Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 janvier 2021 à 8h30
Proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Marie Mercier a de nouveau accepté de faire un travail très difficile, de réinterroger ses propres convictions, après avoir déjà mené cette tâche il y a maintenant un peu plus de deux ans. Le résultat auquel elle aboutit est un compromis, qui nous permet de ne pas rejeter une proposition de loi inspirée par des motivations que nous partageons tous, mais dont on peut se demander, néanmoins, si elle a des chances sérieuses d'améliorer réellement la protection des enfants. Il ne faudrait pas accréditer l'idée que notre code pénal, aujourd'hui, protège les agresseurs plus que les victimes. Nous avons un corps de règles, des incriminations et des délits précis, qui sont autant d'outils familiers à la fois aux magistrats et aux avocats. Quand on modifie la loi pénale pour ajouter à des dispositifs qui sont déjà relativement complexes, on n'est pas sûr qu'on va réellement améliorer la situation des victimes qu'il s'agit de protéger. C'est pourquoi, sans faire de juridisme, on a raison d'être prudent dans ces matières. De toute façon, sur des sujets qui, sur le plan humain, sont aussi difficiles et lourds de conséquences - comme sur des sujets qui le seraient moins, d'ailleurs - le rôle du juge est absolument vital : sa capacité d'appréciation de la réalité des situations, qui sont diverses, doit absolument être préservée.

Je suis prêt à ne pas m'opposer à un texte qui ferait consensus entre nous, mais je suis sceptique. Trois points sont pour moi des limites absolument infranchissables - et qui ne sont pas franchies, ce qui me permet de ne pas m'opposer à ce texte. Premièrement, il n'y a pas d'imprescriptibilité. Celle-ci, inventée au procès de Nuremberg, est une dérogation à un principe fondamental du droit qui dit que la justice ne peut plus être rendue dans des conditions permettant d'administrer les preuves du crime ou du délit après une certaine durée. D'ailleurs, avec le système que nous avons adopté, qui ajoute à l'anniversaire des 18 ans un délai de 30 ans, nous allons déjà très loin. Pourtant, c'est parfois parce qu'il y a prescription que le souvenir de la blessure peut remonter à la surface. À cet égard, je ne suis pas certain qu'en ayant voté les 30 ans nous ayons réellement rendu service aux victimes... En tout cas, je n'irai jamais jusqu'à l'imprescriptibilité.

Le deuxième point qui serait un très grand danger pour une démocratie, c'est la présomption irréfragable. Nier la possibilité d'un examen individuel de chaque affaire, qui permette de prendre en compte les circonstances et d'apprécier la réalité, c'est se débarrasser des juges ! Ce serait la fin de la reconnaissance du rôle du juge dans la société, ce serait scandaleux !

Évitons donc de créer des dispositions pénales qui seraient des « machines à Outreau », des machines à erreurs judiciaires. Nous ne franchissons pas cette limite, et c'est heureux. Il ne faut pas hésiter à l'expliquer, malgré une forme de terrorisme du militantisme de la présomption irréfragable, qui n'est pas acceptable dans une démocratie comme la nôtre, ou dans un État de droit.

Enfin, un équilibre a été proposé par notre rapporteur sur l'inscription dans la loi pénale de seuils d'âge. On comprend sa motivation : dire qu'en dessous d'un certain âge, on ne peut pas même admettre l'idée de la relation sexuelle avec l'adulte. Tout le monde partage cette idée, mais il faut aussi s'interroger sur les effets de l'inscription dans la loi pénale de seuils d'âge. Cela signifie qu'au-dessus de cet âge, on n'aurait pas le droit à la même protection, alors même qu'on est aussi vulnérable. Marie Mercier a beaucoup consulté les pédiatres, les psychologues, les psychiatres, qui ont parfaitement mis en évidence le fait que la vulnérabilité ne dépend pas de la date de l'anniversaire. Fixer un âge peut simplifier, mais peut aussi conduire à se préoccuper de la situation de la personne victime qui est en dessous de cet âge, mais a déjà une pratique sexuelle avérée, qui n'est pas de son âge peut-être, mais enfin qui existe, et à ne pas tenir compte de la victime qui est au-dessus du seuil d'âge et qui pourtant est beaucoup plus vulnérable que la précédente. La différence d'âge est un concept utile, et qui repose sur la confiance faite au juge, lequel doit apprécier la situation pour savoir s'il y a eu agression ou non. Le consentement n'est pas un bon instrument : ce qu'on utilise en droit pénal, c'est la contrainte. Se reposer sur le consentement, c'est rendre la victime moins protégée. Se reposer sur la contrainte, c'est faire reposer la charge de la preuve sur l'agresseur.

Je suivrai les propositions de notre rapporteur - jusqu'ici, mais pas plus loin !

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