Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment en est-on arrivé là ? C’est sans doute la question qui est venue à l’esprit d’un certain nombre d’entre nous lorsque RTE a demandé aux Français, vendredi dernier, de réduire leur consommation pour éviter des coupures d’électricité sur le territoire.
Je salue la pertinence de l’initiative du groupe Les Républicains qui a souhaité la tenue de ce débat, et je regrette l’absence de réponse concrète de votre part, madame la secrétaire d’État.
Le 8 janvier dernier, la situation climatique était-elle si rigoureuse et les besoins prévisionnels étaient-ils si exceptionnels que nous devions craindre à ce point un blackout ? En réalité, non ! Les températures affichaient seulement quelques valeurs légèrement négatives et le pic de la demande était estimé à 88 gigawatts, très loin du maximum historique du 8 février 2012 à hauteur de 102 gigawatts. Rien n’était susceptible, a priori, d’effrayer un pays comme la France.
À bien y réfléchir, il est assez inouï que nous nous soyons retrouvés dans une telle difficulté, car il ne s’agit pas d’une énergie fossile, comme le gaz ou le pétrole dont notre sol national est quasiment dépourvu, mais d’une énergie pour laquelle notre pays a savamment construit une stratégie d’autonomie dès les années 1960. Hélas, l’absence de décisions anticipatrices et les renoncements sur l’autel des petits arrangements politiques ont mis à mal cette souveraineté, basée sur une avance technologique reconnue dans le domaine du nucléaire !
Certains, dont la ministre de la transition écologique, évoquent la possibilité de se tourner radicalement vers d’autres sources d’électricité et caressent même l’espoir d’un mix totalement renouvelable à l’horizon de 2050.
D’autres sont nettement plus sceptiques et partagent l’analyse de l’ancien député socialiste Jean-Yves Le Déaut, qui déclarait en 2017, en sa qualité de président de l’Opecst : « Le développement de la puissance éolienne et photovoltaïque installée ne contribue pas à assurer la sécurité d’approvisionnement, en tout cas pas dans la période de pointe la plus critique, celle du soir. »
Les chiffres sont têtus : le 8 janvier dernier, même au meilleur de la journée, ces deux sources de production n’ont jamais excédé 5 % du total d’électricité fournie. Quels que soient les rêves des uns et des autres, la géographie naturelle de la France n’est pas celle de la Norvège. Elle ne permet pas de remplacer notre capacité de production par des sources intermittentes et non pilotables. Au contraire, et il faut avoir le courage de le dire aux Français, nous importons régulièrement de l’énergie très fortement carbonée, en raison notamment de la baisse de notre production d’origine nucléaire, liée à la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim.
Certes, plusieurs pistes prometteuses ont été mentionnées au cours de ce débat, des systèmes de stockage par batteries à la production d’hydrogène vert, mais dans le même temps on abandonne le programme Astrid sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération, alors que d’autres pays accélèrent leur développement dans cette voie.
Pour atteindre l’équilibre recherché et éviter un blackout, la solution viendrait-elle du côté de la demande ? Malheureusement, non ! J’en veux pour preuve la décision prise par la représentation nationale d’interdire la commercialisation des véhicules émettant des gaz à effet de serre à l’horizon de 2040. Si l’on admet qu’une telle mesure contribue à renforcer la place du véhicule électrique, la consommation d’électricité devrait augmenter de l’ordre de 15 % d’ici à 2040. Les propriétaires ont, en effet, pour réflexe naturel de brancher leur véhicule en rentrant du travail, c’est-à-dire précisément au moment du pic de consommation, et les 30 000 bornes de recharge publiques sont davantage sollicitées en journée.
Autre exemple : le Gouvernement a annoncé en juillet dernier la fin des chaudières fonctionnant au fioul et, plus récemment, la réglementation environnementale 2020 prévue dans la loi ÉLAN a interdit le chauffage au gaz dans les nouvelles constructions immobilières. Ces mesures se traduisent de facto par le développement de solutions consommatrices d’électricité, au premier rang desquelles les pompes à chaleur.
Par ailleurs, une récente étude du cabinet E-CUBE et de l’Institut d’économie de Cologne montre qu’une vague de froid rigoureux en Europe pourrait conduire à un déficit de capacité de production allant de 35 à 70 gigawatts, entraînant des coupures d’électricité de 100 à 250 heures.
Un autre facteur de nature à tendre le réseau durant les vagues de chaleur tient à l’utilisation de climatiseurs, qui peut représenter jusqu’à 70 % de la consommation d’électricité dans le secteur résidentiel, comme on l’a constaté l’été dernier en Californie.
Enfin, les usages numériques continuent de croître de manière importante, qu’il s’agisse des smartphones, du stockage des données sur le cloud, ou encore du télétravail et des visioconférences que le confinement a nettement renforcés.
En résumé, au moment même où la demande suit une « tendance haussière » incontestable et certainement durable, notre pays a choisi de réduire les moyens dont il dispose pour y répondre de manière opérationnelle. Ce sentiment d’absurde me conduit à conclure en citant Jacques Rouxel, le célèbre parolier des Shadoks : « En essayant continuellement, on finit par réussir. Donc plus ça rate, plus on a de chance que ça marche. »