Intervention de Cédric O

Réunion du 12 janvier 2021 à 14h30
Réduction de l'empreinte environnementale du numérique — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Cédric O :

Comme le rappelle Marc Fontecave, professeur au Collège de France, dans un ouvrage récent, nous avons besoin de beaucoup plus d’innovation pour soutenir le défi environnemental, et pas de beaucoup moins d’innovation ! C’est cette responsabilité qui est la nôtre, et c’est cette responsabilité qui, d’ailleurs, irrigue le plan de relance qui a été porté par le ministre de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire. Par la mobilisation inédite qu’il institue, nous accélérons concrètement le verdissement de l’économie tout en promouvant l’innovation et la compétitivité.

C’est d’ailleurs, pour en revenir au texte de cette proposition de loi, de cette responsabilité qu’il s’agit ce soir.

Si, comme je viens de le dire, le numérique est globalement très favorable à la transition écologique, et particulièrement à la transition énergétique, cela ne l’exonère bien évidemment pas de porter sa part des efforts de sobriété et surtout d’efficacité qui sont nécessaires. En ce sens, la volonté qui anime votre proposition de loi rejoint celle du Gouvernement telle qu’elle s’exprime dans le cadre de sa feuille de route interministérielle visant à faire converger numérique et écologie, que j’aurai l’occasion de présenter début février avec Barbara Pompili.

Permettez-moi de revenir en détail sur les premiers axes de cette feuille de route que nous avons lancée en octobre dernier.

Nous voulons tout d’abord objectiver l’empreinte environnementale du numérique et développer la connaissance que nous avons de ce sujet : mieux connaître pour mieux agir, en quelque sorte. Dans cette perspective, nous avons confié à l’Ademe et à l’Arcep la mission de mener une étude approfondie visant, d’une part, à objectiver l’empreinte environnementale des réseaux de télécommunication fixe et mobile en fonction des usages qu’ils supportent et, d’autre part, à proposer des mesures de maîtrise et de réduction de leur impact, via par exemple le démantèlement des réseaux anciens et redondants. Cette mission est évidemment importante pour la suite de nos échanges sur votre proposition de loi.

Nous souhaitons, deuxièmement, faire du numérique un levier majeur de la transition écologique – j’ai eu l’occasion de le dire. Le numérique est en effet aujourd’hui une condition indispensable de la transition environnementale : sans numérique, pas de voiture électrique ; sans numérique, pas de réseaux intelligents et pas de massification des énergies renouvelables ; sans numérique, pas d’agriculture de demain, plus économe en consommation de ressources et de produits phytosanitaires ; sans numérique, pas de transports ni de logistique optimisés, donc moins consommateurs d’énergie ; sans numérique, enfin, pas de gains de productivité indispensables à l’acceptabilité sociale de la transition environnementale.

C’est pourquoi, dans le cadre du plan de relance, un fonds de 300 millions d’euros destiné aux projets des start-up de l’environnement a été créé.

Enfin, je l’ai dit, pour être globalement positif pour l’environnement, le numérique n’en doit pas moins prendre sa part dans la maîtrise de notre empreinte énergétique. Pour le dire plus clairement : oui, nous devons entrer dans une phase déterminée de maîtrise de l’empreinte environnementale du numérique – c’est notre troisième axe.

Il faut maîtriser cette empreinte en agissant sur chaque étape du cycle de vie des équipements, en amont de la production, au niveau de l’usage et en aval, là où la fin d’une vie peut devenir le début d’une nouvelle. La Convention citoyenne pour le climat – cela a été dit – a voté de nombreuses propositions en la matière. Notre feuille de route comprend des actions visant à produire moins et mieux : réparabilité, reconditionnement, réemploi, écoconception. D’ailleurs, la mise en œuvre de ces actions créatrices d’emplois localisés constitue également un enjeu de filière industrielle et d’emploi pour la France.

En matière d’allongement de la durée de vie, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) a déjà prévu des avancées fortes – je le rappelle –, via notamment l’indice de réparabilité ou l’extension de la garantie légale de conformité de six mois lorsque l’appareil subit une réparation dans les deux ans. Ce que nous souhaitons, c’est accélérer sur le reconditionnement de ces téléphones. Trop souvent – vous l’avez dit –, les reconditionneurs se heurtent aux politiques restrictives des fabricants de téléphones en matière de pièces détachées. C’est pourquoi la loi AGEC a prévu un encadrement du temps de mise à disposition desdites pièces.

Mais nous devons également éviter toute restriction indue. Nous avons, à ce titre, saisi la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, d’une enquête sur les pratiques des constructeurs en matière de pièces détachées. Nous voulons par ailleurs inciter beaucoup plus au réemploi des plus de 100 millions de smartphones qui dorment dans les tiroirs des Français. Nous avons en ce sens engagé une concertation avec les opérateurs télécoms et les acteurs du reconditionnement en France.

Nous devons aussi nous préoccuper de nos usages et de l’impact de notre consommation, de vidéos notamment. Dans cette perspective, une concertation avec les plateformes numériques sur le sujet des usages du numérique sera lancée prochainement, afin d’identifier dans le détail les principaux postes de consommation et de définir des pistes de rationalisation.

Vous le voyez, de nombreuses mesures rejoignent les préoccupations des auteurs de cette proposition de loi et les dispositions qui y sont promues. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, nous abordons l’examen de ce texte de manière ouverte, même s’il s’agira de l’affiner au cours de la navette parlementaire – nous avons eu l’occasion d’en discuter. Nous sommes, à ce titre, largement favorables aux dispositions visant à faire prendre conscience aux utilisateurs du numérique de leur impact environnemental.

Nous sommes également favorables à la proposition visant à aller plus loin quant à l’écoconditionnalité du tarif réduit de l’électricité pour les data centers, sujet qui a fait l’objet de discussions lors de mon passage en commission, et sur lequel je m’étais engagé à ce que nous avancions d’ici à la séance – je pense que nous sommes « mûrs », comme on dit. Sur cette demande formulée par la Convention citoyenne pour le climat, nous avons déjà collectivement avancé à l’occasion du projet de loi de finances pour 2021.

Sur certains points, néanmoins, nous privilégions une approche d’accompagnement des acteurs, dont la maturité est encore peu développée : une approche incitative plutôt que purement contraignante. Cette approche prend en compte les dispositions juridiques existantes, a fortiori les plus ambitieuses et les plus récentes, telles que celles présentes dans la loi AGEC, afin qu’elles déploient toute leur envergure et toute leur force.

C’est aussi une position d’accompagnement et de soutien que nous souhaitons adopter à l’égard des collectivités territoriales – nous aurons probablement l’occasion d’y revenir.

Nous avons, sur certains points, quelques divergences de calendrier. Des textes, notamment, sont en cours d’élaboration ; je pense à la transposition des directives européennes 2019/770 et 2019/771 respectivement relatives aux contrats de fourniture de contenus et de services numériques et aux contrats de vente de biens, transposition pour laquelle le Gouvernement a désormais compétence, le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (Ddadue) voté par le Sénat en fin d’année dernière ayant été promulgué.

Des concertations sont par ailleurs en cours avec les opérateurs télécoms et avec les plateformes ; elles seront conclues dans les mois à venir. Avec les opérateurs télécoms, qui sont concernés par plusieurs articles, nous avons ouvert une concertation approfondie sur des enjeux aussi essentiels que le reconditionnement, le renouvellement des terminaux ou la tarification des données.

Ce sont des enjeux auxquels ils souscrivent déjà de façon volontaire et pour lesquels ils sont prêts à prendre des engagements inscrits dans la feuille de route sur le numérique et l’environnement, que j’ai annoncée précédemment.

Faire entrer ces sujets dans le champ de la régulation, comme le souhaitent les auteurs de cette proposition de loi, est un choix politique fort, mais sensible. C’est un nouveau cadre à construire, y compris à l’aune des pratiques et de la régulation européenne.

Nous souhaitons donc continuer à débattre afin d’aboutir à des solutions dans le courant de la discussion. Notre position sur vos propositions en la matière traduit ainsi notre volonté d’avancer avec les opérateurs, en bonne intelligence.

Nous partageons la volonté d’inscrire le numérique dans le grand mouvement et la grande obligation de la transition environnementale, en l’aidant à prendre sa juste part dans l’effort. Face aux grands acteurs du numérique dont l’actualité souligne bien la puissance, certaines actions ne pourront être efficacement menées qu’à l’échelle européenne. Il est possible de contrôler un marché unique européen du numérique, mais c’est plus difficile à réaliser à l’échelle nationale. Il me paraît donc utile de travailler avec la Commission européenne, notamment avec le commissaire Thierry Breton, pour avancer sur la sobriété numérique et ainsi offrir la possibilité à certaines initiatives contenues dans ce texte de devenir effectives dans le cadre d’une démarche européenne.

Faire converger le numérique et la transition écologique, ce n’est pas une mode, c’est un impératif ! Les périodes de confinement que nous avons vécues ont montré avec acuité la convergence entre ces deux mouvements de fond, le numérique et l’écologie. Tous deux ont connu un saut : le numérique, comme pilier de la société, et l’écologie, comme fondement nécessaire à notre survie et à celle de la nature. À nous de faire du premier le remède du second !

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