Lors de l'examen de la loi de programmation et de réforme pour la justice de mars 2019, l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
L'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs qui nous est soumise pour ratification devait entrer en vigueur au 1er octobre 2020. Cette date a été reportée au 31 mars 2021 par la loi de juillet 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire.
Cette réforme est attendue. L'ordonnance du 2 février 1945 a été modifiée trente-neuf fois, si bien qu'elle n'est plus lisible ni compréhensible, et encore moins par les mineurs. De plus, ce texte a perdu de son efficacité : du fait des délais de jugement, qui sont de l'ordre de dix-huit mois en moyenne, les jeunes sont souvent majeurs au moment où ils sont jugés. Par ailleurs, sur 816 mineurs détenus en 2020, 660 étaient placés en détention provisoire dans l'attente d'un jugement.
Enfin, l'ordonnance de 1945 n'est pas conforme aux engagements internationaux de la France. L'article 40 de la Convention internationale des droits de l'enfant prévoit qu'il appartient aux États parties de fixer un âge au-dessous duquel les enfants sont présumés ne pas avoir la capacité d'enfreindre la loi pénale.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a considéré en 2011 que la procédure pénale applicable aux mineurs n'était pas respectueuse du principe constitutionnel d'impartialité du juge qui est également énoncé à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Si cette réforme est donc justifiée, force est de constater qu'elle manque d'ambition. L'enfance délinquante est souvent aussi une enfance en danger. Or ce nouveau code repose d'abord sur une réforme procédurale. Il reprend les grands principes de l'ordonnance de 1945, notamment la primauté de l'éducatif sur le répressif, l'atténuation des peines et la présomption simple de discernement. Cette dernière est précisée, puisque l'article 11 prévoit un âge pivot, fixé à 13 ans, en deçà duquel le mineur est présumé ne pas être capable de discernement.
S'il n'y a pas de consensus européen sur l'âge pivot, on constate que, en droit positif français, 13 ans est un âge reconnu, que ce soit en matière de consentement ou de violences sexuelles sur les mineurs. Notons toutefois qu'en 2019, en France, moins de 3 % des 62 568 mineurs délinquants avaient moins de 13 ans.
Cette présomption simple - et non pas irréfragable - nous paraît adaptée, car il est possible de la lever en cas de preuve contraire. Le juge est ainsi conduit à se poser la question du discernement et à adapter les jugements en fonction des situations.
Cela implique de définir ce qu'est le discernement, qui, dans le droit actuel, est visé dans le code pénal pour les adultes en lien avec les notions de troubles psychiques ou neuropsychiques. Il doit être adapté aux mineurs et prendre en compte les critères tels qu'ils découlent de la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1956, notamment la notion de maturité. Je vous proposerai donc un amendement visant à inscrire dans la loi qu'« est capable de discernement le mineur dont la maturité lui permet de comprendre l'acte qui lui est reproché et sa portée ».
Le dernier principe de l'ordonnance de 1945 repris par ce nouveau code est la spécialisation des juridictions, que nous souhaitons renforcer. Je vous proposerai donc de supprimer le tribunal de police aujourd'hui compétent pour les contraventions des quatre premières classes. De même, nous estimons qu'il ne devrait pas revenir au juge des libertés et de la détention, mais à un juge des enfants, ou à défaut à un autre magistrat, par exemple à un juge aux affaires familiales (JAF), de se prononcer sur la poursuite ou la levée des mesures de détention provisoire du mineur avant la décision définitive de sanction.
Cette ordonnance instaure une procédure accélérée, puisque les affaires pourront être traitées en six mois, et simplifiée en trois actes : l'audience de culpabilité, qui doit être prononcée dans un délai de dix jours à trois mois, la période de mise à l'épreuve éducative et l'audience portant sur les sanctions, qui doit être prononcée dans un délai de six à neuf mois. Ce principe de « césure » permet au jeune d'entamer le travail de relèvement éducatif entre les deux audiences. Les délais moyens devraient ainsi être ramenés à six mois, mais il s'agit de délais indicatifs qui ne pourront être tenus à défaut de moyens suffisants. L'ensemble de la procédure se fera sous la houlette des parquets, ce qui devrait garantir une politique pénale des mineurs plus cohérente à l'échelle des juridictions. Le parquet qui oriente peut décider un classement sans suite, des alternatives aux poursuites, ou, dans le cas d'une décision de poursuite, de saisir selon le cas le juge des enfants ou le juge d'instruction.
Cette ordonnance ouvre également la possibilité de recourir à l'audience unique dès lors que le jeune est bien connu des services de la justice. En effet, plus de 50 % du contentieux concerne 5 % des jeunes. Du fait des réitérations d'actes dont ils sont fréquemment coupables, des mineurs non accompagnés seront sans doute souvent jugés par voie d'audience unique.
La réforme vise à renforcer la cohérence éducative, puisqu'il est prévu que le même magistrat suive le mineur. De plus, les mesures éducatives seront clarifiées, notamment par une rationalisation de la gamme des sanctions qui comprendra un module d'insertion, un module de placement, un module de réparation et un module de santé, ces modules pouvant être associés à d'autres types de peines, notamment des interdictions. Enfin, cette ordonnance introduit la possibilité pour le juge des enfants de prononcer un certain nombre de peines en chambre du conseil. Parmi ces peines, notons que le travail d'intérêt général (TIG) est une bonne mesure, mais que les moyens manquent pour l'appliquer.
Cette réforme est mise en oeuvre selon un calendrier peu respectueux du travail parlementaire, son entrée en vigueur étant prévue pour le 31 mars 2021, très peu de temps après l'adoption du texte et dans le contexte sanitaire que nous connaissons. Les acteurs sont un peu pris à la gorge, à commencer par les services du ministère, qui ont dû rédiger la partie réglementaire du code avant la stabilisation de sa partie législative, et envoyer aux juridictions en décembre dernier après adoption de ce texte par l'Assemblée nationale une lettre d'information sur sa mise en oeuvre pour sensibiliser les magistrats, car ces derniers n'auront pas le temps de se former.
L'entrée en vigueur de ce texte au 31 mars prochain paraît totalement irréaliste : les tribunaux ne sont pas prêts, d'autant qu'il leur faudra continuer de traiter les contentieux en cours. Par ailleurs, alors que les acteurs doivent être formés à ce nouveau code, les budgets de formation de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont en baisse en 2021.
Enfin, les logiciels ne sont pas prêts, ni Cassiopée, ce qui est hélas ! habituel, ni Parcours, le logiciel de la PJJ. Ce dernier devrait être opérationnel le 31 mars pour la PJJ, mais seulement en septembre 2021 pour le secteur associatif habilité et en décembre 2021 pour les magistrats.
Si cette réforme est globalement positive, il paraît dangereux de la conduire ainsi à marche forcée, car elle risque de ne pas produire les effets attendus.