Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la sénatrice auteure de la proposition de loi, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, depuis plus de trente ans, des femmes et des hommes, anonymes ou non, ont le courage de briser le silence et de parler : Éva Thomas, Denise Bombardier, Flavie Flament, Christine Angot, Sarah Abitbol, Andréa Bescond, Vanessa Springora, Camille Kouchner. Angélique, Céline, Christine, Laetitia, Mélinda, Sabrina, toutes pensionnaires de la maison d’accueil Jean-Bru, à Agen.
Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des femmes et des hommes, à la tête de leurs associations, crient sans relâche, depuis des années, les chiffres indignes des violences faites à nos enfants, en particulier des violences sexuelles qu’ils subissent. Je pense évidemment à Isabelle Aubry de Face à l’inceste, François Devaux de La Parole libérée, Laurent Boyer, Arnaud Gallais et tous les représentants des associations de protection de l’enfance, comme, encore, La Voix de l’enfant ou L’Enfant bleu.
Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que des professionnels – pédiatres, psychiatres, anthropologues, philosophes – travaillent depuis des années pour mettre à jour les ressorts profonds, les mécanismes intimes et structurels qui rendent possible ce qui n’est rien d’autre qu’un phénomène de masse. Je citerai évidemment Dorothée Dussy, mais aussi Muriel Salmona, Marc Crépon ou encore tous les chercheurs qui, au sein du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à la demande de Laurence Rossignol, ont travaillé sur le sujet en 2017.
Si nous avons ce débat aujourd’hui, nous le devons aux dizaines de milliers d’anonymes qui, depuis quelques jours, ont le courage de parler, pour que plus jamais ne s’installent le déni et le silence.
Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est parce que, plus que jamais, il dépasse largement l’enceinte de cet hémicycle. Il n’interroge pas simplement notre droit et nos politiques publiques ; il interroge chacun d’entre nous, individuellement, et nous tous, collectivement, en tant que peuple, en tant que Nation, qui acceptons que ses enfants subissent tant de violences et, pour certains, en meurent à petit feu.
Notre société tout entière doit cesser de mimer le silence. Comme le dit symboliquement Dorothée Dussy dans son ouvrage Le Berceau des dominations, « nous devons collectivement briser la grammaire du silence et de la domination ».
Nous devons interroger nos systèmes de valeurs, interroger la famille, non pas pour la détruire – elle est encore largement, et c’est heureux, le lieu de l’épanouissement et de l’amour –, mais pour reconnaître qu’elle peut aussi être le lieu de la violence et de l’exil pour certains enfants. Nous devons briser ces fameux secrets de famille, si délétères. Nous devons aussi, probablement, interroger le modèle patriarcal sur lequel notre société s’est construite.
Depuis trente ans, les déflagrations sont nombreuses ; chaque fois, le couvercle se referme. Elles se succèdent de manière plus rapprochée et avec une intensité plus forte. Il faut voir dans ce phénomène un motif d’espoir : la société supporte de moins en moins l’insupportable ; elle refuse de détourner le regard des actes commis derrière les portes closes.
Dans l’exercice de mes fonctions, et avec l’ensemble du Gouvernement, j’ai très tôt voulu faire de l’écoute et du soutien aux victimes un aspect central de notre action.
Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants évoqué par M. le garde des sceaux, que j’ai annoncé au mois de novembre 2019, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, mettait justement l’accent sur l’importance d’accompagner ceux qui avaient traversé ces épreuves. Ses vingt-deux mesures, travaillées avec l’ensemble des associations, des professionnels de la protection de l’enfance et de la lutte contre les violences sexuelles, ainsi que des ministres du Gouvernement, étaient fortes et commencent à produire leurs effets.
Sous l’égide du garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, nous formons désormais mieux les magistrats, pour qu’ils soient pleinement en mesure de traiter ces situations et ces affaires de violences sexuelles subies par des enfants.
Nous déployons les unités d’accueil pédiatriques enfants en danger. Situées dans les services pédiatriques des hôpitaux, ces unités permettent d’accueillir dans un lieu sécurisant, protecteur, des mineurs – parfois âgés de 3 ou 4 ans – victimes de violence sexuelle et de recueillir leur parole par des professionnels formés, policiers ou gendarmes. Notre territoire en comptera une par département d’ici à 2022.
Nous avons renforcé le contrôle des antécédents judiciaires des personnels intervenant au contact des enfants et systématisé les vérifications du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le Fijaisv.
Nous avons, grâce à votre vote du mois d’août dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, durci les peines pour les personnes qui consultent des sites pédocriminels, portant la peine encourue de deux à cinq ans, avec inscription automatique au Fijaisv. Dès lors, contrairement à ce qui avait cours auparavant, ces personnes ne pourront plus jamais travailler au contact des enfants.
Nous avons également systématisé les bilans psychologiques dans la prise en charge des victimes, afin de les aider dès les premiers pas et, sur le long terme, dans leur chemin de soins.
Ensemble, nous agissons. Toutefois, ce que nous montre sans artifice l’actualité, ce que nous disent sans fard les victimes, ce que nous savons au fond de nous-mêmes, c’est que nous devons aller plus loin et plus vite, que nous devons franchir une nouvelle étape.
Nous le devons non seulement aux dizaines de milliers de personnes qui ont témoigné au cours des derniers jours, mais aussi aux millions d’autres qui n’ont pas encore réussi à le faire.
Le Sénat comme l’Assemblée nationale entendent bien évidemment cet appel, comme le montre cette proposition de loi, dont l’examen nous rassemble aujourd’hui. Nous ne pouvons que le saluer.
Je salue également à mon tour le travail constant de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, en particulier celui qu’ont effectué, au cours des dernières années, Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, ainsi que celui de la députée Alexandra Louis.
Nous en sommes convaincus, nous devons encore mieux former et mieux sensibiliser – et ce très largement – aux questions de violences sexuelles faites aux enfants, instaurer une véritable culture de la prévention, partagée par l’ensemble des professionnels travaillant au contact des enfants.
Nous devons aussi avancer plus rapidement sur la sensibilisation des enfants eux-mêmes, afin qu’ils deviennent les premiers remparts face aux menaces pesant sur eux, …