Intervention de Jacqueline Eustache-Brinio

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 janvier 2021 à 8h30
Proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d'assurer un meilleur accueil des gens du voyage — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacqueline Eustache-BrinioJacqueline Eustache-Brinio, rapporteure :

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans un contexte particulier. Le législateur s'est déjà penché récemment sur le sujet de l'accueil des gens du voyage. La loi du 7 novembre 2018, issue de propositions de loi d'initiative sénatoriale de notre ancien collègue Jean-Claude Carle et de notre collègue Loïc Hervé, a procédé à un triple renforcement du cadre juridique de la politique d'accueil des gens du voyage : elle a clarifié la répartition des rôles entre État, communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), précisé les cas dans lesquels les procédures d'évacuation trouvent à s'appliquer et doublé les sanctions pénales pour l'occupation, par des gens du voyage, de terrains sans titre.

Dès lors, vous vous interrogez sûrement sur la nécessité de remettre sur le métier un sujet dont le législateur s'est saisi il y a deux ans à peine, alors que nous manquons encore de recul sur la portée et l'efficacité des dernières modifications législatives en la matière.

Cette question appelle deux réponses, qui fondent la nécessité de légiférer.

D'une part, force est de constater que des pistes d'amélioration demeurent, tant la politique territoriale d'accueil semble perfectible sur le terrain. En effet, la charge de l'accueil semble inégalement répartie entre les communes et EPCI concernés. Au surplus, les élus locaux ne sont pas toujours en mesure d'anticiper les déplacements de gens du voyage, ce qui rend leur accueil d'autant plus difficile qu'il est imprévu. Par ailleurs, nous savons tous que les stationnements illicites continuent de soulever des difficultés pour les élus locaux, qui constatent le recours trop sporadique à la procédure d'évacuation d'office, pourtant prévue par le législateur.

D'autre part, le Sénat a porté avec constance des positions fortes sur le sujet de l'accueil des gens du voyage : l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et la citoyenneté et celui, en 2017 et 2018, des propositions de loi de Jean-Claude Carle et Loïc Hervé ont ainsi été l'occasion pour notre chambre de porter divers dispositifs qui, faute d'avoir été retenus au cours de la navette parlementaire, ne figurent pas dans la loi aujourd'hui. Les difficultés auxquelles ces dispositifs entendaient répondre n'en persistent pas moins et appellent à réitérer une réponse législative dont la nécessité ne s'est pas démentie.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui poursuit ainsi trois objectifs principaux : créer les conditions d'une meilleure anticipation des déplacements de résidences mobiles ; améliorer la gestion des aires d'accueil de gens du voyage ; et renforcer la procédure administrative d'évacuation d'office en cas de stationnement illicite.

Afin d'atteindre le premier de ces objectifs et d'éviter les risques de saturation des aires d'accueil, l'article 1er de la proposition de loi prévoit le recensement par le préfet de région de l'ensemble des groupes de résidences mobiles de gens du voyage dont l'accueil est prévu à l'horizon de soixante jours. En cas de saturation d'une aire d'accueil, il serait en mesure de réorienter l'un ou plusieurs des groupes envisageant de s'installer sur l'aire concernée. Ce dispositif soulève à la fois des difficultés pratiques - les préfectures de région n'étant, selon toute vraisemblance, pas en mesure de déployer un tel recensement - et des risques juridiques, tenant notamment à la protection des données personnelles.

Je comprends néanmoins pleinement les objectifs poursuivis par cet article. Afin d'en pallier les difficultés techniques tout en préservant l'esprit ayant présidé à sa rédaction, je vous proposerai donc d'adopter un amendement substituant au recensement une stratégie régionale de gestion des déplacements de résidences mobiles. Je tiens à souligner que le dispositif permettrait d'atteindre les objectifs d'une meilleure anticipation des déplacements de groupes de résidences mobiles et d'une pleine association des collectivités territoriales concernées.

Le deuxième but de la présente proposition de loi est d'améliorer la gestion des aires d'accueil des gens du voyage. À cette fin, elle prévoit principalement la possibilité pour les communes et EPCI concernés de subordonner à une réservation préalable l'accès aux aires d'accueil. Le dispositif ainsi prévu par l'article 2 m'a néanmoins paru perfectible sur le plan technique. Je vous proposerai en conséquence d'adopter un amendement prévoyant une réécriture globale, plus robuste, de l'article.

Il m'a en particulier semblé judicieux, conformément à l'équilibre juridique préservé par le législateur entre devoirs d'accueil et droit de lutter contre les stationnements illicites, d'adapter le champ d'application du nouveau dispositif aux seuls communes et EPCI à jour de leurs obligations d'accueil. J'ai également veillé à réintroduire explicitement au sein de cet article le dispositif de réorientation initialement prévu à l'article 1er. L'amendement que je vous proposerai d'adopter tend enfin à préciser les conditions dans lesquelles le préfet peut procéder à l'évacuation d'office des personnes stationnant sans réservation ou en méconnaissance d'une réservation préalablement acceptée.

D'autres dispositions de la proposition de loi visent également à faciliter, pour les collectivités territoriales concernées, la gestion des aires d'accueil. L'article 4 tend ainsi à comptabiliser les emplacements des aires permanentes d'accueil des gens du voyage dans les quotas de logements sociaux auxquels sont soumises certaines communes. L'article 5 prévoit pour sa part de supprimer la procédure de consignation de fonds pour les communes et EPCI ne respectant pas leurs obligations en matière d'accueil. Déjà examinées et adoptées en des termes identiques par le Sénat, ces dispositions relèvent du bon sens et me semblent pouvoir être adoptées sans modification particulière.

Enfin, le troisième et dernier objectif poursuivi par la présente proposition de loi est le renforcement de la procédure administrative d'évacuation d'office en cas de stationnement illicite, prévue à l'article 9 de la loi dite Besson II. Nous connaissons tous la situation inacceptable dans laquelle peut se trouver une commune ou un EPCI qui, respectueux de ses obligations et confronté à une occupation illicite, voit le préfet opposer une fin de non-recevoir à ses demandes légitimes d'évacuation.

À cet égard, le renforcement de la procédure, d'une part via le doublement de la période pendant laquelle court la mise en demeure du préfet et, d'autre part, par l'obligation du préfet à procéder à l'évacuation d'office dès lors qu'à son échéance la mise en demeure n'a pas été suivie d'effet, me semblent tout à fait bienvenus.

J'ai néanmoins estimé, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, que le dispositif d'astreinte initialement proposé n'était pas suffisamment opérationnel. Rendue redondante par la compétence liée du préfet pour procéder à l'évacuation d'office, une telle disposition semblait finalement - bien que j'en comprenne l'intention - dépourvue d'effet concret. Je vous proposerai en conséquence un amendement tendant à supprimer ce dispositif.

À titre plus subsidiaire, l'article 7 de la proposition de loi, auquel je souhaite apporter des modifications rédactionnelles, prend acte d'une censure partielle du Conseil constitutionnel relative à l'article 9 de la loi Besson II.

Permettez-moi à présent d'évoquer deux articles qui ne semblent pas apporter une réponse satisfaisante aux trois objectifs que je viens d'évoquer. Leur présence dans la proposition de loi me paraît, au regard de leur faible valeur ajoutée ou des risques constitutionnels qu'ils soulèvent, de nature à mettre en péril sa cohérence.

En premier lieu, l'article 3 renforce le poids des communes et EPCI dans l'élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI). L'introduction de cette disposition paraît inopportune : l'article présente plusieurs problèmes techniques et reprend un amendement rejeté par le Sénat en séance publique lors de l'examen de la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite loi Engagement et proximité. Une telle disposition semble au surplus inutile puisque les SDCI ne comportent pas de dispositions en matière d'accueil des gens du voyage, et leur révision est devenue facultative depuis le vote de cette loi. Je vous proposerai en conséquence de supprimer cet article.

En second lieu, l'article 6 limite la proportion de gens du voyage inscrits sur les listes électorales d'une commune à un plafond de 3 % de la population municipale. Cet article revient à restaurer le volet électoral du dispositif de la commune de rattachement qui a été abrogé par la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté. D'une part, il court le risque d'être concrètement dépourvu de toute applicabilité : le répertoire électoral unique, dont sont désormais extraites les listes électorales des communes, ne permet pas la prise en compte d'informations relatives à l'appartenance des électeurs à la catégorie de gens du voyage. D'autre part, l'article pose plusieurs risques constitutionnels au regard du principe de liberté de choix du domicile, mais aussi, et surtout, du principe d'égalité devant l'exercice des droits civiques. Au vu des difficultés posées par cet article, je vous proposerai de le supprimer.

C'est donc un texte équilibré et respectueux des intentions de ses auteurs que je vous propose d'adopter.

Je tiens d'ailleurs à remercier chaleureusement les auteurs de la proposition de loi, qui se sont systématiquement rendus disponibles pour échanger, chemin faisant, sur les pistes de solution que je vous propose aujourd'hui.

Ces solutions ayant emporté leur pleine adhésion, je vous les présente aujourd'hui dans un esprit de consensus, convaincue de leur bien-fondé et de leur opérationnalité. J'espère qu'elles recueilleront votre plein et entier soutien.

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