Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 21 janvier 2021 à 10h30
Protection des jeunes mineurs des crimes sexuels — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, y a-t-il dans notre République cause plus noble, cause plus juste et cause plus urgente aujourd’hui que celle d’assurer pleinement, après tant d’années de déni, la protection de nos enfants contre les crimes sexuels ?

Une prise de conscience générale traverse et interroge la société tout entière. Nous devons – c’est notre devoir ! – y répondre tous ensemble.

Dans un vaste mouvement de libération de la parole, les victimes de crimes sexuels, notamment d’incestes, sont de plus en plus nombreuses à faire entendre leur voix : la voix de la souffrance trop longtemps enfouie et étouffée, cette voix qui nous demande d’agir pour empêcher que d’autres enfants connaissent à l’avenir le même cauchemar.

Il nous faut bien sûr saluer leur courage, leur apporter notre soutien, leur témoigner notre solidarité, mais il nous faut aussi, à nous, parlementaires et Gouvernement unis dans un même combat, donner une traduction juridique à ce besoin de protection et de reconnaissance.

Le crime doit être clairement nommé, les victimes doivent être pleinement reconnues. Nous en avons tous ici la conviction : ces objectifs partagés ne peuvent être atteints que si nous améliorons nos règles juridiques et la réponse judiciaire.

Les enfants abusés hier sont devenus des adultes que les réseaux sociaux, souvent bien des années après, ont aidés à révéler leur histoire et à dire leurs souffrances. Des voix fortes et puissantes se sont exprimées, mais également avec elles, et souvent grâce à elles, des milliers d’anonymes. Nous le savons, cette libération va se poursuivre.

Les réseaux sociaux ne peuvent cependant pas remplacer le besoin de justice : toute modification de la loi pénale doit être envisagée avec détermination, mais prudence. Les évolutions de la loi pénale doivent prendre en compte les phénomènes sociaux, mais elles doivent aussi s’accompagner d’une réflexion aboutie, notamment en termes de prescription, sans céder à la précipitation qu’appelle une émotion bien légitime.

Vous le savez, notre gouvernement a fait de la protection des enfants une priorité du quinquennat. Nous sommes convaincus que seule une action collective est efficace. C’est pourquoi tous les ministères sont mobilisés dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants promu par Adrien Taquet. Cette mobilisation s’est déjà traduite par l’adoption de la loi du 3 août 2018 qui a renforcé notre droit en matière de lutte contre les infractions sexuelles commises à l’égard des mineurs.

Même si nous devons aller plus loin, je rappelle les améliorations récentes apportées par le législateur, qui sont autant de références pour nos travaux.

Le délai de prescription a ainsi été étendu de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur les mineurs, un délai courant à compter de la majorité de la victime, afin de laisser à celle-ci davantage de temps pour porter plainte.

Les dispositions interprétatives immédiatement applicables aux procédures en cours, même pour des faits commis avant la réforme, ont clarifié la notion de contrainte : celle-ci peut désormais résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur. Ainsi, s’agissant du mineur victime âgé de 15 ans ou moins, il est désormais précisé que la contrainte morale ou la surprise sont « caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

Cette loi a également prévu, si le crime de viol ne peut être établi, que toute pénétration sexuelle commise sur un mineur de 15 ans par un majeur caractérise le délit d’atteinte sexuelle, délit qui, je le rappelle, est puni d’une peine de sept ans d’emprisonnement, voire de dix ans en cas de circonstances aggravantes.

Faut-il aller plus loin ? Sur quels points ? Ce sont les questions qu’il nous faut maintenant trancher.

J’observe d’abord que les apports de la réforme de 2018 sont très récents. Même si un travail d’évaluation de grande qualité a pu être mené par la députée Alexandra Louis, il n’est pas possible aujourd’hui d’évaluer pleinement le bénéfice de ces dispositions.

Pour autant, je rejoins l’auteure de la proposition de loi sur le fait que nous devons collectivement viser l’exigence d’un plus haut niveau de protection des mineurs.

Le texte examiné aujourd’hui retient toute l’attention du Gouvernement, en ce qu’il prévoit principalement de créer un crime punissant de vingt ans d’emprisonnement tout acte de pénétration sexuelle commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans.

Je tiens, à cet égard, à saluer l’implication d’Annick Billon, ainsi que celle du groupe Union Centriste, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.

Ainsi, nous pouvons avoir un débat que – vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs – j’estime essentiel, mais qui – je vous l’indique d’emblée – devra à mon avis nourrir des concertations dans les semaines à venir.

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