Intervention de Annick Billon

Réunion du 21 janvier 2021 à 10h30
Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Annick BillonAnnick Billon :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à commencer par saluer la qualité du travail de la commission des lois et de son rapporteur, Marie Mercier.

Ce texte, cosigné par plus de cent sénateurs et sénatrices de tous bords politiques, témoigne une nouvelle fois de la capacité de notre assemblée à se saisir de grands sujets de société.

La proposition de loi que je présente aujourd’hui devant vous est le fruit de longs travaux menés par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que j’ai l’honneur de présider. Elle découle également de la conviction que notre droit pénal actuel ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels.

Plusieurs études montrent que les mineurs représentent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans. Il y aurait chaque année en France environ 150 000 viols et tentatives de viols sur mineurs, c’est-à-dire 300 à 400 par jour.

Pour ajouter à l’inacceptable, les crimes sexuels sur mineurs présentent une caractéristique spécifique. Dans l’immense majorité des cas, le mis en cause connaissait sa victime. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche, un ami, un membre de la famille, une personne de confiance.

Nous le savons, ces chiffres effroyables sont au-dessous de la réalité. Ils témoignent de l’ampleur du phénomène et nous imposent d’agir pour protéger les jeunes mineurs et condamner les auteurs.

Ce texte n’a pas été élaboré en réaction à la déflagration politique et médiatique provoquée par le livre de Camille Kouchner, La Familia grande. En revanche, ce livre fait écho à la proposition de loi et offre au législateur l’occasion de se positionner de façon claire.

Si notre rôle n’est pas de réagir de manière impulsive aux soubresauts de l’actualité, il est en revanche de notre devoir de prendre en compte et d’accompagner les évolutions profondes de notre société. En effet, les représentations sociétales de ces violences sexuelles ont fluctué au cours du temps et les travaux sur la psychologie des jeunes adolescents et sur la notion de consentement chez l’enfant sont désormais légion.

Dans ce domaine, il faut le reconnaître, notre droit n’a pas évolué à la même vitesse que nos consciences. Au terme des travaux de la délégation, j’ai acquis une conviction, celle qu’un enfant ne dispose jamais du discernement suffisant pour consentir de manière éclairée à un rapport sexuel avec un adulte.

L’instauration d’un seuil d’âge de non-consentement apparaît dès lors comme une réponse pertinente pour protéger les jeunes mineurs, en raison de leur particulière vulnérabilité et de leur inclination à se soumettre à l’autorité de l’adulte.

C’était d’ailleurs le sens des annonces faites en 2017 par le Président de la République, qui souhaitait instaurer un seuil d’âge à 15 ans. Le Gouvernement avait cependant fait marche arrière à la suite des réserves émises par le Conseil d’État sur la constitutionnalité de la mesure.

Ces réserves n’empêchent pas, plus de deux ans après la publication de cet avis, de rouvrir le débat sur le seuil d’âge. La création d’une infraction nouvelle de crime sexuel sur mineur de 13 ans balaie les objections soulevées à l’époque, d’une part, parce que celles-ci s’appuyaient principalement sur le choix de l’âge retenu dans le projet de loi – 15 ans –, d’autre part, parce que cette proposition de loi surmonte la difficulté posée par l’introduction d’une présomption irréfragable de contrainte, réputée inconstitutionnelle en droit pénal.

En effet, ce texte ne prévoit pas de présomption de contrainte, mais introduit un nouvel interdit dans notre droit, celui de tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans. Il s’agit donc aujourd’hui de poser une limite claire à travers la création d’une nouvelle infraction distincte de celle du crime de viol.

Les critères constitutifs du crime de viol que sont la contrainte, la menace, la violence ou la surprise reviennent à faire porter l’appréciation du juge ou du juré sur le comportement de la victime. Ils conduisent donc fatalement à se poser la question de son consentement. Or la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est un adulte, n’a tout simplement pas sa place dans le débat lorsque la victime est particulièrement jeune.

L’élément intentionnel du crime créé dans ce texte résulterait de la pénétration sexuelle, ainsi que de la connaissance de l’âge de la victime par l’auteur des faits. Pour se défendre, l’auteur aura la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle.

Ce nouveau crime serait puni de vingt ans de réclusion criminelle, à l’instar de la peine prévue dans le cas d’un viol avec circonstances aggravantes.

Avec ce texte, c’est non plus le comportement de l’enfant, mais celui de l’adulte, qui est en question. Les tergiversations autour du comportement de l’enfant ne pourront plus dédouaner l’agresseur de sa pleine et entière responsabilité pénale.

L’une des difficultés qu’il nous restait à surmonter était de répondre à la critique relayée par certains sur le déficit de protection qu’occasionnerait la création de cette infraction spécifique pour les victimes mineures ayant entre 13 et 15 ans. Les travaux menés par notre rapporteur Marie Mercier ont permis, dès l’examen du texte en commission, de faire disparaître ces critiques en prévoyant que, pour une victime âgée entre 13 et 15 ans, « la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante ».

Mes chers collègues, cette proposition de loi permettra de franchir un cap juridique, mais aussi doctrinal. En l’adoptant, vous permettrez non seulement de renforcer notre arsenal législatif en vue d’une meilleure protection des mineurs, mais surtout d’entériner un virage majeur dans la manière d’appréhender ces agissements.

Un enfant ne sera alors jamais plus considéré comme complice ou complaisant par rapport aux actes sexuels qu’un adulte commet sur lui. Le seul et unique responsable sera son auteur, l’agresseur. Ce changement, qui permettra à la justice de reconnaître pleinement le statut de victime à ces enfants et d’ôter aux enfants devenus adultes le poids d’une culpabilité éprouvée à tort, aura un effet primordial sur la reconstruction future des victimes de cette ignominie.

Monsieur le garde des sceaux, la Haute Assemblée vous propose aujourd’hui une évolution importante de notre droit pénal. Il n’y a pas qu’au Sénat que les choses bougent : vous avez récemment reçu le rapport de notre collègue députée Alexandra Louis : elle plaide, elle aussi, pour la création d’une nouvelle infraction spécifique.

Doit-on y voir les prémices d’une évolution qui pourrait être soutenue par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale ? Si tel est le cas, monsieur le garde des sceaux, nous invitons solennellement le Gouvernement à se saisir du présent texte, qui sera – je l’espère – très largement adopté par le Sénat, et à l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, comme vient de vous le demander Dominique Vérien.

La Haute Assemblée sera particulièrement vigilante sur ce point : il ne faudrait pas que vous reveniez nous voir dans quelques mois avec un nouveau texte, qui proposerait la même chose, mais dont les auteurs seraient différents.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion