Intervention de Patrick Chaize

Réunion du 12 janvier 2021 à 14h30
Réduction de l'empreinte environnementale du numérique — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Patrick ChaizePatrick Chaize :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis très heureux de vous retrouver aujourd’hui dans cet hémicycle pour tout d’abord nous souhaiter une très bonne année 2021 et pour examiner la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.

Avec mes collègues rapporteurs de la mission d’information que j’ai eu le plaisir de présider de janvier à juin dernier, nous avons construit ce texte, dans les conditions que vous connaissez. Il s’appuie sur les travaux que nous avons menés, à savoir des auditions, des contributions et des concertations avec tous les acteurs concernés, mais aussi avec le Gouvernement, ou encore une étude chiffrée inédite et prospective sur l’évolution de l’empreinte carbone du numérique en France.

Ce soir, l’heure est donc à la concrétisation et à l’aboutissement de cet important travail précurseur que nous avons su engager au Sénat. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne serez donc pas étonné que je commence par vous solliciter pour nous assurer de l’avenir de ce texte, dans le cadre de la navette parlementaire. Je connais votre engagement sur ce sujet et je sais que vous en partagez l’objectif.

À l’origine de notre démarche, il y avait un constat et un objectif. Le constat, c’est que le numérique et ses usages explosent en France comme partout dans le monde. Les périodes inédites de confinement que nous avons vécues sont d’ailleurs venues fort à propos nous rappeler à quel point nous en avons besoin. Ce développement est indispensable à la transition écologique, notamment par les innovations qu’il permet dans les secteurs industriels les plus polluants.

Toutefois, ces gains sont associés à des impacts directs et quantifiables en termes d’émissions de gaz à effet de serre, d’utilisation des ressources halieutiques, de consommation d’énergie et d’utilisation d’eau douce. Notre objectif était donc clair : agir sans attendre, prendre le tournant de la transition numérique, tout en s’assurant que ce secteur indispensable à la transition écologique ne devienne pas une source de pollution exponentielle.

C’est justement parce que nous croyons à l’importance et à la nécessité du numérique que nous souhaitons l’inscrire sur la trajectoire responsable qui nous permettra de respecter nos engagements climatiques dans le cadre de l’accord de Paris.

J’entends certaines interrogations qui ont été formulées. Pourquoi une régulation climatique pour ce secteur plutôt que pour un autre ? Parce que sa croissance et, donc, son empreinte environnementale explosent.

Le numérique, c’est 2 % de notre empreinte carbone aujourd’hui, mais, potentiellement, près de 7 % demain si l’on ne fait rien. En outre, si nous ne soutenons pas dès aujourd’hui les filières de reconditionnement des terminaux numériques ou des centres de données énergétiquement sobres, d’autres le feront pour nous et nous serons dépassés.

Vous me permettrez d’exprimer ma satisfaction de voir se concrétiser une initiative parlementaire doublement inédite.

Tout d’abord, elle est inédite en ce qu’elle dépasse les clivages partisans habituels. Je veux remercier ici les presque 130 cosignataires de ce texte, issus de toutes les travées de notre Haute Assemblée. C’est dire si ce sujet nous tient à cœur !

Ensuite, elle est inédite, car nous nous apprêtons à discuter une proposition de loi qui aborde pour la première fois les impacts environnementaux de l’ensemble de la chaîne de valeur numérique, des terminaux aux centres de données, en passant par les réseaux.

Monsieur le secrétaire d’État, depuis que nous avons rendu publics, en juin, notre rapport et notre feuille de route, avec ses 25 propositions pour une transition numérique écologique, d’autres acteurs se sont penchés sur le sujet, et c’est tant mieux.

Ainsi, le Conseil national du numérique a publié sa feuille de route en juillet. Vous-même vous êtes également saisi du sujet, notamment dans le cadre d’une feuille de route présentée conjointement avec votre collègue chargée de la transition écologique. Nous nous en réjouissons, mais nous pensons qu’il est temps d’avancer plus vite et d’aller plus loin. Nous proposons donc d’agir concrètement.

Avant de présenter plus en détail le contenu de la proposition de loi, permettez-moi de m’arrêter un instant sur l’avis du Haut Conseil pour le climat sur l’impact environnemental du déploiement de la 5G, remis au président du Sénat le 18 décembre dernier.

Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi cette étude d’impact environnemental n’a-t-elle pas été faite avant l’attribution des fréquences ? À l’époque, le Gouvernement avait annoncé un rapport d’inspection sur ce sujet. Il ne s’agissait donc pas d’une étude d’impact environnemental.

Permettez-moi de rappeler la genèse de l’avis important du Haut Conseil pour le climat. Le Sénat a pris ses responsabilités, sur proposition de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. À cet égard, je salue le président Hervé Maurey, qui était alors à sa tête. Le président du Sénat a saisi le Haut Conseil pour le climat, afin de disposer d’une évaluation environnementale de la 5G. C’était la première fois que le président d’une assemblée faisait usage de cette possibilité qui lui est ouverte par la loi.

Il n’est pas surprenant que cet avis préconise une évaluation ex ante systématique de toute nouvelle technologie, précisément pour pouvoir avoir des débats éclairés sur des sujets si importants et non pas des oppositions stériles ou non documentées.

Par ailleurs, sur le fond, cet avis conforte les conclusions de nos travaux. La 5G pourrait très largement contribuer à l’augmentation de 60 % de l’empreinte carbone du numérique en France d’ici à 2030. Dans son scénario « haut », le HCC estime que la 5G pourrait conduire à elle seule à une hausse de 45 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur d’ici à 2030. La moitié de cet impact carbone serait liée au renouvellement ou à l’acquisition des terminaux.

Si le Haut Conseil estime que la feuille de route gouvernementale n’apporte pas pour le moment de garanties, la somme des mesures proposées ne se traduisant pas par moins d’émissions, notre proposition de loi offre de nombreuses réponses aux recommandations formulées dans son avis.

Il ne s’agit pas d’être anti-5G ! Il faut simplement accompagner le secteur pour prévenir les impacts induits par son déploiement. Dans le détail, les leviers d’actions identifiés par la proposition de loi sont au nombre de quatre.

Le premier est la prise de conscience, par les utilisateurs du numérique, de son impact environnemental. Le chapitre Ier du texte prévoit ainsi une sensibilisation à l’école, dès le plus jeune âge, à l’empreinte environnementale du numérique. Il s’agirait d’une formation à ce que vous avez justement appelé, monsieur le secrétaire d’État, l’« écologie du code ».

La mise à disposition, pour tous, d’informations fiables et objectives, via la création d’observatoires de recherche des impacts environnementaux du numérique, est plébiscitée par tous les acteurs que nous avons entendus, ainsi que des outils permettant aux entreprises de prendre conscience de leur impact et de déployer des actions à même de les réduire.

Le deuxième de ces leviers vise à limiter le renouvellement des terminaux, principaux responsables aujourd’hui de l’empreinte carbone du numérique. Tel est l’objet du chapitre II, qui entend notamment lutter contre l’obsolescence programmée des logiciels, mais aussi contre ce que l’on pourrait appeler l’« obsolescence marketing », qui introduit un biais en faveur d’un renouvellement trop rapide des smartphones.

Le chapitre III de la proposition de loi vise à promouvoir le développement d’usages du numérique écologiquement vertueux. La création d’un référentiel général de l’écoconception, auquel devront se conformer les plus grands fournisseurs de contenus, nous semble indispensable. Il est aujourd’hui possible de faire des sites aussi performants avec une quantité de données et, donc, d’énergie utilisée bien moindres.

Enfin, le chapitre IV tend à la création de centres de données et de réseaux moins énergivores, en demandant notamment aux opérateurs de souscrire d’ici à 2023 à des engagements environnementaux pluriannuels contraignants auprès de l’Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Il est important d’avoir en tête que la consommation énergétique des réseaux pourrait augmenter de 75 % d’ici à 2040. Une piste similaire est également envisagée par le rapport du Haut Conseil pour le climat.

Je laisserai bien sûr le soin aux deux rapporteurs et à la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, que je salue, de présenter les nombreux apports adoptés en commission. Je me réjouis que le texte ait été enrichi d’un volet relatif à la promotion d’une stratégie numérique responsable dans les territoires.

Pour ma part, nous y reviendrons lors de l’examen des articles, je vous proposerai un amendement tendant à ce que les biens reconditionnés ne soient pas soumis à une rémunération pour copie privée, dès lors que les produits ont déjà fait l’objet d’une mise sur le marché en Europe et ont déjà, à ce titre, été assujettis à ce prélèvement.

Je proposerai également de compléter le chapitre de la proposition de loi relatif aux impacts environnementaux des réseaux. Il me paraît en effet important de lutter contre les pratiques spéculatives qui sont celles de certaines tower companies, engendrant des gels de terrains et, parfois, la construction d’infrastructures mobiles sans fourniture de services.

Ces pratiques peuvent conduire à l’érection de pylônes inactifs, générant un impact environnemental inutile, via par exemple une artificialisation des terres concernées.

Voilà, mes chers collègues, les principaux points que je voulais vous présenter concernant cette proposition de loi que je vous invite bien sûr à adopter, et à laquelle je souhaite de connaître une navette fructueuse.

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