Je suis heureux de vous retrouver avec nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour une table ronde consacrée à l'Arctique. Cette région polaire se trouve au coeur des préoccupations de nos deux commissions : à l'avant-poste du réchauffement climatique et de ses conséquences inquiétantes pour l'état de santé de notre planète, l'Arctique est simultanément devenu, depuis quelques années, un enjeu de puissance économique et stratégique pour un certain nombre d'États comme les États-Unis, la Russie ou la Chine. D'où cette initiative commune, donc je me réjouis, qui nous offrira une approche croisée et riche sur ce sujet complexe.
Nous le savons, l'année 2021 sera cruciale pour le climat et pour notre capacité à relever les défis que nous avons unanimement salués dans le cadre de l'accord de Paris en 2015. Une limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré, une neutralité carbone à l'horizon 2050, des stratégies de long terme ambitieuses pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) : ces objectifs demandent encore d'importants efforts, car cinq ans après la COP 21, nous ne sommes toujours pas sur la bonne trajectoire. L'année 2020 devait porter le relèvement des ambitions climatiques de la France, mais le contexte sanitaire a repoussé cette échéance majeure à la COP 26 qui se tiendra normalement en novembre 2021 à Glasgow.
Si la crise sanitaire que nous traversons est éprouvante, difficile pour beaucoup d'entre nous et sans précédent, la crise climatique qui se trouve devant nous est sans commune mesure, comme l'a rappelé, lors du sommet de décembre, le secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, qui a exhorté le monde à « arrêter de faire la guerre à la planète » et à « déclarer l'état d'urgence climatique ».
Selon de nombreux chercheurs, l'Arctique fait figure de région sentinelle en matière de lutte contre le changement climatique. Elle se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. La persistance sur de nombreux mois, depuis l'hiver dernier, de températures très au-dessus des moyennes de saison inquiète particulièrement.
Notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui suit de près ces sujets, avait envoyé une délégation au Svalbard à l'été 2016, afin d'aller, quelques mois après l'accord de Paris, au plus près des conséquences du réchauffement climatique.
Ce déplacement avait mis en évidence les conséquences du réchauffement climatique dans la région - fonte de la banquise, fonte du pergélisol, libération de GES comme le carbone et le méthane - autant de facteurs qui créent une boucle de rétroactions positives accélérant le réchauffement, également appelée « processus d'amplification ». Certains se souviennent probablement des fameuses « courbes en crocodile » que Kim Holmen, le directeur scientifique de l'Institut polaire norvégien au Svalbard, avait commentées : elles mettaient en évidence la différence entre ce que l'on mesure et ce que l'on devrait mesurer sans l'ajout de CO2 dans l'atmosphère du fait de la disparition du phénomène d'effet miroir de la neige. Selon certains experts, la banquise en Arctique pourrait même totalement disparaître en été dès 2030.
Pour débattre de ces questions, mais aussi des enjeux stratégiques de la région, je remercie nos invités : M. Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes, avec nous par visioconférence, Mme Heïdi Sevestre, glaciologue, directrice de la communication scientifique à l'International Cryosphere Climate Initiative (ICCI), et M. Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles arctique et antarctique à l'Institut libre d'étude des relations internationales (Ileri) et qui a récemment contribué à un documentaire passionnant intitulé « Arctique : la guerre du pôle », diffusé sur France 5.
Je remercie le président Jean-François Longeot, à l'initiative de ce débat particulièrement pertinent. En effet, l'Arctique illustre parfaitement le glissement du dérèglement climatique vers le dérèglement géopolitique.
Notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été parmi les premières à mettre en évidence les conséquences géopolitiques du changement climatique dans un rapport de 2015, présenté notamment par notre collègue Cédric Perrin, qui avait souligné les enjeux et les risques que comportait le dérèglement climatique.
L'idée d'un lien de cause à effet direct entre changement climatique et risque géopolitique n'a pas toujours été admise comme une évidence. On a d'abord perçu le changement climatique comme un facteur aggravant, plutôt que comme un risque en soi.
La revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 évoque le sujet, certes rapidement, en mentionnant l'Arctique comme pouvant « constituer, un jour, un espace de confrontation ».
Les conséquences du changement climatique en termes d'instabilité et de conflictualité sont de plus en plus manifestes. En Arctique, la fonte des glaces entraîne une course pour l'appropriation des ressources naturelles. L'ouverture de nouvelles voies maritimes attise les tensions. La Russie réinvestit économiquement et militairement ses territoires arctiques, tandis que la Chine s'identifie quelque peu abusivement comme un État du « proche-Arctique ». Quant aux États-Unis, ils se sont dit prêts, par la voix du président Trump, à acheter le Groenland !
Cette ruée vers l'or est-elle véritablement justifiée ? N'est-elle que le reflet d'un mouvement plus général, un symptôme du retour des États puissances sur une scène internationale de plus en plus multipolaire ? En d'autres termes, existe-t-il un risque de « dégel », non seulement de la banquise, mais aussi de conflits ou de tensions latentes, par exemple autour du Svalbard, territoire norvégien démilitarisé par un traité de 1920, ou en direction du pôle Nord, où les Russes ont planté leur drapeau sous les fonds marins dès 2007 pour matérialiser leurs revendications territoriales ?
La France dispose, depuis 2016, d'une feuille de route sur l'Arctique établie par Michel Rocard, qui qualifiait cette région de « deuxième Moyen-Orient ». Nos armées participent à la stratégie arctique française, notamment au travers des exercices de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) dans la région, par le développement d'une expertise de combat par grand froid ou par le déploiement d'activités navales et aériennes dans la zone. En septembre 2018, véritable exploit, le bâtiment de la marine nationale Rhône a, pour la première fois, emprunté le passage du nord-est de l'Arctique.
La France possède évidemment des intérêts en Arctique. Elle y défend d'abord la liberté de navigation - vous savez combien nous sommes attachés à la liberté de circulation dans les détroits et, d'une manière générale, dans le domaine maritime. Elle dispose d'une longue tradition historique d'exploration et de recherches scientifiques en milieu polaire. Mais elle n'est pas un pays arctique. Or, les États de la région, réunis au sein du Conseil de l'Arctique, n'ont aucunement l'intention de se laisser déposséder par l'introduction d'un quelconque statut international tel que celui qui régit l'Antarctique. Dès lors, quels sont nos moyens d'action et ceux de l'Union européenne ? M. Olivier Poivre d'Arvor, qui vient de prendre ses fonctions comme ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes, pourra certainement nous éclairer sur cette question.
Je vous remercie de m'auditionner un mois après ma prise de fonctions. J'ai eu l'occasion de lire le travail très conséquent que vous avez réalisé sur le sujet ces dernières années, au travers notamment de la question du Groenland et des préoccupations européennes ; vous êtes très en avance sur cette réflexion. Je vous apporterai quelques lumières frappées d'une expérience d'un mois, avec le sentiment d'une urgence.
Nous nous trouvons à un moment clé puisque, au mois de mai 2021, nous allons passer d'une présidence islandaise, assez peu accomplie en raison de la crise sanitaire, qui devait s'occuper de la protection de l'environnement marin, des peuples de l'Arctique, des synergies vertes et du fonctionnement du Conseil de l'Arctique, à une présidence russe, avec des conséquences importantes pour l'Union européenne qui n'a pas les meilleures relations sur le sujet de l'Arctique avec la Russie. Celle-ci a annoncé ses priorités : les populations de l'Arctique, l'environnement, le développement économique durable et une réflexion sur la coopération au sein du Conseil de l'Arctique.
L'Arctique représente un enjeu de civilisation ont estimé Mikhaïl Gorbatchev et Michel Rocard dès 1987-1988. On a constaté cet été le record de fonte estivale : nous sommes probablement, pour l'Antarctique et l'Arctique, dans des espaces post-polaires. Il faut se projeter à vingt ans et imaginer ces espaces avec une calotte glaciaire très réduite. Il s'agit peut-être d'une vaste opportunité d'un grand marché, non pas d'un Far West, mais d'un espace régi par des règles édictées par les cinq nations arctiques : la Russie, le Canada, le Danemark, la Norvège et les États-Unis.
Vous avez évoqué la feuille de route sur l'Arctique, présentée le 14 juin 2016 par Michel Rocard à qui j'ai l'honneur de succéder. Le grand défi de l'Arctique est climatique, puisque le réchauffement du climat global et son impact sur l'environnement arctique sont à l'origine des opportunités qui se font jour dans les hautes latitudes de l'hémisphère nord. À cet égard, la France ne doit pas oublier qu'elle est le pays du premier accord universel de l'histoire des négociations climatiques, selon les mots de l'ancien président de la COP 21, Laurent Fabius. Ce leadership lui confère un certain prestige, mais lui donne aussi une responsabilité. Il faut que nous l'exercions, notamment à notre modeste place d'observateur au sein du Conseil de l'Arctique et, plus généralement, devant la communauté internationale et comme membre de l'Union européenne dont nous prendrons la présidence début 2022.
Le changement climatique en Arctique ouvre certainement des opportunités économiques importantes, mais au prix d'un défi considérable en termes d'atténuation de la perte de la biodiversité, de risque accru de pollution marine ou d'altération des modes de vie des communautés autochtones. La banquise boréale vient récemment d'atteindre un nouveau record avec la deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée à la fin de l'été 2020.
Au plan climatique et environnemental, l'Arctique, dont la gouvernance revient aux cinq pays précités, n'en demeure pas moins un enjeu mondial. Michel Rocard estimait ainsi que l'action de la France dans l'Arctique constituait une contribution à la diplomatie mondiale.
En d'autres occasions, j'aurai l'occasion de m'exprimer sur le sujet de l'Antarctique, de la haute mer et des grands fonds marins. La France présidera la réunion consultative du traité de l'Antarctique en juin 2021 pour la première fois depuis trente ans. Les risques géopolitiques dans les espaces maritimes internationaux pourront alors être évoqués. Pour autant, il ne faut pas faire trop de politique-fiction à partir de scenarii catastrophistes. Certes, les États-Unis et la Russie ont remilitarisé certaines zones arctiques et l'ouverture de nouvelles opportunités commerciales va évidemment aiguiser l'appétence de nombreux acteurs pour l'exploitation des ressources naturelles et annonce une compétition accrue entre les États, y compris ceux qui ne sont pas des nations arctiques. Je pense notamment à la Chine, intéressée pas le passage par l'Arctique pour rejoindre l'Europe. Aussi, la ministre des armées, Florence Parly, a expliqué que la zone boréale constituait une région d'intérêt stratégique croissant et pourrait devenir à terme un espace de confrontation.
La diplomatie entre ici en jeu et la France peut agir. Le développement de nouvelles activités humaines - navigation commerciale, pêche, tourisme, extraction de matières naturelles - appelle la mise en place de nouveaux outils qui ne concernent pas uniquement les cinq États riverains de l'océan Arctique, mais également tous les usagers potentiels de cet espace émergent : les puissances maritimes, les puissances gazières et pétrolières, les pays pratiquant la pêche lointaine notamment.
Au-delà des cinq pays membres du Conseil de l'Arctique, treize États membres de l'Union européenne, la Suisse et cinq États asiatiques ont un statut d'observateur. Quelque quarante-quatre États sont parties au traité de 1920 sur le Svalbard. Enfin, soixante et une nations étaient engagées dans la dernière année polaire internationale en 2007-2008. L'intérêt scientifique, stratégique, économique, environnemental et de défense de la France pour l'Arctique est donc loin d'être une singularité au niveau international.
Ces trois dernières années ont été fructueuses en termes de nouveaux outils de gouvernance : un code polaire élaboré par l'Organisation maritime internationale (OMI), un accord international sur l'activité de pêche ratifié par l'Union européenne en mars 2019, des normes relatives aux activités extractives de pétrole et de gaz dans l'Arctique adoptées en 2017. Dans cet espace maritime émergent, certains pays limitrophes considèrent être les seuls à avoir voix au chapitre de la gouvernance. La France, puissance maritime, dotée du deuxième plus grand domaine maritime, puissance polaire avec deux bases en Arctique et en Antarctique, puissance nucléaire, membre du Conseil de sécurité, leader en matière de diplomatie climatique, se doit de participer avec davantage d'assiduité aux discussions, aux travaux des groupes de travail du Conseil de l'Arctique et aux négociations relatives à la gouvernance sectorielle de l'Arctique.
Pour nous, pour les Allemands, les Chinois, les Singapouriens et, plus généralement, pour les pays extérieurs à la zone arctique, l'enjeu consiste à veiller à l'équilibre entre les intérêts nationaux et l'intérêt général. Concrètement, il s'agit de faire contrepoids à l'influence russo-norvégienne en matière de pêche ou de veiller au respect de la liberté de navigation, principe fondamental du droit de la mer, par le Canada dans le passage du nord-ouest et par la Russie sur la route maritime du Nord.
Nos atouts sont nombreux. Même si nous sommes dépossédés de notre territoire arctique depuis 1763, nous avons, avec Saint-Pierre-et-Miquelon, une base importante, ainsi que des stations ; plusieurs directions travaillent sur le sujet au Quai d'Orsay et la qualité de l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor (IPEV) n'est plus à démontrer. La France n'est qu'observateur, mais elle doit participer de manière beaucoup plus assidue aux groupes de travail du Conseil de l'Arctique et y nommer des scientifiques. J'y veillerai avec les ministères des affaires étrangères et de la recherche. Nous avons été quelque peu négligents ces dernières années... Notre force tient très largement à notre qualité scientifique : nous sommes une grande nation scientifique sur le sujet de l'Arctique et avons une longue tradition d'exploration.
Il faudra agir dans un cadre européen, notamment à l'occasion de la présidence française. Je me trouve actuellement à Monaco pour évoquer avec le Prince Albert le projet d'organiser, comme en 2008 lors de la précédente présidence française du Conseil de l'Union européenne, une conférence sur l'Arctique et de créer un observatoire pour relever les défis des changements climatiques et environnementaux.
L'Union européenne prépare, pour le second semestre 2021, une communication conjointe sur l'Arctique qui sera importante ; j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec l'ambassadeur Michael Mann chargé de ce sujet à Bruxelles. Les relations entre l'Europe et le Conseil de l'Arctique sont parfois difficiles et elles ne devraient pas s'améliorer sous la présidence russe, la Russie n'ayant guère apprécié les interventions de l'Union européenne sur la Crimée, de même que l'Union européenne s'est attiré les foudres des peuples autochtones sur la question de l'utilisation des produits dérivés du phoque. Il faudra néanmoins travailler à l'échelle européenne, plusieurs États membres ayant statut d'observateur au Conseil de l'Arctique comme la République tchèque ou la Suède, qui exerceront la présidence de l'Union européenne dans les années à venir.
L'année 2021 doit permettre de redonner à la France sa place d'observateur vigilant, afin qu'elle participe à la préparation de la communication européenne précitée. Face aux défis environnementaux et aux possibilités de remilitarisation de l'Arctique, il nous faut être extrêmement vigilants. Je me rendrai prochainement dans les cinq pays arctiques et dans deux pays observateurs pour rencontrer mes homologues, afin que nous puissions peser du poids non négligeable qui est le nôtre.
Dr Heïdi Sevestre, glaciologue, directrice de la communication scientifique à l'International Cryosphere Climate Initiative - Je vous remercie de me donner l'opportunité de partager avec vous les dernières connaissances scientifiques sur l'état de l'Arctique et d'évoquer ensemble les conséquences directes et indirectes des bouleversements entraînés par le dérèglement climatique.
L'Arctique est dominé par la cryosphère, qui regroupe la neige, les glaciers, les calottes polaires comme le Groenland, la banquise et le pergélisol ou permafrost. Cette zone est donc sensible à des changements minimes de température. Nous avons gagné 1,1 degré depuis l'ère préindustrielle. Si nous franchissons le seuil de 1,5 degré, nous risquons de déclencher une dynamique irréversible de fonte, même si nos émissions de GES cessent.
En Arctique, les températures augmentent 6 à 7 fois plus rapidement qu'ailleurs. La banquise agit comme un miroir en renvoyant les rayons du soleil dans l'atmosphère. En fondant, elle laisse place à un océan plus foncé, qui absorbe beaucoup plus efficacement le rayonnement solaire et réchauffe les régions environnantes. La banquise arctique, pilier de notre système climatique, est en voie de disparition. Les observations actuelles dépassent les pires scénarios envisagés dans les rapports du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), et nos modèles mathématiques ont largement sous-estimé la sensibilité de l'Arctique aux émissions de GES.
Après de nombreuses décennies d'intense réchauffement, l'été 2020 a été marqué par des records de températures, avec 38 degrés relevés au-dessus du cercle polaire au mois de juin. Des feux géants ont ravagé l'Arctique russe, émettant autant de GES qu'un pays comme l'Espagne en un an. Le permafrost dégelé devient une source d'émission de GES gigantesque. Depuis 1979, la banquise a perdu une surface équivalant à celle de l'Inde, et elle a beaucoup de mal à se reformer, l'océan étant trop chaud. L'océan glacial arctique se réchauffe et s'acidifie beaucoup plus rapidement que l'Atlantique ou le Pacifique, car le CO2 que nous émettons se dissout beaucoup mieux dans les eaux froides, menaçant l'avenir des activités de pêche.
Les conséquences de la montée des eaux sont majeures dans l'Union européenne. Une augmentation d'un mètre impliquerait la submersion d'une partie de la ville du Havre, des abords de la Seine jusqu'à Rouen, impacterait des villes comme La Rochelle et Bordeaux. Une augmentation des températures de 1,5 degré provoquerait 2 à 3 mètres d'élévation du niveau des océans, de 2 degrés, 4 à 6 mètres, mais aussi une salinisation des nappes phréatiques influant sur les cultures agricoles. Avec la disparition de la banquise dans l'Arctique, le climat en France deviendra plus imprévisible, les phénomènes météorologiques extrêmes plus intenses et fréquents. À + 1,5 degré, le permafrost va émettre autant de GES qu'un pays comme le Canada ; à + 2 degrés, autant que l'Union européenne. Une fois enclenchées, ces émissions continueront pendant plusieurs siècles.
Pour conclure, le dérèglement climatique est très clairement le plus grand défi de l'Arctique, et un Arctique qui dégèle est la plus grande menace pour la France. L'heure est très grave, mais il est encore temps d'agir. La seule solution est de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et nos émissions de GES dès la source, le plus rapidement possible. Pour éviter des conséquences irréversibles, il faut à tout prix rester sous la barre de 1,5 degré. La cible européenne de 55 % de réduction de nos émissions pour 2030 permet de nous rapprocher de 1,5 degré, mais elle n'est pas suffisante. L'action doit commencer dès aujourd'hui : qu'allons-nous faire dès 2021 pour y parvenir ?
Enfin, tout ce que je viens de vous décrire affectant l'Arctique est également en train de toucher l'Antarctique. Si tout l'Arctique fondait, la montée des eaux atteindrait globalement 6 à 7 mètres. Ajoutez la calotte polaire antarctique, et elle s'élèverait à 65 mètres. Il est temps d'agir !
Cette table ronde témoigne de l'intérêt porté par la représentation nationale à l'Arctique, au-delà des enjeux purement climatiques. Je voudrais vous proposer un exercice de prospective. L'Arctique est un territoire de compétition et de coopération, où il est impossible d'agir seul. Même la Chine n'y parvient pas. La crédibilité politique et opérationnelle de la France repose sur sa capacité de rassemblement dans la région arctique. L'Estonie, la Suisse, la République tchèque, Bruxelles le font. Il y a urgence, puisque les jeunes qui vont connaître l'Arctique libre de glace, en 2050 ou en 2100, sont nés.
La première carte que je vous présente montre les frontières de l'Arctique, qui sont fluctuantes suivant les disciplines scientifiques et les intérêts nationaux. Il n'y a pas de véritable consensus. La deuxième carte, produite par l'Institut chinois de géodésie, date de 2013. Elle est axée sur le troisième pôle, à savoir le massif de l'Himalaya et le plateau du Tibet, afin de souligner l'existence de trois cryosphères.
De fait, l'éléphant dans la pièce, comme on dit en anglais, est évidemment la Russie, qui n'a aucun intérêt à ne pas exploiter l'Arctique, d'où proviennent 80 % du gaz, 20 % du pétrole, 100 % des terres rares, 90 % du nickel, 60 % du cuivre russes... Ces territoires continueront donc à être exploités. De fait, plus de 200 entreprises françaises travaillent dans les pôles, notamment sur l'ingénierie extractive.
Ces ressources naturelles - énergie, minerai, hydrogène - impliquent des logistiques d'importation et d'exportation pour construire les infrastructures, puis exporter vers les zones de consommation d'Asie du Nord-Est, d'Europe et d'Amérique du Nord. La nouvelle logistique maritime en Arctique décrite par la quatrième carte est portée depuis longtemps par les Japonais, les Islandais et les Américains. Pour faire de l'Arctique une autoroute maritime dans les 20 à 40 prochaines années, il s'agit d'organiser le marché arctique avec d'un côté un Arctique bleu central, de plus en plus libre de glace, des routes maritimes, côté russe, beaucoup plus utilisées que côté canadien, mais surtout ce que les Chinois appellent désormais le passage arctique central, à travers les eaux internationales du pôle.
L'Arctique se compose ainsi de deux grandes zones : l'Arctique bleu, cette zone centrale de l'océan Arctique composée d'eaux internationales, et l'Arctique terrestre, sur lequel vivent 4 millions de personnes, avec un PIB d'environ 500 milliards de dollars annuel, qui suscite des compétitions, notamment militaires.
Dans l'Arctique terrestre, vont se développer des hubs de transbordement entre bateaux conventionnels et brise-glaces, et dans l'Arctique bleu des navettes brise-glaces - méthaniers, porte-conteneurs - entre l'Arctique atlantique et l'Arctique pacifique. La compétition est déjà ouverte pour capter ces futurs développements. On peut citer la Chine, le Japon, la Corée du Sud, mais également les acteurs français.
En France, il n'y a pas de consensus pour refuser d'exploiter l'Arctique, loin de là. L'Arctique comptera plus d'activités anthropiques au fur et à mesure du changement climatique, des intérêts économiques importants, des compétitions militaires croissantes. La carte illustre la situation actuelle de l'Arctique, avec les bases militaires russes, les ports maritimes en développement ou déjà en activité.
Dans cet écosystème, la Russie possède plusieurs avantages. Premièrement, sa proximité avec l'Asie du Nord-Est, consommateur et investisseur essentiel dans la région Arctique. Deuxièmement, il y a moins de glaces maritimes et côtières côté russe que côté canadien. Troisièmement, la Russie tire également les bénéfices de plusieurs siècles d'investissements économiques, scientifiques et politiques.
Le quatrième avantage de la Russie est son accès, par l'Arctique, à l'océan mondial.
Pour conclure, je vous propose de bien faire la distinction entre les différents Arctique que nous avons essayé de vous présenter. La première distinction est celle de l'Arctique terrestre et de l'Arctique maritime. La deuxième concerne les pays du cercle polaire et les pays non arctiques, et leurs investissements, qui s'exercent plus, aujourd'hui, dans la partie russe de l'Arctique que dans sa partie américaine.
Cette table ronde nous permet de nous replonger dans le sujet du rapport de 2015 de la commission des affaires étrangères et de la défense, qui s'intitulait « Climat : vers un dérèglement géopolitique ? ». Nous avions pointé du doigt un certain nombre de problèmes malheureusement récurrents, à propos desquels les informations sont toujours plus alarmistes.
Les conséquences du changement climatique s'accélèrent, avec des risques accrus d'instabilité et de conflictualité. Je pense à l'immigration climatique, à la fragilisation du droit de la mer, avec, notamment, l'ouverture de nouvelles voies maritimes, et à l'exploitation de l'Arctique, dont les conséquences sont potentiellement dramatiques.
En tant que membre de la commission des affaires étrangères et de la défense, je m'attacherai à des sujets géopolitiques. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la présence militaire de la Russie en Arctique ? Combien de bases ont été rouvertes ? Les Russes sont-ils susceptibles de s'implanter militairement dans l'archipel du Svalbard ou bien sur d'autres territoires contestés ? Les sanctions ont conduit les Russes à se tourner vers la Chine, pour créer des infrastructures en milieu arctique. Toutefois, la Russie n'a-t-elle pas intérêt à équilibrer ses partenariats ? Comment accueille-t-elle la posture de la Chine, qui se présente comme un état du proche Arctique, contre toute évidence géographique ? Au-delà d'une convergence d'intérêts provisoire entre la Russie et la Chine, le partenariat sino-russe conduira-t-il inévitablement à des tensions, voire à un regain d'intérêt de la Russie pour l'Europe ?
Une dernière question me taraude, docteur Sevestre. Lorsque nous étions allés dans l'archipel du Svalbard, vous nous aviez expliqué les conséquences de la transformation du pergélisol et du permafrost, avec, notamment, la libération de nouveaux virus. J'aimerais que vous puissiez, en tant que glaciologue, nous donner des informations sur cette question.
Nous avons tous compris l'extrême complexité de la situation et son caractère totalement schizophrène, puisque, d'un côté, l'Arctique est la vitrine tragique du dérèglement climatique et, d'un autre côté, l'Arctique joue un rôle géopolitique et économique. Ces deux caractéristiques sont totalement contradictoires, comme c'est le cas pour de nombreux autres sujets.
Je poserai trois questions à M. l'ambassadeur.
Premièrement, concernant la biodiversité, le nombre d'incendies a augmenté, au cours de ces dernières années, en particulier au Groenland et en Suède. Pour ce dernier pays, une réponse solidaire européenne a été apportée, afin d'essayer de limiter les dégâts. Pouvons-nous répondre à cette question concrète : l'Europe et la France, qui possède un vrai savoir-faire en la matière, peuvent-elles participer à une augmentation des moyens de défense contre les incendies ? En effet, l'intervention européenne a été positive en Suède. Tel pourrait sans doute être le cas au Groenland, ce qui permettrait de préserver méthane et permafrost. Le rapport entre le coût de cet engagement et les émissions de CO2 économisées serait certainement très positif.
Ma deuxième interrogation concerne le Groenland. À cet égard, l'intervention du président Trump n'était pas si absurde. En effet, la question de savoir si le Groenland quittera l'espace européen pour rejoindre l'espace américain est centrale. Sur ce sujet, je m'étonne du faible investissement européen, même si, je le sais, les rapports entre l'Union européenne et le Groenland sont historiquement compliqués. Comment l'Union européenne, avec le Danemark, fera-t-elle en sorte que le Groenland reste dans l'espace européen, en associant les Islandais ? La réponse à cette question est liée à notre capacité d'investissement au Groenland. Sans doute la diplomatie française a-t-elle un rôle clé à jouer en la matière.
Ma troisième question concerne l'aspect schizophrène du sujet. On ne peut pas dire à la fois que l'Arctique est une grande menace climatique et une grande victime du dérèglement climatique et, parallèlement, en faire l'eldorado des énergies fossiles. Ce n'est pas possible !
Pourtant, la Norvège a annoncé récemment la reprise de l'exploitation pétrolière en Arctique. Il est absolument inimaginable qu'on fasse de la fonte de l'Arctique l'occasion d'augmenter encore plus rapidement nos émissions de GES ! À cet égard, les entreprises françaises sont particulièrement schizophrènes. Pouvons-nous trouver un moyen de réduire au moins l'exploitation pétrolière dans l'Arctique, ce qui n'empêchera pas d'autres exploitations économiques ?
Sur l'Arctique, je conseille toujours la lecture du livre de John English, qui n'est malheureusement pas traduit en français, intitulé Ice and Water. Il est assez refroidissant concernant les grandes perspectives offertes à l'Arctique. Depuis quatre siècles, l'Occident rêve de l'Arctique et des richesses qui y sont enfouies, puis abandonne ses projets.
Je ne crois pas que la fonte des glaces, notamment dans l'Arctique central, permette une navigation sereine. Il y a même plus de risques à naviguer dans un océan rempli d'icebergs et de glaces transparentes. Quand les Chinois ont voulu faire la traversée centrale avec Le Dragon des Neiges, un brise-glace nucléaire qu'ils avaient acheté aux Russes, ils se sont retrouvés bloqués au milieu des glaces.
Il faut bien le dire, l'intérêt de la Chine en Arctique n'est pas seulement économique, mais aussi et surtout géostratégique. Dans la mesure où 80 % à 90 % du commerce entre l'Asie et le reste du monde passent par des voies maritimes, et notamment le détroit de Malacca, les Chinois veulent contrôler une « issue de secours ».
Pour ma part, je m'intéresse au rôle de l'Europe en la matière. À cet égard, je félicite M. l'ambassadeur de sa nomination. Il est important d'avoir à ce poste quelqu'un qui connaisse aussi bien les enjeux diplomatiques maritimes et géostratégiques. En effet, l'Europe s'intéresse beaucoup à la question, et prépare sa prochaine feuille de route.
J'ai participé, en tant que parlementaire, aux consultations européennes et j'ai été surpris d'observer la quasi-absence des acteurs français dans ces instances. Nous sommes incapables de contribuer, en amont, à l'élaboration des feuilles de route, ce que je regrette profondément. L'influence allemande dans l'Union européenne n'est pas liée simplement à sa puissance économique ; sa mobilisation pour la préparation des directives ou des règlements en est également la cause.
Pour autant, le nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l'Union européenne, en dépit des demandes que nous avons réitérées depuis plusieurs années, n'offre pas une vision globale de ce que le budget européen investira en Arctique, sauf pour le domaine de la recherche. Si des promesses fortes ont toujours été faites par la commission européenne, elles n'ont malheureusement pas été exécutées jusqu'à présent.
Ma question concerne la politique spatiale de l'Union européenne. On parle aujourd'hui du lancement, en 2025, avec un gros support de l'industrie française, notamment de Thales, de moyens d'observation avec Sentinel 7, qui permettrait de disposer d'éléments beaucoup plus précis concernant les zones d'émissions de GES. Où en est-on dans ce domaine ?
Je voudrais revenir sur cet eldorado qui s'ouvre aux pays concernés. Nous avons une responsabilité par rapport aux accords de la COP 21, mais également pour ce qui concerne l'enjeu mondial que représente le permafrost. Celui-ci, je le rappelle, couvre 20 % de la surface de la Terre.
Face aux changements très rapides, nous devons inciter les pays arctiques à investir davantage le Conseil de l'Arctique, afin de ne pas laisser seule la grande puissance qu'est la Russie, dont les intérêts sont énormes. En effet, 46 % de son budget provient des extractions réalisées sur ce territoire. Par ailleurs, la militarisation de la zone par les Russes est importante. Ainsi, 50 000 militaires sont apparemment présents dans la région, avec une force spéciale arctique de 6 000 soldats et 27 bases opérationnelles potentielles.
Diplomatiquement, comment être plus volontariste, comment faire émerger la nécessité mondiale que représente aujourd'hui la situation de l'Arctique ?
J'ajoute que nous sommes en partie responsables d'une telle évolution quand nous allons faire du tourisme pour observer un monde en disparition.
Ma question s'adresse à M. Mered. Le projet gazier Arctic LNG 2, auquel participe l'entreprise française Total à hauteur de 20 % aux côtés de l'entreprise russe Novatek pour 50 % et de fonds souverains chinois pour 10 %, doit permettre de liquéfier du gaz sur la péninsule de Yamal en Russie et de l'exporter vers l'Europe et l'Asie.
Ce projet est vivement critiqué, car il va à l'encontre des engagements internationaux pris en faveur du climat. Il représente également un intérêt stratégique pour le projet économique chinois Les Nouvelles Routes de la soie. Le journal Le Monde a affirmé que le Gouvernement soutenait ce projet et lui accorderait des subventions.
Selon vous, quel équilibre la France doit-elle garder entre les différents enjeux d'un tel projet dans la région ? A-t-elle les moyens de le faire ?
Je vous remercie de cette présentation, qui nous fait prendre conscience que l'impact du changement climatique sera extrêmement important et plus rapide que prévu. D'ici à trente ans, les modifications seront extrêmement importantes.
Ainsi, un article récent de Nature communications indique que les arches de glace présentes au nord du Groenland, qui maintiennent en place l'épaisse banquise, pourraient rompre sous l'action du réchauffement, avec des conséquences dramatiques pour l'environnement. Pourriez-vous nous indiquer les différentes menaces qui guettent le pôle Nord dans les vingt prochaines années ? Quelle est la position de la France en matière de protection de cette région ? Monsieur Mered, vous avez évoqué tout à l'heure l'action de la France, qui pourrait s'illustrer au travers d'une capacité de rassemblement. Quels sont selon vous les outils à mettre en place pour affronter ces difficultés ? Quelle est la position de la France concernant les investissements des entreprises dans la zone ?
Il y a certes un enjeu économique et stratégique, mais aussi de civilisation. J'ai été frappé par l'utilisation, dans votre intervention, Madame Sevestre, de l'expression « quoi que l'on fasse ». S'il est bien d'essayer d'imaginer l'avenir pour éviter le pire dans plusieurs générations, reste ce fameux « quoi que l'on fasse ». Ainsi, « quoi que l'on fasse », le niveau des océans montera, selon les endroits, d'un, deux, ou trois mètres.
Très concrètement, au niveau de l'Organisation des Nations unies (ONU), pouvons-nous imaginer une forme de gouvernance mondiale visant à aider les régions et les pays qui se retrouveront très rapidement sous les eaux ?
Si les États-Unis ont la capacité financière d'éviter que New York ne disparaisse sous les eaux, d'autres pays auront besoin d'une indispensable solidarité internationale. Celle-ci a-t-elle été imaginée par les Nations unies ?
Pour ma part, je retiens que les trois intervenants de ce matin ont évoqué à la fois des enjeux climatiques, stratégiques, géopolitiques et économiques.
Madame Sevestre, vous avez évoqué un certain nombre d'éléments assez alarmistes. Vous avez conclu votre propos en demandant ce qu'il fallait faire pour agir.
Monsieur l'ambassadeur, Madame Sevestre, Monsieur Mered, comment les sujets que vous avez évoqués s'articulent-ils avec les politiques européennes qui sont menées, notamment le Green Deal, lequel témoigne de la volonté européenne d'une politique environnementale ? Plus spécifiquement, comment la politique environnementale française s'insère-t-elle dans le cadre de ces problématiques ?
En tant que législateurs, nous aurons à nous prononcer rapidement sur le fameux projet de loi Climat. Quelle est votre position sur ce sujet, qu'il s'agisse de l'échelle française ou européenne ? Certains de nos collègues ont évoqué une forme de schizophrénie, avec, d'un côté, des enjeux économiques, stratégiques et politiques et de l'autre, la conscience, en tout cas au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, du rôle que la France doit jouer.
L'Europe, qui représente moins de 10 % des émissions globales de GES, pèse peu, même si la responsabilité historique dans le phénomène est certaine. L'effet du réchauffement climatique a des conséquences sur l'environnement, la population animale et humaine, sur l'accroissement des phénomènes climatiques extrêmes, mais aussi sur notre façon de vivre.
Selon moi, la France peut relever le défi et montrer l'exemple, en prouvant qu'il est possible de réduire les émissions, tout en maintenant le niveau de vie, comme l'a fait l'archipel des Tokelau. Je le rappelle, cet archipel, qui faisait importer des hydrocarbures à grands frais, fonctionne aujourd'hui à 100 % avec des panneaux solaires et du biofioul réalisé avec des noix de coco locales.
Cependant, la transition énergétique a un coût, et entraîne des conséquences pour les populations les plus pauvres. Comment faire pour aider les populations les plus pauvres à relever le défi de la transition énergétique, que ce soit au niveau français ou mondial ?
L'Arctique offre une loupe sur ce qui nous attend au regard de l'urgence climatique.
Je le rappelle : on trouve, dans tous les échantillons réalisés, des particules de plastique partout en Arctique, ce qui constitue une vraie préoccupation. En France, grâce à la loi sur l'économie circulaire et aux apports du Sénat, nous avons été précurseurs en la matière. Je pense notamment aux filtres posés sur les machines à laver.
Les principales causes de cette situation sont liées à notre dépendance aux combustibles fossiles. Il est donc urgent d'investir dans des dispositifs alternatifs.
La région renferme 13 % des réserves mondiales de pétrole, soit 80 milliards de barils, ce qui équivaut à la consommation mondiale pendant trois ans. Ces chiffres relativisent l'importance du fameux eldorado arctique. Disposons-nous de précisions supplémentaires sur ces données ?
Enfin, Monsieur l'Ambassadeur, avez-vous des informations concernant la création ou l'extension d'une zone naturelle protégée dans les eaux internationales autour du pôle Nord ? Quel rôle pourraient jouer la France et l'Europe en la matière ? En effet, il est essentiel d'interdire ou de limiter le forage et les industries destructrices. Quid des investissements français ou européens ? On le sait, il existe des mécanismes européens.
Je suis frappé par les connaissances des uns et des autres sur ces sujets. Comme vous, je pense qu'il faut rentrer dans le vif du sujet. Vos propos viennent conforter ma volonté d'être beaucoup plus proactif, y compris en France.
Après le « moment » Rocard, à une époque où les zones polaires paraissaient des niches, les urgences sont aujourd'hui évidentes. En 2045, la banquise du pôle Nord aura disparu. Nous sommes la dernière génération à pouvoir mener à bien des recherches et à témoigner de la fonte de la banquise, dont les conséquences sont multiples pour l'humanité.
Aujourd'hui, en 2021, en tant que Français, une séquence est possible. C'est vrai, il existe plusieurs Arctique, l'Arctique russo-canadien, l'Arctique américano-canadien, l'Arctique russe et l'Arctique européen. Certes, il ne faut pas traiter les sujets de l'Arctique et de l'Antarctique ensemble. Toutefois, dans la mesure où notre pouvoir d'expression est beaucoup plus grand pour ce qui concerne l'Antarctique, il convient, durant les deux années qui viennent, 2021 et 2022, de faire converger ces deux sujets.
L'arrivée de la Russie à la présidence du Conseil de l'Arctique constituera un vrai challenge. Elle sera en outre suivie de la présidence norvégienne. Il faut comprendre les Russes, pour lesquels l'enjeu économique est évident : l'Arctique représente un cinquième de leur PIB et les trois quarts de leur pétrole, sans parler des terres rares.
Vous avez cité le cas de Total, sur lequel Mikaa Mered répondra certainement mieux que moi.
Il est donc nécessaire qu'un dialogue politique bilatéral France-Russie, mais aussi Europe-Russie, s'instaure sur ce sujet, et je me rendrai dans les semaines qui viennent à Moscou pour rencontrer mon homologue. Je pense aux enjeux liés aux hydrocarbures, à la pêche, aux routes maritimes, ainsi qu'au déploiement de nouvelles capacités de contrôle, qui entraîne une véritable militarisation de l'Arctique, sans parler des trois nouveaux brise-glaces russes.
Nous aurons, en juin 2021, la possibilité de traiter un certain nombre de sujets dans le cadre de la réunion consultative du traité de l'Antarctique.
Vous m'avez interrogé sur la question des zones naturelles protégées. Nous avons des aires marines protégées à défendre, contre l'opposition russe et chinoise, mais nous trouverons des partenaires. Je le rappelle, nous avons réussi à sécuriser l'aire marine protégée de la région de la mer de Ross.
En 2022, la représentation nationale que vous incarnez ce matin pourra vraiment jouer un rôle très important, en nous aidant à convaincre la France de traiter, dans le cadre de la présidence de l'Union européenne, le sujet de l'Arctique. Il y a là une fenêtre d'opportunité. Notre rôle est d'organiser une conférence, probablement au cours du premier trimestre 2022. Malheureusement, la présidence européenne française sera courte, dans la mesure où les élections présidentielles et législatives interviendront dans ce cadre, ce qui imposera certainement un devoir de réserve.
S'agissant du Groenland, je pense que la proposition de Donald Trump ne sera pas remise sur la table. Certes, l'anniversaire des 300 ans de l'occupation danoise suscitera, en 2021, des débats. Toutefois, je ne crois pas que le Groenland décide de devenir indépendant dans les années à venir.
Pourquoi est-il important que l'Union européenne s'engage ? Nous sommes le premier acteur commercial pour ce qui concerne la pêche dans l'Arctique. Nous sommes aussi le premier bailleur de fonds pour la recherche scientifique, dans le cadre du programme 2021-2027. Je compte examiner avec le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, Clément Beaune la manière de valoriser cet apport scientifique, qui est évidemment extrêmement important.
Dr Heïdi Sevestre. - Je souhaite tout d'abord insister sur la notion de propos alarmistes ou alarmants. Les données que j'ai partagées avec vous ce matin ont été vérifiées et approuvées à la suite de travaux très importants. Ce sont des propos alarmants, je suis tout à fait d'accord.
Le permafrost est un élément capital de l'Arctique, qui recouvre une immense superficie des régions polaires, sur une très grande profondeur. C'est un sol gelé en permanence, qui fond en superficie pendant l'été, mais qui peut représenter plusieurs centaines de mètres d'épaisseur. Ce permafrost contient énormément de matières organiques. Tant qu'il est gelé, il absorbe des GES, mais dès qu'il dégèle, il se met à rejeter des GES.
Le problème, c'est que le permafrost est sensible à des « flashs » de température. Ainsi, il n'a pas besoin que les températures se stabilisent à un niveau très élevé pendant une période de temps pour dégeler. Il suffit de quelques heures de températures élevées pour qu'il se mette à dégeler.
Le permafrost contient beaucoup de matières organiques, mais aussi des bactéries et des microbes. C'est vraiment un réservoir : la vie se remet à grouiller quand il dégèle. Parmi ces bactéries et ces microbes, certains peuvent être pathogènes. En Sibérie, le permafrost a relâché du bacille de charbon, donc de l'anthrax, qui a affecté une communauté russe. Il s'agit donc d'un sujet à prendre très au sérieux.
En outre, les feux, qui utilisent la matière organique du permafrost, se transforment en gigantesques incendies. S'il est nécessaire de les stopper pour limiter les émissions de GES, il serait beaucoup plus efficace d'arrêter le phénomène à la source. Les feux ne sont que le résultat d'un réchauffement extrêmement intense se produisant dans les régions polaires. Ils sont de plus en plus difficiles à arrêter. En effet, ils réussissent à créer, pendant l'hiver, des réseaux souterrains dans le permafrost, qui sont complètement invisibles sur les images satellites. Ils ressurgissent ainsi au printemps suivant. On les appelle des « feux zombies » ; ils « hibernent » dans le permafrost.
Vous avez évoqué une sorte de moratoire pour l'exploitation pétrolière en Arctique. Les ressources recherchées en Arctique sont des ressources fossiles, qui ne feront qu'amplifier le réchauffement climatique. Par ailleurs, nous ne savons toujours pas nettoyer une marée noire. Or, malheureusement, un accident dans l'Arctique n'est qu'une question de temps. Certains de mes collègues étudient la diffusion potentielle d'une marée noire sur l'océan glacial arctique. Le problème, c'est que le pétrole peut se retrouver pris en sandwich dans la banquise. Ainsi, après quelques années, une marée noire apparaît, très loin de la source de pollution.
Quant à la navigation, elle crée de la pollution au coeur de l'un des environnements les plus sensibles et les moins résilients de la planète. Il peut s'agir non seulement de marées noires, mais aussi de particules fines émises par les bateaux, lesquelles sont responsables à hauteur de 30 % de la fonte de l'Arctique ; il serait temps que le Conseil de l'Arctique reprenne à son compte ce sujet très important, étudié depuis 2008 ou 2009 par l'OMI, pour émettre des recommandations.
Merci d'avoir souligné l'importance des sciences. Les bouleversements de l'Arctique nous affectant directement, il est important de soutenir les programmes scientifiques, d'autant que de nouvelles sources de pollution émergent, comme les microplastiques, ou encore le mercure et la radioactivité relâchés par la fonte du permafrost.
Autres sujets capitaux, l'adaptation face à la montée des eaux et la notion d'irréversibilité, liée à la réalité de la cryosphère : si l'on franchit certains seuils de température, on ne peut plus revenir en arrière, car sont alors affectés le permafrost, la calotte polaire du Groenland, la banquise, tandis que se produit une acidification de l'océan. Le prochain seuil, dont nous sommes très proches, est celui de 1,5 degré, soit la limite basse prévue par l'Accord de Paris. Il faut tout faire pour ne pas franchir cette limite ; à défaut, il sera peut-être trop tard pour certains éléments.
Cette adaptation est actuellement mise en place dans les pays riches. Le Fonds vert pour le climat, qui relève de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, a pour objectif de soutenir celle des pays en voie de développement.
Il conviendrait de protéger une partie de l'Arctique afin de protéger sa biodiversité terrestre et marine, laquelle est affectée par ce qui a lieu hors de ce territoire. Délimiter une zone marine protégée s'avère donc crucial, mais ce serait un simple « pansement » sans traitement des problèmes à la source, c'est-à-dire sans diminution de nos émissions de GES.
Monsieur Perrin, pour ce qui concerne la présence militaire russe, le programme de remilitarisation de la Russie a prévu la réimplantation - via la construction de nouvelles installations ou la rénovation d'infrastructures anciennes, militaires ou non - de quatorze bases, présentes sur l'ensemble de la façade arctique de ce pays, soit dans la péninsule de Kola, côté européen, jusqu'à la zone de la mer des Tchouktches et du détroit de Béring.
Les Russes sont-ils susceptibles de s'implanter militairement au Svalbard ? Ce territoire, démilitarisé, est une « no go zone ». Une telle implantation supposerait de sortir du traité, ce qui coûterait politiquement très cher. Or la Russie a besoin de « son » Arctique pour continuer à développer son modèle économique actuel. Même si ce pays fait des rodomontades, teste les limites et provoque certains États, il a besoin de stabilité en Arctique et ne peut donc pas dépasser certaines lignes rouges, comme l'implantation militaire au Svalbard. Il n'y a pas d'autres territoires contestés sur lesquels la Russie aurait vocation à s'implanter.
Les sanctions prises contre la Russie l'ont-elles conduite à se rapprocher de la Chine et quel est l'intérêt d'un rééquilibrage vers l'Europe ? Ces sanctions ont en effet eu pour conséquence un rapprochement vis-à-vis des puissances asiatiques. Par ailleurs, elles ont permis une montée en compétence de ce pays au niveau national, typiquement, notamment dans le domaine des technologies « subsea », pétrolières ou gazières. Des investissements en recherche et développement ont permis l'émergence d'une nouvelle génération d'ingénieurs russes et de solutions d'ingénierie en vue d'une exploitation de l'Arctique moins coûteuse que celle mise en place par les autres pays.
Je crois, pour ma part, qu'il existe une convergence d'intérêts provisoire et que la Russie sera conduite, à long terme - vers 2040 ou 2050, soit après deux ou trois cycles d'investissement - à se rapprocher de ses partenaires circumpolaires. M. l'Ambassadeur ne manquera pas d'observer par ailleurs, lorsqu'il se rendra à Moscou, que les élites moscovites n'ont pas envie de laisser la porte trop grande ouverte à la Chine en Arctique.
Monsieur Dantec, il est évident qu'une offre d'expertise française dans le domaine des moyens de défense incendie serait grandement appréciée par le Groenland, la Suède, l'Alaska et le Canada. Il existe au niveau du Conseil de l'Arctique et de l'Europe des dynamiques de coopération en termes de lutte contre les incendies de forêt en zone arctique. Pour autant, peut-on consacrer moins de moyens à la protection de notre façade sud, qui souffre l'été, pour protéger la façade nord ? Je laisse la question en suspens...
Vous avez raison, le sujet du Groenland est central. La position du président Trump n'était en effet pas absurde : elle visait à poser des barrières à l'égard de la Chine et de la Russie, dans une logique un peu trop expansionniste pour certains à Washington.
Depuis les années 1940, le Groenland est plutôt dans l'espace américain d'un point de vue stratégique. Quant à l'investissement consacré par l'Union européenne à ce territoire, il a été salué à Nuuk. Il s'est matérialisé, cette semaine encore, par la signature d'un nouvel accord sur les pêches entre l'Union européenne et le Groenland, au travers duquel l'Union européenne s'engage à payer plus cher pour pêcher moins... Il s'agit donc de gages, d'une main tendue, visant à ce que le Groenland ne quitte pas complètement l'espace européen.
Il y a une certaine schizophrénie : on ne peut pas, à la fois, dire que la fonte de l'Arctique est dangereuse et faire la courte échelle aux énergies fossiles. La France s'honorerait si elle proposait une offre de services aux pays de l'Arctique, lesquels portent une solution alternative - les énergies renouvelables - depuis des années, mais ont besoin de soutien technologique et d'accès aux capitaux. Certaines zones arctiques ont un gros potentiel d'hydroélectricité ou de géothermie ; dans d'autres endroits, les investissements envisagés concernent plutôt le solaire photovoltaïque et l'éolien en mer ou terrestre, ce qui pose la question du stockage et de l'hydrogène.
La Norvège investit beaucoup pour l'exploitation de son pétrole et son gaz, car cela lui permet de disposer de fonds pour investir dans les énergies renouvelables au niveau local et donc pour dépolluer son territoire, mais surtout pour devenir un leader technique, financier et politique dans les secteurs des énergies propres et de l'hydrogène. Son objectif est de remplacer sa rente pétrolière et gazière d'ici à la fin du siècle par une rente d'hydrogène vert.
Monsieur Gattolin, vous disiez que l'Occident rêvait d'Arctique depuis quatre siècles. En effet, le premier grand leader français à s'être intéressé à ce territoire était Henri IV. Dès 1609, la France a cherché le passage du Nord-Est afin d'y implanter un comptoir et un centre de taxation des navires. Les risques sont toujours importants, et un bateau, brise-glace ou non, est davantage en sécurité lorsqu'il navigue dans un pack de glace formée que dans une mer où des morceaux de glace sont dispersés un peu partout. Notre marine nationale investit donc depuis une dizaine d'années dans le remote sensing et la navigation aidée, entre autres.
Je dénonce depuis plusieurs années l'absence des acteurs français des consultations européennes, ce qui laisse libre cours à l'influence allemande. Depuis la dernière communication conjointe de 2016 sur l'Arctique au niveau européen, la France n'a été représentée dans aucune structure formelle ou informelle de dialogue créée à la suite de la publication de cette feuille de route. On observe donc des initiatives personnelles : la vôtre, Monsieur le sénateur, celles d'entreprises dans une logique de lobbying, celles d'ONG.
Concernant les moyens d'observation spatiale, outre le dispositif relatif à l'environnement que vous avez évoqué, on peut citer la composante spatiale optique de nos armées. La France pourrait à bon escient soutenir la candidature de l'Agence spatiale européenne au poste d'observateur du Conseil de l'Arctique. En 2019, les États-Unis ont mis leur veto, mais peut-être la porte se rouvrira-t-elle en 2021 ou en 2023. La question spatiale est un enjeu important tant pour la France que pour l'Italie ou la Finlande.
Madame Préville, vous avez raison, il faut inviter les pays à investir davantage le Conseil de l'Arctique et ne pas laisser la Russie faire ce qu'elle veut. À cet égard, il existe une institution locale, le Conseil économique de l'Arctique, qui existe depuis 2015 et au sein duquel aucun organisme financeur ou entreprise français n'est représenté. S'y impliquer permettrait d'accompagner la Russie vers un autre développement économique en Arctique. Dans le domaine de l'hydrogène, par exemple, la Russie s'engage tout autant que la Norvège et a proposé de lancer un programme dédié, coprésidé par ce pays, en Arctique. Les entreprises françaises du secteur de l'hydrogène ont vocation à accompagner les décideurs locaux vers cette transition.
La France est le numéro 1 mondial des croisières polaires et les précédents ambassadeurs des pôles, Michel Rocard et Ségolène Royal, ont soutenu le tourisme polaire en participant à des inaugurations et à des voyages. Le positionnement politique porté par M. l'Ambassadeur constituera un message fort en la matière.
Monsieur Le Nay, pour ce qui concerne Arctic LNG 2, le tour de table capitalistique que vous avez cité est celui de Yamal LNG. Le numéro 1 russe, Novatek, est présent à hauteur de 50,1 %, Total détenant 19 % de Novatek. Contre le projet Arctic LNG 2, vivement critiqué, une campagne a été menée notamment par les Amis de la Terre, Oxfam et Greenpeace depuis le mois de juillet, aboutissant sur le bureau du Président de la République. Va-t-il à l'encontre des engagements français vis-à-vis de l'Arctique et du climat ? Il y a une ambiguïté. Le gaz naturel est-il ou non un ami du climat ? D'un côté, cette ressource permet d'émettre 30 % de GES de moins que le pétrole et 50 % de moins que le charbon, de l'autre, elle demeure une énergie fossile. Il faudra donc faire un arbitrage. La voix de la France peut être en l'occurrence assez forte, du fait de ses garanties et de ses capacités de financement à l'export, de ses fonds d'investissement à impact, de son influence en termes de reporting extrafinancier sur les dimensions environnementales et de conditionnalité climat.
Monsieur Bigot, vous m'avez interrogé sur le positionnement des entreprises françaises en Arctique. Il existe au sein du Conseil de l'Arctique un outil peu utilisé : le groupe de travail sur le développement durable. Même si la France n'est pas membre du Conseil, elle peut tout à fait proposer un certain nombre de projets ou s'y impliquer. On peut aussi s'appuyer sur le Conseil économique de l'Arctique, sur le Conseil euroarctique de la mer de Barents, au sein duquel la France est observatrice, sur le Conseil de l'Arctique pour les régions et municipalités de la zone. Il est également possible de bâtir avec la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon des projets industriels ou de vitrine technologique. Ces vecteurs n'étaient pas mis en exergue dans la feuille de route de 2016 ; il est sans doute temps d'y remédier.
Monsieur Vaugrenard, vous demandiez s'il existait au niveau de l'ONU un dispositif pour aider les pays qui vont subir les conséquences du réchauffement climatique. La gouvernance mondiale est réclamée par les pays de l'Arctique, mais aussi par d'autres pays soumis à ces risques, au sein des différents forums internationaux. Un fonds a été créé pour soutenir le développement ainsi que la représentation politique et diplomatique des peuples autochtones locaux. De la même façon, il pourrait y avoir un fonds destiné à créer des passerelles entre les zones de l'Arctique et celles qui seront touchées par son évolution partout dans le monde. Un allié direct en la matière est Singapour, qui est impliquée dans le Conseil de l'Arctique à ce titre.
Madame de Cidrac, vous souhaitez savoir comment on peut raccrocher le sujet de l'Arctique à la politique environnementale à l'échelle européenne et française. La publication de la feuille de route européenne, sur laquelle la France n'a pas eu beaucoup d'influence, a été retardée d'un an. Il n'est pas trop tard pour parler, à Bruxelles, gaz naturel, infrastructures propres, soutien à la transition énergétique et sociétale au niveau local...
Madame Gréaume, il est vrai que la transition énergétique a un coût. Pour aider les pays les plus pauvres, on peut s'appuyer sur la Banque mondiale et sur l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), dans laquelle on trouve des industriels des pays arctiques ou présents sur ce territoire. Voilà un autre vecteur permettant de créer des ponts.
Monsieur Gontard, vous disiez que l'Arctique renfermait 13 % des réserves de pétrole dans le monde, soit 90 milliards de barils, c'est-à-dire trois ans de consommation seulement. L'étude à laquelle vous faites référence, celle de l'Institut d'études géologiques des États-Unis (USGS) de 2008 comporte des limites, car elle prend en compte les seules ressources conventionnelles et a été faite par extrapolation, c'est-à-dire par rapprochement entre certaines régions du monde et celles de l'Arctique.
En réalité, les réserves de pétrole et de gaz en Arctique représentent 412 milliards de barils équivalent pétrole, une bonne partie de ce gaz se trouvant en Russie. Et lorsque l'on agrège toutes les publications domestiques, les chiffres approchent les 900 milliards de barils équivalent pétrole. Voilà pourquoi Michel Rocard disait que l'Arctique était un second Moyen-Orient !
Que faire de toutes ces ressources ? Les extracteurs, en Norvège, en Russie ou en Alaska, préconisent de les développer, puis d'en faire de l'hydrogène « bleu », c'est-à-dire à partir d'énergies fossiles, mais avec un dispositif permettant de capter 90 % du carbone. Quoi qu'ils en disent, ce ne sera pas de l'énergie propre... Un débat fait d'ailleurs florès en France : hydrogène « bleu » ou hydrogène « vert » ? Il sera important dans les années à venir !
Je remercie les intervenants pour la qualité de leurs propos et leurs réponses, parfois alarmantes, qui doivent nous alerter et nous sensibiliser aux effets du réchauffement climatique. Merci également au président Cambon, aux membres de la commission des affaires étrangères et de la défense et à ceux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable pour la pertinence de leurs questions.
Je remercie encore le président Longeot d'avoir pris l'initiative de cette table ronde commune, Monsieur l'Ambassadeur, auquel je souhaite davantage de réussite que sa prédécesseure, ainsi que les intervenants pour la qualité et la précision de leurs réponses. Nous avons appris beaucoup de choses, certaines inquiétantes. Savoir qu'il n'y aura plus de banquise en 2045 n'est pas réjouissant ! On voit quel est l'antagonisme entre la géostratégie et l'environnement...
Nous souhaitons que les travaux de nos commissions éclairent le Gouvernement, puisque c'est la mission du Parlement. Monsieur l'Ambassadeur, vous porterez les choix de la France, qui a beaucoup à dire, a une grande expérience dans ces domaines, et doit être présente dans ce débat.
La réunion est close à 11 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.