l'article 24, mais nous nous inquiétons aussi de la montée en puissance de la sécurité privée que la proposition de loi consacre. Vous le justifiez par la possibilité de confier à des agents de sécurité privée des tâches indues accomplies actuellement par des policiers ou des gendarmes. Bien évidemment, certains syndicats de police vous soutiennent, mais, comme le sociologue Christian Mouhanna, nous n'y voyons qu'une logique de suppression des emplois publics. Monsieur le ministre, que pensez-vous de ce processus de privatisation accélérée de notre sécurité publique ?
Je veux revenir sur l'ancrage territorial de la sécurité. La délégation aux collectivités territoriales du Sénat est en train d'achever un rapport sur ce sujet.
Je suis heureuse que vous ayez entendu la position de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), pour qui la création d'une police municipale relève d'un libre choix et de la libre administration des collectivités. L'État ne saurait l'imposer pour se décharger d'une fonction régalienne. Je ne dis pas que telle est votre volonté, mais c'est un danger qui nous guette.
Il y a une vraie question sur la formation des policiers municipaux, notamment la formation continue, et la coopération avec la police nationale et la gendarmerie.
Par ailleurs, je voudrais connaître votre position sur le continuum de sécurité dans les territoires non urbains. Un article paru hier dans Le Figaro mettait en exergue l'augmentation de la délinquance dans les zones rurales. Pouvez-vous nous assurer que la gendarmerie ou la police continueront à y être présentes, sachant qu'elles sont de plus en plus occupées par des tâches judiciaires ? Pouvez-vous préciser votre projet de nouvelle répartition des compétences entre police et gendarmerie, cette dernière ayant l'avantage énorme de vivre au milieu de la population dans nos territoires ?
Monsieur le ministre, je souhaite vous parler d'immigration, en particulier du nombre de titres de séjour qui sont délivrés chaque année à des ressortissants de pays qui n'appartiennent pas à l'Union européenne. Ces chiffres sont rarement analysés dans une perspective de long terme.
Je pensais que nous pouvions parler de plusieurs sujets, monsieur le président.
Continuez votre intervention et si vous trouvez un lien avec le texte, c'est mieux...
Je ne voudrais pas enfreindre les règles de la commission.
Je souhaite évoquer la question de la répartition de ce que vous appelez les « migrants surnuméraires » ou surdotés : on est passé d'un peu moins de 150 000 en 2000 à 274 000 en 2019, soit une progression de 83 %. De même, le nombre annuel de demandeurs d'asile est passé d'un peu moins de 40 000 en 2000 à 132 800 en 2019, soit une multiplication par 3,33 en vingt ans. Ces chiffres montrent que les vingt dernières années ont vu la formation d'une vague migratoire de très grande ampleur : le nombre d'immigrés en 2018 était d'environ 6,8 millions ; selon l'Insee, la population immigrée, qui représentait 5 % du total de la population de la France en 1946, en représente 7,5 % en 2000, presque 10 % en 2018, soit un quasi doublement depuis la Libération.
Pendant un mandat qui vous est cher, puisque vous y faites très régulièrement référence, monsieur le ministre, après le retour de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, la France ne délivrait plus que 171 000 titres de séjour, contre 192 000 en 2004 ; cette année-là, le nombre de demandeurs d'asile n'était plus que de 35 000 contre 40 000 en 2000. C'est bien la preuve que l'on peut avoir une politique migratoire efficace. Et que dire de la progression sans précédent du nombre de reconduites à la frontière, qui sont à mettre à l'actif de cette période, et des près de 33 000 sorties du territoire en 2011, soit 2 000 de plus qu'en 2019 ?
Nous apprenons par la presse que, après les évacuations de camps dans la région parisienne, vous avez décidé, sans en passer par la représentation nationale, de répartir un certain nombre d'immigrés dans des régions considérées comme sous-dotées. Pour reprendre le contrôle de cette politique, il faut une volonté politique très forte et ferme et non une politique de répartition. Monsieur le ministre, pourquoi avoir fait ce choix ?
La formation des policiers se révèle toujours plus courte, alors que leur rôle se complexifie. De même, contrairement aux formations de la gendarmerie, leur formation n'est pas diplômante. C'est préjudiciable pour le travail que ces policiers peuvent ensuite accomplir, à l'instar des gendarmes.
Même si cela n'a pas de lien direct avec le texte que nous examinons, je souhaite évoquer le code de la justice pénale des mineurs. Certes, cela concerne essentiellement la justice, mais le premier contact des mineurs délinquants se fera avec la police ou la gendarmerie. Le garde des sceaux souhaite que cette réforme soit applicable dès le 31 mars prochain. Policiers et gendarmes seront-ils formés ? Par ailleurs, le logiciel permettant de produire la bonne convocation avec les bonnes références de textes sera-t-il mis à jour dans les temps ?
Nous partageons évidemment certains objectifs du texte, comme le continuum de sécurité et la protection de ceux qui nous protègent.
Lors de l'audition de procureurs, ceux-ci nous ont indiqué nourrir des inquiétudes sur la chaîne de compétence pour établir les saisies et les procès-verbaux, notamment à l'échelon municipal. Les procès-verbaux sont la base des procédures et des enquêtes et les risques de nullité attachés à des procès-verbaux qui seraient mal rédigés sont importants. Le doute sur la capacité d'un chef de service à pouvoir superviser le travail de fonctionnaires peu ou trop mal formés est réel.
Sur l'article 24, force est de constater que le climat ne s'est pas apaisé. Je veux relayer les inquiétudes que nous avons entendues à l'occasion de la table ronde de journalistes, organisée par les rapporteurs cet après-midi, sur la capacité qu'ils auront à accéder à l'information après la mise en oeuvre éventuelle de l'article 24. Quid du statut de journaliste et de ceux qui ne le sont pas, mais qui contribuent pourtant à la fabrication de l'information, au droit d'informer et d'être informé ?
Plus encore, la confidentialité ou le maintien du secret des sources pourrait être mis en cause par une utilisation abusive des drones lors des opérations de maintien de l'ordre.
Madame Lherbier, le procureur de la République est évidemment essentiel dans le dispositif, puisque c'est sous son autorité qu'agiront les agents qui constateront des délits et les policiers nationaux et les gendarmes qui mèneront des enquêtes.
À l'Assemblée nationale, singulièrement au groupe Les Républicains, on demande que les policiers municipaux puissent faire exactement ce que font les policiers nationaux, par exemple accéder à tous les fichiers ou pouvoir contraindre la liberté de telle ou telle personne.
Je l'ai bien compris...
Cela aurait toutefois comme conséquence que les policiers municipaux sont sous l'autorité exclusive du procureur de la République. Comment un maire peut-il recruter des policiers municipaux pour que ceux-ci ne soient que sous l'autorité du procureur de la République ? Ce serait tout de même une façon un peu étonnante d'imaginer l'intérêt commun, mais je doute que ce soit la volonté première de ceux qui formulent une telle demande.
Le procureur de la République est celui qui donne un certain nombre de possibilités d'action, qui autorise l'enquête et qui permet les privations de liberté. Il mène sa politique pénale comme il l'entend, dans le cadre que lui laisse la loi. La police municipale, dans le cadre de l'expérimentation, sera sous l'autorité de ce que décidera le procureur de la République, qui classera ou pas tel ou tel constat.
Le procureur de la République reste notre pierre angulaire. Les policiers nationaux agissent souvent sous l'autorité d'un magistrat : je suis un employeur, mais pas toujours le donneur d'ordre. Et c'est très bien ainsi, puisque c'est ainsi qu'est fondé notre droit.
Sur les tâches indues et le refus de délégations de service public, je comprends bien la rhétorique du groupe communiste et je respecte tout à fait cette position idéologique. En revanche, je ne peux partager la conclusion du sociologue que Mme Assassi a cité : si la conséquence est la suppression de postes, pourquoi sommes-nous le gouvernement qui a le plus créé de postes sous la Ve République, alors même que nous luttons contre les tâches indues ?
En tant que ministre de l'intérieur, je ne comprends pas pourquoi ce sont quasi systématiquement des policiers qui assurent l'accueil de jour dans les commissariats. Un personnel administratif peut tout à fait le faire, une fois formé à l'accueil et à l'accompagnement. Évidemment, c'est seulement le fonctionnaire de police qui prendra la plainte. Voilà une tâche indue qu'il s'agit de confier non pas à quelqu'un du privé, mais à un autre fonctionnaire, ce que l'on appelle la substitution.
Dans les centres de rétention administrative, ce sont toujours des forces de l'ordre qui s'occupent de la bagagerie. Pourquoi ? On pourrait tout à fait déléguer cette tâche à d'autres : le policier aux frontières, armé, formé, a peut-être mieux à faire.
Il en est de même pour les gardes statiques devant les chambres de certains détenus qui sont par exemple en réanimation : elles sont toujours assurées par des policiers. Si cela va de soi lorsqu'il s'agit de personnes impliquées dans le grand banditisme par exemple, ce n'est pas toujours le cas. On a des conventions avec l'administration pénitentiaire.
Aujourd'hui, ce sont presque toujours des policiers qui assurent le transport vers les centres de rétention administrative. On peut imaginer que d'autres prennent en charge ces déplacements, car c'est du temps policier pris.
Il ne s'agit pas toujours de déléguer à la sécurité privée, même si, pour moi, ce n'est pas un mauvais mot. Il s'agit de faire en sorte que chaque fonctionnaire puisse faire le travail pour lequel il a été formé et pour lequel il est le mieux utilisé. Quand on parle de tâches indues, il ne faut pas y voir de la privatisation à outrance. Par ailleurs, des agents de sécurité privée pourraient accomplir un certain nombre de tâches. Je pense en tout cas que l'on devrait expérimenter.
L'augmentation de la délinquance dans les campagnes, qu'a évoquée Mme Gatel à la suite de l'article du Figaro, relève de trois types, qui correspondent à trois grands maux qui touchent notre société.
Il y a d'abord les violences conjugales et intrafamiliales, qui sont également en augmentation dans les territoires ruraux.
Il y a ensuite la délinquance routière et je souhaite que le Sénat nous aide à trouver les moyens de lutter contre ce phénomène. Toutes les demi-heures, toutes les vingt minutes en zone gendarmerie, on constate des délits routiers et des refus d'obtempérer de la part de personnes qui, parce qu'elles n'ont pas le bon permis de conduire, roulent sans assurance ou sont sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiants, prennent la vie de gendarmes, de policiers ou d'autres en refusant de s'arrêter.
Il y a enfin les actes commis contre ce que l'on pourrait appeler le monde agricole : introduction dans les fermes, vol de carburant, atteintes aux bestiaux, etc.
Ces augmentations traduisent une forme de délinquance qu'il faut prendre en compte. La création de postes dans la gendarmerie nationale est une réponse ; l'implantation territoriale compte, mais l'implantation numérique compte beaucoup également. Vous savez que les gendarmes ont particulièrement avancé dans leur présence territoriale, notamment grâce aux tablettes et à la géolocalisation. Nous espérons que les centres de supervision (CSU) communaux, intercommunaux ou à une échelle plus large permettront de mieux les accompagner. De ce point de vue, je le répète, l'abandon de certaines tâches indues permet de libérer un certain nombre d'effectifs pour les remettre sur le terrain.
Mme Boyer a évoqué des sujets qui ont un rapport très lointain avec le texte, mais je ne voudrais pas la frustrer en ne lui répondant pas. Elle évoque le temps, sans doute important et béni, où Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur : j'étais alors étudiant. J'ai été parlementaire avec elle, après la défaite du président Sarkozy. En évoquant les vingt ans d'augmentation massive de l'immigration, j'imagine qu'elle fait aussi volontiers sa propre autocritique...
On ne peut pas comparer les choses comme elle l'a fait. Comment comparer des chiffres dans des moments où les régimes, notamment du Maghreb et de l'Afrique, connaissaient une stabilité politique un peu différente - Libye, Tunisie, Maroc, Turquie, les théâtres syrien ou irakien - et n'étaient pas dans les mêmes prédispositions ? L'action du président Sarkozy, même si je la loue sur les questions de sécurité, n'est pas tout à fait comparable avec la politique migratoire que nous connaissons : il faudrait sinon attaquer non seulement le bilan du Président de la République, mais aussi celui de la chancelière Merkel, puisque les chiffres de l'immigration en Allemagne sont bien plus importants.
Mme Boyer devrait se méfier des chiffres. Quand on fera le bilan de l'année 2020, elle constatera une baisse de la délivrance des titres de séjour de 40 %. Sur 135 000 demandeurs d'asile, seul un quart reçoit des titres d'asile. Notre problème n'est pas tant le nombre de personnes qui viennent sur le territoire national que notre difficulté à les reconduire dans leur pays : les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont un vrai sujet. En outre, en 2020, il n'y avait plus de vols réguliers vers les pays du Maghreb, les pays lointains qui sont des théâtres de guerre, voire les pays avec lesquels nos relations diplomatiques sont plus que compliquées pour obtenir des laissez-passer consulaires, par exemple le Pakistan. Ceci explique sans doute cela.
Les naturalisations ont augmenté de 20 % entre 2007 et 2012. Comme maintenant.
Il faut donc faire attention aux comparaisons, elles ne sont pas toujours raison. Il ne faut pas pour autant caricaturer le débat migratoire : il mérite une vraie discussion et sans doute une amélioration de l'action publique, singulièrement dans la reconduite aux frontières, puisque, dans le contrôle des frontières, il n'y a jamais eu autant de policiers et de gendarmes. C'est d'ailleurs le Président de la République, et avant lui le président Hollande, qui a rétabli les contrôles aux frontières, conformément aux modalités prévues dans les accords de Schengen. Je pense personnellement qu'il faut revoir ces accords ; le Président de la République a encouragé l'Union européenne à le faire et à rétablir nos frontières, ce qui n'était pas le cas au début des années 2000. Il n'est pas question d'en faire le procès à quiconque, puisque le contexte climatique et géopolitique était très différent.
La formation des policiers constitue un sujet tout à fait essentiel, je le comprends mille fois et je l'ai moi-même évoqué. Réduire les formations a été une erreur.
Je pense à la formation initiale. Le Parlement doit toutefois aussi comprendre que l'on ne peut pas à la fois demander plus d'effectifs au ministre de l'intérieur et plus de temps de formation : si l'on fait plus de formation initiale quand on recrute des policiers, il faut accepter qu'ils viennent moins vite dans les commissariats. Ce débat a sans doute poussé mes prédécesseurs à raccourcir cette formation initiale, à tort.
Je pense également à la formation continue. La formation continue théorique, qu'elle soit juridique, physique ou technique, n'est pas suffisante. Les policiers du commissariat de Limoges devaient par exemple bénéficier de cinquante heures de formation annuelle, ils n'en ont fait qu'une dizaine parce qu'ils n'en ont pas le temps : ils sont hyper mobilisés et on n'a pas réglé le problème des horaires dans la police nationale. Quand on a besoin de temps, on le prend toujours sur la formation. C'est regrettable, car on empêche les policiers d'être dans un bon cycle de travail et on ne leur permet pas d'accéder à cette formation à laquelle ils ont droit. C'est de la responsabilité de l'État employeur, c'est-à-dire de moi ; c'est pourquoi nous allons changer les choses.
C'est pareil pour la formation continue pratique. Les policiers doivent par exemple faire trois tirs administratifs par an. Vous constaterez qu'ils sont quasiment tous concentrés au mois de décembre, par manque de stand de tir. On peut imaginer créer des stands de tir communs avec les polices municipales ou des stands de tir mobiles. La première chose que fait l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), lorsqu'il y a un problème avec un policier, c'est de vérifier qu'il a bien fait ses trois tirs. Or seulement 60 % des policiers font leurs trois tirs administratifs dans l'année.
Il faut donc améliorer les durées de formation initiale et continue, mais déjà appliquer ce que l'on sait faire. Cela exige un important travail de ressources humaines, ce que j'ai demandé au directeur général de la police nationale. Les gendarmes ont un système différent, mais qui mérite lui aussi d'être amélioré et revu. Le directeur général de la gendarmerie y travaille.
Il faut également améliorer la coordination de nos forces entre police et gendarmerie. En matière de maintien de l'ordre, le travail des CRS et des gendarmes mobiles sur le terrain est complémentaire : il faut que ces personnels passent plus de temps à se former ensemble, pour avoir des réflexes communs et mieux se connaître.
J'en viens au code de la justice pénale des mineurs et à la façon dont le garde des sceaux imagine les prochains textes. Évidemment, certains policiers sont dévolus à des tâches spécifiques dans leur fonction et dans leur métier et ils accomplissent un travail très courageux en ce qui concerne les mineurs. Ils font preuve de beaucoup d'humanité et se heurtent aussi à de nombreuses difficultés pour traiter cette forme de délinquance malheureusement grandissante. Le garde des sceaux et moi-même travaillons pour former aux nouveaux outils juridiques, qui seront conformes aux volontés du législateur.
C'est le magistrat seul qui décide de la culpabilité. Le logiciel dont il a été question et qui s'appelle Cassiopée vient de la magistrature, quand bien même c'est la police qui délivre la convocation. Cela ne signifie pas pour autant que police et gendarmerie ne doivent pas mieux gérer leurs process de logiciels notamment d'enquêtes pénales. Nous y travaillons : deux expérimentations sur la procédure pénale numérique sont en cours à Amiens et à Blois, et j'encourage votre commission à s'y intéresser. Elle se veut le rapprochement des deux procédures, ce qui évitera de nombreux doublons. Nous généraliserons cette procédure à la fin de l'expérimentation. Il en est de même pour les doubles écrans, comme je l'ai fait à la direction générale des finances publiques (DGFiP), l'utilisation de logiciels d'intelligence artificielle ou de dictée plus efficaces, comme le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), qui est en cours de réforme. En matière de procès-verbaux mal rédigés, la police nationale et la gendarmerie doivent aussi faire des efforts.
Nous manquons d'officiers de police judiciaire (OPJ) sur le terrain, alors que 3 000 personnes ont cette qualification, mais sont parties dans des services qui ne sont pas des services de police judiciaire. C'est pourquoi j'ai mis fin aux primes de ces OPJ et ai essayé d'améliorer les primes de ceux qui prennent le risque d'être OPJ sur le terrain ou assument ce travail parfois fastidieux.
Je pense que nous réglerons, structurellement, ce problème. Être officier de police judiciaire est un métier qui doit permettre de garantir le respect du droit et de la procédure. Les procureurs ont donc eu raison de vous alerter sur ce point.
J'ai déjà évoqué l'article 24. Quelle que soit sa rédaction, ce qui intéresse le ministre de l'intérieur, c'est que l'on puisse continuer à protéger les policiers et les gendarmes. Le temps de la navette parlementaire n'aura sans doute jamais été aussi bénéfique à une disposition législative. Tant que le but est atteint et que tout le monde est rassuré, le Gouvernement ne pourra évidemment qu'y être favorable.
Sur l'article 24, puisqu'il fait l'objet de nombreuses discussions, les rapporteurs formuleront des propositions à la commission, laquelle veillera à ce que la rédaction permette de remplir cette première mission qui est de protéger les policiers ; il n'y a aucun doute sur ce point. Elle veillera également à ce que cette rédaction ne pose aucune difficulté à personne. Notre intérêt, c'est évidemment que les choses se passent bien et que les policiers qui exercent leurs fonctions soient protégés dans l'exercice de leur mission.
Permettez-moi, avant que cette réunion ne s'achève, monsieur le ministre, mes chers collègues, de vous souhaiter une bonne année.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 heures.