Monsieur le ministre, nous avons souhaité vous entendre sur le projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et reportant la date de caducité des régimes institués pour faire face à la crise sanitaire, qui sera examiné mardi prochain en commission, et le lendemain en séance publique. Je vous propose de vous laisser commencer par un exposé liminaire, avant de donner à la parole au rapporteur, Philippe Bas.
Les mesures de police sanitaire prises depuis plusieurs mois ont permis de limiter la propagation du virus et d'éviter la saturation de nos services de réanimation. Toutefois, l'épidémie circule toujours activement en France, comme d'ailleurs en Europe et dans une large partie du monde.
Avec plus de 18 000 cas par jour en moyenne, on peut parler de plateau légèrement ascendant, mais l'épidémie tend potentiellement à s'accélérer de nouveau avec l'apparition des fameux variants, contre lesquels une véritable course contre la montre est engagée. Le risque d'une reprise épidémique est réel, en dépit des mesures prises pour limiter l'importation de ces variants sur notre sol.
Depuis le début de l'année 2020, l'épidémie a déjà causé plus de 71 000 décès dans notre pays. Ces derniers jours, on comptait encore plus de 25 000 patients hospitalisés et près de 2 800 en réanimation.
L'état d'urgence sanitaire est déclaré depuis le 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire national. À la demande du Gouvernement, il avait été prorogé par le Parlement jusqu'au 16 février 2021.
Le Gouvernement a ainsi pu prendre, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, les mesures nécessaires et proportionnées à la catastrophe sanitaire, en limitant notamment les déplacements des personnes hors de leur domicile, les rassemblements sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ainsi que l'accès à certains établissements.
Aujourd'hui, les indicateurs épidémiologiques nous amènent à demander au législateur une prorogation de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er juin 2021. Tel est le sens de l'article 2 du projet de loi.
L'article 1er vise pour sa part à reporter au 31 décembre 2021 la caducité du régime juridique de l'état d'urgence sanitaire, initialement fixée au 1er avril 2021 par l'article 7 de la loi du 23 mars 2020.
Le projet de loi adopté en conseil des ministres le 21 décembre dernier visait à pérenniser dans le code de la santé publique les outils pouvant être actionnés en cas de crise sanitaire. Ce texte a finalement été retiré de l'ordre du jour ; il sera examiné par le Parlement une fois la crise derrière nous. Il n'est cependant pas possible aujourd'hui de nous priver à partir du 1er avril d'un cadre juridique dédié à la gestion des phases les plus critiques de la crise sanitaire. J'ai entendu à l'Assemblée nationale les critiques sur la longueur des délais prévus par ce projet de loi, et je comprends le souhait du Parlement d'avoir des clauses de revoyure plus fréquentes.
L'article 3 du texte, qui prévoyait initialement une prorogation jusqu'au 30 septembre du régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, a été supprimé en commission à l'Assemblée nationale, ce que nous avons accepté.
Disons toutefois les choses franchement : si la crise sanitaire devait durer, ce qui est une possibilité non négligeable, je jugerais légitime de me représenter devant les deux chambres avant l'été pour faire un point de situation et vérifier que les outils et pouvoirs dont nous disposons sont proportionnés à la situation sanitaire.
L'article 4 du texte prolonge jusqu'au 31 décembre 2021 la possibilité de recourir aux outils numériques Contact Covid et SI-DEP - système d'information de dépistage populationnel -, absolument indispensables pour déployer notre stratégie « tester, alerter, protéger ».
Enfin, l'article 5 étend aux outre-mer les dispositions qui le nécessitent.
Monsieur le ministre, vos propos vont dans le sens de l'apaisement de nos relations.
Nous avons toujours été extrêmement attentifs à ce que les restrictions nécessaires à l'exercice d'un certain nombre de libertés fondamentales pour lutter contre cette crise sanitaire soient assorties d'un contrôle régulier et approfondi du Parlement. Nous pensons que l'enchaînement de mesures prises au titre du régime de l'état d'urgence sanitaire et du régime de sortie de celui-ci ne devrait pas se faire sans un vote du Parlement. Par conséquent, nous apprécions que vous ayez accepté la suppression de l'article 3 à l'Assemblée nationale, qui permettait de continuer à prendre après le mois de juin des mesures qui, certes, ne sont ni le confinement ni le couvre-feu généralisé, mais qui sont tout de même des mesures fortement restrictives des libertés. Nous considérons que de telles mesures, quand elles sont dûment justifiées et proportionnées aux exigences du traitement de la crise sanitaire, ne doivent pouvoir être prises qu'après un vote du Parlement.
Le Sénat a accepté en mars, en mai, en juillet et en novembre derniers d'accorder au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels face à la crise. Notre accord pour mettre en oeuvre des restrictions aux libertés suppose toutefois que celles-ci soient temporaires, que le Parlement soit appelé à voter régulièrement et, bien sûr, que les juges constitutionnel et administratif s'assurent de la proportionnalité de telles mesures.
Une course contre la montre est engagée. Pour apprécier la durée pendant laquelle nous sommes prêts à autoriser le Gouvernement à user de ces pouvoirs exceptionnels, nous avons donc besoin d'en savoir un peu plus sur le développement de la campagne de vaccination. Dans mon esprit, plus vite on aura vacciné les Français, moins longtemps on aura besoin de restreindre leur liberté.
Nous sommes donc très sensibles aux difficultés qui sont apparues dès le lancement de la campagne de vaccination. Depuis, le Gouvernement a tenu compte des premiers retours d'expérience, mais des difficultés persistent. L'accès au vaccin, y compris pour les populations cibles, ne se fait pas dans des conditions optimales. Pour atteindre vos objectifs, ne vous faudrait-il pas davantage tenir compte des offres de service qui vous sont faites par beaucoup de collectivités, de médecins et d'infirmiers ?
Nous craignons que le rationnement du vaccin, les difficultés d'accès et autres rendez-vous décommandés n'entravent le développement de la vaccination et vous forcent, dans quelques semaines ou quelques mois, à nous demander d'autoriser de nouvelles restrictions aux libertés.
Ce point me semble essentiel, et je tiendrai compte de vos réponses dans les propositions de délais que je ferai à mes collègues.
La première cible de la stratégie vaccinale représente environ 8 millions de personnes - résidents dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), personnes très vulnérables, personnes âgées de plus de 75 ans et professionnels de santé. Lorsque vous devez ainsi vacciner plusieurs millions de personnes, vous n'avez que deux façons de faire, me semble-t-il.
La première méthode consiste à attendre d'avoir tous les vaccins à disposition - en l'occurrence 16 millions de doses en comptant le rappel - et à organiser ensuite une campagne éclair de vaccination, ce que l'on sait faire - pour la grippe, on est capable de vacciner 1 million de personnes par jour.
La seconder méthode consiste à vacciner à flux tendu, en utilisant les vaccins au fur et à mesure de leur livraison. C'est le choix que nous avons fait, et aussi celui de tous les pays européens. Mais cela impose bien évidemment de coordonner le rythme de livraison des vaccins avec le rythme de vaccination.
Nous avons donc 8 millions de personnes à vacciner, nous disposons pour l'instant de 2 millions de doses, nous en recevons 500 000 supplémentaires par semaine, et bientôt 1 million.
Comme la Belgique ou les Pays-Bas, mais à la différence de l'Allemagne, nous avons choisi de diviser en deux ce public prioritaire, en commençant par le million de résidents en Ehpad, jugés ultra-prioritaires.
On nous reproche de ne pas avoir commencé à recueillir le consentement des résidents avant l'arrivée des premiers vaccins. Nous y avons pensé, bien entendu, mais il était impossible de le faire pour un vaccin qui n'était pas encore validé par l'Agence européenne des médicaments (EMA), et sur lequel toutes les données scientifiques n'étaient pas encore disponibles.
La période des congés de fin d'année a pu retarder le recueil des consentements, et il faut aussi intégrer la contrainte forte du transport des vaccins, qui ne doit pas excéder douze heures pour ne pas sacrifier un brin d'ARN messager.
La campagne de vaccination en Ehpad est désormais bien lancée : 160 000 personnes seront vaccinées cette semaine, 150 000 la semaine prochaine. Nous avons par ailleurs décidé d'accélérer le début de la vaccination des soignants de plus de 50 ans et des personnes de plus de 75 ans. L'organisation en flux tendu se traduit inévitablement par des phénomènes de stop-and-go.
J'avais parlé de 300 centres de vaccination à l'échelle du pays fin janvier, et de 600 centres à terme. Or ce sont presque 1 000 centres qui ont été accrédités. On ne peut que saluer l'allant des élus locaux. J'avais exigé 6 centres de vaccination en moyenne par département ; certains en comptent 33 ! Mais ce n'est pas parce qu'on ouvrira plus de centres qu'il y aura plus de vaccins. Le redispatching dans une multitude de centres des vaccins qui avaient été provisionnés pour six centres par département peut entraîner un mécanisme de hoquet. Au total, trente départements ont procédé à du surbooking et se sont retrouvés avec un peu plus de créneaux qu'ils n'avaient de doses. Le problème a été résolu pour une quinzaine d'entre eux. Nous allons demander aux quinze autres de maintenir leurs créneaux ouverts. Dans les cas critiques, je pense à la région des Hauts-de-France, nous demandons aux centres de différer d'une à deux semaines les vaccinations, mais de n'annuler aucun rendez-vous, et d'utiliser en flux tendu, par anticipation, les doses qui auraient dû servir à la primo-vaccination en février.
Pour résumer, les centres qui ont fait preuve d'un grand enthousiasme et qui vaccinent beaucoup plus que prévu en janvier ne feront que des rappels de vaccination en février. Nous ne ferons donc quasiment plus de primo-vaccinations en février puisque l'augmentation des livraisons n'est pas linéaire ; elle se fait par paliers.
Dois-je demander aux préfets de fermer des centres dans les départements qui comptent plus de six centres ou dix centres au maximum ? Ou doit-on maintenir des centres qui ont l'avantage d'offrir de la proximité aux populations ? Dès le début, j'ai fait le choix de la proximité, car je ne voulais pas que, comme en Allemagne, nous n'ayons que cinquante centres et que l'on soit obligé de faire une heure et demie de voiture et trois heures de queue devant un grand gymnase pour être vacciné, en plein hiver, à l'âge de 85 ans. Nous pouvons tous nous entendre sur ce point.
Aujourd'hui encore, de nombreux élus nous disent qu'ils veulent ouvrir un centre, mais qu'on les en empêche. Or le problème, ce n'est pas le centre, c'est l'approvisionnement en vaccins. J'ai vu qu'un centre réalise 32 vaccinations par jour. C'est très bien, mais faut-il mobiliser des soignants, du personnel de mairie, des bâtiments pour seulement 32 vaccinations par jour ? Peut-être est-il préférable de regrouper certains centres pour gagner en efficacité ?
Hier et avant-hier, nous avons réalisé plus de 100 000 vaccinations par jour - 108 000 hier, pour être précis - soit, au quotidien, le double de l'Allemagne par exemple. J'avais annoncé au début du mois de janvier qu'il ne fallait pas s'affoler, que le rythme de vaccination en France allait s'accélérer et que nous rattraperions notre retard, si tant est qu'on puisse parler de retard, car quatre jours de décalage dans une campagne de vaccination sont sans conséquence en santé publique. J'avais annoncé que notre objectif était d'atteindre 1 million de vaccinations à la fin du mois de janvier, nous serons très au-delà, mais en flux tendu.
Les seules doses que les centres conservent sont celles qui sont indispensables pour assurer le rappel vaccinal des personnes qui ont été primo-vaccinées. Je ne garde dans le stock national que 8 000 doses sur les 2 millions. Tout le reste est déployé dans les centres sur l'ensemble du territoire. Chaque département, ainsi que les territoires ultramarins, compte au moins un centre de stockage.
Nous avons fait le choix d'une politique déconcentrée et un peu décentralisée. Nous aurions pu faire le choix d'une politique hyper-concentrée : j'aurais pu décider du nombre de vaccins envoyés dans chaque centre et organiser les plannings pour trente ou quarante centres dans le pays. Nous aurions pu choisir une politique totalement décentralisée et donner les vaccins à une collectivité, qui aurait ensuite été libre de s'organiser, mais nous avons fait le choix d'une politique déconcentrée, reposant sur l'intervention des préfets, des agences régionales de santé (ARS) et des élus, réunis au sein de cellules de coordination territoriale, chargées de la répartition entre les centres. Nous nous appuyons également énormément sur les hôpitaux, que je remercie pour leur mobilisation.
Il sera intéressant d'avoir un retour d'expérience sur cette politique déconcentrée, même si j'ai déjà une petite idée sur la question. La responsabilité incombe toujours à l'État central, même quand les choses ont été organisées au sein des territoires ! C'est ainsi...
Je suis très confiant sur notre capacité à maintenir un bon rythme de vaccination. Je demande, et je suis intransigeant sur ce point, à tous les centres d'organiser la seconde vaccination, c'est-à-dire le rappel pour les primo-vaccinés. J'anticipe le fait que nous connaîtrons, comme l'Allemagne aujourd'hui, une diminution des primo-vaccinations à mesure que les rappels de vaccination augmenteront, car ils consommeront des doses.
Enfin, nous ciblons la vaccination de 15 millions de personnes d'ici à l'été, ce qui inclut une grosse partie de la population à risque de forme grave, mais pas tous les malades chroniques, les personnes âgées de 60 ans et plus, auquel cas il faudrait avoir vacciné entre 25 et 30 millions de personnes. Avec la meilleure organisation du monde, et même si tous les approvisionnements nous parvenaient en temps et en heure, nous ne pourrons pas vacciner tous les publics fragiles d'ici à l'été. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous demandons la poursuite des mesures de protection sanitaire jusqu'à l'automne. C'est mathématiquement défendable, me semble-t-il.
J'espère avoir répondu à toutes vos questions, mais je suis à votre disposition si vous souhaitez m'en poser d'autres. Une réunion de commission se prête mieux à cet exercice que l'hémicycle.
Dans quelle mesure est-il possible d'augmenter la production et la fourniture de vaccins ?
J'aimerais que nous disposions d'autant de vaccins que prévu, mais cela dépendra de plusieurs paramètres : la capacité des laboratoires à honorer leurs commandes - on assiste déjà à un ralentissement des approvisionnements par rapport à ce qui était prévu de la part d'un grand laboratoire, qui affecte la France, l'Europe, le Québec - et la validation d'autres vaccins par l'Agence européenne des médicaments (EMA) ainsi que les indications pour lesquelles ils seront prescrits.
La marge d'incertitude est importante. Imaginons que, dans deux ou trois semaines, l'EMA nous dise que le vaccin d'AstraZeneca est utilisable chez les personnes âgées : ce serait le bonheur total ! Des millions de doses nous arriveraient chaque mois. Ce vaccin se conserve de manière classique, il est donc injectable en pharmacie ou chez le médecin. En revanche, si elle considère que, parce que l'étude n'inclut pas un nombre suffisant de personnes âgées, on ne peut pas utiliser ce vaccin pour cette catégorie de la population, je devrais ouvrir un nouveau circuit parallèle au circuit actuel, ciblant un autre public. J'anticipe déjà les polémiques ! Tous ces paramètres auront forcément un impact très important sur notre capacité à protéger les publics vulnérables et dans les délais.
Les commandes ont été passées par la Commission européenne - cette campagne vaccinale est une aventure européenne - des mois avant que les vaccins ne soient validés. L'Europe a fait le pari fou, que l'on aurait pu nous reprocher si les vaccins n'avaient pas abouti, de commander des centaines de millions de vaccins auprès de laboratoires qui nous disaient que leurs recherches étaient avancées, mais sur lesquels nous ne disposions pas des données nécessaires. Évidemment, un travail très sérieux a été fait avec les scientifiques, à la fois de la Commission européenne et des laboratoires, afin de déterminer quels vaccins avaient une chance d'aboutir. Pour l'instant, c'est carton plein ! Tant mieux, mais quel pari d'avoir anticipé il y a six mois l'achat de vaccins qui n'étaient ni produits ni validés ! L'Europe peut donc se targuer d'avoir bien fonctionné, ce qui n'a pas toujours été le cas en temps de crise sanitaire. Cela nous permet de couvrir largement tous les besoins de la population européenne à l'horizon de quelques mois.
Nous déployons les capacités industrielles françaises et européennes pour renforcer la production de vaccins. Trois entreprises pharmaceutiques en France vont produire des vaccins : Fareva va assurer le fill and finish du vaccin de CureVac, Recipharm produira du Moderna et Delpharm du BioNTech/Pfizer. Nous travaillons également avec une grande industrie dont le siège social est en France, Sanofi, afin qu'elle puisse nous aider à produire davantage de vaccins pour l'Europe, tout en poursuivant ses recherches sur son propre vaccin, mais cela prendra du temps. Il faut au moins deux ou trois mois avant qu'une usine de fabrication de produits pharmaceutiques puisse faire du fill and finish pour le compte d'un laboratoire. Le démarrage est aujourd'hui imminent, ce qui renforcera nos capacités d'approvisionnement.
Les laboratoires ont développé un vaccin en moins d'un an, et heureusement qu'ils ont commencé à en fabriquer en masse avant d'obtenir leur validation, mais le temps de production est, lui, incompressible. Ils produisent aujourd'hui 1 milliard et demi de vaccins par mois, et plus le temps passe, plus leurs capacités de production sont importantes. Nous sommes dans la phase initiale d'une campagne vaccinale qui va prendre de l'ampleur. Si vous regardez bien les chiffres que nous avons publiés de façon transparente sur les arrivages de vaccins, vous verrez que nous recevrons d'ici à quelques mois des millions de doses, ce qui nous permettra d'augmenter le rythme de vaccination, mais tout cela prendra du temps. J'ai dit aux Français, lorsque je les ai invités à prendre rendez-vous pour se faire vacciner, que tout le monde ne serait pas vacciné en février, ni même peut-être en mars.
Nous commençons à vacciner, en flux tendu et, chaque fois que quelqu'un est vacciné, lui est protégé contre les formes graves de la maladie et nous gagnons du terrain sur le virus.
On peut se satisfaire que le Gouvernement n'ait pas mis en place de mesures d'isolement absolu et surveillé pour les personnes atteintes de la covid, comme dans certains autres pays européens, de telles mesures donnant lieu à des stratégies d'évitement et conduisant à un développement plus important de l'épidémie qu'en France. Cette position pourrait-elle évoluer avec l'apparition des variants ? Pensez-vous que nous sommes en mesure de bien identifier l'apparition de nouveaux variants ?
Un certain nombre de pays envisagent d'instaurer très vite un passeport vaccinal. Le Gouvernement pourra-t-il résister ? Comment abordez-vous les négociations européennes à cet égard ? Pensez-vous que des quarantaines seront mises en oeuvre pour ceux qui franchissent les frontières intra-européennes ? Dans ce cas, comment gérera-t-on les frontaliers ? Les frontières européennes sont-elles pertinentes pour surveiller les variants ?
On va nous demander la semaine prochaine de prolonger une nouvelle fois l'état d'urgence sanitaire, en raison de la situation vaccinale. J'espère que la campagne vaccinale sera une réussite et qu'elle nous permettra de reprendre une vie en tous points normale. J'ai entendu ce que vous nous avez dit hier à l'Assemblée nationale sur la suppression de l'article 3. Or, nous l'avons déjà dit : ce n'est pas un handicap de travailler avec le Parlement. Le temps sera long jusqu'au 1er juin, car nous n'aurons pas de retour pendant près de quatre mois. Associer le Parlement, ce n'est pas simplement venir lui présenter la situation ; associer les élus locaux, ce n'est pas simplement non plus les informer. Associer signifie « faire avec ».
Je ne sais pas s'il y a des vaccins cachés - je ne souhaite pas attiser les craintes à cet égard - mais une chose est sûre, c'est que nous manquons de vaccins. Même si un nouveau vaccin devait être réservé à une autre partie de la population, à une classe d'âge plus productive, ce ne serait pas incompatible avec la poursuite de la vaccination des plus âgés, car l'urgence dans notre pays est aussi d'éviter la crise économique et sociale qui menace à l'issue de cette crise sanitaire.
Je tiens à attirer votre attention sur l'épuisement moral de la population de ce pays : il y a de l'impatience, de l'inquiétude, de la frustration, et même de la colère. Nous avons compris qu'il n'y avait pas assez de vaccins, mais alors qu'il y a un risque non négligeable que la crise dure assez longtemps, il nous faut une ligne d'horizon, en attendant que tous ceux qui en ont besoin puissent être vaccinés.
Ma question porte sur l'application TousAntiCovid : cet outil a-t-il encore la moindre utilité ? Fonctionne-t-il, sachant qu'un centre médical a détecté 155 personnes porteuses du virus sans que jamais l'application ne passe du vert au rouge ?
Si j'ai bien compris, nous allons passer en février ou en mars d'un million environ à deux millions de vaccins supplémentaires par semaine, ce qui nous donne une chance d'atteindre l'objectif de vacciner 15 millions de personnes d'ici à la fin du printemps. Ne serait-il pas utile de diffuser ces chiffres dans le débat public ?
Disposer en moins d'un an de trois vaccins validés et efficaces à 80 % contre un virus totalement nouveau est un fait historique, que personne ne prévoyait il y a encore six mois. C'est un exploit de la part des scientifiques et des industriels, qui bénéficie à l'ensemble de l'humanité.
Notre tâche est de fixer le régime juridique de l'état d'urgence. Pour cela, nous avons besoin d'estimer l'impact de la vaccination sur la circulation du virus. Nous allons bientôt arriver à une proportion de la population vaccinée qui atteindra quelques points de pourcentage. Dans cinq ou six mois, nous devrions avoir vacciné un quart de la population. Ce taux affectera-t-il substantiellement la circulation du virus ? Ce que j'ai retenu de ce que nous ont dit les scientifiques est que l'on n'en sait rien pour le moment, mais que les premières indications tendent à montrer que la diffusion du vaccin ne freine pas substantiellement la circulation du virus. Les responsables politiques que nous sommes fixent, au nom des citoyens, des règles de limitation de toutes les interactions et de toutes les activités susceptibles de favoriser la circulation du virus ; à la différence de Philippe Bas, je ne suis pas sûr, et je crois que nous ne pouvons pas tenir pour acquis, qu'une proportion de 5 ou 10 % de la population vaccinée réduise en quoi que ce soit la circulation du virus. Qu'en dites-vous ?
L'isolement contraint n'est pas à l'ordre du jour. Nous avons consulté l'ensemble des présidents de groupe des deux assemblées parlementaires et nous avons vu qu'à une exception près, l'ensemble de la classe politique était opposée à l'instauration d'un isolement contraint dans le droit commun extraordinaire qu'est l'état d'urgence sanitaire. Nous n'avons donc pas poussé les choses plus loin, et ce type de disposition n'est pas sur la table. Il peut y avoir des arrêtés préfectoraux de placement à l'isolement, pour des personnes qui, individuellement, ne respectent pas le confinement et mettent en danger la santé de la population. On l'observe notamment pour certaines personnes qui ont contracté un variant à l'étranger et qui ont fait état de leur décision de ne pas respecter l'isolement.
Il est beaucoup trop tôt pour poser la question du passeport vaccinal. Il est normal de vouloir anticiper et de se projeter dans l'avenir, mais nous ne savons pas encore si le vaccin, en plus de préserver des formes graves, fait chuter la contagiosité du virus et préserve des formes bénignes potentiellement contaminantes. Nous avons cependant des raisons d'espérer. D'ailleurs, de façon générale, on a le droit et même le devoir d'espérer, mais sans nous désarmer - et c'est exactement ce qui nous réunit aujourd'hui. Moderna a fait état - et Pfizer dira vraisemblablement la même chose - de données qui montreraient une réduction de la contamination. Et mon homologue israélien, avec lequel j'ai tenu il y a deux jours une visioconférence, m'a donné de précieuses informations : Israël a déjà atteint un taux de couverture vaccinale important, grâce à un accord avec Pfizer, selon lequel ce pays échange ses données contre un surplus de vaccins. Il commence à constater une réduction de la contamination - pas à 100 %, certes, mais c'est une très bonne nouvelle. Ce serait du reste conforme à l'histoire de la vaccination et à ce que l'on sait de l'impact des vaccins depuis qu'ils existent.
Pour l'heure, il serait très prématuré de permettre l'accès à des musées ou à des voyages à des personnes vaccinées, surtout quand on vaccine des personnes âgées en Ehpad... Nous en reparlerons si notre taux de couverture vaccinale devient élevé. Je sais que le taux d'adhésion de la population à la vaccination sera beaucoup plus fort que ce que l'on pouvait imaginer. Cela ne m'étonne pas, car je crois au bon sens français. Pour l'heure, en tout cas, parler de passeport vaccinal revient à faire du roman d'anticipation.
Je sais, et pas seulement des pays européens. Ils demandent, puisqu'ils ont atteint un bon taux de couverture vaccinale, que nous laissions entrer leurs ressortissants sans test PCR. La réponse est non : nous ne nous désarmons pas. Le Conseil européen, aujourd'hui, portera notamment sur les politiques de tests, et abordera la question des frontières au sein de l'espace Schengen, mais aussi à l'extérieur. Nous verrons ce qui en ressortira.
Pour l'identification des variants en France, nous déployons beaucoup de moyens afin d'augmenter nos capacités de séquençage génomique. La Grande-Bretagne dispose de bonnes capacités de séquençage, et c'est heureux. Nous sommes loin d'être les derniers de l'Europe en matière d'équipement. Cela fait trente ans que cet équipement se met en place progressivement, mais nous ne sommes pas moins dotés que nos voisins allemands, par exemple. Toujours est-il qu'il nous faut amplifier nos capacités de séquençage génétique. Par ailleurs, nous travaillons d'arrache-pied avec les autorités de santé pour valider des kits PCR permettant d'identifier les variants sans avoir besoin de recourir au séquençage génétique. Nous déploierons ces kits dans les plateformes de laboratoires privés et publics, en privilégiant le territoire ultramarin, qu'il faut absolument protéger de l'arrivée des variants, et les régions dans lesquelles la dynamique épidémique est la plus forte - Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et, en partie, Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Nous traquons ces variants. J'étais avant-hier en déplacement à l'ARS d'Île-de-France. Vous n'imaginez pas les moyens humains et technologiques qui sont mis en place à cet effet. J'ai visité une salle dans laquelle cinq personnes travaillent avec, sur les murs, les plans des cabines des différents types d'avions, Airbus ou Boeing, avec les notices de leurs systèmes de ventilation. Ces personnes épluchent les documents que remplissent les passagers sur les vols internationaux et, quand il y a une suspicion de présence du variant, ils appellent le passager concerné pour qu'il reste chez lui et contactent toutes les personnes qui, selon le plan de la cabine et la nature de la ventilation, ont pu être exposées à un risque de transmission du variant. C'est très impressionnant à voir. Ils font également du traçage rétrospectif, à la japonaise, pour identifier les personnes qui ont pu contaminer chaque cas positif identifié.
Le variant d'origine sud-africaine m'inquiète spécialement, même si on le trouve moins, à ce stade, que le variant anglais. Sur ce dernier, tous les laboratoires sont mobilisés pour nous donner des indicateurs de suivi et de croissance. Pour être clair, la propagation du variant d'origine anglaise sur le territoire français peut être un élément déterminant dans les stratégies de lutte contre l'épidémie dans les prochains jours et les prochaines semaines. Si la part de ce variant devait augmenter de façon sensible et que nous devions suivre une trajectoire à l'anglaise, le confinement deviendrait probablement une nécessité absolue. Nous le traquons, donc, avec les données qui nous proviennent au quotidien des laboratoires privés et publics, et c'est une véritable course contre la montre, car il s'agit d'un facteur déterminant pour les jours à venir.
Vous m'avez interrogé sur les campagnes vaccinales. Bien sûr, ce n'est pas une mauvaise nouvelle si l'on peut utiliser le vaccin chez d'autres publics que les personnes âgées. En termes de lisibilité, il sera certes difficile d'expliquer, si cette situation se présentait, qu'on commencera à vacciner des personnes de moins de 60 ans avant de vacciner des personnes de plus de 60 ans, alors même que les risques de formes graves sont plus importants pour ces dernières. Mais si le vaccin n'a pas toutes les garanties pour être utilisé chez les personnes de plus de 60 ans, on ne va pas l'utiliser de force sur eux. Nous mènerons donc des campagnes en parallèle, en veillant à leur lisibilité.
L'utilité de l'application TousAntiCovid n'est plus à démontrer : 12,5 millions d'utilisateurs, 56 000 notifications envoyées, 102 000 cas déclarés... Ce sont des dizaines de milliers de chaînes de contamination qui ont pu être évitées. L'application est fonctionnelle. Je l'ai sur mon téléphone - j'imagine que vous aussi - et l'on y a accès aux chiffres que je viens de vous donner.
Nous sommes déjà à un rythme d'un million de personnes vaccinées par mois. Nous aurons dépassé largement le million à la fin du mois. Bien sûr, il faudra tenir compte des rappels de vaccination : dès lors qu'on est en flux tendu et qu'on doit garder des doses pour faire des rappels vaccinaux, il y aura une période, en février, où l'on observera un creux dans la courbe des primo-vaccinations, alors qu'on aura reçu plus de vaccins. Déjà, l'Allemagne est tombée à 50 000 primo-vaccinations depuis deux jours, alors qu'elle était bien au-delà les jours précédents.
Vous évoquez les cas détectés par l'ARS dans les avions, et vous dites qu'on leur demande de s'isoler. Comment vous assurez-vous qu'ils le font ? Les pays qui ont réussi sont ceux qui ont obligé les personnes positives à s'isoler.
Si vous allez à Singapour, par exemple, un autobus vous attend à l'arrivée pour vous emmener dans un hôtel, et vous y restez quatorze jours ; si vous arrivez contaminé, vous allez directement à l'hôpital ; et si vous êtes cas contact, vous devez vous isoler et porter un bracelet électronique pour faciliter le contrôle.
Entre thèse et antithèse, je vais essayer de proposer une synthèse. En France, au tout début, dès qu'une personne était testée positive, elle était hospitalisée. Cela n'a pas empêché la première vague. Les pays qui, autour de nous, imposent l'isolement, sont parmi les pays qui subissent la troisième vague la plus violente et la plus meurtrière : au Royaume-Uni, par exemple, qui avait adopté des mesures contraignantes, le nombre de morts dépasse 1 500 chaque jour ; l'Espagne a été obligée de confiner, et un tableau que je regardais hier montrait que, sur trente-deux pays du continent européen, nous étions depuis plusieurs jours le dernier en termes de mortalité et de nombre de cas graves.
Certains pays, en Asie, ont mobilisé l'armée dans les rues. C'est un peu anxiogène... Et j'ai vu que la Chine construisait un centre pour pouvoir isoler plusieurs dizaines de milliers de personnes. Ce n'est pas le choix que nous faisons - ce n'est pas le choix que vos présidents de groupe ont fait, puisqu'ils nous ont demandé, quasi unanimement, de ne pas recourir à ce type de mesure. Tant mieux, car je ne suis pas convaincu qu'elles soient efficaces. Nous, nous avons fait le choix de la confiance et de l'accompagnement : plus de 94 % des gens qui sont positifs ou cas contacts reçoivent dans les vingt-quatre heures un premier appel de l'assurance maladie ou de l'ARS pour les informer qu'ils n'auront pas de rupture de droits. Nous sommes le seul pays où il n'y a même pas de jour de carence, et où vous pouvez vous enregistrer directement sur internet.
Nous renforçons le système « tester, alerter, protéger » en déployant des infirmières au domicile des personnes mises à l'isolement pour aller tester jusqu'à l'entourage familial de la personne positive, avec un accompagnement qui peut être quotidien, sur le plan tant sanitaire que social. Nous avons mis en place des possibilités d'accueil et d'hébergement dans des structures hôtelières pour les personnes qui ne peuvent pas être isolées dans de bonnes conditions chez elles.
L'accompagnement est très bien fait, et l'expérience nous permet de dire avec certitude que l'isolement contraint ne protège pas un pays d'une vague ; ce n'est pas la martingale.
Lors d'une audition tenue ce matin devant la commission des affaires européennes, M. Pierre Delsaux, directeur général adjoint de la santé et de la sécurité alimentaire à la Commission européenne, en réponse à une question sur la possibilité pour la Commission d'assurer une plus grande transparence et un meilleur contrôle démocratique sur les contrats passés avec les laboratoires pour les vaccins, a répondu, dans le langage diplomatique de Bruxelles que vous connaissez bien, qu'il n'y avait pas de problème de transparence au niveau européen, mais plutôt à l'échelle des États. Qu'en dites-vous ?
Une communication de la Commission européenne a été diffusée hier en préalable à la réunion de ce soir. Il y est question de la préparation de deux règlements qui semblent avoir pour objet de donner plus de pouvoir à la Commission européenne en matière de coordination des plans de santé, d'approvisionnement en médicaments et de plans de vaccination. Selon M. Delsaux, au-delà de l'approvisionnement, la vraie question est la transparence sur les plans de vaccination. Qu'en pensez-vous ? Quelle sera la position du Gouvernement sur ces questions ?
Sont accessibles à tout un chacun, en toute transparence, les critères de responsabilité des laboratoires qui produisent et vendent les vaccins ; les prix d'acquisition des vaccins par la Commission européenne ; les volumes acquis par la Commission européenne ; les délais et les rythmes de livraison de ces différents vaccins ; et l'ensemble des données scientifiques et médicales qui ont permis à l'EMA de valider et d'autoriser ces vaccins, en open data. Honnêtement, je ne sais pas ce qui manque !
Il manque bien quelque chose, et les personnes qui savent ce que c'est qu'un contrat public le comprennent parfaitement : quand il y a une mise en concurrence pour passer des contrats qui représentent, en l'occurrence, des dizaines de milliards d'euros, une partie des informations industrielles et commerciales fournies par chacun des candidats n'a pas à être rendue publique. Sinon, au prochain appel d'offres, cela fausserait la concurrence. Tous les responsables publics savent cela depuis des dizaines d'années, même si certains font semblant de continuer à s'étonner.
Vous avez raison. Mais du point de vue du citoyen, si je me demande ce que j'ai besoin de savoir pour être rassuré, outre les prix, les volumes, les délais, les rythmes, les données et les critères de responsabilité appliqués aux laboratoires, j'ai beau chercher, je ne vois pas ce qui est susceptible de m'intéresser.
L'Europe est une chance pour la santé. C'est même une opportunité formidable. Or l'Europe a trop longtemps mis la santé de côté, considérant que c'était l'affaire des États. Les inégalités en matière de santé sont beaucoup trop importantes en Europe. Nous partageons la même monnaie, mais pas la même espérance de vie ! Il ne s'agit certes pas d'uniformiser les systèmes de protection sociale. Historiquement, la France a le système le plus protecteur, et c'est tant mieux, mais il y a de nombreuses coopérations que nous pouvons mener ensemble à l'échelle européenne en matière de politique sanitaire ou en termes de recherche et développement. D'ailleurs, la crise actuelle l'a confirmé. On disait depuis des années qu'il fallait que nous retrouvions de l'autonomie en matière de production de médicaments, d'approvisionnement en matières premières et en matériels de protection... Nous devons nous réindustrialiser pour retrouver notre souveraineté en matière de médicaments. Nous ne pouvons pas être dépendants de trois États dans le monde, la Chine, l'Inde et le Pakistan.
Il faut une stratégie européenne marquée en la matière. La présidence française de l'Union européenne s'ouvrira dans quelques mois, et il y a matière à bâtir sur plusieurs années un plan stratégique de coopération européenne en santé. Nos objectifs sont ambitieux, car je crois profondément que ce sera beaucoup plus efficace pour la population.
Merci de votre intervention.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 50.