Intervention de Éric Dupond-Moretti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 janvier 2021 à 8h30
Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

C'est un honneur pour moi de présenter, devant la commission des lois du Sénat, le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, je ne suis en rien responsable de la manière dont ce texte arrive devant le Sénat. Il ne serait donc pas juste que je sois le réceptacle de votre courroux.

Je suis fier de débattre avec vous de cette réforme attendue de longue date. Le texte, qui a fait l'objet d'une large concertation, a été enrichi en première lecture à l'Assemblée nationale. Il est l'aboutissement d'un travail de codification et de clarification qui s'est inscrit sur dix ans, période pendant laquelle se sont succédé quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités. Les réformes successives s'étaient empilées sans cohérence, au gré des alternances politiques, transformant l'ordonnance de 1945 en un texte dont tous les professionnels s'accordent à dire qu'il est devenu illisible.

Cette réforme longuement mûrie et équilibrée arrive désormais devant vous. Elle parvient à répondre aux attentes des Français. Elle améliore la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants, en renforçant les principes fondamentaux de l'ordonnance de 1945. Elle consacre la primauté de l'éducatif, l'atténuation de la peine et la spécialisation des acteurs.

Monsieur le président, nous nous sommes expliqués au sujet du mépris ou de la condescendance que le ministère de la justice ou moi-même aurions pu afficher à l'encontre de la Chambre haute. Les journalistes de la télévision n'ont pas manqué de relayer l'expression de votre courroux. J'entends vous rassurer complètement sur ce point.

Certains ont manifesté leur inquiétude à l'Assemblée nationale, et d'autres le feront certainement au Sénat, quant au fait que les juridictions ne seraient pas prêtes pour cette réforme. À ma demande, les services du ministère ont procédé à des analyses de la situation, juridiction par juridiction, et nous avons souhaité informer chacune d'entre elles de la première mouture du texte, en précisant qu'il devait encore être examiné par le Sénat. Certains ont qualifié à juste titre cette lettre de circulaire « Canada Dry », car elle avait pour unique vocation de prévenir les professionnels de l'arrivée du texte. J'ai clairement précisé dans cette circulaire que ce texte ne pouvait pas en l'état servir de base au travail des juridictions, car il risquait d'être transformé et amodié au cours du processus législatif, même si je nourris la secrète espérance que les grands équilibres n'en seront pas modifiés. J'ai écrit cela en toutes lettres, sans aucune intention de ne pas considérer le Sénat. Je respecte la Haute Assemblée et j'ai beaucoup de plaisir à travailler avec elle.

J'espère qu'il ne s'agit pas là d'une polémique politicienne. Nous pouvons être d'accord ou bien nous opposer sur certains sujets, mais j'entends que nous poursuivions sur la voie d'échanges de bon niveau.

Cette réforme consacre une justice des mineurs plus efficace, plus lisible, plus rapide, et désormais prévisible pour tous. De nombreux mineurs ont été condamnés après avoir atteint leur majorité, à un moment où ils étaient de « jeunes majeurs » ou de « très vieux mineurs », si vous me permettez l'expression. La mise en examen n'était enserrée par aucun délai, ce qui a contribué à nourrir le « stock » des dossiers, puisque l'usage de ce mot néo-capitalistique est désormais consacré. Des gamins de seize ans ont dû attendre d'avoir vingt-deux ans pour être jugés. À la perte de temps s'ajoute l'inefficacité du message pédagogique, car tout père de famille sait qu'une sanction ou une mesure éducative n'a plus de sens si on l'inflige ou si on l'impose à ses enfants trois ans après les faits.

La rapidité de la première intervention judiciaire, sous la forme d'une audience de culpabilité, ne signifie pas la mise en place d'une justice expéditive, comme certains ont voulu l'affirmer. Les équilibres sont préservés, le temps de l'éducatif n'est pas réduit, mais il est au contraire encadré, et il peut être prolongé lorsqu'on juge que cela est nécessaire. Le travail éducatif s'inscrit ainsi dans un continuum.

Après l'audience de culpabilité, une autre audience est consacrée à la peine, avec dans l'intervalle l'application de mesures éducatives. Le regroupement de toutes les autres procédures en cours a le mérite de la rapidité et permet de prendre en compte les victimes. L'éducatif reste au coeur de cette réforme.

Quant aux étapes de l'examen du texte, elles montrent qu'il a donné lieu à un débat démocratique nourri. Vous en êtes d'ailleurs les garants. La commission des lois de l'Assemblée nationale a examiné près d'un demi-millier d'amendements, et les députés en ont examiné autant en séance publique, en décembre dernier.

À la question de savoir si les juridictions et les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) seront prêts, je réponds que oui. Toutes les réformes ont commencé par être mal reçues. Il n'est qu'à voir la loi du 15 juin 2000 dite « loi Guigou », que personne ne songe plus à remettre en question. Elle a pourtant donné lieu à des manifestations devant la Chancellerie, place Vendôme, et je me souviens d'acteurs judiciaires qui n'hésitaient pas à jeter leurs codes par terre en signe de protestation. Persifleur, j'aimais dire alors qu'on ferait mieux de les lire, plutôt que de les jeter... Aucune réforme n'a jamais été accueillie à bras ouverts.

Concrètement, nous avons prévu des renforts de moyens dans les juridictions. Les services du ministère ont identifié une dizaine de juridictions qui souffrent d'une certaine fragilité. Elles ont été analysées et répertoriés. Nous avons affecté 72 magistrats supplémentaires au 1er septembre 2020, ainsi que 100 greffiers, qui ont constitué un renfort immédiat. Depuis 2018, 4 employés de greffe exercent désormais à Bobigny, ce qui satisfait à la demande exprimée par les chefs de juridiction.

La réforme a également été anticipée au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, grâce à la création de 252 emplois supplémentaires jusqu'en 2022. En complément, quatre-vingt-six éducateurs viennent d'être recrutés dans le cadre des budgets qui ont été alloués à la justice de proximité, qui constituent un appui inédit et légitime. Grâce à la mission mise en place par l'Inspection générale de la justice (IGJ), nous avons pu apporter une assistance méthodologique directe aux juridictions et aux services territoriaux de la PJJ pour la mise en place de la réforme. Je peux donc affirmer que les juridictions sont prêtes.

Nous avons également anticipé sa mise en oeuvre sur le terrain numérique de façon à ce que les dispositions nouvelles s'exercent plus rapidement.

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