De nombreuses victimes de viol parlent d’un « état de sidération ». En réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol ou d’une violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu : la victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique, selon la psychiatre Muriel Salmona, dont nous citons souvent les travaux. La personne est ainsi paralysée, et elle ne peut pas réagir. Il s’agit là de réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences.
Pourtant, ce phénomène de sidération reconnu par la psychiatrie est encore largement ignoré, voire contesté. La victime se voit même presque systématiquement confrontée, dans les cas où elle porte plainte, à des questions sur son absence de réaction face à son violeur.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que seulement une femme victime de viol sur dix porte plainte, ni à ce que seulement une plainte pour viol sur dix aboutisse à une condamnation. C’est pourquoi nous devons envisager l’état de sidération psychique des victimes de viol comme une contrainte morale.
Certains objecteront que l’amnésie traumatique n’a pas encore sa place dans le droit en vigueur. Cependant, au mois de juillet dernier, nous avons voté une disposition visant à introduire dans le code civil la notion d’emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint.
Nous venons également de voter une mesure portant sur la notion de « maturité sexuelle suffisante », ce qui est une innovation sémantique et juridique.
Enfin, je dois vous signaler que le code de la santé publique prévoit une notion médicale d’état post-traumatique pour les militaires, depuis le décret de 2009.
Toutes ces notions relèvent des neurosciences.
En outre, les magistrats se fondent déjà sur des expertises en faisant état de sidération psychique, lorsqu’ils apprécient l’existence d’une contrainte dans le cadre d’une infraction à caractère sexuel.
Cet amendement vise tout simplement à inscrire cette notion dans la loi, afin que les juges tiennent davantage compte de l’état de sidération psychique comme contrainte morale, qu’il leur appartiendra de retenir ou non. En effet, il ne s’agit pas de remettre en cause leur appréciation souveraine, mais de leur offrir un cadre pour l’exercer.
Enfin, pour répondre aux critiques formulées en commission, je tiens à préciser que cet amendement reprend la même logique rédactionnelle que celle qui inspire l’article 222-22-1 : la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime ».