Séance en hémicycle du 21 janvier 2021 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à dix heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Dominique Vérien, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Monsieur le président, mon rappel au règlement concerne l’organisation de nos travaux.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, le sujet que nous allons aborder dans quelques instants avec l’examen de cette proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels est à la fois sensible, urgent et placé sous les feux de l’actualité.

Le Gouvernement reconnaît qu’il faut agir pour mieux protéger les victimes. L’émotion ressentie dans notre pays témoigne de l’attente de nos concitoyens. Des solutions doivent être apportées rapidement, au-delà des clivages politiques.

C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement d’engager la procédure accélérée sur ce texte majeur, comme le lui autorise l’article 45 de la Constitution.

Si la proposition de loi qui sera adoptée par le Sénat aujourd’hui vous semble devoir être améliorée, vous savez que la navette parlementaire permettra les ajustements nécessaires. C’est le principe du bicamérisme.

Nous comptons donc sur le Gouvernement pour accélérer le rythme de la navette parlementaire et inscrire rapidement ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Nous ne comprendrions pas que, pour des raisons purement politiciennes, vous favorisiez un autre texte qui ne débuterait son parcours que dans quelques semaines.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous prendre cet engagement devant le Sénat ?

Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 86 bis du règlement, au scrutin secret pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République. Ce scrutin se déroulera dans la salle des conférences ; la séance ne sera pas suspendue durant les opérations de vote.

Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je remercie nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Corinne Imbert, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Le juge suppléant à la Cour de justice de la République nouvellement élu sera immédiatement appelé à prêter serment devant le Sénat.

Je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Il sera clos dans une demi-heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, présentée par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 158, texte de la commission n° 272, rapport n° 271).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Esther Benbassa et Valérie Boyer applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à commencer par saluer la qualité du travail de la commission des lois et de son rapporteur, Marie Mercier.

Ce texte, cosigné par plus de cent sénateurs et sénatrices de tous bords politiques, témoigne une nouvelle fois de la capacité de notre assemblée à se saisir de grands sujets de société.

La proposition de loi que je présente aujourd’hui devant vous est le fruit de longs travaux menés par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que j’ai l’honneur de présider. Elle découle également de la conviction que notre droit pénal actuel ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels.

Plusieurs études montrent que les mineurs représentent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans. Il y aurait chaque année en France environ 150 000 viols et tentatives de viols sur mineurs, c’est-à-dire 300 à 400 par jour.

Pour ajouter à l’inacceptable, les crimes sexuels sur mineurs présentent une caractéristique spécifique. Dans l’immense majorité des cas, le mis en cause connaissait sa victime. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche, un ami, un membre de la famille, une personne de confiance.

Nous le savons, ces chiffres effroyables sont au-dessous de la réalité. Ils témoignent de l’ampleur du phénomène et nous imposent d’agir pour protéger les jeunes mineurs et condamner les auteurs.

Ce texte n’a pas été élaboré en réaction à la déflagration politique et médiatique provoquée par le livre de Camille Kouchner, La Familia grande. En revanche, ce livre fait écho à la proposition de loi et offre au législateur l’occasion de se positionner de façon claire.

Si notre rôle n’est pas de réagir de manière impulsive aux soubresauts de l’actualité, il est en revanche de notre devoir de prendre en compte et d’accompagner les évolutions profondes de notre société. En effet, les représentations sociétales de ces violences sexuelles ont fluctué au cours du temps et les travaux sur la psychologie des jeunes adolescents et sur la notion de consentement chez l’enfant sont désormais légion.

Dans ce domaine, il faut le reconnaître, notre droit n’a pas évolué à la même vitesse que nos consciences. Au terme des travaux de la délégation, j’ai acquis une conviction, celle qu’un enfant ne dispose jamais du discernement suffisant pour consentir de manière éclairée à un rapport sexuel avec un adulte.

L’instauration d’un seuil d’âge de non-consentement apparaît dès lors comme une réponse pertinente pour protéger les jeunes mineurs, en raison de leur particulière vulnérabilité et de leur inclination à se soumettre à l’autorité de l’adulte.

C’était d’ailleurs le sens des annonces faites en 2017 par le Président de la République, qui souhaitait instaurer un seuil d’âge à 15 ans. Le Gouvernement avait cependant fait marche arrière à la suite des réserves émises par le Conseil d’État sur la constitutionnalité de la mesure.

Ces réserves n’empêchent pas, plus de deux ans après la publication de cet avis, de rouvrir le débat sur le seuil d’âge. La création d’une infraction nouvelle de crime sexuel sur mineur de 13 ans balaie les objections soulevées à l’époque, d’une part, parce que celles-ci s’appuyaient principalement sur le choix de l’âge retenu dans le projet de loi – 15 ans –, d’autre part, parce que cette proposition de loi surmonte la difficulté posée par l’introduction d’une présomption irréfragable de contrainte, réputée inconstitutionnelle en droit pénal.

En effet, ce texte ne prévoit pas de présomption de contrainte, mais introduit un nouvel interdit dans notre droit, celui de tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans. Il s’agit donc aujourd’hui de poser une limite claire à travers la création d’une nouvelle infraction distincte de celle du crime de viol.

Les critères constitutifs du crime de viol que sont la contrainte, la menace, la violence ou la surprise reviennent à faire porter l’appréciation du juge ou du juré sur le comportement de la victime. Ils conduisent donc fatalement à se poser la question de son consentement. Or la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est un adulte, n’a tout simplement pas sa place dans le débat lorsque la victime est particulièrement jeune.

L’élément intentionnel du crime créé dans ce texte résulterait de la pénétration sexuelle, ainsi que de la connaissance de l’âge de la victime par l’auteur des faits. Pour se défendre, l’auteur aura la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle.

Ce nouveau crime serait puni de vingt ans de réclusion criminelle, à l’instar de la peine prévue dans le cas d’un viol avec circonstances aggravantes.

Avec ce texte, c’est non plus le comportement de l’enfant, mais celui de l’adulte, qui est en question. Les tergiversations autour du comportement de l’enfant ne pourront plus dédouaner l’agresseur de sa pleine et entière responsabilité pénale.

L’une des difficultés qu’il nous restait à surmonter était de répondre à la critique relayée par certains sur le déficit de protection qu’occasionnerait la création de cette infraction spécifique pour les victimes mineures ayant entre 13 et 15 ans. Les travaux menés par notre rapporteur Marie Mercier ont permis, dès l’examen du texte en commission, de faire disparaître ces critiques en prévoyant que, pour une victime âgée entre 13 et 15 ans, « la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante ».

Mes chers collègues, cette proposition de loi permettra de franchir un cap juridique, mais aussi doctrinal. En l’adoptant, vous permettrez non seulement de renforcer notre arsenal législatif en vue d’une meilleure protection des mineurs, mais surtout d’entériner un virage majeur dans la manière d’appréhender ces agissements.

Un enfant ne sera alors jamais plus considéré comme complice ou complaisant par rapport aux actes sexuels qu’un adulte commet sur lui. Le seul et unique responsable sera son auteur, l’agresseur. Ce changement, qui permettra à la justice de reconnaître pleinement le statut de victime à ces enfants et d’ôter aux enfants devenus adultes le poids d’une culpabilité éprouvée à tort, aura un effet primordial sur la reconstruction future des victimes de cette ignominie.

Monsieur le garde des sceaux, la Haute Assemblée vous propose aujourd’hui une évolution importante de notre droit pénal. Il n’y a pas qu’au Sénat que les choses bougent : vous avez récemment reçu le rapport de notre collègue députée Alexandra Louis : elle plaide, elle aussi, pour la création d’une nouvelle infraction spécifique.

Doit-on y voir les prémices d’une évolution qui pourrait être soutenue par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale ? Si tel est le cas, monsieur le garde des sceaux, nous invitons solennellement le Gouvernement à se saisir du présent texte, qui sera – je l’espère – très largement adopté par le Sénat, et à l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, comme vient de vous le demander Dominique Vérien.

La Haute Assemblée sera particulièrement vigilante sur ce point : il ne faudrait pas que vous reveniez nous voir dans quelques mois avec un nouveau texte, qui proposerait la même chose, mais dont les auteurs seraient différents.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Le Sénat a malheureusement déjà eu à subir de telles manœuvres depuis le début de cette législature.

Monsieur le garde des sceaux, lorsque j’entends ces derniers jours Marlène Schiappa, ancienne secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, proposer d’instaurer un seuil d’âge, alors qu’elle s’y était engagée en 2017, mais ne l’avait pas fait en 2018 dans le cadre du projet de loi qu’elle défendait, permettez-moi de sourire, mais c’est un sourire jaune…

Nous avons aujourd’hui la possibilité d’établir un nouveau paradigme et de lever l’ambiguïté persistante autour du consentement de l’enfant. Saisissons-nous de cette chance. Trop d’enfants souffrent de n’avoir pas su, trop d’enfants souffrent de n’avoir pas pu.

En votant cette proposition de loi, nous portons la voix des enfants et nous pouvons dire simplement : « Non, ceci est un crime ! »

Applaudissements.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi déposée par Annick Billon et plusieurs de nos collègues, le Sénat est de nouveau amené à se prononcer sur la question de la protection des mineurs contre les violences sexuelles dont ils peuvent être victimes de la part d’adultes. Ce débat fait suite aux discussions approfondies que nous avons eues en 2018 lors de l’examen du projet de loi Schiappa.

Notre débat intervient également après que plusieurs travaux de contrôle, auxquels j’ai participé, ont été menés à leur terme, le rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions étant le plus récent.

Annick Billon souhaite cependant franchir une autre étape en introduisant dans le code pénal une nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur, qui serait constituée en cas de pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur de 13 ans.

À la différence du viol ou de l’agression sexuelle, l’infraction serait constituée sans qu’il soit nécessaire de rechercher s’il y a eu un élément de contrainte, de menace de violence ou de surprise, dont la preuve est souvent difficile à rapporter. Elle serait punie de vingt ans de réclusion criminelle, soit la même peine que celle qui est prévue en cas de viol sur mineur de 15 ans.

En 2018, le Sénat a déjà débattu de l’opportunité de créer une telle infraction ou de modifier la définition du viol, afin d’introduire une présomption de non-consentement au-dessous d’un certain seuil d’âge. À l’époque, la commission des lois n’a pas retenu ces propositions en raison des doutes émis sur leur constitutionnalité, mais aussi du risque que l’introduction d’un nouveau seuil à 13 ans n’affaiblisse la protection due aux jeunes de 13 à 15 ans.

La commission des lois a alors préféré compléter le code pénal par des dispositions immédiatement applicables, qui précisaient le sens des notions de contrainte et de surprise, éléments constitutifs de l’infraction de viol, et ce afin qu’il soit plus facile de les caractériser : celles-ci peuvent résulter de la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, ou de l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.

Je souligne que la proposition de loi que nous examinons tire les leçons des débats de 2018.

À l’époque, le Gouvernement a envisagé de modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement en cas d’acte de pénétration sexuelle commis sur un mineur de moins de 15 ans. Cette solution n’a pas été retenue au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en droit pénal, n’admet une éventuelle présomption que dans le domaine contraventionnel et à la condition qu’il s’agisse d’une présomption simple.

La proposition de loi contourne cet obstacle juridique en créant une infraction autonome. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur serait construite sur le modèle du délit d’atteinte sexuelle, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le majeur qui a un contact de nature sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans.

Le crime sexuel sur mineur viendrait renforcer la protection des jeunes de moins de 13 ans, le délit d’atteinte sexuelle étant maintenu pour les jeunes de 13 à 15 ans.

Dans son avis du 15 mars 2018 sur le projet de loi Schiappa, le Conseil d’État a par ailleurs estimé que la seule référence à l’âge de la victime pourrait ne pas suffire pour répondre à l’exigence constitutionnelle de l’existence d’un élément intentionnel en matière criminelle. Le fait de retenir un seuil d’âge à 13 ans plutôt qu’à 15 ans réduit cependant ce risque de non-conformité à la Constitution.

Avec un seuil fixé à 13 ans, l’écart d’âge avec un jeune majeur devient plus significatif, ce qui rend beaucoup plus improbable le fait que celui-ci puisse entretenir une relation consentie avec un mineur à peine sorti de l’enfance.

Ces considérations ont conduit la commission à accepter la proposition de loi, celle-ci considérant que le texte pose un interdit plus clair, certes pour les agresseurs potentiels – et c’est très bien –, mais surtout pour les enfants qui doivent savoir que certains actes commis par un adulte ne sont pas autorisés. Il faut le leur dire !

La sauvegarde de l’enfance passe par des interdits. Le mineur, l’enfant devient un acteur : c’est la loi qui interdit d’avoir des rapports sexuels avec un adulte. La loi le protège, la loi dit « non » : c’est cet interdit qui doit s’ancrer dans l’esprit de l’enfant. Dans ce domaine, l’éducation a un rôle majeur à jouer et c’est la société tout entière qui doit s’emparer du sujet de la protection des mineurs pour faire changer les mentalités.

La commission a enrichi le texte, d’abord pour éviter l’écueil qui pourrait résulter de la création d’un nouveau seuil d’âge. Selon moi, l’âge est le clair-obscur de la réalité. Je suis personnellement très soucieuse d’éviter que la fixation d’un seuil d’âge à 13 ans sous-entende qu’un jeune de 13 ans et un jour devienne tout à coup consentant. Cela entraînerait alors un affaiblissement de la protection que nous devons aux jeunes de 13 à 15 ans.

C’est pourquoi, sur mon initiative, la commission a introduit un article additionnel, accepté par Annick Billon, afin d’inscrire dans le code pénal que la contrainte, élément constitutif du viol, peut résulter du jeune âge du mineur de moins de 15 ans, qui ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. Une disposition similaire avait été adoptée par le Sénat en 2018, mais n’avait pas été retenue dans la version définitive de la loi Schiappa.

Concernant le dispositif même de la proposition de loi d’Annick Billon, la commission a apporté deux améliorations plus techniques, qui visent notamment à préciser la définition de la notion de pénétration sexuelle en l’alignant sur celle qui est retenue pour le viol.

La commission a aussi procédé à une coordination avec le code de procédure pénale, afin d’appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de procédure dérogatoires prévues pour les affaires qui concernent les mineurs. Je pense par exemple à la possibilité de prononcer une injonction de soins, de sorte que l’auteur des faits soit suivi médicalement.

Par le jeu des renvois, la mesure que nous avons adoptée aura également pour effet d’étendre à la nouvelle infraction la règle de prescription applicable aux autres crimes sur mineurs, soit un délai de trente ans à compter de la majorité de la victime. Il s’agit d’une règle très protectrice, puisque, je vous le rappelle, le délai de prescription de droit commun est de vingt ans à compter de la commission des faits. Il tient compte du temps souvent très long qui s’écoule avant que la victime ne parvienne à briser la loi du silence et trouve la force de porter plainte.

La commission a également introduit un volet préventif dans ce texte en adoptant plusieurs amendements présentés par Michel Savin et Valérie Boyer.

Deux articles additionnels concernent le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), outil qui a fait ses preuves dans le cadre des enquêtes judiciaires, mais aussi comme moyen de contrôler les antécédents d’un individu avant son embauche pour un poste où il se trouverait en contact régulier avec des mineurs.

Afin d’exploiter encore mieux les potentialités de ce fichier, la commission vous propose de compléter la liste des infractions entraînant une inscription au Fijaisv et de prévoir une inscription automatique des auteurs d’infractions sur mineurs, quelle que soit la peine encourue.

Par ailleurs, nous avons adopté un amendement qui tend à encourager les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale au contact de mineurs, pour mieux prévenir la récidive.

Je suis persuadée que l’examen du texte en séance publique permettra de l’enrichir encore davantage. Hier, plusieurs amendements de collègues issus de toutes les travées de cette assemblée ont reçu le soutien de la commission : j’espère qu’ils seront adoptés par notre assemblée.

J’ai en outre déposé un amendement, qui a pour objet d’allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de mauvais traitements, agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur, prévu par l’article 434-3 du code pénal. Afin que cette infraction devienne plus dissuasive et compte tenu du temps souvent très long qui s’écoule avant la révélation de ces affaires, nous vous proposons de porter ce délai de prescription à dix ans à compter de la majorité de la victime en cas de délit et à vingt ans en cas de crime.

La commission s’est également prononcée en faveur d’un amendement déposé par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tendant à créer une circonstance aggravante du délit d’atteinte sexuelle sur mineur en cas d’inceste. Nous devons avancer sur un sujet qui préoccupe légitimement nos concitoyens, la grande majorité des violences sexuelles sur mineurs ayant lieu, nous le savons, dans le cercle familial.

Enfin, la commission soutient l’adoption de deux amendements complémentaires, qui visent à préciser la définition du viol et celle du nouveau crime sexuel sur mineur, afin de cibler l’ensemble des actes bucco-génitaux. Actuellement, ces actes sont pris en compte lorsque la victime est un garçon, mais pas quand il s’agit d’une petite fille. Cette différence de traitement est difficilement justifiable et mérite d’être corrigée. C’est pourquoi je salue l’initiative des auteurs de ces amendements.

Au-delà de ces modifications législatives et de la nécessité d’accorder des moyens accrus à la justice et aux tribunaux, je suis convaincue que c’est la mobilisation de la société tout entière qui permettra de faire reculer les violences sexuelles sur mineurs et l’omerta qui, trop souvent, les entoure. L’actualité nous rappelle qu’aucun milieu social n’est épargné et que les agressions se produisent majoritairement dans le cadre familial.

L’examen de cette proposition de loi constitue une étape supplémentaire dans l’indispensable prise de conscience, qui est la clé d’une lutte efficace contre ces violences inacceptables que sont les crimes contre l’enfance.

« Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. » C’est Portalis qui nous le rappelle.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Monsieur le président, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, y a-t-il dans notre République cause plus noble, cause plus juste et cause plus urgente aujourd’hui que celle d’assurer pleinement, après tant d’années de déni, la protection de nos enfants contre les crimes sexuels ?

Une prise de conscience générale traverse et interroge la société tout entière. Nous devons – c’est notre devoir ! – y répondre tous ensemble.

Dans un vaste mouvement de libération de la parole, les victimes de crimes sexuels, notamment d’incestes, sont de plus en plus nombreuses à faire entendre leur voix : la voix de la souffrance trop longtemps enfouie et étouffée, cette voix qui nous demande d’agir pour empêcher que d’autres enfants connaissent à l’avenir le même cauchemar.

Il nous faut bien sûr saluer leur courage, leur apporter notre soutien, leur témoigner notre solidarité, mais il nous faut aussi, à nous, parlementaires et Gouvernement unis dans un même combat, donner une traduction juridique à ce besoin de protection et de reconnaissance.

Le crime doit être clairement nommé, les victimes doivent être pleinement reconnues. Nous en avons tous ici la conviction : ces objectifs partagés ne peuvent être atteints que si nous améliorons nos règles juridiques et la réponse judiciaire.

Les enfants abusés hier sont devenus des adultes que les réseaux sociaux, souvent bien des années après, ont aidés à révéler leur histoire et à dire leurs souffrances. Des voix fortes et puissantes se sont exprimées, mais également avec elles, et souvent grâce à elles, des milliers d’anonymes. Nous le savons, cette libération va se poursuivre.

Les réseaux sociaux ne peuvent cependant pas remplacer le besoin de justice : toute modification de la loi pénale doit être envisagée avec détermination, mais prudence. Les évolutions de la loi pénale doivent prendre en compte les phénomènes sociaux, mais elles doivent aussi s’accompagner d’une réflexion aboutie, notamment en termes de prescription, sans céder à la précipitation qu’appelle une émotion bien légitime.

Vous le savez, notre gouvernement a fait de la protection des enfants une priorité du quinquennat. Nous sommes convaincus que seule une action collective est efficace. C’est pourquoi tous les ministères sont mobilisés dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants promu par Adrien Taquet. Cette mobilisation s’est déjà traduite par l’adoption de la loi du 3 août 2018 qui a renforcé notre droit en matière de lutte contre les infractions sexuelles commises à l’égard des mineurs.

Même si nous devons aller plus loin, je rappelle les améliorations récentes apportées par le législateur, qui sont autant de références pour nos travaux.

Le délai de prescription a ainsi été étendu de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur les mineurs, un délai courant à compter de la majorité de la victime, afin de laisser à celle-ci davantage de temps pour porter plainte.

Les dispositions interprétatives immédiatement applicables aux procédures en cours, même pour des faits commis avant la réforme, ont clarifié la notion de contrainte : celle-ci peut désormais résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur. Ainsi, s’agissant du mineur victime âgé de 15 ans ou moins, il est désormais précisé que la contrainte morale ou la surprise sont « caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

Cette loi a également prévu, si le crime de viol ne peut être établi, que toute pénétration sexuelle commise sur un mineur de 15 ans par un majeur caractérise le délit d’atteinte sexuelle, délit qui, je le rappelle, est puni d’une peine de sept ans d’emprisonnement, voire de dix ans en cas de circonstances aggravantes.

Faut-il aller plus loin ? Sur quels points ? Ce sont les questions qu’il nous faut maintenant trancher.

J’observe d’abord que les apports de la réforme de 2018 sont très récents. Même si un travail d’évaluation de grande qualité a pu être mené par la députée Alexandra Louis, il n’est pas possible aujourd’hui d’évaluer pleinement le bénéfice de ces dispositions.

Pour autant, je rejoins l’auteure de la proposition de loi sur le fait que nous devons collectivement viser l’exigence d’un plus haut niveau de protection des mineurs.

Le texte examiné aujourd’hui retient toute l’attention du Gouvernement, en ce qu’il prévoit principalement de créer un crime punissant de vingt ans d’emprisonnement tout acte de pénétration sexuelle commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.

Je tiens, à cet égard, à saluer l’implication d’Annick Billon, ainsi que celle du groupe Union Centriste, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.

Ainsi, nous pouvons avoir un débat que – vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs – j’estime essentiel, mais qui – je vous l’indique d’emblée – devra à mon avis nourrir des concertations dans les semaines à venir.

Exclamations sur les travées du groupe SER. – Mme Sonia de La Provôté s ’ exclame également.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Encore raté ! On verra dans deux ans, comme en 2018 !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ma responsabilité de garde des sceaux consiste à soutenir le meilleur dispositif tout en assurant le respect des exigences de notre État de droit. Les attentes des victimes sont trop fortes pour risquer la déception et l’incompréhension d’une réforme qui pourrait donner lieu à une censure constitutionnelle.

Nouvelles exclamations sur les travées du groupe SER.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Des questions importantes restent posées et le rapport de la commission ne les occulte d’ailleurs pas. J’observe que le seuil criminel retenu dans la nouvelle écriture proposée est celui de 13 ans, là où la loi du 3 août 2018 retenait le seuil de 15 ans. Cette proposition pourrait ainsi être perçue comme un affaiblissement de la protection des mineurs de 13 à 15 ans, à tout le moins poserait une question d’articulation.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Il suffit d’un amendement du Gouvernement !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Par ailleurs, le crime qu’il est proposé d’instituer ne porte pas le nom de « viol », tout en étant puni comme tel. Des associations ont déjà alerté sur l’importance attachée à une dénomination criminelle claire, au risque sinon de l’incompréhension et de la confusion.

Enfin, s’il n’est pas interdit de faire coexister plusieurs régimes juridiques – la proposition de loi ne pourrait concerner que les faits commis après son entrée en vigueur –, a-t-on véritablement mesuré la difficulté pour les magistrats et les jurés, qui auraient à appliquer plusieurs régimes juridiques en fonction de la date de commission des faits ?

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame Billon, je salue votre proposition de loi…

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

… comme une contribution importante au débat démocratique que nous devons avoir sur ce sujet. Ce texte reçoit un accueil favorable de la part du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Reste que nous devons, en nous appuyant sur cette base, comme sur les autres propositions et travaux existants – je pense notamment aux textes et rapport de Mme la sénatrice Laurence Rossignol et de Mmes les députées Alexandra Louis et Isabelle Santiago –, parfaire le dispositif envisagé et le sécuriser juridiquement.

Nous souhaitons compléter le travail normatif à la lumière de nos débats, en vous y associant étroitement, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi dans la concertation indispensable avec les associations participant au quotidien à la libération de la parole, à la prise en charge et à la défense des victimes. J’engagerai, dès la semaine prochaine, ce travail de consultation avec Adrien Taquet.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Vous l’aurez compris, nous partageons votre combat, celui en faveur d’une protection accrue des mineurs contre les violences sexuelles. Votre combat est aussi le mien, celui d’Adrien Taquet et du Gouvernement tout entier. Vous pouvez compter sur notre engagement à avancer très rapidement à vos côtés.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mes chers collègues, il est plus de onze heures. Le scrutin est clos pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, depuis plus de trente ans, des femmes et des hommes, anonymes ou non, ont le courage de briser le silence et de parler : Éva Thomas, Denise Bombardier, Flavie Flament, Christine Angot, Sarah Abitbol, Andréa Bescond, Vanessa Springora, Camille Kouchner. Angélique, Céline, Christine, Laetitia, Mélinda, Sabrina, toutes pensionnaires de la maison d’accueil Jean-Bru, à Agen.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des femmes et des hommes, à la tête de leurs associations, crient sans relâche, depuis des années, les chiffres indignes des violences faites à nos enfants, en particulier des violences sexuelles qu’ils subissent. Je pense évidemment à Isabelle Aubry de Face à l’inceste, François Devaux de La Parole libérée, Laurent Boyer, Arnaud Gallais et tous les représentants des associations de protection de l’enfance, comme, encore, La Voix de l’enfant ou L’Enfant bleu.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des professionnels – pédiatres, psychiatres, anthropologues, philosophes – travaillent depuis des années pour mettre à jour les ressorts profonds, les mécanismes intimes et structurels qui rendent possible ce qui n’est rien d’autre qu’un phénomène de masse. Je citerai évidemment Dorothée Dussy, mais aussi Muriel Salmona, Marc Crépon ou encore tous les chercheurs qui, au sein du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à la demande de Laurence Rossignol, ont travaillé sur le sujet en 2017.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, nous le devons aux dizaines de milliers d’anonymes qui, depuis quelques jours, ont le courage de parler, pour que plus jamais ne s’installent le déni et le silence.

Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, plus que jamais, il dépasse largement l’enceinte de cet hémicycle. Il n’interroge pas simplement notre droit et nos politiques publiques ; il interroge chacun d’entre nous, individuellement, et nous tous, collectivement, en tant que peuple, en tant que Nation, qui acceptons que ses enfants subissent tant de violences et, pour certains, en meurent à petit feu.

Notre société tout entière doit cesser de mimer le silence. Comme le dit symboliquement Dorothée Dussy dans son ouvrage Le Berceau des dominations, « nous devons collectivement briser la grammaire du silence et de la domination ».

Nous devons interroger nos systèmes de valeurs, interroger la famille, non pas pour la détruire – elle est encore largement, et c’est heureux, le lieu de l’épanouissement et de l’amour –, mais pour reconnaître qu’elle peut aussi être le lieu de la violence et de l’exil pour certains enfants. Nous devons briser ces fameux secrets de famille, si délétères. Nous devons aussi, probablement, interroger le modèle patriarcal sur lequel notre société s’est construite.

Depuis trente ans, les déflagrations sont nombreuses ; chaque fois, le couvercle se referme. Elles se succèdent de manière plus rapprochée et avec une intensité plus forte. Il faut voir dans ce phénomène un motif d’espoir : la société supporte de moins en moins l’insupportable ; elle refuse de détourner le regard des actes commis derrière les portes closes.

Dans l’exercice de mes fonctions, et avec l’ensemble du Gouvernement, j’ai très tôt voulu faire de l’écoute et du soutien aux victimes un aspect central de notre action.

Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants évoqué par M. le garde des sceaux, que j’ai annoncé au mois de novembre 2019, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, mettait justement l’accent sur l’importance d’accompagner ceux qui avaient traversé ces épreuves. Ses vingt-deux mesures, travaillées avec l’ensemble des associations, des professionnels de la protection de l’enfance et de la lutte contre les violences sexuelles, ainsi que des ministres du Gouvernement, étaient fortes et commencent à produire leurs effets.

Sous l’égide du garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, nous formons désormais mieux les magistrats, pour qu’ils soient pleinement en mesure de traiter ces situations et ces affaires de violences sexuelles subies par des enfants.

Nous déployons les unités d’accueil pédiatriques enfants en danger. Situées dans les services pédiatriques des hôpitaux, ces unités permettent d’accueillir dans un lieu sécurisant, protecteur, des mineurs – parfois âgés de 3 ou 4 ans – victimes de violence sexuelle et de recueillir leur parole par des professionnels formés, policiers ou gendarmes. Notre territoire en comptera une par département d’ici à 2022.

Nous avons renforcé le contrôle des antécédents judiciaires des personnels intervenant au contact des enfants et systématisé les vérifications du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le Fijaisv.

Nous avons, grâce à votre vote du mois d’août dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, durci les peines pour les personnes qui consultent des sites pédocriminels, portant la peine encourue de deux à cinq ans, avec inscription automatique au Fijaisv. Dès lors, contrairement à ce qui avait cours auparavant, ces personnes ne pourront plus jamais travailler au contact des enfants.

Nous avons également systématisé les bilans psychologiques dans la prise en charge des victimes, afin de les aider dès les premiers pas et, sur le long terme, dans leur chemin de soins.

Ensemble, nous agissons. Toutefois, ce que nous montre sans artifice l’actualité, ce que nous disent sans fard les victimes, ce que nous savons au fond de nous-mêmes, c’est que nous devons aller plus loin et plus vite, que nous devons franchir une nouvelle étape.

Nous le devons non seulement aux dizaines de milliers de personnes qui ont témoigné au cours des derniers jours, mais aussi aux millions d’autres qui n’ont pas encore réussi à le faire.

Le Sénat comme l’Assemblée nationale entendent bien évidemment cet appel, comme le montre cette proposition de loi, dont l’examen nous rassemble aujourd’hui. Nous ne pouvons que le saluer.

Je salue également à mon tour le travail constant de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, en particulier celui qu’ont effectué, au cours des dernières années, Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, ainsi que celui de la députée Alexandra Louis.

Nous en sommes convaincus, nous devons encore mieux former et mieux sensibiliser – et ce très largement – aux questions de violences sexuelles faites aux enfants, instaurer une véritable culture de la prévention, partagée par l’ensemble des professionnels travaillant au contact des enfants.

Nous devons aussi avancer plus rapidement sur la sensibilisation des enfants eux-mêmes, afin qu’ils deviennent les premiers remparts face aux menaces pesant sur eux, …

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

… comme c’est le cas dans d’autres pays, notamment la Suède et le Canada. Le Gouvernement a engagé, avec Jean-Michel Blanquer, des travaux pour renforcer et déployer ces temps indispensables pour sensibiliser, mais aussi prévenir et repérer toute forme de violence envers nos enfants.

Nous devons évidemment mieux prendre en charge les victimes, envers qui la dette de la collectivité n’a pas de prix. Estimer, comme cela a trop longtemps été le cas, qu’elles peuvent se remettre seules du traumatisme qu’elles ont vécu est une seconde violence qui leur est faite. Le coût individuel est inimaginable pour qui ne le vit pas et le coût collectif est phénoménal, tant on sait aujourd’hui que les violences sexuelles subies dans l’enfance sont le premier facteur de tentatives de suicide, de dépressions, de troubles du comportement alimentaire, de maladies chroniques à l’âge adulte.

Parmi toutes les questions nourrissant le débat public, il y a celle de l’âge du consentement, que le Sénat a souhaité, par ce texte, faire évoluer. Le garde des sceaux s’est exprimé très clairement à ce sujet. Il a très justement mis en avant les défis soulevés par cette notion et les différents aspects du texte.

La concertation évoquée par ses soins doit permettre d’affronter ces défis, de répondre à toutes ces questions, d’enrichir encore les dispositions de cette proposition de loi. Elle sera rapide, car les données et les sujets sont sur la table. Elle sera efficace et large, par la diversité des paroles recueillies. Elle sera à l’image de ce que nous sommes et de ce à quoi nous faisons face tous ensemble.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce ne sont pas seulement les victimes qui nous attendent ; c’est la société tout entière qui nous regarde.

On peut probablement même parler d’une introspection, individuelle et collective, que nous engageons aujourd’hui ensemble. Ce ne sera pas aisé. Nous devrons remettre en cause certains de nos réflexes, modèles et références. Nous serons conduits, toutes et tous, à nous interroger.

Il faut en passer par là, j’en suis convaincu ! Nous devons appréhender le sujet de la violence sexuelle sur les enfants dans toute son entièreté, dans toute sa complexité, en explorant les « replis » qui n’ont pas encore été portés au débat public.

Nous devons nous assurer que la parole de celles et ceux qui ne peuvent pas parler pourra s’exprimer. Je pense notamment aux enfants en situation de handicap, qui, comme les femmes face aux violences conjugales, sont bien plus exposés à ces menaces. Ne pas faire face à cette question, c’est passer à côté d’une partie importante du sujet.

Ce cheminement – individuel et collectif – ne sera pas simple, il sera même douloureux. Toutefois, j’y insiste, nous devons le faire, pour le bien de nos enfants d’aujourd’hui et de demain, et probablement aussi un peu pour nous-mêmes.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Iacovelli

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans un contexte politique et médiatique particulier, qui voit enfin une libération progressive de la parole des victimes, mettant fin à l’omerta qui règne trop souvent.

À cela s’ajoute une récente décision de la cour d’appel de Versailles, du 12 novembre dernier, rejetant une demande de requalification en viol de faits présumés d’atteinte sexuelle commis sur une jeune fille de 14 ans.

S’il n’est jamais opportun de légiférer sous le coup de l’émotion ou à la suite d’un fait divers ni de remettre en cause l’office du juge, notre assemblée ne peut rester muette face aux débats sociétaux qui traversent notre pays, en particulier lorsqu’il s’agit de la protection des enfants.

Nous le savons, les jeunes mineurs sont particulièrement exposés aux violences sexuelles, puisque 60 % de celles qui sont recensées concernent des enfants.

Dans leur rapport sur la loi du 3 août 2018, nos collègues députés Erwan Balanant et Marie-Pierre Rixain ont à juste titre estimé que le seuil des 13 ans marquait la limite indiscutable de l’enfance.

Si la notion de consentement trouve déjà sa complexité lorsque le plaignant est un adulte, celle-ci a un écho très singulier lorsque la victime est un jeune mineur.

C’est pourquoi la proposition de loi prévoit d’introduire au sein du code pénal un nouveau crime, puni de vingt ans de réclusion criminelle et caractérisé par tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.

Notre assemblée a déjà connu ce débat et le Gouvernement s’est saisi de cette question à l’occasion de l’examen de la loi de 2018. Celle-ci, par une disposition interprétative, est venue préciser l’appréciation de la contrainte et de la surprise, éléments constitutifs du viol et des autres agressions sexuelles, afin d’en faciliter la démonstration par le juge lorsque la victime est un mineur de moins de 15 ans.

Le texte que nous examinons aujourd’hui emprunte un autre chemin, plus affirmé encore, en proposant de criminaliser tous les actes de pénétration sur mineur de moins de 13 ans.

Il est ainsi rappelé qu’au-dessous de cet âge l’enfant est incapable de discernement pour consentir à ce type de rapports avec un adulte.

Il est ainsi affirmé qu’au-dessous de cet âge la question de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise ne doit pas intervenir.

Il est ainsi posé, en définitive, un interdit clair dans la loi, plus ferme que le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans.

Je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteure, Marie Mercier, qui a contribué à l’enrichissement de ce texte par l’adoption de plusieurs amendements en commission.

Son objectif était notamment de ne pas induire, par l’âge de 13 ans, une moindre protection des mineurs de 13 à 15 ans. Si l’articulation de la disposition introduite à cette fin avec les dispositions interprétatives issues de la loi Schiappa peut poser question, l’objectif de ne pas minorer la protection des autres mineurs est justifié.

La question de l’âge et des effets de seuil est centrale et des travaux sont en cours à l’Assemblée nationale sur le sujet. Nous avons tous à l’esprit le rapport d’Alexandra Louis et la proposition de loi d’Isabelle Santiago, auxquels s’ajoute la concertation annoncée aujourd’hui par le garde des sceaux.

Faut-il retenir un seuil de 13 ans, assorti d’une disposition interprétative pour les mineurs âgés de 13 à 15 ans ? Faut-il inclure tous les mineurs de moins de 15 ans, en ménageant des causes objectives d’irresponsabilité ? Ces questions se posent légitimement, en droit comme en opportunité.

D’autres réflexions – d’actualité – sur l’inceste et sur la prescription, enjeu complexe qui peut être déterminant pour la libération de la parole des victimes, mobiliseront notre hémicycle ce matin.

Dans une écrasante majorité, le groupe RDPI votera ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Iacovelli

M. Xavier Iacovelli. Nous serons plusieurs, également, à voter l’amendement de Laurence Rossignol portant à 15 ans le seuil d’âge de la nouvelle infraction créée.

Mme Laurence Rossignol exprime sa satisfaction.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Iacovelli

Je salue le travail de l’auteure de cette proposition de loi, Annick Billon. Elle se saisit d’un débat de société majeur, que nous ne pouvons pas, je crois, écarter d’un revers de la main.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et UC.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enfance devrait toujours être le temps de l’insouciance. Malheureusement, trop d’enfants subissent humiliations, violences physiques ou sexuelles, autant de traumatismes profonds et durables auxquels il est inconcevable que la société ne réponde pas.

Ce soutien inconditionnel est avant tout indispensable pour que ces victimes puissent se construire, ou se reconstruire, en surmontant l’innommable.

Face aux crimes sexuels, la réponse institutionnelle doit d’abord être celle de la protection du mineur victime. Ce sujet semble faire consensus dans sa finalité : un adulte n’a pas à entretenir un rapport sexuel ou une relation de même nature avec un enfant et il ne fait aucun doute qu’un mineur de 13 ans est un enfant, quelle que soit l’image qu’il peut renvoyer.

Nous ne pouvons pas approuver les positions parfois ambiguës de certains commentateurs, discutant de l’attitude de l’enfant victime, cherchant une forme de réciprocité déculpabilisante pour l’adulte, là où nous ne devrions voir qu’une perversion du besoin affectif de l’enfant. Un enfant n’est pas un adulte. C’est à l’adulte de le savoir et de s’y tenir. C’est à lui de se contrôler et de « s’empêcher », comme disait Albert Camus.

Aussi, je ne doute pas que nous devrions arriver à une unanimité quant à la prohibition des rapports ou des relations sexuelles entre adulte et enfant. Cette unanimité ne devra pas être perdue de vue quand nous débattrons des moyens de parvenir à ce but.

Cette proposition de loi permet une avancée majeure pour notre arsenal répressif. J’en remercie Annick Billon et l’ensemble des signataires, ainsi que Marie Mercier, notre rapporteur, qui a enrichi le texte. Elle pose un interdit clair et strict, à travers la création d’une infraction autonome interdisant sans détour à un majeur d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans.

Il est nécessaire que notre droit puisse répondre avec fermeté et sans complexité à ces abus. Nous saluons donc l’ensemble des dispositions de ce texte, tant pour les solutions apportées en vue de faciliter la répression des faits incriminés que pour le respect de nos principes fondamentaux, ni l’imprescriptibilité ni l’irréfragabilité n’ayant été retenue.

Toutefois, cette évolution ne signifie pas que tout est enfin réglé.

D’abord, nous devons réfléchir au moyen de protéger avec la même efficacité les enfants de 13 à 15 ans, afin qu’il n’y ait pas d’effet de seuil à la date d’anniversaire d’un mineur victime.

Certes, cette proposition de loi apporte une première réponse en disposant que la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. Nous devrons donc observer comment les juges s’approprieront cette disposition et cette notion de « maturité sexuelle suffisante », sans non plus nous empêcher de poursuivre nos réflexions en vue de perfectionner encore davantage ces mécanismes.

Ensuite, demeure la question de l’inceste et de sa condamnation pénale. Le cas de l’abus sexuel intrafamilial ne fait pas, à ce jour, l’objet d’une répression suffisante. Le code pénal ne l’envisage que comme une surqualification ou une circonstance aggravante. Certes, la loi du 3 août 2018 a permis d’avancer sur ce point, mais le dispositif pourrait être complété.

Sur l’initiative de notre ancienne collègue, Françoise Laborde, le groupe du RDSE a déposé une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l’inceste et à demander sa surqualification pénale. Je renouvelle donc notre souhait que des réflexions soient poursuivies sur cette question.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, il faut observer que l’arsenal répressif, même le plus perfectionné, ne suffira pas à faire cesser les abus.

La loi pénale ne fait pas tout. Il faut aussi œuvrer pour une meilleure sensibilisation de la société sur ces sujets, sans les abandonner aux excès qui peuvent être observés dans les réseaux sociaux. Il est aussi nécessaire de veiller à un meilleur accompagnement des victimes, ainsi qu’à un meilleur suivi médical des auteurs des actes.

Pour cela, au-delà des seules sanctions, nous devons travailler à soutenir et aider davantage les professionnels des services de protection de l’enfance, faisant face à ces situations particulièrement lourdes d’un point de vue émotionnel et délicates dans leur suivi.

Toutes ces remarques n’enlèvent rien au texte que nous discutons et que le groupe du RDSE soutiendra sans réserve.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi d’Annick Billon, soumise aujourd’hui à notre examen, prend une résonnance particulière à l’aune de l’actualité et des révélations de Camille Kouchner, révélations ayant conduit, comme il y a trois ans avec l’affaire Harvey Weinstein, à la libération de la parole et à des révélations plus larges et « universelles » sur les réseaux sociaux, derrière le hashtag #MeTooInceste.

Voilà comment des drames personnels expurgés du secret des cellules familiales et délivrés du sceau tacite du silence mènent à l’éclosion de sujets jusque-là encore tabous de notre société. Même si la prescription des faits est souvent de mise dans les affaires d’inceste, la libération de la parole travaillera à ce que ces comportements soient, sinon bannis, du moins dénoncés et considérés pour ce qu’ils sont : des interdits structurants de la société.

L’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas sans lien avec cette problématique, puisqu’elle vise à poser un interdit clair dans la loi : l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre une personne majeure et un mineur de moins de 13 ans, en instaurant dans le code pénal une nouvelle infraction autonome.

Cette proposition de loi, issue de l’actualité, moins récente mais non moins sordide, de l’affaire Julie, tire sa validité et sa recevabilité de deux éléments importants.

En premier lieu, il s’agit des droits de la défense et du respect du principe de présomption d’innocence.

Pour se défendre de cette infraction autonome, l’auteur des faits aurait la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge exact du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle. Cela vient répondre aux risques d’inconstitutionnalité notamment soulevés par le Conseil d’État dans son avis sur le premier texte du Gouvernement, en 2018, qui visait une présomption de non-consentement irréfragable.

En second lieu, il s’agit de la question du seuil d’âge à 13 ans.

D’un point de vue juridique, cela nous paraît cohérent avec la présomption de non-responsabilité pénale des mineurs fixée à 13 ans dans le futur code de justice pénale des mineurs.

D’un point de vue sociétal, c’est également cohérent avec le fait qu’une relation puisse être entretenue entre un ou une mineur de 15 ans et un ou une jeune majeur de 18 ou 19 ans.

Enfin, l’âge de 13 ans représente le seuil barrière infranchissable du monde de l’enfance.

En outre, le texte d’Annick Billon a été enrichi en commission des lois, notamment grâce à un amendement de la rapporteure, dont je salue la finesse et la précision du travail. Cet amendement est venu préciser la définition de viol, en indiquant que la contrainte morale ou la surprise, éléments constitutifs de l’infraction, peuvent résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Cette nouvelle indication est pour nous bienvenue et prend en compte la difficulté d’un seuil d’âge infranchissable et des « maturités variables » d’un adolescent à l’autre.

Cela dit, une fois précisés les points positifs qui conduiront notre groupe à voter cette proposition de loi, nous ne pouvons considérer la création d’une infraction autonome – aussi légitime soit-elle – comme une réponse suffisante à ce fléau des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Tout le volet préventif doit être examiné en parallèle, et de toute urgence, avec le traitement de problématiques telles que la prévention et l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge, la formation des professionnels de l’enfance ou encore la question des moyens de la justice et de nos forces de l’ordre, mais aussi des moyens accordés aux centres de la protection maternelle et infantile (PMI) et au monde de l’enfance dans son ensemble.

De manière générale, ces infractions sont la résurgence d’un modèle sociétal millénaire : celui de stéréotypes archaïques et de la domination patriarcale qui continue à sévir, malgré l’évolution des mœurs et des lois, à l’encontre des femmes et des enfants. C’est pourquoi il paraît nécessaire qu’une délégation aux droits des enfants prenne toute sa place au sein de notre Parlement.

Mme Laurence Cohen et M. Xavier Iacovelli applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

C’est ce que nous vous proposerons de nouveau au cours du débat, même si notre amendement a été jugé irrecevable.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République :

Nombre de votants : 131

Nombre de suffrages exprimés : 127

Bulletins blancs : 3

Bulletins nuls : 1

Mme Marie-Arlette Carlotti a obtenu 127 voix.

Mme Marie-Arlette Carlotti ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, elle est proclamée juge suppléante à la Cour de justice de la République.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je la félicite. C’est pour elle un jour particulier, marqué non seulement par cette belle élection, mais aussi par son anniversaire.

Exclamations de surprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mes chers collègues, en votre nom à tous, je lui souhaite donc un joyeux anniversaire !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante à la Cour de justice de la République, va être appelée à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique.

Je prie Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. », après la lecture de la formule du serment.

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

Mme Marie-Arlette Carlotti, juge suppléante, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dominique Vérien.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 13 ans, est-ce assez ? Est-ce trop peu pour protéger les enfants ?

De quoi parlons-nous aujourd’hui ? De la création d’un crime qui consiste, pour un majeur, à avoir une relation sexuelle avec un mineur.

Le seul fait que la relation sexuelle soit constatée et que le majeur connaisse l’âge de l’enfant suffit à établir le crime et à envoyer l’adulte passer ses vingt prochaines années derrière les barreaux.

La création de ce crime revient donc à formaliser une véritable interdiction pour un majeur d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de 13 ans. Non seulement c’est compréhensible, mais c’est souhaitable. Imaginer un adulte, c’est-à-dire une personne de plus de 18 ans, avec un enfant de moins de 13 ans – dans la très grande majorité des cas impubère – est choquant.

De la même façon, est-il choquant de voir deux jeunes, dont l’un serait juste au-dessous de ses 15 ans et l’autre juste au-dessus de ses 18 ans ? Ils sont consentants, me répondrez-vous. Reste que la proposition de loi que nous nous apprêtons à voter se contrefiche du consentement, et c’est bien pour cela que nous la votons.

Il faut cesser de s’interroger quant au consentement du mineur : avec ce nouveau crime, le mineur de 13 ans est victime sans avoir à le prouver, et c’est bien. Il est victime de l’adulte et c’est à l’adulte de savoir que l’on ne touche pas à un enfant.

Peut-on tenir ce raisonnement avec un mineur de 15 ans ?

Bien entendu, il faut également protéger les mineurs âgés de 13 à 15 ans de relations non consenties. L’amendement de notre rapporteur vise précisément à aider le juge à conclure qu’un manque de maturité peut équivaloir à la contrainte et à la surprise. Ces dispositions permettent de répondre à la nécessité de protection accrue des plus jeunes, sans pour autant juger de la pertinence d’une relation entre deux jeunes dont l’un serait majeur.

La différence d’âge conduit à considérer qu’il n’y a pas d’histoire d’amour entre un jeune de terminale et un jeune qui entre tout juste au collège ; entre deux élèves, l’un de seconde, l’autre de terminale, c’est parfois plus discutable. Voilà pourquoi Annick Billon propose l’âge de 13 ans.

Néanmoins, les avocates que nous avons auditionnées sont formelles : les auteurs disent et diront toujours qu’ils ne connaissaient pas l’âge de leur victime. Ah bon ? Pourtant, 87 % d’entre eux appartiennent au cercle rapproché de l’enfant : parents, beaux-parents, oncles, entraîneurs sportifs… Je vous invite à regarder l’avalanche de témoignages provoquée, sur Twitter, par le hashtag #MeTooInceste, auquel on a déjà fait référence. Presque tous les agresseurs connaissent leur victime, donc, évidemment, son âge !

Regardons ce fléau tel qu’il est : un agresseur choisit sa victime, l’entraîne dans sa nasse et la bâillonne à vie par le mal qu’il lui a fait. Et il connaît son âge ! Et il ne peut prétendre le contraire ! La seule chose qu’il prétend d’ailleurs, en général, c’est que l’enfant était consentant. Il n’aura plus à le faire.

Non, l’enfant n’est jamais consentant, quand bien même il dit « oui » ; et que l’on ne vienne pas nous parler d’enfants séducteurs. Oui, l’enfant veut plaire, oui, l’enfant veut séduire, mais ce qu’il demande, c’est de l’amour, de l’affection, pas une relation sexuelle, pas un viol.

C’est à l’adulte de savoir maîtriser ses pulsions, car lui sait. Si cette proposition de loi est adoptée, il saura que c’est vingt ans de prison.

La question de l’imprescriptibilité a également été posée.

Une victime de viol se sent elle-même coupable, quand elle ne souffre pas d’amnésie traumatique. C’est terrible. Dans ces conditions, l’âge de 48 ans, à savoir trente ans après la majorité, peut bel et bien être insuffisant.

Le problème n’est pas celui de la preuve, contrairement à ce que l’on nous répète. En effet, en cas d’inceste ou de viol dans le cercle de confiance de l’enfant, l’auteur lui-même reconnaît souvent les faits, pour peu que la victime parle. Peut-être reconnaît-il d’autant mieux les faits que ceux-ci sont prescrits : il faudrait se pencher sur ce point.

En tout état de cause, la France dispose, ce qui n’est pas le cas de tous les pays, d’une hiérarchie de la prescription.

Rendre le viol sur mineur imprescriptible, pourquoi pas ? Dès lors cependant, on sera en mesure d’exiger l’imprescriptibilité de tout crime, comme les meurtres, et ce sont les notions tout entières de hiérarchie des crimes et de droit à l’oubli qui devront être revisitées. Je le répète, pourquoi pas ? À mes yeux toutefois, ce débat n’a pas suffisamment progressé à ce jour pour que l’on puisse prendre une telle décision.

Enfin, il y a la question de l’inceste.

Un inceste est un inceste, quel que soit l’âge auquel il est commis. Là encore, un travail plus approfondi est nécessaire et je sais que vous le menez, monsieur le secrétaire d’État. L’aggravation de l’atteinte sexuelle en cas de relation incestueuse est une première étape.

En résumé, nous n’avons pas fini notre travail de protection des mineurs, mais, dans un premier temps, créons un interdit : créons ce seuil. C’est peut-être un petit pas, mais c’est un pas certain. Faisons-le !

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, inscrivez ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Mme Dominique Vérien. Il n’est plus temps de réfléchir : voilà deux ans que l’on en parle et, aujourd’hui, nous avons déjà bien répondu à toutes les questions qui se posent.

Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE. – Mme Laure Darcos applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Merci encore à Annick Billon d’avoir déposé cette proposition de loi. Évidemment, les élus du groupe Union Centriste la voteront !

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à dire merci aux signataires de cette proposition de loi, dont je relève le caractère transpartisan. Merci aux associations de leur mobilisation. Merci au groupe Union Centriste d’avoir inscrit ce texte sur son ordre du jour réservé, dont le temps limité nous impose d’ailleurs – je m’applique cette règle à moi-même – une grande sobriété de propos.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Je ne sais si je peux ajouter le Gouvernement à cette liste de remerciements : j’ai entendu à la fois son ouverture d’esprit à l’égard de ce texte et son souhait de continuer à réfléchir, ce qui n’est jamais très bon signe pour le travail parlementaire.

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le secrétaire d ’ État manifeste son désaccord.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Toutefois, les députés socialistes l’ont déjà annoncé : si le texte voté aujourd’hui est conforme à nos attentes et si le Gouvernement ne se montre pas très allant, ils l’inscriront sur leur propre temps parlementaire à l’Assemblée nationale pour qu’il puisse prospérer.

Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, UC et RDSE. – Mme Valérie Boyer applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Le but essentiel de ce texte est sans doute de fixer – enfin ! – un seuil d’âge. À ce sujet, permettez-moi cette petite taquinerie. Il y a deux ans, les membres du groupe socialiste et républicain ont eux-mêmes proposé un seuil d’âge : ils ont essuyé un refus. Ce seuil était de 13 ans… Depuis, les esprits ont évolué : c’est une bonne chose.

Le seuil d’âge est un point délicat. Au sein de notre propre groupe, les avis divergent. La question n’est pas anodine, mais la création d’un seuil d’âge représente un tournant. C’est pourquoi il faut dire merci.

Au-delà, ce seuil d’âge permet d’évacuer la question du consentement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

On ne tergiversera plus pour savoir si la victime a dit oui ou non, si elle savait, si l’auteur des faits connaissait son âge, etc. Désormais, l’âge du consentement est une donnée actée et, pour les mineurs de 13 ans, la notion de consentement s’en trouve écartée.

Pour notre part, nous proposons trois pistes d’amélioration. Certaines ont été retenues par la commission des lois, et j’en suis heureuse, mais ce n’est pas suffisant.

Premièrement, nous voulons agir en direction des victimes. Nous avons déposé un amendement que nous défendrons de nouveau dans quelques instants et pour lequel nous demanderons un scrutin public. Il vise à fixer à 18 ans l’âge du non-consentement dans le cas du crime d’inceste. Avec ce texte, on avance en instituant un seuil d’âge de 13 ans, même si certains souhaiteraient 15 ans : il n’est pas acceptable de ne pas avancer, en parallèle, au sujet de l’inceste. Pour le Sénat, ce serait une véritable occasion manquée.

Deuxièmement, nous voulons agir en direction des auteurs. Nous avons beaucoup parlé des questions de la prescription et de l’imprescriptibilité : nous y reviendrons peut-être, si nous en avons le temps. En la matière, une mesure serait assez utile. Elle a d’ailleurs déjà été votée par le Sénat en 2018 avant de disparaître du texte par le miracle de la commission mixte paritaire : c’est l’interruption de la prescription en cas de multiplicité de victimes.

Il s’agit d’un point essentiel. En effet, c’est souvent en cas de victimes multiples que les personnes agressées sont crues et que leur agresseur est confondu. De plus, nous l’avons vu dans l’affaire Flavie Flament et dans d’autres : du fait de la prescription, les victimes connaissent des sorts qui leur semblent, avec raison, inéquitables. L’interruption de la prescription en cas de victimes multiples permettra le maintien des poursuites contre les auteurs en série, qui, en la matière, sont une grande majorité.

Troisièmement, nous voulons agir en direction des témoins potentiels. Aujourd’hui, notre droit définit le délit de non-dénonciation de violences, maltraitances ou atteintes sexuelles sur enfants. Le problème, c’est que ce délit est un délit et que sa prescription est particulière. Nous proposons que le délai de prescription commence à courir à la majorité de la victime et soit prolongé de dix ans.

Madame la rapporteure, j’ai bien noté que vous souhaitez aller encore plus loin : vous proposez de prolonger ce délai de dix ans en cas de délit non dénoncé et de vingt ans en cas de crime. C’est une très bonne chose et nous vous rejoindrons probablement sur ce point. Il faut faire peser sur les témoins potentiels le poids de la responsabilité, y compris pénale.

Ces mesures ne suffiront sans doute pas à éradiquer le phénomène, mais seuls des efforts convergents en ce sens permettront de mieux protéger les enfants.

Mes chers collègues, vous l’avez compris : les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont favorables à ce texte. Certes, nous le trouvons incomplet, parfois imprécis, et des discussions se poursuivent entre nous au sujet de l’âge. Reste que, dans ce domaine, c’est le Parlement qui avance ; c’est le Parlement qui, parfois, tord un peu le bras du Gouvernement. Nous l’avons d’ailleurs vu au sujet des violences faites aux femmes : la proposition de loi du député Les Républicains Aurélien Pradié a fini par aboutir grâce au Sénat.

Continuons dans cette voie transpartisane. J’adjure le Sénat de voter les améliorations que nous proposons : ne ratons pas le train de l’histoire. Il est plus que temps de sanctionner de manière efficace les auteurs de crimes sexuels sur les enfants mineurs !

Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’affaire Duhamel est écœurante, révoltante. Elle aura le mérite de mettre en lumière la responsabilité de tous ces soixante-huitards…

Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… qui ont imposé l’interdiction d’interdire, y compris les rapports sexuels entre majeurs et mineurs.

Cette révolution ne s’est pas contentée de la pensée : elle est passée aux actes et nous conduit aujourd’hui, finalement, à devoir légiférer pour tenter d’empêcher ou de sanctionner l’ignominie.

Quant au silence, jusqu’au déni, de tous ceux qui savent ou qui cautionnent, il reste tout autant condamnable.

Il est urgent d’encourager la libération de la parole pour soulager la souffrance des victimes, d’être ferme avec les coupables en les punissant sévèrement et de demander des comptes aux complices passifs.

Les enfants, les familles ne peuvent appréhender l’avenir que dans la confiance, l’équilibre et la sérénité. Il faut donc que la justice de notre pays assure une application des peines claire et ferme et garantisse une transparence totale sur ces actes abjects, tout en ayant pour objectif ultime de protéger ces mineurs des prédateurs sexuels.

Fixer la barre de l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre un majeur et un mineur de 13 ans ne doit pas priver les mineurs de 15 ans de la protection qui leur est garantie encore aujourd’hui.

Si je soutiens ce texte, nous ne devons pas abandonner l’impérieuse nécessité de protéger les mineurs âgés de 13 à 15 ans. Il ne saurait y avoir une quelconque forme de dépénalisation pour des actes sexuels commis sur des enfants issus de cette tranche d’âge.

Il y a une autre tolérance, sournoise, envers des agissements qu’il nous faut définitivement bannir, envers des individus qui n’ont aucune victime directe avérée, mais qui signent des tribunes dans la presse pour tenter de décriminaliser les rapports sexuels avec des mineurs ou tiennent des propos qui banalisent la pédophilie.

Ces apprentis sorciers doivent rendre des comptes. Le discours nauséabond qu’ils véhiculent doit être sévèrement condamné. On interdit de répandre des messages appelant à la haine et à la violence sous toutes ses formes : il faut être tout aussi implacable envers ceux qui banalisent en public des comportements graves et des crimes sexuels pédophiles.

On ne saurait admettre plus longtemps que l’on puisse se vanter, à la télévision, de prendre du plaisir quand des enfants jouent avec votre braguette. Ces sinistres individus devraient être non plus invités sur des plateaux, mais envoyés derrière les barreaux !

Les collectivités territoriales et l’éducation nationale doivent encourager les associations dont les messages vont dans le sens de la prévention.

Il est également urgent d’établir dans notre droit une imprescriptibilité pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, quel que soit leur âge.

Cette imprescriptibilité est justifiée par l’extrême difficulté à parler, donc à aborder publiquement de tels actes, y compris lorsque la victime a atteint l’âge adulte. Un enfant abusé, un enfant violé, c’est un crime contre l’innocence ; c’est une blessure jamais cicatrisée ; c’est toute une vie jalonnée de souffrances.

Mes chers collègues, sachons protéger totalement, avec une loi claire et une justice impitoyable, ce que nous avons de plus précieux : nos enfants. Les adultes de demain vous en seront reconnaissants !

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce qu’elles touchent à l’intime et qu’elles ont de graves conséquences psychologiques, les infractions sexuelles hantent durablement, voire éternellement, la vie des victimes. Lorsque ces dernières sont des enfants, personnes vulnérables, les effets n’en sont que plus dévastateurs et c’est notre société tout entière qui s’en trouve fragilisée.

Il est donc impératif de mieux protéger les mineurs contre ces atteintes : c’est l’objectif de la proposition de loi de notre collègue, que, je crois, nous approuvons tous.

Les évolutions récentes sont positives. En 2018, la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a complété notre droit. Malgré cela et au-delà même des difficultés probatoires propres à ce type d’infractions, la protection des enfants demeure fragile et insuffisante.

La répression des agressions sexuelles, dont le viol fait partie, est centrée sur la notion d’absence de consentement de la victime. Vous me l’accorderez, ce fondement paradoxal convient mal à de jeunes individus dont le discernement est nécessairement en construction.

La répression des atteintes sexuelles sur mineur de 15 ans a quant à elle pour objet de poser un interdit social en défendant aux majeurs toute relation sexuelle avec les moins de 15 ans. Il s’agit toutefois là d’un simple délit et les peines associées ne sont pas assez lourdes.

Aussi, Annick Billon propose de criminaliser toute relation sexuelle impliquant pénétration, même sans violence, entre un mineur de 13 ans et un majeur.

Cette nouvelle infraction se situe, sous l’angle de la qualification pénale, aux frontières du viol et de l’atteinte sexuelle sur mineur. C’est une avancée, mais je pense qu’il est important de renforcer significativement l’interdit social pesant sur ce type de relations.

Nous devons protéger nos enfants, pour eux-mêmes d’abord, car ces atteintes ont des effets destructeurs qui s’inscrivent dans la durée et infectent insidieusement tout le corps social.

Nous devons aussi protéger nos enfants pour les adultes qu’ils seront, pour les familles qu’ils fonderont et pour la société que nous voulons demain. De nombreux agresseurs ont eux-mêmes été victimes d’abus et ce cycle doit être brisé.

À ce titre, les membres du groupe Les Indépendants soutiennent le renforcement des sanctions. En toute circonstance, les adultes doivent protéger les enfants ; ceux qui leur portent atteinte doivent être lourdement sanctionnés et ceux qui ont connaissance d’abus doivent en alerter les autorités, sous peine de sanctions alourdies.

À ce titre, j’insiste sur l’importance de ces signalements lorsqu’il s’agit d’enfants. Beaucoup ne diront pas les abus qu’ils subissent. Même si ces enfants en ressentent souvent le traumatisme, ils peuvent ne pas les concevoir comme des abus : parce qu’ils sont le fait de personnes ayant autorité sur eux, parce qu’ils ne sont souvent pas à même, tout simplement, de les nommer, parce qu’ils se sentent trop souvent coupables de ce qui leur arrive, mais aussi parce qu’ils ne savent pas toujours s’ils doivent ou peuvent en parler. Il est de notre devoir de désamorcer cette bombe à retardement et à fragmentation.

Mes chers collègues, dans ces affaires, l’omerta, c’est aussi le camp du mal. Elle doit cesser et je vous proposerai deux amendements à cette fin : il s’agit, d’une part, de fixer le délai de prescription du délit de non-dénonciation à vingt ans à compter de la majorité de la victime, d’autre part, de renforcer significativement les peines encourues.

En aggravant les sanctions des auteurs d’infractions sexuelles sur mineur et en brisant la loi du silence, je suis convaincue que nous contribuerons à mieux protéger nos enfants.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est notre responsabilité de tracer, ici et maintenant, une ligne claire entre la barbarie et la civilisation.

Nous devons le faire, à la fois au nom des grands principes et des grands sentiments !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 165 000 : c’est le nombre estimé de mineures et de mineurs qui, chaque année en France, subissent des violences sexuelles. Ce sont 130 000 filles et 35 000 garçons que le droit n’aura pas su protéger.

Les difficultés en la matière sont de plusieurs ordres.

Tout d’abord, ces violences demeurent trop peu dénoncées. Si l’on s’en tient aux chiffres officiels du ministère de l’intérieur, on recense en 2019 à peine plus de 7 000 plaintes.

Peu d’agressions font l’objet de plaintes, parce que nombre d’entre elles se produisent malheureusement dans le cadre de la famille. Nous ne pouvons ignorer toutefois qu’il existe des difficultés d’ordre juridique : si le dépôt de ces plaintes est en nette augmentation depuis quelques années, le droit, complexe en ce domaine, empêche trop souvent les procédures d’aboutir une condamnation.

La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée au mois d’août 2018, a apporté deux améliorations significatives. Elle a permis l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineur et a précisé la définition du viol commis sur une victime de moins de 15 ans. Cette loi restait néanmoins inachevée, faute d’avoir créé un seuil d’âge précis au-dessous duquel toute personne adulte qui a eu un rapport sexuel avec une personne mineure tomberait sous le coup d’une condamnation.

La proposition de loi dont nous débattons, cosignée par plus de cent sénatrices et sénateurs de tous bords politiques, entend mettre un terme à cette situation juridique, empêchant de considérer systématiquement de tels actes comme des viols. Elle pose ainsi une limite législative claire : l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre une personne majeure et une personne mineure de 13 ans.

En outre, l’ajout, à la suite des travaux de la commission des lois, de l’article 1er bis, qui prévoit des protections supplémentaires pour la tranche d’âge de 13 à 15 ans, mérite d’être salué. Toutefois, certains d’entre nous auraient préféré que cette proposition de loi retienne le seuil de 15 ans.

À l’aune du hashtag #MeTooInceste, à l’aune également de la récente étude menée par l’association Face à l’inceste, estimant que près de 6, 7 millions de Françaises et de Français ont été victimes d’inceste, la politique des petits pas en matière de crimes sexuels sur mineur n’est plus envisageable.

Par ailleurs, nous souhaitons d’autres améliorations, tout particulièrement la reconnaissance des actes bucco-génitaux comme crimes sexuels : les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont déposé un amendement en ce sens.

De même, à l’avenir, il serait opportun de bénéficier de données officielles plus précises et plus régulières quant aux violences sexuelles commises sur personnes mineures.

Pour autant, cette proposition de loi est nécessaire et nous en saluons l’initiative. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires la voteront.

Monsieur le garde des sceaux, avec ce texte, le Sénat a accompli un excellent travail. Pourtant, chaque fois que l’exécutif peut passer par-dessus la tête des parlementaires, il le fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Tel a été le cas en 2018 avec le projet de loi de Mme Schiappa, venu après la proposition de loi du Sénat. Allez-vous en faire de même sur cette question, en engageant une nouvelle consultation en dehors du Parlement pour préparer encore un nouveau texte ?

Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous réunissons de nouveau aujourd’hui avec la ferme intention de renforcer la protection de nos enfants, comme nous l’avons fait au mois de juin dernier lors de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Aujourd’hui, l’objectif est d’autant plus complexe qu’il est précis, puisqu’il s’agit d’améliorer la lutte contre les violences sexuelles commises sur de très jeunes mineurs.

Chère Annick Billon, l’ambition première de votre proposition de loi est, telle que nous la comprenons, de réprimer les faits de viol perpétrés sur des mineurs de 13 ans.

Le groupe Les Républicains du Sénat ne peut que partager l’analyse selon laquelle le viol sur mineur, notamment sur de très jeunes victimes, reste particulièrement difficile à caractériser, à poursuivre et à condamner. Si la définition du viol, complexe à appréhender et trop restrictive selon certains, sera sans aucun doute au cœur de nos débats de ce jour, la première des questions qui s’impose aujourd’hui à nous semble la suivante : la loi en vigueur fixe-t-elle un interdit sociétal suffisamment clair, intelligible et dénué d’équivoque ?

Pour un certain nombre de professionnels, qu’ils exercent dans les milieux de la santé, de l’éducation ou encore de la justice, nos dispositions en matière pénale suffisent à réprimer l’ensemble des violences sexuelles commises sur de jeunes mineurs.

Pourtant, si l’on en croit la forte émotion suscitée dans le débat public ces derniers jours par la parution du livre La Familia grande de Camille Kouchner, la réponse à cette question semble moins évidente.

Or, comme le remarquait Portalis dans son discours préliminaire sur le projet de code civil, « il est des temps où l’on est condamné à l’ignorance parce qu’on manque de livres ; il en est d’autres où il est difficile de s’instruire parce qu’on en a trop ».

Qu’il s’agisse de la détermination d’un seuil d’âge – 13 ou 15 ans – ou de l’institution d’une infraction autonome plutôt que d’une présomption, les avis diffèrent souvent d’un citoyen à un autre et, de la même façon, d’un législateur à un autre. Notre groupe ne fait pas exception en la matière.

Cependant, la position élaborée par la commission des lois nous semble à la fois prudente et pertinente.

En particulier, l’introduction dans le texte de la notion de « maturité sexuelle » est intéressante, en ce qu’elle permettrait au magistrat, « pénétré de l’esprit général des lois, à en diriger l’application », pour citer de nouveau Portalis, selon qui « les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie ».

Aussi, nous saluons la proposition de notre rapporteur d’accroître la protection des mineurs âgés de 13 à 15 ans en précisant que la contrainte ou la surprise peut résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de 15 ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Pour conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, Marie Mercier, de la qualité et de l’humanité de son travail sur un sujet aussi sensible que délicat.

Pour l’ensemble des raisons évoquées, je ne doute pas que les membres du groupe Les Républicains voteront cette proposition de loi, telle qu’elle a été amendée par la commission des lois.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Alexandra Borchio Fontimp

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « protéger nos enfants ! » : voilà trois mots qui paraissent évidents et qui traduisent le souhait de tout parent. Cette protection, parce qu’elle est indispensable, doit être à nouveau renforcée face au nombre effrayant de violences sexuelles commises sur des mineurs.

L’affaire médiatique mettant en cause le politiste Olivier Duhamel pour des abus sexuels commis sur son beau-fils, à peine âgé de 13 ans au moment des faits, a ravivé le débat, la douleur et la colère. Pourquoi a-t-il fallu attendre autant de temps pour que la parole se libère ?

Aujourd’hui, les Français ne peuvent plus accepter cette omerta, qui leur est insupportable, comme le montre le hashtag #MeTooInceste, qui déferle sur les réseaux sociaux.

Hasard du calendrier, le Sénat est aujourd’hui réuni pour débattre de ce sujet. Nous savons que les violences sexuelles à l’encontre des enfants sont souvent perpétrées au sein de la famille. Aussi, je pense que nous serons tous d’accord, dans cet hémicycle, pour affirmer que toutes les violences à caractère sexuel à l’encontre de mineurs, dont l’inceste – sujet tabou tant il est abject –, doivent être combattues et punies à la hauteur de leur atrocité.

Briser le silence est le premier impératif ; briser le silence douloureux des victimes qui n’osent pas parler, briser le silence éhonté de ceux qui, assurément, savaient. L’amendement de Mme la rapporteure qui vise à étendre le délai de prescription pour inciter au signalement est un pas nécessaire dans le combat que nous menons.

Ma fille aura 13 ans cette année : à 13 ans, on est encore un enfant. Mes chers collègues, la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner ne fait que le rappeler et vise ainsi à l’amélioration de la protection que nous devons à nos enfants. Lorsque des prédateurs sexuels abusent d’eux, c’est la société tout entière qui en ressort affaiblie, anéantie.

Tous les élus locaux peuvent témoigner d’affaires dans leur territoire et le département des Alpes-Maritimes n’y échappe pas. J’en parlais encore ce matin sur ce sujet avec un magistrat de Grasse en charge des violences sexuelles. Le constat est transpartisan et ne laisse place à aucun doute : la protection des mineurs présente encore des failles que le législateur doit combler.

Le Sénat, sous l’impulsion de Philippe Bas, a dressé dans son rapport de 2018 déjà confié à Marie Mercier, un état des lieux alarmant. Ses préconisations ont été traduites dans la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, adoptée par le Sénat au mois de mars 2018. Plus que de vaines paroles, il s’agit d’une nouvelle manifestation du volontarisme et de la détermination de notre groupe à agir sur ces questions, pour les victimes.

Bien que l’Assemblée nationale n’ait toujours pas examiné ce texte, allant ainsi à l’encontre de la demande récurrente de notre société sur ce sujet, le Sénat n’abandonne pas. La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre, a produit, sous la présidence d’Annick Billon, de nombreux travaux. Tous visaient à alerter sur la nécessité de faciliter la répression des viols commis à l’encontre de mineurs et préconisaient, en conséquence, la création d’une infraction autonome de crime de pénétration sexuelle sur mineur de 13 ans.

Les améliorations issues des amendements de Mme la rapporteure permettent de garantir que cette proposition de loi sera, de façon certaine, une pierre fondamentale dans l’édifice protecteur que nous sommes en train de bâtir pour nos enfants.

Si les insuffisances de la loi Schiappa du 3 août 2018 sont satisfaites, puisque la définition du crime sexuel sur mineurs est élargie aux actes de pénétration sexuelle commis par la victime sur l’auteur, d’autres garanties doivent être relevées.

Dans son avis du 21 mars 2018, le Conseil d’État a jugé que les défauts de rédaction du dispositif alors proposé par le Gouvernement étaient dangereux. La teneur du débat et les attentes fortes des victimes et de leurs proches n’ont pas suffi à empêcher l’abandon pur et simple de cette mesure.

Sans créer de présomption de non-consentement, mais sans non plus y renoncer, les amendements adoptés en commission des lois répondent aux inquiétudes exprimées.

Cette proposition de loi permet de respecter nos obligations constitutionnelles, tout en accroissant et en consolidant la protection des enfants et en simplifiant le travail des magistrats. Fier de l’avancée permise par ces travaux, le Sénat doit aujourd’hui continuer son combat ! Ces nouveaux instruments marquent une avancée certaine dans la lutte contre les violences sexuelles à l’encontre des enfants.

D’autres questions restent toutefois en suspens, comme l’allongement de la peine encourue, car l’auteur, par exemple, à l’aide de mécanismes de remise de peine, ne purge souvent que la moitié de la peine prononcée, déjà jugée souvent trop faible par les victimes et leurs familles.

Mes chers collègues, ce sujet mérite que notre assemblée le prenne à bras-le-corps avec force et vigueur. Ne laissons plus ces crimes perdurer, ne laissons plus nos enfants en danger.

Je vous écoute, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État. Finalement, nous menons le même combat, avec la même volonté et la même intensité, et ce combat se gagne ici et maintenant.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme le rapporteur applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Nous évoquons des violences faites aux enfants. Aussi, je souhaite profiter de votre présence, monsieur le garde des sceaux, pour vous parler des violences liées à l’exposition aux films pornographiques et aux images pornographiques souvent dès le collège.

Vous étiez là quand nous avons voté un amendement visant à protéger les mineurs en faisant en sorte de les empêcher d’accéder très facilement aux sites pornographiques gratuits réservés aux majeurs. Il s’agit d’un dispositif très technique, au devenir duquel notre commission accorde une très grande attention.

Monsieur le garde des sceaux, peut-être aurez-vous l’occasion de nous en dire plus sur ce sujet prochainement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à rassurer votre assemblée : le Gouvernement n’a pas de but dilatoire caché. Cette proposition de loi nous semble évidemment un texte extrêmement intéressant. J’ose essayer de vous rassurer, parce que j’ai entendu quelque circonspection s’exprimer.

Nous disons que nous devons, bien sûr, travailler ensemble, que nous n’avons pas d’exclusive quant au vecteur qui sera utilisé, qu’il est nécessaire de faire quelque chose ; nous partageons, ainsi que j’ai cru le comprendre, un consensus sur l’idée générale.

Cependant, un certain nombre de points nous semblent tout de même mériter d’être encore un peu travaillés.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

C’est la raison pour laquelle, comme je l’ai indiqué, Adrien Taquet et moi-même souhaitons poursuivre les consultations. Il ne s’agit pas de gagner du temps, car il est indispensable de répondre à cette attente que nous entendons tous.

Je précise mon propos. Quel seuil devons-nous choisir : 13 ans, 14 ans, 15 ans ? §Il faut réfléchir à ces questions, …

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … parce que ce débat nous engage et que nous n’avons pas droit à l’erreur.

Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Comment qualifier ce nouveau crime : viol ou pas viol ? C’est une vraie question, qui correspond à une véritable attente des associations.

Comment articuler au mieux les différents dispositifs ? Comment satisfaire les principes de nécessité et de proportionnalité des peines ?

Madame de La Gontrie, vous avez déclaré que vous voteriez évidemment le texte, quand bien même subsistaient certaines interrogations, comme la prescription, qui n’avaient pas encore obtenu de réponse et qui sont des questions absolument essentielles. Je pense également à la prescription glissante, une idée extrêmement intéressante, mais à laquelle il faut encore travailler un peu.

Autant de sujets que nous allons évoquer à l’occasion de ces débats. Nous souhaitons y participer pleinement, car il n’y a pas d’opposition entre députés et sénateurs ou entre sénateurs et Gouvernement. Nous sommes unis dans une véritable concertation.

Il subsiste cependant des divergences et des points qui ne sont pas encore tranchés. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons recevoir certains intervenants qui sont au fait de ces situations absolument dramatiques.

Vous aurez, nous aurons collectivement à apporter une réponse, dont je tiens à préciser ici qu’elle doit être rapide, sans pour autant verser dans la précipitation.

Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La précipitation, en matière parlementaire, vient du Gouvernement !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Un grand socialiste soulignait hier, avec le talent qui est le sien, à quel point ces questions de prescription étaient difficiles à trancher.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Accordons-nous encore un peu de réflexion, s’il vous plaît.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Après l’article 227-24-1 du code pénal, il est inséré un article 227-24-2 ainsi rédigé :

« Art. 227 -24 -2. – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« L’infraction est également constituée si l’acte de pénétration sexuelle est commis sur la personne de l’auteur.

« L’infraction définie au premier alinéa est punie :

« 1° De trente ans de réclusion criminelle lorsqu’elle a entraîné la mort de la victime ;

« 2° De la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou d’actes de barbarie. »

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Mme Valérie Boyer. Permettez-moi de vous dire, monsieur le garde des sceaux, qu’à l’Assemblée nationale comme au Sénat les parlementaires travaillent, prennent leur temps, ne sont pas dans la précipitation. Cela fait un bon moment qu’ils s’intéressent à ces questions !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Hussein Bourgi applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

« Nous devons à nos enfants une vie sans violence et sans peur. » Tout au long de nos débats, ayons à l’esprit ces mots de Nelson Mandela. C’est en y pensant que je veux féliciter la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon, pour son travail, pour son engagement et pour son ouverture d’esprit ainsi que notre rapporteur Marie Mercier, sans oublier tous les parlementaires qui travaillent depuis de nombreuses années sur cette question des violences sexuelles, sans précipitation.

Aussi, même si nous aurons des débats sur les aspects juridiques, il y va de notre responsabilité de parlementaire, nous sommes tous animés ici par un seul et même objectif : protéger les plus vulnérables.

Les différents amendements que je défendrai sont le fruit de plusieurs années de travaux et d’auditions d’experts et de juristes. Je pense au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, au juge pour enfants Édouard Durand, à Ernestine Ronai, à Muriel Salmona, au centre Hubertine-Auclert, à maître Nathalie Tomasini, à Michèle Créoff ou encore à Françoise Laborde.

Leurs auditions m’ont conduite à considérer que la loi Schiappa de 2018 a été un rendez-vous manqué ou n’a marqué que de petits pas et qu’il fallait aller plus loin, en particulier sur le seuil d’âge.

« Je veux ici vous donner une conviction personnelle. Nous devrions sans doute [nous] aligner sur l’âge de la majorité sexuelle fixée dans notre droit à 15 ans, par souci de cohérence et de protection des mineurs », a déclaré le Président de la République. Alors, avançons !

Instituer un seuil d’âge pour les infractions de violences sexuelles commises par des adultes sur des mineurs est une solution retenue par de nombreux États, qui veillent également au respect des droits de la défense. Mes chers collègues, faisons ensemble reculer cette réalité effroyable : un enfant est violé toutes les heures en France.

Selon le juge Édouard Durand, « le passage à l’acte de l’adulte est une perversion du besoin affectif de l’enfant ». En aucun cas, un enfant ne peut être consentant à une relation sexuelle. À nous d’y mettre un terme.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Max Brisson

En 2018, je fus de ceux qui ressortirent meurtris de nos débats. Manifestement, les travaux de la délégation aux droits des femmes n’avaient pas suffisamment maturé pour que la position dont ils rendaient compte fût suivie par le Gouvernement et le Sénat.

Je me réjouis donc ce matin que la proposition de loi d’Annick Billon concrétise nos débats et nos travaux et que nous parvenions, avec cet article 1er, à instaurer un seuil d’âge à 13 ans pour interdire tout acte de pénétration sexuelle. Je me réjouis aussi de l’approche de la commission des lois, de son président et de la rapporteur Marie Mercier, qui ont judicieusement enrichi ce texte.

L’article 1er marque une avancée. Certes, je suis de ceux qui auraient préféré que le seuil soit fixé à 15 ans, mais je comprends les arguments de l’auteure de la proposition de loi évoquant les relations sexuelles consenties entre adolescents et très jeunes majeurs et je m’y rallie.

Je comprends moins, en revanche, les propos quasiment méprisants de la ministre déléguée à la citoyenneté, qui, sur un plateau de télévision ce week-end, s’apitoyait sur le sort réservé aux enfants de 13 à 15 ans par cette proposition de loi. Faut-il faire remarquer à l’ancienne secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes que, sur ce sujet, le texte a été judicieusement enrichi par Marie Mercier ? Marlène Schiappa avançait en 2018, quant à elle, les mêmes arguments que ceux qui nous ont été servis par le garde des sceaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Max Brisson

Laissons là ces billevesées politiques et saluons le travail concerté de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes ainsi que la constance et la compétitivité de sa présidente, Annick Billon, qui peut être satisfaite du cheminement des esprits depuis 2018.

Monsieur le garde des sceaux, emparez-vous de ce texte, améliorez-le, mais ne vous enfermez pas une nouvelle fois dans le dédale des comités Théodule ! Faites confiance au Parlement, amendez le texte, faites vivre la navette et la démocratie parlementaires.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 3 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Boré, Chasseing, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, MM. Longuet et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article 222-22-1 est ainsi rédigé :

« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans par une personne majeure, la contrainte est présumée sans qu’il soit possible d’apporter la preuve contraire lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. » ;

2° À l’article 227-25, après les mots : « agression sexuelle », sont insérés les mots : « et hors les cas prévus à l’article 222-22-1 ».

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Vanessa Springora avait 15 ans, le jeune Kouchner, 14 ans, Sarah Abitbol, 15 ans, Isabelle Demongeot, 14 ans, Flavie Flament, à peine 13 ans… Combien d’autres victimes encore ? La société dans son ensemble doit s’interroger sur ce qu’elle tolère ou ce qu’elle ne veut pas voir.

Aussi, il me semble que nous devons envoyer un message simple, mais fort : il y a présomption de contrainte en cas de relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur, lorsque ce dernier connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. J’insiste sur les mots « contrainte » et non « consentement », car seul l’auteur est responsable de ses actes.

Philippe Bas l’a parfaitement expliqué en commission : le consentement n’est pas le bon instrument ; ce qui doit être utilisé en droit pénal, c’est la contrainte. Se reposer, s’appuyer sur le consentement revient à moins protéger la victime ; considérer la contrainte, c’est faire reposer la charge de la preuve sur l’agresseur.

Vous n’avez pas retenu le dispositif que je propose, mais je tenais tout de même à le défendre : il nous permettrait de sanctuariser la protection des mineurs de moins de 15 ans. Ce seuil est connu de tous, il correspond à ce que nous résumons par l’âge de la « majorité sexuelle », même si cette notion mérite d’être mieux définie.

En aucun cas, l’enfant de moins de 15 ans ne peut être consentant à une relation sexuelle, nous devons y mettre un terme. L’adolescent de 13, 14 ou 15 ans est en pleine puberté, il cherche une identité, il reste influençable et va croire les mots de l’adulte, il n’a pas la maturité pour être vraiment consentant, comme l’explique avec justesse Vanessa Springora.

Enfin, cet amendement tend à respecter deux principes fondamentaux. Il s’agit, d’une part, de la présomption d’innocence, dans la mesure où l’infraction ne sera pas systématique dès lors qu’il faudra prouver l’acte, la nature de l’acte et démontrer que l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime, notion grâce à laquelle les juges pourront toujours prendre en compte les circonstances et apprécier la réalité des faits, d’autre part, de la non-automaticité de l’infraction.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 4 rectifié ter est présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, MM. Longuet et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert.

L’amendement n° 14 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger ainsi cet article :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article 222-22-1 est ainsi rédigé :

« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de treize ans par une personne majeure, la contrainte est présumée sans qu’il soit possible d’apporter la preuve contraire lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. » ;

2° À l’article 227-25, après les mots : « agression sexuelle », sont insérés les mots : « et hors les cas prévus à l’article 222-22-1 ».

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié ter.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 14.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Cet amendement est le fruit d’une réflexion qui a évolué depuis plusieurs années sur ce sujet et qui part du constat que la loi actuelle n’est pas suffisante, ce qui a été abondamment développé.

Notre réflexion a abouti tout d’abord au seuil de 13 ans et non de 15 ans. La différence d’âge est ici suffisamment significative pour répondre à l’une des critiques émises par le Conseil d’État lors de l’élaboration de la loi de 2018.

La réflexion nous a ensuite conduits à déterminer s’il était plus pertinent de partir de la définition actuelle du viol pour l’améliorer ou, comme il est proposé dans le texte d’Annick Billon, de créer une infraction autonome.

Comme l’a souligné Éliane Assassi lors de la discussion générale, les mots ont du sens et portent un poids symbolique. Parler de crime sexuel ou de tout acte de pénétration sexuelle plutôt que de viol nie, pour une part, la violence de l’acte. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas, dit-on souvent. Il me semble très important pour les victimes de poser un mot précis sur ce qu’elles ont subi.

De plus, cela reviendrait à voir cohabiter dans la loi deux types différents d’infraction, selon que la victime est majeure ou mineure.

Enfin et c’est l’avancée la plus importante, le dispositif que nous proposons crée la présomption de contrainte irréfragable, qui porterait uniquement sur l’un de ses éléments constitutifs, la contrainte, pour caractériser un viol. Cette rédaction, en plaçant le focus sur l’auteur des faits et non sur la victime, permettrait de ne plus s’interroger sur un prétendu consentement.

Il s’agit pour nous de dire de façon très claire que la contrainte est forcément présumée entre un majeur et un mineur de 13 ans, que le rapport de force, sans être obligatoirement physique, existe de fait et est défavorable au mineur.

Pour nous, cette rédaction présente au moins deux avantages. D’une part, elle tient compte du risque d’anticonstitutionnalité en préservant la présomption d’innocence, à laquelle nous sommes attachés ; d’autre part, elle nous paraît plus précise et moins sujette à interprétation que la loi Schiappa, laquelle, si elle partait également de la définition du viol, évoquait, pour caractériser la contrainte ou la surprise, l’abus de vulnérabilité de la victime et le discernement nécessaire pour ces actes, c’est-à-dire des notions plus floues.

Nous évoluons grâce au débat et je remercie de leur participation à la rédaction de cet amendement Édouard Durand, juge pour enfants à Bobigny, et Ernestine Ronai, présidente de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Saint-Denis, tous deux responsables de la commission « genre » du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Je veux dire à mon tour tout mon respect et mon admiration pour les deux personnes que vous venez de citer et que nous avons, bien sûr, auditionnées.

Ces amendements tendent à modifier la définition du viol pour prévoir une présomption irréfragable dès lors que les faits sont commis sur un mineur de 15 ans. Cette mesure a été débattue en 2018 et écartée en raison d’un problème de constitutionnalité.

Notre collègue députée Alexandra Louis a interrogé plusieurs experts à l’occasion de son rapport d’évaluation de la loi Schiappa : ils lui ont confirmé que cette voie était juridiquement risquée. On ne peut pas l’ignorer. Nous sommes tous d’accord, nous voulons tous faire avancer la cause de la protection des enfants, mais il faut faire attention à ce que nous écrivons et à ce que nous votons.

La création d’une infraction autonome est la voie retenue par Annick Billon : elle rencontre moins de critiques d’un point de vue constitutionnel et a donc plus de chances d’aboutir. Je vous propose de vous y rallier.

C’est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

On ne saurait en effet mieux dire !

Le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° 3 rectifié ter. Il y aurait un véritable danger à instaurer une présomption de contrainte irréfragable. Cela n’est pas possible : c’est la négation de la présomption d’innocence et de tous nos principes en matière probatoire. À l’évidence, cela marquerait un recul de notre droit et le Gouvernement ne saurait être favorable à un tel amendement.

J’ai entendu ce que vous me suggériez, monsieur le sénateur : nous allons évidemment respecter la navette parlementaire, c’est la moindre des choses. Quand je parlais d’éviter toute précipitation, je n’envisageais précisément pas d’étirer les choses : il s’agit au contraire pour Adrien Taquet et moi-même de profiter de ce temps pour poursuivre les consultations.

Vos propos en attestent, madame la rapporteure : certaines difficultés, que j’ai énumérées précédemment, ne sont pas encore tranchées. Nous n’adoptons pas pour autant une position de défense, entendez-le : nous sommes favorables à cette idée. Je ne veux pas me battre contre ce texte, car il a toute sa raison d’être et est extrêmement utile. Madame, j’entends naturellement souligner la très grande qualité de votre travail.

En revanche, sa rédaction nous engage sur des voies à propos desquelles il convient de réfléchir un peu, notamment en ce qui concerne la présomption d’innocence.

On a fait l’expérience, par le passé, que légiférer sous l’emprise d’une certaine émotion n’était pas toujours une idée formidable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Nous devons avoir suffisamment de recul pour réfléchir ensemble. Je forme le vœu que nous le fassions.

Le Gouvernement demande également le retrait des amendements identiques n° 4 rectifié ter et 14 ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Je m’oppose bien entendu à ces amendements. Leur adoption détruirait le dispositif que j’ai proposé, d’autant que la proposition de loi répond aux écueils mentionnés par le Conseil d’État.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Les amendements ne sont pas adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 11, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Après le mot :

soit

insérer les mots :

ou tout acte bucco-génital

II. – Alinéa 3

Après le mot :

sexuelle

insérer les mots :

ou l’acte bucco-génital

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Cet amendement a pour objet d’inclure parmi les crimes sexuels le rapport bucco-génital commis par une personne majeure sur un mineur ou une mineure.

Dans une décision de la Cour de cassation en date du 14 octobre 2020, les magistrats ont écarté la qualification de viol dans une affaire d’inceste par cunnilingus au motif que la pénétration vaginale par la langue de l’auteur n’aurait pas été suffisamment intense, profonde ou de longue durée. La jeune fille qui a subi ces abus sexuels depuis l’âge de 13 ans de la part de son beau-père s’est vu refuser la qualification de viol, donc un procès en cour d’assises.

Cette décision ne fait que creuser l’écart entre la réalité des violences sexuelles commises sur les mineurs, garçons et filles, et leur appréhension par la justice. Ces appréciations inadaptées des magistrats contribuent à une hiérarchisation des viols : les pénétrations digitales, les cunnilingus et les fellations ne sont, dans les faits, jamais criminalisés, jamais traduits devant une cour d’assises.

Sur ce sujet, la politique des petits pas se révèle inefficace. Nous l’avons récemment vu à la suite de l’affaire Duhamel : plus de 6 000 tweets ont été publiés avec le hashtag #MeToolnceste dénonçant les violences sexuelles commises dans le cadre familial. À ce titre, en 2020, un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste durant son enfance, selon une enquête Ipsos, et il ne s’agit là que d’une partie des crimes sexuels sur mineurs.

Montrons notre fermeté. Reconnaissons l’acte bucco-génital commis sur un mineur comme un crime sexuel, car les conséquences psychotraumatiques sont les mêmes pour toutes les victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Ma chère collègue, je vous félicite sincèrement pour cet amendement.

Nous avons tous été extrêmement surpris, voire choqués, par l’arrêt de la Cour de cassation du mois d’octobre dernier, lequel, entre nous, est extrêmement glauque. Quand on en arrive à discuter profondeur, millimètres, mouvement, langue ou doigt…, il faut dire stop !

Dans la dernière loi, nous avions fait en sorte que la victime puisse aussi être l’auteur, pour les cas des garçons pratiquant une fellation. En revanche, nous n’avions pas inclus le cunnilingus, alors qu’il peut être aussi extrêmement choquant pour une jeune fille et doit donc aussi être considéré comme un viol.

Je vous remercie donc de cet amendement sur lequel la commission émet un avis extrêmement favorable et dont l’objet souligne l’égalité – en l’espèce navrante ! – entre garçons et filles.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

J’ai procédé à une analyse de cet arrêt et mes conclusions ne sont pas du tout les mêmes que les vôtres. La Cour de cassation a simplement validé le raisonnement des juges du fond, en mettant en exergue les éléments de preuve qui leur avaient été soumis.

Pour le reste, les rapports bucco-génitaux, quels qu’ils soient, peuvent être qualifiés de viols selon notre jurisprudence.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Je peux vous fournir la jurisprudence ! La fellation ou le cunnilingus peuvent faire l’objet d’une qualification de viol : cela arrive très régulièrement et la jurisprudence consacre cette position.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mmes Rossignol et Meunier, M. Sueur, Mmes Briquet, Le Houerou, Monier, M. Filleul, Jasmin, Lepage et Blatrix Contat, MM. Todeschini, Antiste, P. Joly, Stanzione et Jomier, Mmes Van Heghe et Benbassa, M. Marie, Mme S. Robert, MM. Bourgi et Fernique, Mmes Bonnefoy et Lubin, MM. J. Bigot, Raynal, Cozic, Durain et Kerrouche, Mme Lienemann, M. Jacquin, Mmes Poumirol, Féret, Harribey et Taillé-Polian, MM. Pla et Vaugrenard et Mmes de Marco et Poncet Monge, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer le mot :

treize

par le mot :

quinze

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Alors que la proposition de loi d’Annick Billon fixe le seuil d’âge à 13 ans, je propose, avec un certain nombre de mes collègues, de trancher en faveur du seuil de 15 ans, et ce pour plusieurs raisons.

C’est d’abord par souci de cohérence du droit pénal. Le seuil délictuel pour l’atteinte sexuelle est de 15 ans : pourquoi fixer un seuil différent en matière criminelle ? Je ne retiens pas l’objection d’une éventuelle inconstitutionnalité : celle-ci pourrait aussi bien concerner la dimension délictuelle… Il me paraît important de fixer des seuils aussi cohérents que possible dans le domaine des infractions sexuelles.

À cet égard, voyez la loi sur l’achat de services sexuels, donc les clients de la prostitution. La prostitution des mineurs nous mobilise énormément, y compris M. Taquet, je le sais. Cette loi prévoit que le client d’une prostituée mineure est passible d’une peine aggravée, et davantage encore quand la prostituée a moins de 15 ans.

Il en résulte que le client sera accusé de viol si la prostituée a moins de 13 ans, mais ne pourra pas être poursuivi pour ce motif si elle a entre 13 et 15 ans. Nous sommes pourtant unanimes à considérer que le problème de la prostitution des mineurs est le même à tout âge.

Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous n’accordez pas une grande attention à la loi sur la prostitution… N’hésitez tout de même pas à la regarder, même si vous ne la soutenez pas ! En tout cas, elle prévoit une qualification pénale spécifique pour les clients d’une prostituée de moins de 15 ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

En outre, je crains que, en fixant le seuil à 13 ans, nous ne fragilisions les jeunes âgés de 13 à 15 ans : nous admettrions que, pour eux, on peut discuter d’un éventuel consentement, qu’il n’y aurait pas systématiquement viol. Mes chers collègues, ce que nous voulons pour les moins de 13 ans, nous devons le vouloir aussi pour les moins de 15 ans !

Au reste, si le seuil est maintenu à 13 ans, vous verrez que nous nous retrouverons dans deux ans pour modifier la loi, parce qu’entre-temps de nombreuses affaires auront prouvé qu’elle est inopérante – et choquante – s’agissant des mineurs âgés de 13 à 15 ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Il faut laisser aux lois un peu de temps pour vivre et s’appliquer. La loi Schiappa n’a que deux ans ! Annick Billon propose un crime autonome pour les mineurs de 13 ans. Pour le moment, tenons-nous-en là.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Pour ma part, je ne m’autorise pas des considérations d’ordre personnel. Seule importe la question qui nous préoccupe.

Le seuil de 15 ans comporte un risque constitutionnel réel, déjà identifié par le Conseil d’État dans son avis du 15 mars 2018 : un mineur de 17, 5 ans ayant eu des relations avec un mineur de 14 ans deviendrait de facto un criminel au jour de ses 18 ans…

Ce n’est pas une question tranchée ; elle est délicate et mérite une vraie réflexion, un approfondissement de nos travaux.

J’ajoute qu’un certain nombre de notions importantes sont déjà prévues, notamment la présomption irréfragable, que j’ai évoquée précédemment.

Nous demandons donc le retrait de l’amendement, sans polémique.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je soutiens fortement cet amendement.

L’argument le plus fort est que le vote de ce texte en l’état fragiliserait considérablement la situation des jeunes de 13 à 15 ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. le garde des sceaux a objecté que le Conseil constitutionnel pourrait prononcer une censure. On n’a jamais autant parlé du Conseil constitutionnel que depuis le début de cette discussion… Le Conseil constitutionnel se prononce quand il est saisi, mais, à ce stade, c’est au Parlement d’accomplir pleinement son travail.

Pour Mme la rapporteure, il faut laisser vivre les lois. L’argument est quelque peu singulier. Si notre proposition de 15 ans est bonne, pourquoi ne pas l’adopter ? Faut-il procéder par étapes, laisser vivre un dispositif cependant que des personnes pâtiraient de son caractère incomplet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Houpert

Je voterai cet amendement, parce que je ne comprends pas le seuil de 13 ans.

En tant que parlementaires, nous sommes des relais des territoires auprès du Gouvernement. Nous devons être à l’écoute. Or les gens que je rencontre ne comprennent pas non plus ce chiffre de 13 ans : ils ont le sentiment que c’est un recul.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

J’entends que l’on débatte d’un seuil à 13 ou 15 ans. N’oublions tout de même pas que, il y a deux ans, aucun seuil n’existait ! Un seuil à 13 ans, c’est déjà un progrès.

Au demeurant, cet âge présente aussi une cohérence avec la responsabilité pénale. La création d’une infraction autonome balaie les réserves formulées antérieurement par le Conseil d’État. C’est une information majeure.

La délégation sénatoriale aux droits des femmes auditionne très régulièrement le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dont font partie le juge Édouard Durand et Ernestine Ronai. Cette institution défend le seuil de 13 ans.

J’entends les débats, mais reconnaissons que 13 ans, c’est un progrès sociétal important.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Max Brisson

Le citoyen que je suis dirait, comme Mme Rossignol : 15 ans. En revanche, le parlementaire que je suis aussi, au vu de ce que vient d’expliquer Mme Billon, se prononcera pour le maintien à 13 ans, en responsabilité. C’est dans cet esprit que je vous ai demandé, monsieur le garde des sceaux, de faire confiance au travail du Parlement et je vous remercie de m’avoir répondu.

L’évolution des textes doit être en phase avec celle de la société : nous sommes déjà tellement loin des débats de 2018 ! Ces débats se poursuivront donc, les choses évolueront encore et le Parlement aura certainement à travailler de nouveau sur ces questions.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 27 rectifié, présenté par MM. Mouiller et Favreau et Mme L. Darcos, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après les mots :

treize ans

insérer les mots :

ou sur un mineur de seize ans atteint d’une déficience psychique

La parole est à M. Philippe Mouiller.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Cet amendement vise à étendre jusqu’à 16 ans la criminalisation de tout acte de pénétration sexuelle aux actes commis sur des mineurs atteints d’une déficience psychique.

Il s’appuie sur les constats dressés ces dernières années par divers travaux sénatoriaux. Je pense en particulier au rapport d’information du mois de mai 2019 de Marie Mercier, Michèle Meunier et Dominique Vérien sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions : on y apprend notamment que, selon Marie Rabatel, cofondatrice et présidente de l’Association francophone de femmes autiste, les enfants en situation de handicap, en particulier mental, ont un risque quatre fois plus élevé de subir des violences sexuelles que les autres.

La commission Samson, créée aux Pays-Bas au mois d’avril 2010, est parvenue à un ordre de grandeur comparable, en évaluant que les enfants souffrant d’un déficit de développement ou d’un handicap mental sont trois fois plus souvent victimes d’abus sexuels que les autres.

Enfin, le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux droits des femmes du mois d’octobre 2019 sur les violences faites aux femmes handicapées fait mention d’une récente enquête estimant à près de 47 % la part des filles autistes de moins de 14 ans qui auraient subi une agression sexuelle.

Les violences sexuelles sur mineurs atteints d’un handicap d’origine psychique doivent donc être mieux encadrées par la loi pénale. Dans cette perspective, cet amendement a pour objet de sensibiliser le Gouvernement et la Haute Assemblée sur ce fait de société effroyable que constituent les agressions sexuelles dans le monde du handicap.

Nous devons collectivement nous saisir de ce sujet !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Je remercie notre collègue d’avoir déposé cet amendement. Les personnes handicapées sont particulièrement vulnérables, et les atteintes commises sur elles particulièrement révoltantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

La question mérite une réflexion plus approfondie, parce qu’il existe de nombreuses sortes de handicap mental ; 16 ans n’est peut-être pas toujours le bon seuil d’âge. À titre personnel, je ne suis pas véritablement attachée à ce critère : je pense profondément que chaque personne a un développement propre, qui n’a rien à voir avec son âge.

Le problème fort opportunément soulevé par notre collègue est grave, nous devons absolument essayer de le résoudre. Je demande le retrait de l’amendement justement parce que le sujet est si important qu’il mérite que l’on s’y attarde beaucoup plus.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Je rejoins l’explication de Mme la rapporteure et je m’associe à ses remerciements à votre égard, monsieur le sénateur.

Comme je l’ai souligné dans la discussion générale, cette question, complexe, doit nous occuper dans les mois qui viennent. On a parlé de dernier tabou à propos de l’inceste : je ne veux pas établir de hiérarchie entre les crimes, mais, quand nous parlons d’inceste sur des enfants en situation de handicap, nous sommes saisis par l’horreur auxquels certains de nos enfants sont soumis.

C’est Marie Rabatel qui, lorsque j’étais député, m’a sensibilisé au problème des violences, notamment sexuelles, sur les femmes en situation de handicap.

Mme la rapporteure a raison : moins qu’une question d’âge, c’est une question de discernement et de vulnérabilité. Pour une personne avec un trouble du spectre de l’autisme, la question du consentement n’a pas du tout la même signification, n’est pas du tout vécue de la même façon que pour vous et moi. Ce n’est pas une affaire d’âge, c’est du domaine du neurodéveloppement.

Aussi, je ne crois pas que la réponse par un seuil d’âge soit la bonne.

En outre, une autre dimension, éminemment complexe, doit être abordée : comment libérer la parole d’un enfant avec autisme non verbal ? Comment faire en sorte de libérer la parole d’un enfant en situation de handicap avec, par exemple, une déficience mentale, lorsqu’il est dans une institution ? Comment éviter que ces enfants-là restent sur le bord de la route, alors qu’un mouvement de société formidable se développe, que nous devons accompagner ?

Je ne doute pas que, avec Marie Rabatel, les associations et vous-même, monsieur le sénateur, nous aurons l’occasion de travailler sur ces sujets.

Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

J’entends vos explications, monsieur le secrétaire d’État, et ne puis que vous inviter à vous saisir plus fortement de cette question, qui justifierait une mission particulière, de portée interministérielle.

Je retire l’amendement, qui m’a néanmoins permis d’insister sur la nécessité de traiter ce sujet particulier, qui ne peut être abordé dans le cadre de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 27 rectifié est retiré.

L’amendement n° 17 rectifié, présenté par Mmes de La Gontrie, Meunier, Rossignol, Le Houerou, Briquet, Harribey et Conconne, M. Bourgi, Mmes Lepage et Monier, MM. P. Joly, Antiste, Houllegatte, Durain, Kanner, Sueur, Marie, Leconte, Kerrouche et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

I. - Après l’alinéa 3

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

« L’infraction est également constituée lorsque la victime est mineure et lorsque l’auteur est :

« 1° Un parent au premier, deuxième ou troisième degré ;

« 2° Le conjoint, le concubin, ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité, de l’une des personnes mentionnées au 1°.

II. - Alinéa 4

Remplacer les mots :

au premier alinéa

par les mots :

aux premier et troisième alinéas

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Cet amendement est particulièrement important.

Nous avons décidé de fixer un seuil d’âge pour une infraction spécifique : le seuil de 13 ans, qui vient d’être débattu. En revanche, aucun seuil d’âge spécifique n’est prévu pour l’inceste. Nous proposons donc que, lorsqu’il s’agit d’une victime mineure, l’inceste soit inclus dans cette infraction spécifique, et donc criminalisé.

Il serait inexact d’affirmer que l’inceste n’est pas aujourd’hui réprimé par le code pénal, mais il ne constitue qu’une circonstance aggravante des agressions sexuelles et du viol. On retombe donc, comme toujours, dans les questions du consentement, de la contrainte, de la surprise, de la violence – vous connaissez bien ces différentes données.

L’inceste sur un jeune de moins de 18 ans doit être reconnu comme un crime, et il est très important que cette mesure soit votée aujourd’hui. C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué au cours de la discussion générale, sur cet amendement, mon groupe demande un vote par scrutin public.

L’actualité fait ressortir ce sujet, mais, en réalité, son actualité est permanente : de manière permanente, on nous parle de cas d’inceste. L’inceste n’est identifié dans le code pénal que depuis quelques années.

Mes chers collègues, il ne faut pas avoir peur des situations ou craindre les mots : sur une personne de moins de 18 ans, inceste égale crime. C’est aujourd’hui pour le Sénat l’occasion de l’affirmer.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Cet amendement vise à qualifier de crime tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur quand cette relation présente un caractère incestueux. Seraient concernés les parents aux premier, deuxième et troisième degrés, soit les parents, grands-parents, frères et sœurs, neveux et nièces et oncles et tantes. Seraient concernés également le conjoint, concubin ou partenaire lié par PACS de l’une des personnes précédemment mentionnées.

Je comprends l’intention des auteurs de cet amendement, mais je m’interroge beaucoup sur la constitutionnalité du dispositif qu’ils proposent…

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

… au regard de la nécessité de caractériser l’élément intentionnel du délit.

Soyons concrets. Actuellement, un mineur de plus de 15 ans peut avoir des rapports sexuels consentis avec un majeur. Avec un tel dispositif, si une mineure de 17, 5 ans a un rapport consenti avec le concubin de sa sœur, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

C’est possible !

… lequel n’a peut-être que quelques années de plus, celui-ci serait automatiquement envoyé aux assises, alors que les deux personnes n’ont aucun lien de sang ni surtout aucun rapport d’autorité dont le concubin aurait pu abuser.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Non, il n’y a pas d’automaticité et vous le savez très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Une telle situation relève d’un écart dans le contrat, si je puis dire ; elle peut se régler gentiment sans que l’on aille aux assises…

Le dispositif proposé me paraît poser un sérieux problème au regard du respect des droits de la défense et du principe de nécessité des délits et des peines.

En revanche, la commission émettra un avis favorable sur l’amendement n° 25, qui sera examiné dans quelques instants.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Non, notre position n’est pas incohérente, parce que cet amendement pose moins de problèmes : il tend à introduire une circonstance aggravante sur un délit ; le seuil d’âge n’est pas le même et le périmètre retenu pour qualifier l’inceste est beaucoup mieux défini.

Bien sûr, la commission est prête à avancer sur la question de l’inceste, mais il faut le faire avec rigueur sur le plan juridique. Nous risquons sinon de décevoir les victimes elles-mêmes.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

C’est pour moi une époustouflante démonstration des difficultés qui se posent quand… Je ne sais comme le dire.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Madame de La Gontrie, je suis toujours très attentif quand vous êtes là : je vous sais tellement vigilante, tellement aimable aussi !

J’ai parlé de hâte et de besoin de réfléchir. Je suis convaincu que vous n’aviez pas songé à l’exemple développé par Mme la rapporteure.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Sans quoi, vous n’auriez pas présenté cet amendement.

Je vous adresse donc une aimable demande de retrait.

Envoyer aux assises à l’emporte-pièce, pour le dire ainsi, ce n’est pas le but de la loi pénale. J’ai essayé de l’expliquer tout à l’heure avec les mots qui étaient les miens. On y a vu une forme de réticence, ce qui n’est pas du tout le cas. §Je le répète : nous souhaitons travailler pleinement avec vous sur ce texte ! Reste que l’exemple de Mme la rapporteure montre bien que nous ne devons pas donner suite à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

« C’est inconstitutionnel » est devenu the new « Je ne suis pas d’accord » !

De fait, chaque fois que vous n’êtes pas d’accord avec l’une de nos propositions, en particulier, comme l’a fait observer Jean-Pierre Sueur, sur ces sujets, vous affirmez : « C’est inconstitutionnel ». Pour ma part, je ne connais qu’une façon de savoir si une disposition est constitutionnelle ou non : c’est que le Conseil constitutionnel se prononce ! En général, c’est ce qu’il fait.

Depuis quelques années, nous parlons de consentement et d’emprise. Or de quoi s’agit-il en matière d’inceste ? De consentement et d’emprise. Qui pense sérieusement que l’emprise s’arrête à 15 ans, qu’elle ne va pas jusqu’à la majorité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Parfois même au-delà, mais nous ne pouvons pas le prendre en compte.

Dans mon département, dans une commune voisine de la mienne, voilà une dizaine d’années, un père a été poursuivi parce qu’il violait ses trois filles. Il a purgé deux ans de prison, après quoi il est parti avec l’un d’elles et ils ont eu un enfant. Plus tard, la fille l’a quitté : il l’a tuée, avec le pauvre garagiste qui l’hébergeait. Qu’avaient alors plaidé les avocats ? L’inceste heureux, l’inceste consenti…

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement ne vise qu’à une chose : qu’on ne parle plus jamais d’inceste heureux et consenti devant les cours d’assises !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Maryse Carrère, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Comme je l’ai rappelé dans la discussion générale, le groupe du RDSE a déposé en 2019 une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l’inceste et à demander sa surqualification pénale. Françoise Laborde, dont vous connaissez l’engagement sur ces sujets, y soulignait combien il est important de faire évoluer le droit pénal pour reconnaître comme il convient la gravité du traumatisme subi par les victimes d’inceste.

De fait, les conséquences sur l’enfant sont prouvées, sur les plans neurobiologique, comportemental, cognitif et affectif. Notre ancienne collègue estimait aussi que, en matière d’inceste, la reconnaissance du non-consentement devrait être un principe inaliénable s’agissant des mineurs, limite d’âge ou pas.

Aujourd’hui, l’inceste, sans être nommé, est considéré comme une circonstance aggravante. Cette définition générale ne correspond ni à la réalité ni à la complexité des implications pour les victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Pour ces raisons, le groupe du RDSE votera cet amendement, dont l’adoption marquerait un pas important.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

L ’ article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Permettez-moi une observation générale. Lorsque, au banc des commissions, un rapporteur, quel qu’il soit, évoque l’éventualité qu’un amendement aurait un caractère inconstitutionnel, ce n’est pas pour essayer de contourner l’obstacle ou de renvoyer le sujet à plus tard. C’est le résultat d’une analyse juridique faite par la commission – en l’occurrence, la commission des lois.

Il y a une Constitution et une jurisprudence constitutionnelle, que nul n’est censé ignorer. C’est sur ces bases que nous travaillons. Si nous nous fichions de la jurisprudence, je crains que nous n’en venions à faire n’importe quoi ou presque. Notre travail n’aurait alors plus de sens.

Cela ne veut pas dire que, que par moments, il ne faille pas savoir bouger les choses, mais cela relève d’une autre démarche.

En tout cas, les positions exprimées par Mme le rapporteur résultent d’une analyse de fond à laquelle la commission des lois s’est attachée avec une grande précision.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 13 rectifié, présenté par Mmes Lepage, Monier, Meunier, Jasmin et Conway-Mouret et MM. Antiste, Bourgi, Vaugrenard, Raynal, Lozach et Pla, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au deuxième alinéa de l’article 222-22-1 du code pénal, le mot : « exerce » est remplacé par le mot : « a ».

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

La notion d’autorité a ceci de flou dans notre société codifiée qu’elle entraîne des normes et des comportements induits par la place que nous occupons. Ainsi, pour chacune et chacun, l’autorité est bien une relation de pouvoir qui s’exerce ou se subit.

Bien évidemment, différents niveaux d’autorité existent : de l’autorité, très codifiée, que produit la loi, à celle, plus explicite, du monde du travail, qui s’exprime par un organigramme, sans oublier celle, plus individuelle et intrinsèque, que l’on trouve chez les personnes dont on dit qu’elles disposent d’une autorité naturelle.

Enfin, il y a l’autorité qui nous intéresse plus précisément dans ces débats : celle d’un adulte qui s’applique implicitement sur l’enfant. Ainsi, l’ascendance dont, par son âge, dispose naturellement un adulte sur un enfant constitue en soi une autorité. Que dire lorsqu’il s’agit d’un viol incestueux, dans lequel l’autorité est d’emblée institutionnalisée par le code civil en tant qu’autorité parentale ?

Pour autant, l’interprétation de la notion d’autorité par les juges gagnerait à être affinée. Tel est l’objet de cet amendement.

Nous souhaitons définir plus précisément cette autorité, constitutive de la contrainte, en matière d’agression sexuelle ou de viol, en prenant appui notamment sur l’avis du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles. On y lit que, d’après certaines décisions de justice, « la seule existence de relation d’autorité permet de caractériser la contrainte ».

Plus précisément, nous proposons de remplacer le verbe « exercer » par le verbe « avoir », afin de lever le flou sur cette notion d’autorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

La modification que vous proposez a une portée sémantique dont je ne suis pas certaine qu’elle modifiera l’état du droit. Elle permet cependant d’harmoniser le champ du vocabulaire employé dans le code pénal, car il y est généralement fait mention de la personne qui « a » autorité. La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

L’amendement n° 5 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Lassarade, Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 222-22-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La contrainte est présumée dans le cas de relations sexuelles entre mineurs, si l’un d’eux a moins de quinze ans, lorsque leur écart d’âge excède deux années ou lorsque l’un exerce sur l’autre une relation d’autorité de droit ou de fait. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Cet amendement vise à établir que, avant l’âge de 15 ans, un mineur peut consentir à des relations sexuelles avec un partenaire mineur si celui-ci est son aîné de moins de deux ans et qu’il n’exerce aucune relation d’autorité, de dépendance ou aucune forme d’exploitation à son endroit.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Si on avait voté le seuil de 15 ans, on n’en serait pas là !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

On peut faire beaucoup avec des « si »… Le débat est très intéressant. Chacun sait que les « petits couples » ou les « jeunes couples » existent, qu’ils ont des relations consenties. Cependant, il me semble hasardeux de trancher cette question au détour de l’examen d’une proposition de loi dont ce n’est pas l’objet – vous noterez que je n’aborde pas l’aspect constitutionnel. Mieux vaut y consacrer une réflexion aboutie. L’avis de la commission est donc défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Comme nous l’avons dit à de nombreuses reprises, il est très difficile de décider sur ce type de sujet. La piste de réflexion que vous proposez autour de l’écart d’âge est extrêmement intéressante. Mes services mèneront un travail d’expertise durant la navette.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’amendement n° 5 rectifié ter est retiré.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Georges Patient.