Intervention de Olivier Poivre d'Arvor

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 janvier 2021 à 9h35
Audition en commun avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur « l'arctique entre défi climatique et risques géopolitiques »

Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes :

Je suis frappé par les connaissances des uns et des autres sur ces sujets. Comme vous, je pense qu'il faut rentrer dans le vif du sujet. Vos propos viennent conforter ma volonté d'être beaucoup plus proactif, y compris en France.

Après le « moment » Rocard, à une époque où les zones polaires paraissaient des niches, les urgences sont aujourd'hui évidentes. En 2045, la banquise du pôle Nord aura disparu. Nous sommes la dernière génération à pouvoir mener à bien des recherches et à témoigner de la fonte de la banquise, dont les conséquences sont multiples pour l'humanité.

Aujourd'hui, en 2021, en tant que Français, une séquence est possible. C'est vrai, il existe plusieurs Arctique, l'Arctique russo-canadien, l'Arctique américano-canadien, l'Arctique russe et l'Arctique européen. Certes, il ne faut pas traiter les sujets de l'Arctique et de l'Antarctique ensemble. Toutefois, dans la mesure où notre pouvoir d'expression est beaucoup plus grand pour ce qui concerne l'Antarctique, il convient, durant les deux années qui viennent, 2021 et 2022, de faire converger ces deux sujets.

L'arrivée de la Russie à la présidence du Conseil de l'Arctique constituera un vrai challenge. Elle sera en outre suivie de la présidence norvégienne. Il faut comprendre les Russes, pour lesquels l'enjeu économique est évident : l'Arctique représente un cinquième de leur PIB et les trois quarts de leur pétrole, sans parler des terres rares.

Vous avez cité le cas de Total, sur lequel Mikaa Mered répondra certainement mieux que moi.

Il est donc nécessaire qu'un dialogue politique bilatéral France-Russie, mais aussi Europe-Russie, s'instaure sur ce sujet, et je me rendrai dans les semaines qui viennent à Moscou pour rencontrer mon homologue. Je pense aux enjeux liés aux hydrocarbures, à la pêche, aux routes maritimes, ainsi qu'au déploiement de nouvelles capacités de contrôle, qui entraîne une véritable militarisation de l'Arctique, sans parler des trois nouveaux brise-glaces russes.

Nous aurons, en juin 2021, la possibilité de traiter un certain nombre de sujets dans le cadre de la réunion consultative du traité de l'Antarctique.

Vous m'avez interrogé sur la question des zones naturelles protégées. Nous avons des aires marines protégées à défendre, contre l'opposition russe et chinoise, mais nous trouverons des partenaires. Je le rappelle, nous avons réussi à sécuriser l'aire marine protégée de la région de la mer de Ross.

En 2022, la représentation nationale que vous incarnez ce matin pourra vraiment jouer un rôle très important, en nous aidant à convaincre la France de traiter, dans le cadre de la présidence de l'Union européenne, le sujet de l'Arctique. Il y a là une fenêtre d'opportunité. Notre rôle est d'organiser une conférence, probablement au cours du premier trimestre 2022. Malheureusement, la présidence européenne française sera courte, dans la mesure où les élections présidentielles et législatives interviendront dans ce cadre, ce qui imposera certainement un devoir de réserve.

S'agissant du Groenland, je pense que la proposition de Donald Trump ne sera pas remise sur la table. Certes, l'anniversaire des 300 ans de l'occupation danoise suscitera, en 2021, des débats. Toutefois, je ne crois pas que le Groenland décide de devenir indépendant dans les années à venir.

Pourquoi est-il important que l'Union européenne s'engage ? Nous sommes le premier acteur commercial pour ce qui concerne la pêche dans l'Arctique. Nous sommes aussi le premier bailleur de fonds pour la recherche scientifique, dans le cadre du programme 2021-2027. Je compte examiner avec le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, Clément Beaune la manière de valoriser cet apport scientifique, qui est évidemment extrêmement important.

Dr Heïdi Sevestre. - Je souhaite tout d'abord insister sur la notion de propos alarmistes ou alarmants. Les données que j'ai partagées avec vous ce matin ont été vérifiées et approuvées à la suite de travaux très importants. Ce sont des propos alarmants, je suis tout à fait d'accord.

Le permafrost est un élément capital de l'Arctique, qui recouvre une immense superficie des régions polaires, sur une très grande profondeur. C'est un sol gelé en permanence, qui fond en superficie pendant l'été, mais qui peut représenter plusieurs centaines de mètres d'épaisseur. Ce permafrost contient énormément de matières organiques. Tant qu'il est gelé, il absorbe des GES, mais dès qu'il dégèle, il se met à rejeter des GES.

Le problème, c'est que le permafrost est sensible à des « flashs » de température. Ainsi, il n'a pas besoin que les températures se stabilisent à un niveau très élevé pendant une période de temps pour dégeler. Il suffit de quelques heures de températures élevées pour qu'il se mette à dégeler.

Le permafrost contient beaucoup de matières organiques, mais aussi des bactéries et des microbes. C'est vraiment un réservoir : la vie se remet à grouiller quand il dégèle. Parmi ces bactéries et ces microbes, certains peuvent être pathogènes. En Sibérie, le permafrost a relâché du bacille de charbon, donc de l'anthrax, qui a affecté une communauté russe. Il s'agit donc d'un sujet à prendre très au sérieux.

En outre, les feux, qui utilisent la matière organique du permafrost, se transforment en gigantesques incendies. S'il est nécessaire de les stopper pour limiter les émissions de GES, il serait beaucoup plus efficace d'arrêter le phénomène à la source. Les feux ne sont que le résultat d'un réchauffement extrêmement intense se produisant dans les régions polaires. Ils sont de plus en plus difficiles à arrêter. En effet, ils réussissent à créer, pendant l'hiver, des réseaux souterrains dans le permafrost, qui sont complètement invisibles sur les images satellites. Ils ressurgissent ainsi au printemps suivant. On les appelle des « feux zombies » ; ils « hibernent » dans le permafrost.

Vous avez évoqué une sorte de moratoire pour l'exploitation pétrolière en Arctique. Les ressources recherchées en Arctique sont des ressources fossiles, qui ne feront qu'amplifier le réchauffement climatique. Par ailleurs, nous ne savons toujours pas nettoyer une marée noire. Or, malheureusement, un accident dans l'Arctique n'est qu'une question de temps. Certains de mes collègues étudient la diffusion potentielle d'une marée noire sur l'océan glacial arctique. Le problème, c'est que le pétrole peut se retrouver pris en sandwich dans la banquise. Ainsi, après quelques années, une marée noire apparaît, très loin de la source de pollution.

Quant à la navigation, elle crée de la pollution au coeur de l'un des environnements les plus sensibles et les moins résilients de la planète. Il peut s'agir non seulement de marées noires, mais aussi de particules fines émises par les bateaux, lesquelles sont responsables à hauteur de 30 % de la fonte de l'Arctique ; il serait temps que le Conseil de l'Arctique reprenne à son compte ce sujet très important, étudié depuis 2008 ou 2009 par l'OMI, pour émettre des recommandations.

Merci d'avoir souligné l'importance des sciences. Les bouleversements de l'Arctique nous affectant directement, il est important de soutenir les programmes scientifiques, d'autant que de nouvelles sources de pollution émergent, comme les microplastiques, ou encore le mercure et la radioactivité relâchés par la fonte du permafrost.

Autres sujets capitaux, l'adaptation face à la montée des eaux et la notion d'irréversibilité, liée à la réalité de la cryosphère : si l'on franchit certains seuils de température, on ne peut plus revenir en arrière, car sont alors affectés le permafrost, la calotte polaire du Groenland, la banquise, tandis que se produit une acidification de l'océan. Le prochain seuil, dont nous sommes très proches, est celui de 1,5 degré, soit la limite basse prévue par l'Accord de Paris. Il faut tout faire pour ne pas franchir cette limite ; à défaut, il sera peut-être trop tard pour certains éléments.

Cette adaptation est actuellement mise en place dans les pays riches. Le Fonds vert pour le climat, qui relève de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, a pour objectif de soutenir celle des pays en voie de développement.

Il conviendrait de protéger une partie de l'Arctique afin de protéger sa biodiversité terrestre et marine, laquelle est affectée par ce qui a lieu hors de ce territoire. Délimiter une zone marine protégée s'avère donc crucial, mais ce serait un simple « pansement » sans traitement des problèmes à la source, c'est-à-dire sans diminution de nos émissions de GES.

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