La première cible de la stratégie vaccinale représente environ 8 millions de personnes - résidents dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), personnes très vulnérables, personnes âgées de plus de 75 ans et professionnels de santé. Lorsque vous devez ainsi vacciner plusieurs millions de personnes, vous n'avez que deux façons de faire, me semble-t-il.
La première méthode consiste à attendre d'avoir tous les vaccins à disposition - en l'occurrence 16 millions de doses en comptant le rappel - et à organiser ensuite une campagne éclair de vaccination, ce que l'on sait faire - pour la grippe, on est capable de vacciner 1 million de personnes par jour.
La seconder méthode consiste à vacciner à flux tendu, en utilisant les vaccins au fur et à mesure de leur livraison. C'est le choix que nous avons fait, et aussi celui de tous les pays européens. Mais cela impose bien évidemment de coordonner le rythme de livraison des vaccins avec le rythme de vaccination.
Nous avons donc 8 millions de personnes à vacciner, nous disposons pour l'instant de 2 millions de doses, nous en recevons 500 000 supplémentaires par semaine, et bientôt 1 million.
Comme la Belgique ou les Pays-Bas, mais à la différence de l'Allemagne, nous avons choisi de diviser en deux ce public prioritaire, en commençant par le million de résidents en Ehpad, jugés ultra-prioritaires.
On nous reproche de ne pas avoir commencé à recueillir le consentement des résidents avant l'arrivée des premiers vaccins. Nous y avons pensé, bien entendu, mais il était impossible de le faire pour un vaccin qui n'était pas encore validé par l'Agence européenne des médicaments (EMA), et sur lequel toutes les données scientifiques n'étaient pas encore disponibles.
La période des congés de fin d'année a pu retarder le recueil des consentements, et il faut aussi intégrer la contrainte forte du transport des vaccins, qui ne doit pas excéder douze heures pour ne pas sacrifier un brin d'ARN messager.
La campagne de vaccination en Ehpad est désormais bien lancée : 160 000 personnes seront vaccinées cette semaine, 150 000 la semaine prochaine. Nous avons par ailleurs décidé d'accélérer le début de la vaccination des soignants de plus de 50 ans et des personnes de plus de 75 ans. L'organisation en flux tendu se traduit inévitablement par des phénomènes de stop-and-go.
J'avais parlé de 300 centres de vaccination à l'échelle du pays fin janvier, et de 600 centres à terme. Or ce sont presque 1 000 centres qui ont été accrédités. On ne peut que saluer l'allant des élus locaux. J'avais exigé 6 centres de vaccination en moyenne par département ; certains en comptent 33 ! Mais ce n'est pas parce qu'on ouvrira plus de centres qu'il y aura plus de vaccins. Le redispatching dans une multitude de centres des vaccins qui avaient été provisionnés pour six centres par département peut entraîner un mécanisme de hoquet. Au total, trente départements ont procédé à du surbooking et se sont retrouvés avec un peu plus de créneaux qu'ils n'avaient de doses. Le problème a été résolu pour une quinzaine d'entre eux. Nous allons demander aux quinze autres de maintenir leurs créneaux ouverts. Dans les cas critiques, je pense à la région des Hauts-de-France, nous demandons aux centres de différer d'une à deux semaines les vaccinations, mais de n'annuler aucun rendez-vous, et d'utiliser en flux tendu, par anticipation, les doses qui auraient dû servir à la primo-vaccination en février.
Pour résumer, les centres qui ont fait preuve d'un grand enthousiasme et qui vaccinent beaucoup plus que prévu en janvier ne feront que des rappels de vaccination en février. Nous ne ferons donc quasiment plus de primo-vaccinations en février puisque l'augmentation des livraisons n'est pas linéaire ; elle se fait par paliers.
Dois-je demander aux préfets de fermer des centres dans les départements qui comptent plus de six centres ou dix centres au maximum ? Ou doit-on maintenir des centres qui ont l'avantage d'offrir de la proximité aux populations ? Dès le début, j'ai fait le choix de la proximité, car je ne voulais pas que, comme en Allemagne, nous n'ayons que cinquante centres et que l'on soit obligé de faire une heure et demie de voiture et trois heures de queue devant un grand gymnase pour être vacciné, en plein hiver, à l'âge de 85 ans. Nous pouvons tous nous entendre sur ce point.
Aujourd'hui encore, de nombreux élus nous disent qu'ils veulent ouvrir un centre, mais qu'on les en empêche. Or le problème, ce n'est pas le centre, c'est l'approvisionnement en vaccins. J'ai vu qu'un centre réalise 32 vaccinations par jour. C'est très bien, mais faut-il mobiliser des soignants, du personnel de mairie, des bâtiments pour seulement 32 vaccinations par jour ? Peut-être est-il préférable de regrouper certains centres pour gagner en efficacité ?
Hier et avant-hier, nous avons réalisé plus de 100 000 vaccinations par jour - 108 000 hier, pour être précis - soit, au quotidien, le double de l'Allemagne par exemple. J'avais annoncé au début du mois de janvier qu'il ne fallait pas s'affoler, que le rythme de vaccination en France allait s'accélérer et que nous rattraperions notre retard, si tant est qu'on puisse parler de retard, car quatre jours de décalage dans une campagne de vaccination sont sans conséquence en santé publique. J'avais annoncé que notre objectif était d'atteindre 1 million de vaccinations à la fin du mois de janvier, nous serons très au-delà, mais en flux tendu.
Les seules doses que les centres conservent sont celles qui sont indispensables pour assurer le rappel vaccinal des personnes qui ont été primo-vaccinées. Je ne garde dans le stock national que 8 000 doses sur les 2 millions. Tout le reste est déployé dans les centres sur l'ensemble du territoire. Chaque département, ainsi que les territoires ultramarins, compte au moins un centre de stockage.
Nous avons fait le choix d'une politique déconcentrée et un peu décentralisée. Nous aurions pu faire le choix d'une politique hyper-concentrée : j'aurais pu décider du nombre de vaccins envoyés dans chaque centre et organiser les plannings pour trente ou quarante centres dans le pays. Nous aurions pu choisir une politique totalement décentralisée et donner les vaccins à une collectivité, qui aurait ensuite été libre de s'organiser, mais nous avons fait le choix d'une politique déconcentrée, reposant sur l'intervention des préfets, des agences régionales de santé (ARS) et des élus, réunis au sein de cellules de coordination territoriale, chargées de la répartition entre les centres. Nous nous appuyons également énormément sur les hôpitaux, que je remercie pour leur mobilisation.
Il sera intéressant d'avoir un retour d'expérience sur cette politique déconcentrée, même si j'ai déjà une petite idée sur la question. La responsabilité incombe toujours à l'État central, même quand les choses ont été organisées au sein des territoires ! C'est ainsi...
Je suis très confiant sur notre capacité à maintenir un bon rythme de vaccination. Je demande, et je suis intransigeant sur ce point, à tous les centres d'organiser la seconde vaccination, c'est-à-dire le rappel pour les primo-vaccinés. J'anticipe le fait que nous connaîtrons, comme l'Allemagne aujourd'hui, une diminution des primo-vaccinations à mesure que les rappels de vaccination augmenteront, car ils consommeront des doses.
Enfin, nous ciblons la vaccination de 15 millions de personnes d'ici à l'été, ce qui inclut une grosse partie de la population à risque de forme grave, mais pas tous les malades chroniques, les personnes âgées de 60 ans et plus, auquel cas il faudrait avoir vacciné entre 25 et 30 millions de personnes. Avec la meilleure organisation du monde, et même si tous les approvisionnements nous parvenaient en temps et en heure, nous ne pourrons pas vacciner tous les publics fragiles d'ici à l'été. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous demandons la poursuite des mesures de protection sanitaire jusqu'à l'automne. C'est mathématiquement défendable, me semble-t-il.
J'espère avoir répondu à toutes vos questions, mais je suis à votre disposition si vous souhaitez m'en poser d'autres. Une réunion de commission se prête mieux à cet exercice que l'hémicycle.