Intervention de Mikaa Mered

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 janvier 2021 à 9h35
Audition en commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur « l'arctique entre défi climatique et risques géopolitiques »

Mikaa Mered, enseignant en géopolitique des pôles à HEC et Sciences Po et responsable du comité Sécurité et Environnement de l'École de guerre :

Cette table ronde témoigne de l'intérêt porté par la représentation nationale à l'Arctique, au-delà des enjeux purement climatiques. Je voudrais vous proposer un exercice de prospective. L'Arctique est un territoire de compétition et de coopération, où il est impossible d'agir seul. Même la Chine n'y parvient pas. La crédibilité politique et opérationnelle de la France repose sur sa capacité de rassemblement dans la région arctique. L'Estonie, la Suisse, la République tchèque, Bruxelles le font. Il y a urgence, puisque les jeunes qui vont connaître l'Arctique libre de glace, en 2050 ou en 2100, sont nés.

La première carte que je vous présente montre les frontières de l'Arctique, qui sont fluctuantes suivant les disciplines scientifiques et les intérêts nationaux. Il n'y a pas de véritable consensus. La deuxième carte, produite par l'Institut chinois de géodésie, date de 2013. Elle est axée sur le troisième pôle, à savoir le massif de l'Himalaya et le plateau du Tibet, afin de souligner l'existence de trois cryosphères.

De fait, l'éléphant dans la pièce, comme on dit en anglais, est évidemment la Russie, qui n'a aucun intérêt à ne pas exploiter l'Arctique, d'où proviennent 80 % du gaz, 20 % du pétrole, 100 % des terres rares, 90 % du nickel, 60 % du cuivre russes... Ces territoires continueront donc à être exploités. De fait, plus de 200 entreprises françaises travaillent dans les pôles, notamment sur l'ingénierie extractive.

Ces ressources naturelles - énergie, minerai, hydrogène - impliquent des logistiques d'importation et d'exportation pour construire les infrastructures, puis exporter vers les zones de consommation d'Asie du Nord-Est, d'Europe et d'Amérique du Nord. La nouvelle logistique maritime en Arctique décrite par la quatrième carte est portée depuis longtemps par les Japonais, les Islandais et les Américains. Pour faire de l'Arctique une autoroute maritime dans les 20 à 40 prochaines années, il s'agit d'organiser le marché arctique avec d'un côté un Arctique bleu central, de plus en plus libre de glace, des routes maritimes, côté russe, beaucoup plus utilisées que côté canadien, mais surtout ce que les Chinois appellent désormais le passage arctique central, à travers les eaux internationales du pôle.

L'Arctique se compose ainsi de deux grandes zones : l'Arctique bleu, cette zone centrale de l'océan Arctique composée d'eaux internationales, et l'Arctique terrestre, sur lequel vivent 4 millions de personnes, avec un PIB d'environ 500 milliards de dollars annuel, qui suscite des compétitions, notamment militaires.

Dans l'Arctique terrestre, vont se développer des hubs de transbordement entre bateaux conventionnels et brise-glaces, et dans l'Arctique bleu des navettes brise-glaces - méthaniers, porte-conteneurs - entre l'Arctique atlantique et l'Arctique pacifique. La compétition est déjà ouverte pour capter ces futurs développements. On peut citer la Chine, le Japon, la Corée du Sud, mais également les acteurs français.

En France, il n'y a pas de consensus pour refuser d'exploiter l'Arctique, loin de là. L'Arctique comptera plus d'activités anthropiques au fur et à mesure du changement climatique, des intérêts économiques importants, des compétitions militaires croissantes. La carte illustre la situation actuelle de l'Arctique, avec les bases militaires russes, les ports maritimes en développement ou déjà en activité.

Dans cet écosystème, la Russie possède plusieurs avantages. Premièrement, sa proximité avec l'Asie du Nord-Est, consommateur et investisseur essentiel dans la région Arctique. Deuxièmement, il y a moins de glaces maritimes et côtières côté russe que côté canadien. Troisièmement, la Russie tire également les bénéfices de plusieurs siècles d'investissements économiques, scientifiques et politiques.

Le quatrième avantage de la Russie est son accès, par l'Arctique, à l'océan mondial.

Pour conclure, je vous propose de bien faire la distinction entre les différents Arctique que nous avons essayé de vous présenter. La première distinction est celle de l'Arctique terrestre et de l'Arctique maritime. La deuxième concerne les pays du cercle polaire et les pays non arctiques, et leurs investissements, qui s'exercent plus, aujourd'hui, dans la partie russe de l'Arctique que dans sa partie américaine.

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