Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la démarche qui a présidé à la création de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique et à la rédaction de cette proposition de loi semble pertinente. Nous saluons le travail réalisé par le président et le rapporteur de la mission, tout comme celui de la commission sur le sujet.
Cette proposition de loi s’articule pleinement avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, mais aussi avec la feuille de route du Gouvernement, largement convergente avec le contenu de ce texte. Notons également l’adoption au niveau européen d’une proposition de résolution à ce sujet en novembre dernier.
Cette prise de conscience est celle de l’urgence écologique qui nous oblige collectivement à tracer les contours d’une société plus économe en ressources et plus sobre en consommation énergétique. La France, qui s’est engagée à réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et à arriver à la neutralité carbone en 2050, doit prendre des mesures fortes.
À ce titre, le secteur numérique semble un levier puissant de transformation : si le numérique constitue aujourd’hui seulement 2 % du total des émissions en 2019 dans notre pays, cette empreinte pourrait augmenter de 60 % d’ici à 2040 si rien n’est fait.
Pour autant, les dispositions contenues dans cette proposition de loi, a fortiori après l’examen du texte en commission, semblent en retrait par rapport aux objectifs affichés.
Cette proposition de loi risque malheureusement d’être peu opérante face à la complexité des enjeux industriels et stratégiques, notamment en matière de souveraineté numérique, mais également face au niveau d’action nécessaire lié à l’immatérialité de cette économie et à la globalisation des échanges. Comme l’exposé des motifs le souligne, les impacts carbones du numérique sont liés essentiellement à la production des terminaux, production principalement localisée en Asie.
Relocalisation de l’économie, développement d’une filière industrielle au niveau européen, changement des règles du libre-échange, abrogation des accords commerciaux fondés sur le dumping social, économique et environnemental, autant de sujets qui sont alors incontournables pour la réduction de l’empreinte environnementale du numérique et qui ne sont pourtant pas évoqués dans cette proposition de loi.
Il en est de même de la nécessaire réflexion à l’échelle internationale sur l’accès à la ressource en eau et sur la gestion des terres rares dont sont particulièrement friands ces appareils…
Faute de s’attaquer au modèle économique libéral de production et de proposer des alternatives permettant de garantir tout au long du processus de production et d’utilisation des équipements électroniques numériques un usage plus vertueux, les dispositions contenues dans cette proposition de loi risquent de perdre en opérationnalité.
Plus précisément, nous approuvons tous les articles de cette proposition de loi qui visent à lutter contre l’obsolescence programmée. Mais nous soulignons que ces débats ont déjà eu lieu il y a un peu plus d’un an lors de l’examen de la loi sur l’économie circulaire. Ce texte a marqué de nombreuses avancées, y compris grâce à l’adoption d’amendements émanant de notre groupe.
Il en est ainsi de la lutte contre l’obsolescence logicielle. Nous sommes à ce titre surpris d’un changement de pied de la majorité sénatoriale sur certains sujets comme l’extension de la garantie légale ou la révision du taux de TVA. Nous proposerons d’aller plus loin et formulerons des propositions qui, à l’époque, n’avaient pas trouvé de majorité. Nous espérons qu’elles trouveront aujourd’hui une issue plus favorable.
Concernant les obligations formulées auprès des entreprises, nous ne pouvons que constater que la portée des dispositions initialement proposées a été largement revue à la baisse, notamment au travers la suppression des articles 17 à 20. La réécriture de l’article 16, qui substitue un référentiel global d’écoconception à la définition d’obligations en bonne et due forme, permet de contourner de manière habile le caractère contraignant de ces mesures au bénéfice d’un référentiel à la portée plus souple et à la valeur juridique floue. Ses modalités d’élaboration sont finalement renvoyées aux ingénieurs alors que ces questions sont avant tout politiques.
De la même manière, les dispositions sur les data centers ont été amoindries, le Sénat ayant préféré mettre l’accent sur l’incitation fiscale plutôt que d’instaurer des obligations réelles pour les entreprises. Au final, à force de renoncement, nous doutons que la portée de cette proposition de loi soit à la mesure des enjeux !
Pour finir et élargir le débat, et alors que l’impact environnemental de ces usages numériques est très lié aux Gafam, pourquoi ne pas revenir ici sur leur imposition afin qu’ils contribuent réellement aux politiques publiques contre le changement climatique ?
Il nous semble prioritaire de sortir de l’impunité ces grandes multinationales qui n’ont, en l’état, aucune raison de s’orienter vers la sobriété numérique et qui ne contribuent pas à l’effort collectif pour la transition écologique. Malheureusement, nous doutons que cette proposition de loi change la donne en la matière !