Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 janvier 2021 à 8h30
Proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

Notre commission est appelée à examiner ce matin la proposition de loi déposée par Annick Billon et plusieurs de nos collègues visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Elle sera débattue dans l'hémicycle le 21 janvier prochain, dans le cadre d'un espace réservé.

Cette proposition de loi a pour objet de créer un nouveau crime sexuel sur mineur de treize ans, de façon à poser dans le code pénal un interdit sociétal clair et de manière à mieux protéger les jeunes adolescents contre les violences sexuelles qui peuvent être commises par des adultes.

Ces dernières années, le Sénat a mené plusieurs travaux de contrôle, qui ont montré que les violences sexuelles sur mineurs demeuraient trop rarement réprimées par les juridictions pénales. Trop souvent, les victimes n'osent pas dénoncer ce qu'elles ont subi et beaucoup de plaintes sont classées sans suite, faute de preuves.

La proposition de loi est examinée deux ans et demi après l'entrée en vigueur de la loi Schiappa du 3 août 2018. Cette loi a amélioré les dispositions pénales tendant à protéger les mineurs, mais elle n'a pas donné satisfaction à tous les acteurs de la protection de l'enfance. Certains, en effet, appellent de leurs voeux la création d'une nouvelle infraction ou une modification de la définition du viol, afin qu'il ne soit plus nécessaire de s'interroger, au cours du procès pénal, sur l'éventuel consentement du jeune mineur qui aurait eu un rapport sexuel avec un majeur.

La proposition de loi de nos collègues vise à répondre à cette attente en créant une nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur, laquelle serait constituée en cas de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'elle soit, commise par un majeur sur un mineur de treize ans, dès lors que l'auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime.

La peine encourue serait la même que celle aujourd'hui prévue pour viol sur mineur de quinze ans, soit vingt ans de réclusion criminelle. La peine serait portée à trente ans de réclusion en cas de décès du mineur et à la réclusion criminelle à perpétuité en cas d'actes de torture ou de barbarie.

À la différence du viol ou de l'agression sexuelle, l'infraction serait constituée sans qu'il soit nécessaire de rechercher s'il y a eu un élément de contrainte, de menace de violence ou de surprise, dont la preuve est souvent difficile à rapporter.

Je voudrais souligner que la proposition de nos collègues tient compte des débats qui nous ont occupés en 2018, lors de l'examen de la loi Schiappa.

À l'époque, le Gouvernement avait envisagé de modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement en cas d'acte de pénétration sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans. Cette solution n'avait pas été retenue au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui n'a admis que de manière très limitée - dans le seul domaine contraventionnel - la possibilité de prévoir une présomption en droit pénal, à condition qu'il s'agisse d'une présomption simple.

La proposition de loi cherche à contourner cet obstacle juridique en créant une infraction autonome. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur serait construite sur le modèle du délit d'atteinte sexuel, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le majeur qui a un contact de nature sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans. Le crime sexuel sur mineur viendrait renforcer la protection des jeunes de moins de treize ans, le délit d'atteinte sexuelle étant maintenu pour les jeunes de treize à quinze ans.

Dans son avis du 15 mars 2018 sur le projet de loi Schiappa, le Conseil d'État avait par ailleurs estimé que la seule référence à l'âge de la victime pourrait ne pas suffire pour répondre à l'exigence constitutionnelle relative à l'élément intentionnel en matière criminelle. Selon les représentants de la Chancellerie, le fait de retenir un seuil d'âge à treize ans plutôt qu'à quinze ans réduit cependant ce risque constitutionnel.

Dans son avis, le Conseil d'État notait que le seuil de quinze ans soulevait une difficulté dans l'hypothèse, par exemple, d'une relation sexuelle qui serait librement consentie entre un mineur de dix-sept ans et demi et une adolescente de quatorze ans - c'est le problème des « jeunes couples ». Cette relation serait licite au regard du code pénal jusqu'à ce que le jeune homme atteigne l'âge de dix-huit ans, puis elle deviendrait criminelle, donc susceptible de renvoyer le jeune homme aux assises, alors que rien n'aurait changé dans son comportement et qu'il n'aurait bien sûr pas conscience de commettre une infraction.

Avec un seuil à treize ans, l'écart d'âge avec un jeune majeur devient plus significatif - au minimum cinq ans -, ce qui rend beaucoup plus improbable qu'un jeune majeur puisse entretenir une relation consentie avec un mineur à peine sorti de l'enfance.

J'en viens aux auditions auxquelles j'ai procédé. Elles ont montré une absence de consensus.

Les représentants du barreau contestent l'utilité de légiférer à nouveau sur le sujet des infractions sexuelles sur mineurs. Ils estiment que l'arsenal législatif est déjà suffisamment étoffé et ils font valoir que le délit d'atteinte sexuelle pose déjà un interdit clair concernant les rapports entre majeurs et mineurs. Ils nous mettent en garde contre la tentation de légiférer sous le coup de l'émotion et soulignent que les affaires qui ont été médiatisées, comme celles de Pontoise et de Melun, demeurent assez exceptionnelles.

Parmi les interlocuteurs qui sont favorables à une évolution de la législation, une double ligne de clivage est apparue : sur l'âge et sur le choix d'une présomption plutôt que d'une infraction autonome.

Pour ce qui concerne l'âge, comme je vous l'ai indiqué, les auteurs de la proposition de loi ont retenu le seuil d'âge de treize ans à la fois pour mieux garantir la constitutionnalité du dispositif et pour tenir compte de certaines situations de fait. Pourtant, le seuil de quinze ans conserve des partisans, notamment du côté des associations de protection de l'enfance, qui ont insisté sur la nécessité de protéger tous les collégiens. Elles ont admis qu'il pouvait exister des jeunes couples, mais elles ont estimé que « l'effet-couperet » inhérent à la fixation d'un seuil était un inconvénient difficilement évitable.

La députée Alexandra Louis, auteure d'un récent rapport d'évaluation de la loi Schiappa, défend elle aussi le seuil des quinze ans, de même que notre collègue Laurence Rossignol, qui a déposé une proposition de loi en ce sens avec plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain.

En ce qui concerne le choix d'une présomption de non-consentement, elle est défendue avec grande conviction par le juge des enfants Édouard Durand, qui travaille sur ce sujet au sein du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce dernier reproche à l'infraction autonome proposée par Annick Billon de gommer la dimension violente de l'acte sexuel imposé au mineur, en évacuant du débat judiciaire la question du consentement. C'est la raison pour laquelle il lui paraît important, par respect pour la victime, d'affirmer une présomption de contrainte en dessous d'un certain âge. Cette idée est également défendue par notre collègue Valérie Boyer, qui a déposé des amendements en ce sens.

Constatant ces nombreuses divergences, je me suis attachée à trouver un moyen d'enrichir le texte pour atténuer les réticences qu'il suscite, tout en conservant le coeur du dispositif proposé par Annick Billon.

Je crois très important de rappeler que, sur le plan politique, la fixation d'un nouveau seuil à treize ans n'est pas synonyme d'affaiblissement de la protection que nous devons aux jeunes de treize à quinze ans. Nous devons vraiment éviter de donner l'impression que le seul public véritablement digne de protection serait les mineurs de moins de treize ans. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement, que le Sénat avait déjà adopté en 2018, mais qui n'avait pas été retenu lors de la commission mixte paritaire sur la loi Schiappa, afin d'indiquer dans le code pénal que la contrainte, qui est un élément constitutif du viol, peut résulter du jeune âge du mineur de moins de quinze ans, lequel ne dispose pas de la maturité sexuelle suffisante. Il s'agit, par cet amendement, de réaffirmer l'attention que nous devons porter aux mineurs de treize à quinze ans. Nous devons continuer à les protéger.

J'ai auditionné de nombreux principaux de collège, des pédiatres, des parents. J'ai rencontré les animateurs de maisons d'adolescents. Tous les principaux de collège alertent sur les dangers des réseaux sociaux.

Ils soulignent aussi la grande évolution qui s'opère entre les élèves de sixième et ceux de troisième. Être en couple quand on est en sixième, c'est se faire des bisous... La sexualité de ces enfants ne peut pas être comparée à celle des adultes. L'âge du premier rapport sexuel est toujours de dix-sept ans pour les garçons et de seize ans pour les filles, malgré les réseaux sociaux et la pornographie. Le point de vigilance porte sur les jeunes âgés de treize à quinze ans. Entre ces deux âges, la différence est sensible.

Je vous proposerai deux améliorations juridiques au dispositif de la proposition d'Annick Billon.

Il est important de modifier, par coordination, le code de procédure pénale, afin d'appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de procédure dérogatoire prévues pour les affaires qui concernent les mineurs. Je pense à la possibilité de prononcer une injonction de soins, à l'obligation d'enregistrer l'audition du mineur, au droit de bénéficier d'une expertise médico-psychologique et à la possibilité d'inscription dans le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv).

Par le jeu des renvois, la mesure que je vous propose aura également pour effet d'appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de prescription adoptées en 2018 pour les autres crimes sur mineurs : pour ces crimes, l'action publique est prescrite au terme d'un délai de trente ans à compter de la majorité de la victime. C'est très protecteur pour la victime puisque le délai de prescription de droit commun est de vingt ans à compter de la commission des faits. Il tient compte du temps souvent très long qui s'écoule avant que la victime ne parvienne à briser la loi du silence et trouve la force de porter plainte.

En conclusion, je vous proposerai, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi complétée par mes amendements. Conformément à l'accord politique passé entre les groupes, je rappelle que la commission ne peut adopter d'amendements qu'avec l'accord de l'auteur de la proposition de loi. Je me suis entretenue avec Annick Billon, qui a donné son accord pour que nous intégrions au texte les quatre amendements que j'ai déposés. Je lui ai également demandé quelle était sa position concernant les amendements déposés par nos collègues Valérie Boyer et Michel Savin, que nous examinerons à l'issue de notre débat.

Les amendements que j'ai déposés visent à aboutir à un texte un peu plus complet, pour protéger les enfants de moins de treize ans sans négliger les mineurs âgés de treize à quinze ans. Le Sénat se bat depuis plusieurs années pour protéger tous les mineurs.

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