Intervention de Laure de La Raudière

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 janvier 2021 à 16h30
Audition en application de l'article 13 de la constitution de Mme Laure de la Raudière candidate proposée aux fonctions de présidente de l'autorité de régulation des communications électroniques des postes et de la distribution de la presse

Laure de La Raudière, candidate proposée aux fonctions de présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse :

Merci de votre accueil au Sénat, c'est un honneur pour moi de venir vous présenter ma candidature et ma feuille de route pour le poste prestigieux de présidente de l'Arcep.

Le travail effectué sur les enjeux numériques depuis longtemps dans cette commission des affaires économiques du Sénat est reconnu à l'Assemblée nationale, mais aussi au sein de l'État, par les collectivités territoriales, par l'ensemble des acteurs du secteur et par l'Arcep. De nombreuses réflexions impulsées ici trouvent leur application dans la réglementation. L'actualité de votre commission en témoigne puisque vous avez voté la semaine dernière la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique, déposée par le sénateur Patrick Chaize, associé aux sénateurs Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte et Hervé Maurey, et largement cosignée sur tous les bancs du Sénat. Ce sera un sujet de préoccupation si vous validez ma nomination comme présidente de l'Arcep.

En prenant la parole devant vous, j'ai en tête tous les travaux réalisés au sein de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, souvent en miroir des travaux réalisés au Sénat, les deux chambres se nourrissant de leurs travaux respectifs. Sur ces sujets, comme sur d'autres, le processus de la navette parlementaire est important pour faire aboutir certaines propositions en réponse aux attentes de nos concitoyens ou de nos entreprises.

Depuis 2007, date de mon élection en tant que députée, jusqu'à ce jour, j'ai rapporté neuf missions sur les enjeux numériques au sein de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, traitant par exemple de la neutralité d'internet, du développement de l'internet des objets, des usages de la blockchain. J'ai co-rédigé au moins trois rapports sur la lutte contre la fracture numérique, dont un plus spécifiquement sur le marché « entreprises » des télécommunications.

À chaque fois, je l'ai fait en toute indépendance d'esprit et sans jamais me demander si ce que je proposais était bon pour un acteur ou pour un autre. Mes choix étaient guidés par l'intérêt général, et par ce que je considérais comme prioritaire et équilibré entre les objectifs d'aménagement du territoire, de développement de la concurrence, de l'innovation et de l'emploi.

J'ai par ailleurs toujours travaillé dans un esprit transpartisan. D'abord avec Corinne Erhel, fauchée à cinquante ans, alors qu'il s'agissait d'une formidable élue et dont je ne peux parler sans une certaine émotion, ensuite avec Éric Bothorel.

Mon passé de onze années chez France Télécom, il y a plus de vingt ans, m'a permis d'acquérir l'expertise nécessaire à la compréhension technique et opérationnelle du secteur des télécommunications. Mes mandats de député, mais également d'élue locale - j'ai été maire de 2012 à 2017 et je suis toujours conseillère départementale - m'ont apporté une expertise juridique et économique du secteur, ainsi qu'une connaissance fine des attentes des citoyens, des élus locaux et des entreprises. Mon passé de chef d'entreprise m'a également façonnée. Voilà, en quelques mots, les expériences sur lesquelles je m'appuierai en toute indépendance, si vous décidez de me valider au poste de présidente de l'Arcep.

Je voudrais maintenant vous exposer ma feuille de route, en rappelant d'abord que l'Arcep fonctionne avec un collège. L'ensemble des priorités de l'Arcep pour le mandat à venir sera bien évidemment débattu avec les membres du collège, mais aussi avec les services en appui technique. Ces priorités sont donc susceptibles d'évoluer, d'être précisées, d'être enrichies après la prise de fonction.

L'Arcep a la responsabilité de régulation de trois secteurs. Le secteur régulé par l'Arcep qui fait l'objet de plus de débats, d'avis et de concertations, mais aussi d'attentes de la part de nos concitoyens est le secteur des télécommunications et du numérique.

Je veux commencer par saluer l'ensemble des chantiers engagés depuis dix ans sous l'égide des anciens présidents de l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani et Sébastien Soriano. Tous deux ont conduit des chantiers considérables pendant leur mandature. À titre d'exemple, le premier a mis en place la réglementation pour le déploiement de la fibre, a lancé la 4G et le quatrième opérateur mobile. Le deuxième a impulsé des relations nouvelles de l'Arcep avec les territoires et les collectivités, mis en place une politique de régulation par la donnée, avec le développement de l'Open Data et la mise à disposition des cartes de couverture, défini le cadre du New Deal mobile et lancé la 5G.

Le niveau d'investissement dans le secteur n'a cessé de croître sur toute cette période, faisant des télécommunications le premier secteur investisseur de France. Les chantiers à venir sont tout aussi considérables et passionnants. En dix ans, le numérique est devenu incontournable. La crise sanitaire nous l'a prouvé et a même accéléré les pratiques dans bon nombre de domaines, qu'il s'agisse de la e-éducation, de la vente en ligne ou à emporter pour les commerces de proximité, de la généralisation des visioconférences et du télétravail. On comprend mieux, face à l'augmentation des usages dans tous les domaines, les exigences des citoyens ou des entreprises pour avoir des réseaux de qualité, fixes ou mobiles, partout et accessibles, à des tarifs compétitifs.

Ces attentes relayées par tous les élus sont au coeur des préoccupations des réflexions de votre commission. Elles sont plus que légitimes. Elles sont la base des enjeux de la régulation pour l'Arcep dans le secteur des télécommunications.

Les priorités de la régulation doivent donc être les suivantes : maintenir un environnement concurrentiel et innovant, aménager le territoire en apportant des solutions de régulation adaptées à la situation spécifique des zones rurales et développer une filière compétitive tout en intégrant la réflexion plus récente sur l'empreinte environnementale du numérique. C'est dans le cadre de ces objectifs généraux que je déclinerai les priorités du secteur de télécommunications si vous validez ma nomination.

Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, la première priorité est certainement l'aménagement du territoire. Cet objectif doit être poursuivi en veillant, notamment, au respect des engagements des opérateurs dans le cadre du New Deal mobile et du déploiement du réseau Fiber to the Home (FTTH) dans les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii), dans les zones d'appel à manifestation d'engagements locaux (Amel) ou encore dans les réseaux d'initiative publique (RIP).

En deuxième priorité, l'Arcep devra aussi veiller au maintien d'un marché concurrentiel pour pouvoir conserver des offres à un prix attractif et favoriser l'innovation. Nous avons la chance d'avoir un marché dynamique, avec un secteur qui investit beaucoup, qui innove, et avec des prix intéressants pour les consommateurs. Comme pour le New Deal Mobile, on peut travailler pour une régulation spécifique afin de favoriser l'aménagement du territoire là où c'est nécessaire et rendre dynamique le marché par la concurrence, comme c'est le cas à chaque lancement de nouveaux services. À titre d'exemple, une réflexion particulière devra être conduite sur le maintien d'un marché concurrentiel dynamique à l'occasion du grand chantier de fermeture du réseau cuivre.

J'aurai aussi une attention particulière pour le marché « entreprises », aujourd'hui faiblement concurrentiel, ce qui conduit les PME à être peu fibrées en France. L'Arcep a posé un cadre de régulation pour développer les offres avec une qualité de service renforcée sur les réseaux FTTH. Nous analyserons rapidement si le cadre de régulation actuelle assez récent porte ses fruits ou s'il convient de le faire évoluer.

En troisième priorité, je souhaite que l'Arcep poursuive ses travaux sur l'empreinte environnementale du numérique. Il importe de voir comment la régulation peut contribuer à l'objectif de développement durable, tout en conservant des objectifs ambitieux d'aménagement du territoire, d'innovation et de développement de la filière. Je salue le travail initié par l'Arcep dès le début de l'année 2020, travail voulu par le collège et faisant écho aux questions de la société sur ce sujet.

L'Arcep doit aussi s'appuyer sur vos travaux, le Sénat ayant été particulièrement précurseur sur ce sujet. Le numérique est partout, dans tous les secteurs. Il est facteur d'innovation dans tous les domaines : formation, éducation, santé, loisirs, agriculture, industrie, transport. Il permet la simplification des démarches quotidiennes et d'éviter des déplacements. Il change en profondeur l'organisation du travail et le fonctionnement des entreprises. Bien logiquement, la consommation de l'ensemble du secteur numérique va continuer à croître de façon importante dans les années à venir, notamment avec l'explosion des objets connectés. Je souhaite, à ce titre, que les travaux menés par l'Arcep et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à la demande du Gouvernement, puissent prendre en compte l'ensemble des dimensions du sujet, c'est-à-dire à la fois la consommation propre du secteur du numérique, mais aussi les effets des usages du numérique, afin d'éclairer au mieux, de façon scientifique, les décisions à prendre.

Je souhaite également que l'Arcep participe aux travaux du régulateur européen, le Bérec, sur ce sujet et porte une ambition européenne, en accord avec les choix des élus et du Gouvernement.

La qualité de service des réseaux est aussi un enjeu important. Aujourd'hui, le réseau cuivre est vieillissant. Il assure encore la grande majorité des raccordements au téléphone et à l'internet de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales. La qualité de service sur le réseau cuivre est préoccupante à certains endroits et doit faire l'objet d'une attention particulière de l'Arcep. Il existe aussi des difficultés dans la qualité de service sur les réseaux fibres en cours de déploiement. En effet, les relations actuelles entre opérateur d'infrastructures - celui qui déploie le réseau - et opérateur commercial - celui qui vend et raccorde le client - sont insatisfaisantes, entraînant des difficultés importantes sur la qualité de service global des raccordements du réseau. Une action urgente doit aussi être menée sur ce sujet.

Concernant le travail sur la régulation du numérique, qui est l'objet de nombreux débats en France ou en Europe, je souhaite que l'Arcep continue à y contribuer. D'abord dans le cadre de ses compétences sur l'internet ouvert, qui doit être garanti non seulement sur les réseaux, mais aussi sur les plateformes structurantes afin de garantir le libre choix du consommateur. Mais aussi dans tous les débats sur ces enjeux, en France ou au niveau européen, voire international. Je veillerai dans le rôle qui sera le mien, si vous me validez, à faire progresser ce sujet jusqu'au bout, notamment dans les discussions à venir sur le règlement du Digital Markets Act.

Je souhaiterais aussi mentionner rapidement deux autres sujets importants en matière de télécoms de la mandature à venir. D'abord la 5G, bien sûr. L'Arcep devra veiller au suivi des obligations, à l'appropriation par les entreprises d'offres en business to business (B2B), préparer des appels à candidatures dans la bande 26 GHz, lancer les appels d'offres sur la 5G dans les territoires ultramarins. Enfin, je ne peux finir sans parler du grand chantier de fermeture du réseau cuivre d'Orange, que l'Arcep doit aussi préparer et suivre dans les prochaines années.

Concernant les priorités pour la régulation du secteur des postes, je souhaite attirer l'attention sur la qualité du service universel postal. Pendant la période du premier confinement, vous avez pu voir combien le service universel a été fragilisé. L'Arcep, au-delà de son rôle de contrôle des objectifs du service universel, pourrait demander à disposer des informations en temps réel sur la situation du service universel de La Poste sur chaque territoire, dans la logique de la régulation « par la donnée » mise en place pour les télécoms. Je propose qu'une réflexion puisse être menée avec La Poste sur ce sujet.

Par ailleurs, étant donné le rôle croissant des grandes plateformes du e-commerce, le marché du colis, même s'il n'est pas régulé, pourrait faire l'objet d'une étude spécifique de l'Arcep prenant en compte les enjeux de qualité de service, de satisfaction des utilisateurs, d'identification des problèmes du secteur, de nouvelles formes de distribution, d'accessibilité des points relais ou des « lockers » mono ou multi-utilisateurs. Une mise à plat et un observatoire permettraient d'identifier quelles sont les spécificités qui posent encore des difficultés en matière de livraison, ce qui me semble un enjeu important d'équité territoriale.

Enfin, concernant la régulation du secteur de la distribution de la presse, ma priorité sera de mettre en place l'ensemble du système de régulation prévu dans la loi pour assurer la distribution de la presse. La loi a profondément changé l'organisation de la régulation fin 2019. L'Arcep a mis en place une équipe dédiée à ce sujet en 2020. Le secteur a subi de graves difficultés en 2020 avec le dépôt de bilan de la société Presstalis. L'Arcep a géré les urgences et n'a pas encore pu bâtir le nouveau cadre réglementaire prévu par les textes. Ce sera donc une priorité pour 2020. J'aurai à coeur de m'y investir pleinement afin de mettre en oeuvre l'ensemble des compétences confiées à l'Arcep par le législateur.

Je veux ajouter que l'Arcep n'est pas une autorité comme les autres, qu'il s'agisse de ses relations avec le Parlement et les collectivités territoriales, mais aussi parce que les sujets régulés touchent le quotidien des Français. Mes mandats de députée et d'élue locale dans un département rural pendant de nombreuses années ne pourront pas s'oublier du jour au lendemain. J'aurai à coeur de porter ces sujets sur lesquels je me suis tant investie, en particulier celui de la couverture numérique du territoire, pour un réseau fixe un réseau mobile de qualité partout et pour tous. J'ai toujours cru à la nécessité d'un déploiement d'un réseau fibre pour tous, car je sais que chaque famille, qu'elle habite dans un village isolé des Dombes ou dans mon village de Saint-Denis-des-Puits a exactement les mêmes besoins qu'une famille qui habite le centre de Paris.

Je veux aussi vous dire que je suis très motivée par cette évolution professionnelle. Je la vois comme une vraie continuité de mon investissement sur les enjeux numériques.

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