Séance en hémicycle du 21 janvier 2021 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • campagne
  • crime
  • prescription
  • viol

La séance

Source

La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Georges Patient.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La séance est reprise.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle qu’une deuxième proposition de loi a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’espace réservé au groupe Union Centriste, limité à une durée de quatre heures.

Dans ces conditions, je me verrai dans l’obligation de lever notre séance à seize heures six. Si nous n’avons pas achevé l’examen du second texte, il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une séance ultérieure. J’invite chacun à tenir compte de cette contrainte dans ses interventions.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 25, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol, Meunier, Le Houerou et Briquet, M. Antiste, Mme Harribey, M. Bourgi, Mmes Lepage et Conconne, M. P. Joly, Mme Monier, MM. Houllegatte, Durain, Kanner, Sueur, Leconte, Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 227-27-2-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les atteintes sexuelles sur un mineur sont punies de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende si l’auteur est une des personnes définies aux 1°, 2° et 3° du présent article. »

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Cet amendement vise à réprimer plus sévèrement les atteintes sexuelles sur mineurs, de manière à pouvoir les intégrer dans l’article créé par le texte.

Je ne veux pas empiéter sur le temps de parole de Mme la rapporteure, mais je tiens à préciser que la commission a émis un avis favorable sur cet amendement, sans pour autant répondre à notre préoccupation au sujet du crime d’inceste, comme nous avons pu le constater ce matin.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, qui vise à compléter le droit.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. Même si nous sommes d’accord sur l’objet de cet amendement, il reste des difficultés rédactionnelles à résoudre.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

Le deuxième alinéa de l’article 222-22-1 du code pénal est complété par une phrase ainsi rédigée : « La contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. »

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 19, présenté par Mmes de La Gontrie, Rossignol, Briquet, Le Houerou et Meunier, M. Antiste, Mmes Conconne, Harribey, Lepage et Monier, MM. P. Joly, Bourgi, Houllegatte, Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

L’article 1er bis traduit les difficultés, voire les ambiguïtés qui affaiblissent le raisonnement consistant à retenir le seuil de 13 ans, puisque les auteurs du texte se sentent obligés de prévoir une disposition spécifique pour la victime âgée de 13 ans à 15 ans.

En effet, l’article vise à modifier la définition de la contrainte morale, qui peut être invoquée lorsque la victime a moins de 15 ans et ne dispose pas de la maturité sexuelle suffisante.

Or la contrainte morale peut déjà être utilisée en toutes circonstances, et particulièrement quand il y a un écart d’âge ou lorsque la victime n’est pas en état de donner son consentement.

Par ailleurs, l’article introduit une notion que nous avions déjà combattue en commission, celle de la « maturité sexuelle suffisante ». Même si cette disposition est pleine de bonnes intentions, puisqu’elle vise à traiter les victimes de la manière la plus fine possible, en prenant en compte leur degré de maturité, je crains qu’elle ne s’exerce paradoxalement à l’avantage des auteurs qui pourront arguer de la maturité sexuelle de la victime.

Je ne crois pas qu’il soit convenable de discuter pour savoir si un enfant âgé de 13 ans à 15 ans a une maturité sexuelle suffisante pour entretenir une relation avec un adulte. Je me permettrai simplement de citer Camille Kouchner : « Quand l’enfant ne dit pas non, c’est à l’adulte de dire non. » Tenons-nous-en là !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Revenons-en à l’historique du texte. Mme Annick Billon a déposé une proposition de loi pour protéger les enfants de moins de 13 ans. Vous vouliez en étendre la portée aux enfants de moins de 15 ans. De mon point de vue, il est très compliqué de fixer un seuil d’âge. En effet, comment faire une différence entre un enfant âgé de 13 ans et un jour et un autre âgé de 13 ans moins un jour ?

Voilà pourquoi je propose d’étendre la protection prévue dans le texte aux enfants âgés de 13 à 15 ans, en gardant assez de flexibilité pour tenir compte de la maturité sexuelle de la victime, que l’on ne doit pas confondre avec la maturation sexuelle. Protéger les enfants de 13 ans à 15 ans est parfaitement cohérent avec l’esprit du texte de Mme Billon.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ article 1 er bis est adopté.

À l’article 227-25 du code pénal, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « et hors le cas prévu à l’article 227-24-2 ». –

Adopté.

Le 2° de l’article 222-24 du code pénal est complété par les mots : «, hors le cas prévu à l’article 227-24-2 ». –

Adopté.

Au premier alinéa de l’article 227-27-2-1 et à l’article 227-28-3 du code pénal, la référence : « 227-25 » est remplacée par la référence : « 227-24-2 ». –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 8 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l’article 222-22-1 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La contrainte morale peut également résulter de l’état de sidération psychique de la victime. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

De nombreuses victimes de viol parlent d’un « état de sidération ». En réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol ou d’une violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu : la victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique, selon la psychiatre Muriel Salmona, dont nous citons souvent les travaux. La personne est ainsi paralysée, et elle ne peut pas réagir. Il s’agit là de réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences.

Pourtant, ce phénomène de sidération reconnu par la psychiatrie est encore largement ignoré, voire contesté. La victime se voit même presque systématiquement confrontée, dans les cas où elle porte plainte, à des questions sur son absence de réaction face à son violeur.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que seulement une femme victime de viol sur dix porte plainte, ni à ce que seulement une plainte pour viol sur dix aboutisse à une condamnation. C’est pourquoi nous devons envisager l’état de sidération psychique des victimes de viol comme une contrainte morale.

Certains objecteront que l’amnésie traumatique n’a pas encore sa place dans le droit en vigueur. Cependant, au mois de juillet dernier, nous avons voté une disposition visant à introduire dans le code civil la notion d’emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint.

Nous venons également de voter une mesure portant sur la notion de « maturité sexuelle suffisante », ce qui est une innovation sémantique et juridique.

Enfin, je dois vous signaler que le code de la santé publique prévoit une notion médicale d’état post-traumatique pour les militaires, depuis le décret de 2009.

Toutes ces notions relèvent des neurosciences.

En outre, les magistrats se fondent déjà sur des expertises en faisant état de sidération psychique, lorsqu’ils apprécient l’existence d’une contrainte dans le cadre d’une infraction à caractère sexuel.

Cet amendement vise tout simplement à inscrire cette notion dans la loi, afin que les juges tiennent davantage compte de l’état de sidération psychique comme contrainte morale, qu’il leur appartiendra de retenir ou non. En effet, il ne s’agit pas de remettre en cause leur appréciation souveraine, mais de leur offrir un cadre pour l’exercer.

Enfin, pour répondre aux critiques formulées en commission, je tiens à préciser que cet amendement reprend la même logique rédactionnelle que celle qui inspire l’article 222-22-1 : la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Ma chère collègue, je comprends votre intention, mais je voudrais vous dire que, quand une victime est sidérée, c’est comme si le cerveau se mettait « en pause » pour assurer sa survie. Toutefois, on ne peut pas dire que la contrainte découle de cette réaction, car c’est le contraire qui se produit : la sidération résulte de la contrainte.

J’ai lu et je connais les travaux de ma consœur Muriel Salmona. La rédaction de l’amendement n’y correspond qu’en partie, puisqu’elle adopte uniquement le point de vue de la victime. Si l’on ne peut pas déduire la contrainte de la sidération, il est en revanche parfaitement exact que la contrainte implique la sidération. La réciproque n’est pas vraie.

En tant que médecin, je peux subodorer que l’amnésie traumatique existe et que des patients développent cette réaction. Cependant, il n’est pas possible d’introduire dans le droit ce que les neurosciences n’ont pas encore prouvé.

La loi n’aura jamais la souplesse de la vie. Elle ne s’exerce qu’à partir de notions qui ont été démontrées.

Mme Valérie Boyer s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Par conséquent, bien que comprenant votre intention, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Même avis, à la virgule près.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 21, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie, Meunier, Le Houerou et Briquet, MM. Antiste et Bourgi, Mmes Conconne, Harribey, Lepage et Monier, MM. P. Joly, Houllegatte, Durain, Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’article 222-23 du code pénal, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou tout rapport bucco-génital ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Nous avons adopté un amendement de Mme Benbassa sur les rapports bucco-génitaux dans le cadre de la nouvelle incrimination de crimes sexuels sur enfants.

Cet amendement vise à introduire la même précision dans la définition du viol.

J’ai bien entendu ce qu’a dit M. le garde des sceaux, ce matin, et il est vrai que, jusqu’à la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation à laquelle il a été fait référence, j’avais toujours considéré que les rapports bucco-génitaux étaient inclus dans la pénétration sexuelle, telle qu’elle figure à l’article 222-23 du code pénal qui définit le viol.

Par conséquent, pour éviter que des juges mal intentionnés ou des avocats de la défense se réfèrent, dans d’autres affaires, à cette jurisprudence exceptionnelle de la chambre criminelle – je n’ai rien contre les avocats et je suis très attachée au respect des droits de la défense, mais ce sont les juges et les avocats qui manient le droit dans ces situations –, je propose d’introduire la même précision pour le viol que celle que nous avons votée précédemment pour les crimes de violence sexuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Par cohérence, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

La position du Gouvernement reste la même que celle que j’ai exprimée ce matin, par cohérence.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.

L’amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Verzelen, Wattebled, Menonville et Chasseing, Mme Mélot et MM. Lagourgue, A. Marc et Decool, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 434-3 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « sept » et le montant : « 45 000 » est remplacé par le montant : « 100 000 » ;

2° Au dernier alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « dix » et le montant : « 75 000 » est remplacé par le montant : « 150 000 ».

La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Cet amendement vise à envoyer un signal à tous ceux qui se taisent, en aggravant les peines encourues pour non-dénonciation, qu’il s’agisse des peines d’emprisonnement ou des sanctions pécuniaires. Il tend également à renforcer ces sanctions dans le cadre d’un abus sur mineur de moins de 15 ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Votre amendement, ma chère collègue, a pour objet d’aggraver les sanctions pour le délit de non-dénonciation, avec pour conséquence que l’auteur de l’infraction principale pourra être moins lourdement puni que celui qui n’aura pas signalé l’infraction. L’avis de la commission est donc défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Je partage totalement la position de Mme la rapporteur.

En réalité, si votre amendement était adopté, c’est tout l’édifice qui serait déséquilibré : les violences elles-mêmes pourraient être moins sévèrement punies que l’abstention que vous dénoncez légitimement.

Dans ces conditions, nous émettons évidemment un avis défavorable.

Le code pénal cherche également à trouver des équilibres, qui sont d’ailleurs souvent précaires. C’est en ce sens que nous devons être extrêmement attentifs. On ne touche la loi pénale que « d’une main tremblante ».

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Je retire l’amendement, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 2 rectifié ter est retiré.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Verzelen, Wattebled, Menonville et Chasseing, Mme Mélot et MM. Lagourgue, A. Marc et Decool, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, les mots : « et 227-26 » sont remplacés par les mots : «, 227-26 et 434-3 ».

La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Je retire cet amendement et me rallie à l’amendement n° 29 de la commission, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 1 rectifié ter est retiré.

L’amendement n° 29, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’action publique du délit mentionné à l’article 434-3 du code pénal se prescrit, lorsque le défaut d’information concerne un délit commis sur un mineur, par dix années révolues à compter de la majorité du mineur et, lorsque le défaut d’information concerne un crime commis sur un mineur, par vingt années révolues à compter de la majorité du mineur. »

La parole est à Mme le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Nous vous proposons une augmentation du délai de prescription pour le délit de non-dénonciation.

Ce délai serait porté à dix ans en cas de non-dénonciation d’un délit et à vingt ans en cas de non-dénonciation d’un crime.

Je rappelle qu’actuellement le délai est de six ans pour les délits de droit commun ou les crimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 20, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie, Briquet, Le Houerou, Meunier, Monier et Conconne, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Antiste et P. Joly, Mme Lepage, MM. Houllegatte, Durain, Sueur, Leconte, Kerrouche, Kanner, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’action publique du délit mentionné à l’article 434-3 du code pénal se prescrit par dix années révolues à compter de la majorité de la victime. »

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je vais retirer cet amendement, au profit de l’amendement n° 29 de la commission, qui est bien meilleur.

Je ferai simplement une petite remarque sur la manière dont nous menons nos travaux : nous allons aujourd’hui adopter un amendement que j’avais déjà déposé voilà deux ans et qui avait alors été rejeté.

Anticipons donc sur ce que nous souhaitons adopter dans deux ans !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 20 est retiré.

Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 29 ?

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Compte tenu de ce que j’ai dit ce matin au sujet de la prescription, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

La dénonciation de l’inceste jette l’opprobre sur la famille, considérée comme le pivot de l’ordre social. Voilà, résumé en une phrase, comment certaines personnes expliquent leur silence face à la connaissance d’un crime sexuel sur mineur. On a peur, donc on se tait. On n’est pas victime, mais on a peur de briser une famille.

Opprobre, honte, hésitation, protection… nous ne pouvons plus accepter cela. Nous parlons ici de crimes sexuels sur mineur, de crimes qui détruisent des vies ! La douleur qu’ils provoquent ne connaît pas de prescription.

Les enfants concernés ne s’en remettent jamais. L’atteinte à leur intégrité physique et morale est souvent définitive. Ces enfants cohabitent avec cette souffrance toute leur vie, raison pour laquelle on préfère l’ignorer. Les victimes n’arrivent pas toujours à parler, à dénoncer, car, on le sait, elles ont peur de ne pas être crues.

Mais qu’en est-il de ceux et de celles qui savent et qui se taisent ? La loi impose pourtant de saisir la justice quand on a connaissance de faits aussi terribles, qui sont des crimes ! Cependant, elle n’impose rien de plus : elle n’impose aux proches ni d’instruire ni de juger ou de sanctionner.

Nous débattons de plus en plus fréquemment du cadre législatif qui entoure les crimes sexuels. Tous les ans, de nouveaux drames sont médiatisés. Soulignons encore le courage des personnes qui révèlent les faits. La parole, peu à peu, se libère.

Qu’attendons-nous pour combler les lacunes du système ? Dès maintenant, nous devons créer un électrochoc, énoncer clairement un interdit – c’est l’objet de cette proposition de loi –, mais aussi rappeler chaque adulte à ses responsabilités de protection des enfants.

Ceux qui savaient et qui n’ont rien dit doivent être punis par la loi. Lorsque des affaires éclatent, les auteurs sont parfois poursuivis – je dis bien « parfois » –, mais, au bout de six ans, ceux qui savaient et qui ont maintenu l’enfant dans cette situation inacceptable ne peuvent plus être poursuivis. La parole des victimes doit enfin être entendue et le silence interdit.

C’est la raison pour laquelle je voterai cet amendement.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 6 rectifié ter est présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mmes Thomas et Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam, M. Pellevat et Mme Schalck.

L’amendement n° 26 rectifié est présenté par Mmes Meunier, Van Heghe et Préville, MM. Vaugrenard et P. Joly, Mmes Monier et Conway-Mouret, M. Antiste, Mmes Le Houerou et Blatrix Contat, M. Lozach, Mmes Lepage, Poumirol et Lubin, M. Cozic et Mme Jasmin.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’avant-dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, les mots : « se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers » sont remplacés par les mots : « est imprescriptible ».

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié ter.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Il s’agit de modifier le code de procédure pénale pour que, par dérogation, les décisions soient obligatoirement inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), quelle que soit la durée de la peine, dès lors que la victime des délits est mineure. Il serait procédé à cette inscription même en cas de peine inférieure à cinq années d’emprisonnement.

Nous sommes plusieurs à avoir déposé cet amendement, dont l’adoption ferait avancer la protection des victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l’amendement n° 26 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

J’ai, avec différents collègues, que je remercie au passage, redéposé cet amendement, que j’avais déposé pour la première fois en 2016, puis deux fois en 2018, comme nous l’avons évoqué ce matin.

À mesure que nous sommes amenés à renforcer notre législation pour protéger les enfants des crimes sexuels, les arguments s’affinent et les positions évoluent.

La question de la prescription de l’action publique pour les viols et agressions sexuelles sur les enfants et les adolescents emplit désormais l’espace public.

Ce matin, M. le secrétaire d’État Adrien Taquet a cité des victimes : Andréa, Vanessa, Adélaïde, Camille, Flavie, Sarah… Toutes sont favorables à l’imprescriptibilité.

Ces crimes ont une grande ampleur, un caractère massif. Je répète qu’un enfant sur cinq et plus de deux millions de personnes en France sont concernées.

Les victimes décrivent la profondeur des souffrances endurées, leur persistance dans le temps. La violence sexuelle est l’un des seuls crimes qui condamnent la victime à vivre avec, à survivre plutôt, à vivre mal, abîmée, éprouvée dans sa chair, affectée de traumatismes qui nuisent à ses études, à son insertion sociale, à sa réussite professionnelle, à l’établissement de relations affectives stables, qui la condamnent aussi parfois à relancer le cycle de la violence envers ses proches.

Je connais depuis des années les arguments opposés à l’imprescriptibilité.

Celle-ci ne respecterait pas les normes juridiques en vigueur. Dès lors, faisons-les évoluer, comme la Californie a su le faire à la suite de l’affaire Bill Cosby, dans laquelle victimes prescrites et victimes portant plainte se sont épaulées.

Face à l’argument des crimes contre l’humanité, pourquoi pas ne pas considérer l’atteinte sourde et impunie de ces milliers d’enfants comme une atteinte à leur humanité, donc à notre qualité d’être humain à tous ?

Je découvre un nouvel argument : l’exigence d’une prescription limitée, qui permettrait la libération de la parole. C’est à mon sens faire peu de cas des travaux de l’imagerie médicale et des neurosciences, ainsi que des progrès dans ces domaines !

Pour ces raisons, donnons crédit aux personnes qui osent briser le silence et permettons aux futures victimes de porter plainte sans limite de temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 10, présenté par Mme Billon, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’avant-dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’action publique des crimes mentionnés aux articles 222-23 à 222-26 dudit code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par quarante années révolues à compter de la majorité de ces derniers. »

La parole est à Mme Annick Billon.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Je serai brève, pour permettre l’examen de la seconde proposition de loi inscrite à l’ordre du jour, d’autant ses auteurs ont eu la gentillesse d’accepter qu’elle soit examinée après le présent texte.

Cet amendement vise à allonger le délai de prescription et à ouvrir le débat.

Bien entendu, je souscris à tous les arguments qui ont déjà été énoncés.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Il faut toujours réinterroger nos convictions.

Il est certain que la victime « prend perpétuité », mais je considère la prescription comme permettant l’acte de parole. En effet, je me souviens d’une patiente qui m’avait dit qu’elle devait se motiver, car elle n’avait plus que deux ans pour porter plainte. Si le crime est imprescriptible, la victime attend pour agir en justice, pour finalement ne jamais y aller, tellement c’est douloureux et difficile, surtout si elle n’est pas crue.

Envisageons la prescription comme une condition de libération de la parole et encourageons les victimes à parler en donnant les moyens – je pense notamment à la formation d’enquêteurs. C’est dans ce sens qu’il faut travailler.

J’émets un avis défavorable sur ces amendements.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Robert Badinter a évoqué hier le sort des crimes contre l’humanité. Je partage son point de vue, mais, si nous actons l’imprescriptibilité des crimes absolument atroces qui nous réunissent aujourd’hui, il faudra consacrer celle d’autres crimes qui font aussi de vraies victimes : meurtres, assassinats…

Se pose également la question du dépérissement de la preuve. Un certain nombre de très hauts magistrats de ce pays se sont déclarés défavorables à l’imprescriptibilité pour cette raison.

Par ailleurs, il a fallu des millénaires pour que notre société civilisée envisage la prescription. Celle-ci présente un certain nombre d’avantages sociaux et sociétaux, que l’on ne saurait, sous le coup de l’émotion, balayer d’un revers de manche.

Enfin, Adrien Taquet me disait à l’instant qu’un certain nombre d’associations ainsi que certains psychiatres sont opposés à l’imprescriptibilité, pour de nombreuses raisons qui viennent d’être explicitées avec beaucoup d’humanité.

Sur ce sujet, rien n’est simple. Abstenons-nous de tout manichéisme. Nous devons être extrêmement nuancés.

Je suis évidemment défavorable à ces amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

L’enfant violé est seul, terriblement, fondamentalement et irrémédiablement.

L’atteinte à son « intégrité », pour reprendre le terme utilisé, s’apparente à une amputation, c’est-à-dire quelque chose de définitif, violent et profondément destructeur. C’est une part de lui-même que l’on arrache, brutalité vécue dans une solitude infinie.

C’est une forme de dissociation qui permet à l’enfant de survivre, une adaptation naturelle en somme. Lorsque les violences cessent, le cerveau est lessivé de toute trace de souvenirs. Il se répète « c’est fini » et oublie pendant des années.

Un jour, cela remonte à la surface, violemment ou pas, éventuellement refoulé immédiatement au loin, dans un brouillard d’oubli, port d’attache des enfants violés. Une pression s’installe d’elle-même, fermant la porte à toute plainte, dans un précipité de honte et de peur. De fait, comment affronter les regards et les jugements ? C’est comme un coffre-fort à côté de soi.

Parler constitue un cataclysme impossible à provoquer. C’est l’effet de l’amputation psychologique. L’enfant ne peut pas parler. Il le voudrait qu’il ne le pourrait pas. Il lui manque une perche. Or, la plupart du temps, il n’y a personne pour la lui tendre.

Telle est la particularité des crimes sexuels infligés par des adultes – des violeurs – à des mineurs.

À cet égard, une prescription de trente ans ne suffit pas. Il ne s’agit pas d’émotion. Les faits hurlent : une petite fille sur cinq, un garçon sur treize sont concernés.

Nous avons devant nous quelque chose de colossal : l’empreinte délétère, une marque au fer rouge sur la société tout entière, celle d’une prédation massive contre laquelle nous nous devons de lutter sans tarder. C’est notre responsabilité aujourd’hui, car c’est l’impunité qui prévaut : ce sont les violeurs qui sont protégés. C’est un problème.

Nous nous devons de protéger nos enfants et nous devons donner aux victimes, quel que soit le moment où elles pourront le faire, la possibilité de porter plainte et d’obtenir la reconnaissance de l’état de victime, parce que c’est nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Je mets aux voix les amendements identiques n° 6 rectifié ter et 26 rectifié.

Les amendements ne sont pas adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Je retire l’amendement n° 10, monsieur le président !

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 10 est retiré.

L’amendement n° 22 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie, Briquet, Meunier, Le Houerou et Harribey, MM. Bourgi et P. Joly, Mmes Lepage, Monier et Conconne, MM. Antiste, Houllegatte, Durain, Kanner, Marie, Leconte, Kerrouche, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 9–2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

a) Après le 4°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les crimes mentionnés à l’avant-dernier alinéa de l’article 7, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, le délai de prescription est également interrompu en cas de commission par leur auteur d’un même crime contre d’autres mineurs. » ;

b) À l’avant-dernier alinéa, après la référence : « 4° », sont insérés les mots : « ou tout fait mentionné au sixième alinéa » ;

c) Au dernier alinéa, après le mot : « article », sont insérés les mots : «, à l’exception des dispositions prévues au sixième alinéa, ».

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je tiens à préciser que cet amendement, que je présente avec mes collègues du groupe socialiste, n’est pas un amendement de repli par rapport aux amendements tendant à reconnaître l’imprescriptibilité, que je n’ai pas votés.

Il vise à prévoir, en cas de pluralité de victimes, que, lorsque les faits sont prescrits pour certaines victimes et pas pour d’autres, la prescription puisse être interrompue pour les premières.

C’est une question de justice : dès lors qu’une procédure judiciaire est en cours et que certaines victimes peuvent être parties civiles, il serait intéressant que celles pour lesquelles les faits sont prescrits puissent l’être également, d’autant que ce sont parfois elles qui ont parlé en premier, permettant l’ouverture d’une enquête préliminaire et l’identification de victimes plus récentes.

Cette mesure me paraît à la fois ne pas porter atteinte au principe de prescription, auquel nombre de nos collègues sont très attachés, et répondre à des situations qui risquent d’être de plus en plus fréquentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Cet amendement porte sur la question du délai de prescription. Il ne vise pas à instaurer l’imprescriptibilité, mais pourrait parfois aboutir quasiment à ce résultat.

Il s’agirait de prévoir une interruption du délai de prescription si l’auteur d’un crime sur mineur commet le même crime sur un autre mineur. Cette interruption ferait courir un nouveau délai de prescription, d’une durée égale au délit initial, soit, en l’occurrence, trente ans.

Un tel dispositif pourrait donc avoir pour effet de porter le délai de prescription à quarante, cinquante, voire soixante ans après la commission du premier crime. On peut se demander si cela est vraiment opportun, compte tenu de la difficulté d’apporter la preuve des faits après l’écoulement d’un délai aussi long…

Sur un plan plus technique, le dispositif de cet amendement soulève plusieurs interrogations.

En cas de viol sur mineur, le délai de prescription repartirait de zéro si un nouveau viol sur mineur était commis, puisqu’il s’agit du même crime, mais tel ne serait pas le cas si un autre crime, potentiellement plus grave encore, comme un assassinat d’enfant précédé d’actes de barbarie, était commis. Cette différence de traitement est surprenante.

Ensuite, l’élément générateur serait la commission d’un même crime. Comment sait-on qu’un même crime a été commis ? Seule une condamnation définitive peut permettre de l’établir avec certitude ! L’amendement pose donc un nouveau problème rédactionnel, même si l’on comprend bien l’intention de notre collègue, qui est tout à fait louable.

Au total, nous considérons que le délai de prescription de trente ans à compter de la majorité de la victime, qui a été adopté en 2018, est déjà très protecteur. Je crois qu’il est raisonnable de conserver cette règle, votée il y a moins de trois ans.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

La philosophie de cet amendement est extrêmement intéressante.

Nous pensons, en revanche, que le mécanisme n’est pas encore au point.

Je vous sais gré de rappeler que ce n’est pas un amendement de repli par rapport au précédent : il ne s’agit pas de la même chose.

Le droit connaît déjà quelques mécanismes un peu analogues. Je pense notamment aux connexités : il est possible de juger de quatre faits connexes même si trois d’entre eux sont prescrits, dès lors que le dernier ne l’est pas. Il existe donc déjà un certain nombre d’exceptions à cette règle de la prescription.

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. Je pense que nous devons encore travailler, mais que ce dispositif peut aller dans le bon sens. En tout état de cause, il est extrêmement intéressant pour le Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Je veux insister sur deux points.

Cet amendement est très intéressant parce que, comme je l’ai dit lors de la discussion générale, c’est souvent la pluralité de victimes qui permet d’identifier l’auteur de l’acte et de conforter l’accusation, dans un domaine où la parole est souvent mise en doute.

Je veux ensuite indiquer au Sénat que cet amendement est la reprise mot pour mot d’une disposition qu’il a votée le 4 juillet 2018 – avec un sous-amendement de Mme Mercier –, mais qui avait disparu par le miracle de la commission mixte paritaire. Ce n’est donc pas une invention récente.

Je rejoins tout à fait l’analyse du garde des sceaux sur la connexité : estimer que l’on peut interrompre une prescription dans un cas comme celui-là n’est pas une innovation juridique.

Au reste, cet amendement peut en partie dissiper le regret de celles et de ceux qui souhaiteraient que l’on aille vers l’imprescriptibilité.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Je veux ajouter un point.

Il arrive qu’un procès pour viol s’ouvre et que d’autres victimes, parfois nombreuses, pour lesquelles les faits sont prescrits, viennent témoigner. J’ai rencontré cette situation à de très nombreuses reprises.

En réalité, ces autres victimes, qui assistent à un procès qui n’est pas « le leur », sont témoins non pas des faits, mais du comportement et de la personnalité de l’accusé.

Disons-le très pragmatiquement : le juge ne juge naturellement pas de la même façon ni avec la même sévérité selon qu’il y a une seule victime ou une vingtaine – celles qui viennent témoigner sont de vraies victimes, même si elles ne sont pas qualifiées comme telles lors du procès.

La mesure proposée est donc très cohérente. Nous pouvons donc, madame la sénatrice, vous suivre sur cette voie. Nous envisageons d’ailleurs de le faire !

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 4.

L’amendement n° 9 rectifié ter, présenté par Mme V. Boyer, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, M. Longuet, Mme Garriaud-Maylam et MM. Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 469 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La première phrase du quatrième alinéa n’est pas applicable si l’accusé est poursuivi au titre de l’article 222-23 du code pénal. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Depuis la loi Perben II, le code de procédure pénale prévoit qu’une correctionnalisation judiciaire peut être décidée par la juridiction d’instruction si la victime s’est constituée partie civile et si elle est assistée d’un avocat lorsque ce renvoi est ordonné.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes le constate : « Le viol est un crime qui constitue la plus grave des violences sexuelles. Or il fait trop souvent l’objet de disqualification en agression sexuelle, constitutive d’un délit. Cette pratique judiciaire de correctionnalisation des viols est souvent justifiée pour des motifs d’opportunité, afin que l’affaire soit jugée plus rapidement devant le tribunal correctionnel. De surcroît, raison moins avouable, elle permet le désengorgement des cours d’assises.

« Si la disqualification n’a pas pour but de nuire aux intérêts des victimes, qui peuvent d’ailleurs s’opposer au renvoi de leur affaire devant le tribunal, elle minimise la gravité du viol et remet en cause le principe de l’égalité devant la justice. »

De nombreux témoignages de femmes, fortement encouragées par leur avocat – on peut comprendre pourquoi – à accepter cette requalification, le démontrent.

Aujourd’hui, je souhaite que l’on mette fin à cette quasi-automaticité de la correctionnalisation du viol et que le viol soit jugé pour ce qu’il est, c’est-à-dire un crime.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Ma chère collègue, oui, le viol est un crime et doit être jugé comme tel. Nous sommes tous d’accord : le viol n’est jamais consenti.

Je comprends bien votre intention. Toutefois, cette mesure est vraiment très technique.

Elle constitue une réponse au phénomène de la correctionnalisation, qui a des causes plus profondes, notamment des délais tellement longs qu’ils en sont insupportables – cela peut aller jusqu’à sept ans…

Il faut être respectueux de la décision de la victime, qui est consultée en cas de correctionnalisation. Il peut donc être compliqué de donner au tribunal correctionnel la possibilité de revenir sur les choix arrêtés au cours de l’instruction.

Ce sont des mesures plus structurelles qui peuvent permettre de faire reculer la correctionnalisation. Je pense, par exemple, au redéploiement des cours criminelles départementales, qui sont en cours d’expérimentation et qui ont été créées à cette fin.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Premièrement, il faut que l’expérimentation des cours criminelles puisse se dérouler.

Deuxièmement, ce que vous dites sur la correctionnalisation n’est pas vrai, madame la sénatrice ! La correctionnalisation requiert a minima l’autorisation de la victime. C’est bien la moindre des choses.

Troisièmement, on ne peut pas parler ainsi au nom de toutes les victimes. J’ai connu des victimes qui préféraient la correctionnelle, parce que la cour d’assises est une épreuve.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie approuve.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Il faut aussi laisser au parquet beaucoup de souplesse sur ces questions. Les décisions ne sont pas forcément prises contre les victimes, bien au contraire ! On se doit naturellement de les accompagner et de recueillir leur assentiment avant d’envisager la correctionnalisation.

Les assises sont publiques, il y a beaucoup de monde… Certes, on peut demander un huis clos, mais c’est quand même autre chose que la correctionnelle. Certaines victimes préfèrent la correctionnalisation.

En voulant aider les victimes, on peut parfois leur faire du mal. Le victimaire ne va pas forcément toujours dans le bon sens ! Il faut être raisonnable.

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 7 rectifié ter, présenté par Mmes V. Boyer et Billon, MM. D. Laurent et Frassa, Mme Thomas, M. Charon, Mme Drexler, M. Cuypers, Mme Herzog, MM. Le Rudulier, Chasseing, Boré, Longeot, H. Leroy, A. Marc, Panunzi et Laménie, Mmes Noël et Dumas, MM. Longuet et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam et MM. Nougein, Pellevat et Houpert, est ainsi libellé :

Après l’article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Après le deuxième alinéa de l’article L. 1241-5, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation aux deux alinéas précédents, des tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux peuvent être prélevés et conservés après une interruption volontaire de grossesse régie par le chapitre II du titre Ier du livre II de la deuxième partie, lorsque la femme ayant subi une telle interruption de grossesse est mineure afin de permettre ultérieurement l’identification d’une personnepar ses empreintes génétiques, dans le cadre des mesures d’enquête ou d’instruction quipourraient être diligentées au cours d’une procédure judiciaire concernant un crime de viol. Lafemme doit demander expressément par écrit à ce que ce prélèvement et cette conservation soient mis en œuvre, après avoir reçu une information spécifique sur leur finalité. » ;

2° Après le deuxième alinéa de l’article L. 2212-4, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lors de la consultation préalable prévue aux premier et deuxième alinéas du présent article, la femme est informée de la possibilité de prélèvement et de conservation prévue au troisième alinéa de l’article L. 1241-5 ainsi que de leur finalité. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Lorsque j’ai visité l’institut Women Safe, avec le docteur Pierre Foldes et Frédérique Martz, on m’a rappelé que, faute de preuves jugées suffisantes, d’éléments matériels tels que les traces d’ADN, les témoignages ou les aveux du mis en cause, près de sept plaintes pour violences sexuelles sur dix sont classées sans suite.

On ne peut pas constamment allonger les délais de prescription, notamment pour les mineurs, sans penser aux éléments matériels. Dans certains cas, les victimes portent plainte des mois, voire des années après leur agression. Les éléments matériels sont alors impossibles à retrouver. Or, nous le savons, en droit pénal, le doute profite toujours à l’accusé.

Je vous invite à relire l’excellent rapport du Sénat paru en 2018, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes. On peut y lire que, dans les unités médico-judiciaires (UMJ), le fait de prélever l’ADN pour pouvoir le ressortir en cas de plainte donne aux victimes le sentiment d’être crues ; que, pour les personnes qui se sont rendues aux UMJ indépendamment d’une plainte, le taux de plainte passait de 10 % à 30 % ; que cela permettra de conforter leur parole quand elles seront prêtes à porter plainte.

D’ailleurs, la gendarmerie nationale souhaiterait que toutes les victimes, quel que soit le lieu où survient l’agression sexuelle, bénéficient d’un accompagnement technique permettant d’effectuer et de recueillir avec diligence les preuves matérielles de leur agression. Le kit destiné aux enquêteurs permettra de réaliser des prélèvements de façon systématique en cas d’agression sexuelle. L’objectif affiché est aussi de dissuader les agresseurs potentiels qui courront alors le risque d’être identifiés dans le cas, par exemple, de relevés de traces d’ADN.

Mes chers collègues, je vous propose, à la suite des nombreuses auditions que j’ai réalisées, d’améliorer le recueil des preuves pour les mineures victimes de viol. Nous devons autoriser, pour ces victimes, le prélèvement et la conservation de tissus ou cellules, embryonnaires ou fœtaux après une interruption de grossesse, dans la perspective d’une procédure pénale ultérieure. Il ne s’agit en aucun cas d’une incitation à porter plainte : l’objectif est de respecter la victime, de l’accompagner, de l’entourer et de lui laisser le choix.

Quoi qu’il arrive, une enquête est menée et le dernier mot revient au juge. Le but n’est aucunement de limiter le recours à l’IVG ou de le détourner : il est de protéger encore plus la victime.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Cet amendement, qui vise à autoriser le prélèvement de tissus embryonnaires après une IVG réalisée sur une jeune fille mineure, dans le but de réaliser des analyses génétiques permettant de confondre plus facilement l’auteur d’un viol dans le cas où une procédure judiciaire serait ouverte ultérieurement, pose différents problèmes.

Actuellement, le code de la santé publique n’autorise ces prélèvements qu’à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou scientifiques. De plus, un tel prélèvement ne peut avoir lieu si la femme ayant subi l’IVG est mineure, sauf s’il s’agit de rechercher la cause de l’IVG.

L’amendement de notre collègue introduit donc une double rupture par rapport aux principes posés par le code de la santé publique : le prélèvement ne serait pas réalisé à des fins médicales ou scientifiques et les mineures seraient expressément concernées. Cela fait deux raisons de ne pas souscrire à cet amendement.

Il est difficile de statuer sur cette question délicate, aux confins de la bioéthique, sans avoir sollicité quelques avis extérieurs – je n’ai pas pu réaliser d’audition sur ce sujet – pour nous éclairer, notamment sur l’impact que pourrait avoir une telle disposition sur le recours à l’IVG, ainsi que sur le risque que des personnes se trouvent accusées de viol des années plus tard. L’analyse génétique constituerait alors un premier élément, sans que l’on puisse établir s’il y avait eu consentement ou non.

Je me demande en particulier s’il ne serait pas opportun d’encadrer un peu plus le dispositif en le réservant à des situations qui laissent penser qu’une infraction a été commise, donc après un dépôt de plainte.

Il faudrait également en aviser la commission des affaires sociales et faire des recherches.

J’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Je suis évidemment totalement défavorable à ce qui serait une espèce de preuve par anticipation. Si nous la consacrons, où s’arrêtera-t-on ?

Chronologiquement, il faut d’abord qu’un fait soit dénoncé. C’est seulement après cette dénonciation que la police, ou parfois directement la justice, entre en action, enclenchant tout un mécanisme de recherche de la preuve.

Je vois difficilement comment on pourrait conserver par anticipation la preuve d’un crime qui ne sera peut-être jamais dénoncé et qui n’a peut-être pas existé. Je trouve cela assez curieux. C’est, me semble-t-il, contraire à l’ordre des choses.

J’entends l’idée, mais c’est au fond la démonstration que, en cherchant à bien faire, on va beaucoup trop loin.

Nous devons rester très circonspects. On ne peut pas balayer un certain nombre de principes, que notre société civilisée a mis des millénaires à élaborer, au nom de l’émotion et d’une efficacité que l’on voudrait maximale. Tout cela me paraît dangereux.

Je sollicite donc le retrait de l’amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

On ne saurait préparer, surtout dans ces conditions, de futures preuves éventuelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Nous n’avons malheureusement pas le temps de débattre de cette question.

Je comprends votre propos, monsieur le ministre, mais je ne peux pas l’admettre dans ce cas précis. Dans la mesure où nous avons allongé le délai de prescription, la victime dénoncera des faits qui se seront déroulés plusieurs années auparavant, à un moment où elle ne pouvait déposer plainte.

À côté de l’enquête et des auditions que mènera le juge, cette disposition permettrait de disposer d’une preuve. Je me permets d’insister : il s’agit d’une demande des nombreuses associations que j’ai rencontrées et qui s’occupent des mineurs et des femmes les plus en difficulté. Elles en ont besoin.

Je pense qu’il faut retravailler sur cette question. Comme l’a souligné Mme Mercier, il faudrait probablement améliorer le code de la santé publique pour mieux protéger les victimes et recueillir des éléments de preuve.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L’article 706-47 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au 4°, la référence : « 222-31-1 » est remplacée par la référence : « 222-33 » ;

2° Au 7°, les mots : « d’un mineur » sont supprimés ;

3° Sont ajoutés des 14° et 15° ainsi rédigés :

« 14° Délits de tentative d’atteinte sexuelle sur mineur prévus aux articles 227-25 à 227-27 du même code ;

« 15° Délit d’incitation à commettre un crime ou un délit à l’encontre d’un mineur prévu à l’article 227-28-3 du même code. » –

Adopté.

Avant le dernier alinéa de l’article 706-53-2 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au dixième alinéa, les décisions sont inscrites quelle que soit la durée de la peine dès lors que la victime des délits prévus à l’article 706-47 est mineure. » –

Adopté.

Le code pénal est ainsi modifié :

1° La section 5 du chapitre II du titre II du livre II est complétée par un article 222-48-3 ainsi rédigé :

« Art. 222 -48 -3. – En cas de condamnation pour une infraction prévue à la section 3 du présent chapitre et commise sur un mineur, la juridiction prononce la peine complémentaire d’interdiction à titre définitif d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs prévue au 3° de l’article 222-45. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ou de la prononcer pour une durée de dix ans au plus. » ;

2° Après l’article 227-31, il est inséré un article 227-31-1 ainsi rédigé :

« Art. 227 -31 -1. – En cas de condamnation pour une infraction prévue aux articles 227-22 à 227-27, 227-24-2, 227-27-2 et 227-28-3, la juridiction prononce la peine complémentaire d’interdiction à titre définitif d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs prévue au 6° de l’article 227-29. Elle peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ou de la prononcer pour une durée de dix ans au plus. »

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 28, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5, première phrase

Supprimer la référence :

La parole est à Mme le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Cet amendement vise à supprimer une référence superfétatoire.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Favorable, monsieur le président.

L ’ amendement est adopté.

L ’ article 7 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 23, présenté par Mmes Meunier, de La Gontrie, Rossignol, Briquet et Le Houerou, M. Bourgi, Mme Harribey, M. P. Joly, Mmes Monier et Lepage, M. Houllegatte, Mme Conconne, MM. Antiste, Durain, Kanner, Sueur, Leconte, Kerrouche, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les 1° et 2° de l’article 226-14 du code pénal sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :

« 1° Dans les cas où la loi impose d’alerter le procureur de la République :

« À tout professionnel désigné au présent alinéa qui, dans l’exercice de ses fonctions, suspecte des violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles à l’encontre d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, est tenu, sans avoir à recueillir l’accord de quiconque, d’en informer sans délai le procureur de la République. Les professionnels désignés pour une obligation de signaler au procureur de la République sont tous les médecins ;

« 2° Dans les cas où la loi autorise d’alerter les autorités compétentes :

« À tout autre professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance de violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles, à l’encontre d’un mineur, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, ou d’un adulte, informe sans délai le procureur de la République. Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, l’auteur du signalement n’a pas à recueillir l’accord de quiconque ;

« …° À tout professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance qu’un mineur est en danger ou qu’il risque de l’être. Il informe sans délai la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, des informations préoccupantes définies par le décret n° 2013-994 du 7 novembre 2013 organisant la transmission d’informations entre départements en application de l’article L. 221–3 du code de l’action sociale et des familles ; ».

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également l’amendement n° 24.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

J’appelle donc en discussion l’amendement n° 24, présenté par Mmes Meunier, de La Gontrie, Rossignol, Le Houerou, Briquet, Monier et Harribey, M. Bourgi, Mme Lepage, MM. P. Joly et Houllegatte, Mme Conconne, MM. Antiste, Durain, Kanner, Leconte, Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa de l’article 226-14 du code pénal est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Aucune action en responsabilité civile, pénale, disciplinaire et administrative ne peut être intentée à l’encontre de tout professionnel ou toute personne qui a appliqué les dispositions du présent article de bonne foi.

« Nul ne peut dévoiler ou être contraint de dévoiler l’identité ou tout autre élément permettant l’identification d’un professionnel ou de toute personne qui a appliqué les dispositions du présent article sans son consentement. »

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Ces deux amendements concernent l’obligation de signalement et son corollaire, la protection de l’auteur du signalement contre toute poursuite judiciaire.

Le Sénat a déjà voté cette disposition, que la majorité présidentielle avait ensuite supprimée en commission mixte paritaire, dans la loi de juillet 2018.

En l’état actuel de la législation et des codes de déontologie médicale, il n’y a pas d’obligation de signaler. Il existe seulement un risque lié à la non-dénonciation. La confusion perdurera tant que cette obligation ne figurera pas noir sur blanc dans la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Nous avons beaucoup travaillé sur la question de l’obligation de signalement avec Catherine Deroche, Michelle Meunier et Maryse Carrère.

La commission est défavorable à ces deux amendements : sans refaire les débats, le secret professionnel reste absolument intangible.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Replongeons-nous très brièvement quelques mois en arrière, lors des débats de la loi du 30 juillet 2020 qui a modifié l’article 226-14 du code pénal afin d’aligner les règles relatives au signalement des violences au sein du couple sur celles déjà applicables au signalement des sévices commis sur les enfants.

Désormais, dans les deux cas, les professionnels de santé peuvent signaler ces faits au procureur de la République sans l’accord de la victime, ce qui était déjà le cas pour les violences conjugales. Si l’amendement n° 23 était adopté, les médecins seraient tenus de signaler ces faits.

Une telle modification nous paraît tout d’abord excessive dans la mesure où elle pourrait conduire des parents à ne plus amener leur enfant chez le médecin.

Par ailleurs, les médecins, qui voient pourtant passer de nombreux enfants, ne signalent que 6 % des faits préoccupants, tous types de violences confondus. Si ce chiffre est si faible, c’est probablement en raison d’un enjeu de formation, mais également d’isolement : les professionnels de santé se retrouvent souvent seuls face à ces situations difficiles. Un médecin de famille, qui a soigné deux ou trois générations, risque de se retrouver dans une sorte de conflit. Je ne porte pas de jugement : je pense que tout le monde doit dénoncer de tels faits en cas de soupçon. Je constate simplement une forme d’isolement des professionnels de santé.

C’est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre 2019, que j’évoquais précédemment, de créer des référents pédiatriques dans chacune des unités d’accueil pédiatrique « Enfants en danger ». Face à de telles situations, les médecins pourront ainsi se tourner vers ces personnes-ressources, vers ces professionnels de santé spécialisés et formés.

Par ailleurs, cette disposition ne nous semble pas placée au bon endroit.

Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Après le 3° de l’article 706-47 du code de procédure pénale, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Crime sexuel sur mineur prévu à l’article 227-24-2 du même code ; ». –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’amendement n° 16, présenté par Mmes Assassi, Cukierman, Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à créer une infraction autonome de crime sexuel sur jeune mineur

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Je connais déjà le sort de cet amendement, mais seules sont perdues d’avance les batailles qu’on ne livre pas.

Comme nous manquons de temps, je vous renvoie à l’objet de cet amendement qui vise à modifier l’intitulé de cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

La commission souhaite conserver l’intitulé de la proposition de loi de Mme Billon que nous avons enrichie d’un aspect préventif.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti

Le Gouvernement est défavorable à cet amendement pour les mêmes raisons.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Ce texte constitue une avancée.

Les dispositions que nous avons adoptées vont permettre de renforcer encore notre droit, notamment avec l’interruption de la prescription en cas de pluralité de victimes. Nous avons également amélioré les règles de prescription en cas de non-dénonciation. Nous avons encore progressé en ce qui concerne l’inceste en cas d’atteinte sexuelle.

Nous avons toutefois un regret important : votre refus de voter la criminalisation en rejetant la nouvelle infraction d’inceste sur mineurs.

Pour autant, ce texte est important, même si, sur certains aspects, nous le trouvons insuffisant. Comme je l’indiquais lors de la discussion générale, notre groupe votera cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Comme vient de le souligner Mme de La Gontrie, ce texte constitue une avancée certaine vers une meilleure protection des jeunes mineurs.

Je tiens à remercier le président de la commission des lois et la rapporteure de l’excellent travail qu’ils ont mené sur ce texte, et tous les sénateurs qui l’ont amendé dans un souci de précision et d’amélioration.

Je remercie également le président Marseille et le groupe de l’Union Centriste d’avoir eu le courage d’inscrire ce sujet compliqué à l’ordre du jour du Sénat.

Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains . – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je voterai bien évidemment cette proposition de loi avec mon groupe.

Toutefois, la politique des petits pas sur ces sujets me laisse perplexe. De texte en texte, il me semble que nous faisons preuve d’une prudence exagérée. Le temps passant, on réalise souvent que des dispositions dont nous avions discuté deux ans auparavant sans les voter étaient tout à fait adaptées dès le départ.

Que M. le garde des sceaux n’en prenne pas ombrage, mais je m’adresserai tout particulièrement à Adrien Taquet. Dans ces affaires, monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas surestimer l’importance du droit et du code pénal. La lutte contre l’inceste n’est pas qu’une affaire judiciaire. C’est avant tout une affaire de prévention, d’évolution de notre civilisation et d’accompagnement médico-social.

Le principal adversaire des victimes, c’est moins la prescription dont nous débattons que le silence de ceux qui savent et la cécité de ceux qui pourraient savoir.

Comment allons-nous accompagner les victimes ? Souvent, les enfants victimes d’inceste sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Savez-vous, mes chers collègues, combien de places sont dédiées, à l’ASE, aux jeunes filles victimes d’inceste ? Vingt-cinq ! Vingt-cinq places pour accompagner et prendre en charge un traumatisme spécifique qui nécessite un accompagnement spécifique ! Savez-vous combien de places sont réservées aux garçons ? Zéro !

Maintenant que nous avons discuté du code pénal, la priorité serait que le Gouvernement propose aux départements de mettre en place un accueil spécifique pour les victimes d’inceste et qu’il étende à toutes les régions le dispositif d’accueil des jeunes filles victimes d’inceste qui n’existe que dans une seule maison d’enfants à caractère social (MECS). Nous devons accompagner ce traumatisme à la hauteur de ce qu’il est pour permettre aux victimes de se reconstruire. Le plus difficile n’est pas de modifier le code pénal, mais bien d’accompagner les victimes !

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Max Brisson

M. Max Brisson . En quatre mots, monsieur le président : une vraie avancée, un consensus entre les groupes, un texte qui a progressé en première lecture, un garde des sceaux qui a promis une navette fructueuse et qui nous a écoutés, tout en défendant les grands principes du droit, comme c’est son rôle. Enfin, un grand merci à Annick Billon.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Je me réjouis du débat que nous venons d’avoir dans ce temps contraint. Les niches nous laissent toujours un goût amer, car nous voudrions parler davantage et aborder toutes les propositions de loi.

Le débat a été très respectueux. Il me semble qu’un cheminement se fait sur toutes les travées sur cette question des violences faites aux enfants et aux mineurs. Les lignes bougent à l’intérieur de nos propres groupes à l’écoute des arguments des uns et des autres.

Je voudrais adresser un grand merci à Marie Mercier, à Annick Billon et au garde des sceaux, qui a su nous aider à progresser.

Au cours des auditions, nous avons essayé d’avancer sur la question de la présomption de contrainte qui n’est pas, selon nous, une présomption de culpabilité. Nous avons entendu le juge Édouard Durand, grand professionnel, plein d’humanisme, que tout le monde connaît ici. Nous devons encore poursuivre nos réflexions.

Aujourd’hui, 70 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, 60 % des victimes sont mineures et 30 % ont moins de 11 ans. Nous avons encore à faire progresser la loi pour les protéger. C’est ce à quoi nous aspirons tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je voudrais tout d’abord remercier Mme Billon, auteure de cette proposition de loi, ainsi que Mme la rapporteure et tous nos collègues. Aujourd’hui, nous avons travaillé dans un esprit transpartisan, ce qui est très important.

Certaines évolutions sont encore attendues. La question reste toujours d’actualité. Il faut s’atteler à la formation des juges pour qu’ils soient plus vigilants et faire en sorte que les femmes qui ont subi ces atrocités soient mieux comprises et accompagnées pour pouvoir avancer dans la vie.

La justice a encore beaucoup à faire et je compte sur notre garde des sceaux pour avancer sur la question de la formation et de la sensibilisation des juges.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :

Nombre de votants345Nombre de suffrages exprimés343Pour l’adoption343Le Sénat a adopté.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures quarante.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises (proposition n° 286, texte de la commission n° 270, rapport n° 269).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Joël Giraud

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la vie à la campagne suppose d’accepter quelques nuisances. Rien ne serait plus illusoire que de céder à une vision bucolique ou fantasmée d’une ruralité paisible, aphone et inodore. Nos territoires ruraux ne sont pas seulement des paysages. Ce sont aussi des sons, des odeurs, des activités et des pratiques qui font partie de notre patrimoine.

Les néoruraux n’y sont pas toujours habitués. Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Dans Le S ous-préfet aux champs, nouvelle du recueil Lettres de mon moulin, Alphonse Daudet dépeint un sous-préfet qui se laisse perturber dans son travail par le chant des cigales et l’odeur des violettes.

Ces sonorités et ces senteurs bien agréables sont parfois dénoncées comme des nuisances. Les vocalises d’un coq au timbre un peu trop puissant, le tintement de cloches un peu trop fréquent, tout devient prétexte à des actions en justice.

Soyons cependant nuancés, ces conflits ne sont pas aussi fréquents qu’on pourrait le croire. La presse en donne un écho particulier : souvent, le cas soumis au juge n’est pas aussi caricatural que le laisse penser la manière dont il est présenté au public. Je n’oppose pas les méchants néoruraux aux gentils ruraux. Il n’y a pas, d’un côté, les procéduriers insensibles aux charmes de la campagne et, de l’autre, les victimes de recours abusifs et intempestifs.

Pour autant, ces conflits de voisinage existent et se développent. Vous écrivez d’ailleurs, monsieur le rapporteur, que les élus locaux que vous avez auditionnés vous ont fait part de leur sentiment d’un accroissement des sollicitations ou interpellations sur ces sujets. Selon eux, on leur demande parfois de jouer un rôle de médiateur qui est loin d’être évident.

J’en profite pour souligner la qualité de votre rapport et l’important travail de recherche jurisprudentielle que vous avez fourni pour nourrir vos travaux.

Vous soulignez à juste titre que la reconnaissance des sons et odeurs des territoires ruraux doit permettre de désamorcer en amont les contentieux de voisinage. Tel est l’objet de cette proposition de loi qui est, pour moi, une bonne proposition de loi de défense de la ruralité.

Je suis donc particulièrement heureux, aujourd’hui, en ma qualité de secrétaire d’État à la ruralité, de représenter le Gouvernement et de donner un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi.

Je me félicite d’ailleurs que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ait adopté sans modification et à l’unanimité cette proposition de loi.

Eu égard au temps qui nous est imparti, je ne me livrerai pas à l’exégèse de ce texte. Je me contenterai de remercier le Sénat et de saluer le groupe de l’Union Centriste d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour cette proposition de loi du député Pierre Morel-À-L’Huissier, qui connaît bien ces questions.

Je ne doute pas de l’adoption de ce texte. C’est un signal important qui sera envoyé au monde rural. Il sera apprécié à sa juste mesure.

Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Antoine Levi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « La campagne c’est cette musique, cette agitation de branches, de feuilles et de cris qui s’enfle et s’architecture quand on ferme les yeux ». Ces mots de Maryline Desbiolles décrivent avec beaucoup de justesse les territoires ruraux.

Peut-on interdire à un coq de chanter, à des cigales de striduler ou encore à des grenouilles de coasser ? Faut-il mettre en sourdine les cloches des églises, les clarines des troupeaux, ou la mécanique des tracteurs ? Doit-on mettre fin aux odeurs de purin, de fumier ou de crottin de cheval ?

Cet été, le coq Maurice, poursuivi en justice, a même acquis une notoriété nationale, dépassant largement les frontières de sa basse-cour et de l’île d’Oléron. Son sort est ainsi beaucoup plus enviable que celui de son congénère Marcel, tué par un voisin excédé par les chants du gallinacé – paix à son âme !

Derrière ces affaires pittoresques, « clochemerlesques », se trouvent des problèmes de fond, comme l’a souligné notre collègue Olivier Paccaud lors de l’examen du texte en commission.

Les élus locaux sont de plus en plus sollicités et appelés à intervenir en tant que médiateurs dans de tels conflits de voisinage. Je tiens ici à leur rendre hommage. Comme l’a très justement souligné en commission notre collègue Marie-Pierre Monier, les conflits de voisinage qui parviennent jusqu’aux tribunaux constituent la partie émergée de l’iceberg : un bon nombre d’entre eux sont réglés bien en amont, le plus souvent grâce à la médiation active des maires.

Ces derniers, comme sur de nombreux autres sujets, ne comptent pas leurs heures pour trouver des solutions, pacifier les situations, en un mot faire vivre les territoires, les animer et préserver le lien social.

Comment en sommes-nous arrivés à une situation où les élus locaux doivent justifier de la normalité des sonneries des cloches, y compris la nuit, d’odeurs inhérentes aux territoires ruraux ou du bruit provoqué par les activités agricoles ? Des évidences ont été oubliées ; j’en citerai deux.

D’une part, on ne vit pas à la ville comme à la campagne. Les territoires ruraux ne sont pas des territoires silencieux et inodores. Le silence n’appartient pas plus à la campagne qu’à la ville.

D’autre part, les gênes dénoncées ne sont bien souvent que la traduction d’un territoire qui vit, avec des activités économiques qui lui sont propres.

La commission de la culture n’a que rarement l’occasion d’afficher son soutien au monde agricole. Permettez-moi de saisir l’occasion offerte par ce texte concernant des musiques pas toujours harmonieuses, j’en conviens, et de nouveaux aspects du patrimoine pour le faire.

Enfin, même la crise de la covid a eu un effet, certes indirect, sur la perception des sons et odeurs inhérents aux territoires ruraux. Le confinement a contraint nos concitoyens à demeurer au sein de leur domicile pendant de longues semaines. Dans certains territoires, on a constaté une utilisation accrue des résidences secondaires. Ces situations ont parfois entraîné l’exacerbation de conflits préexistants.

Au final, ce texte arrive à un moment propice : la période particulière que nous vivons et le développement du télétravail font que la ruralité est regardée avec un intérêt renouvelé. Je pense notamment à certains habitants de territoires urbains, et particulièrement des métropoles.

Dans ce contexte, il me semble important de rappeler un fait : on ne peut, en arrivant dans un lieu, quel qu’il soit, se retourner immédiatement contre un bruit ou une odeur inconnus. Il faut accepter une période d’acclimatation qui peut être plus ou moins longue.

Je salue l’initiative de notre collègue député de la Lozère Pierre Morel-À-L’Huissier, qui a sollicité le président de l’Assemblée nationale pour qu’il saisisse le Conseil d’État. Il en ressort un texte équilibré et juridiquement solide.

Pour la commission de la culture, ce texte permet d’atteindre deux objectifs fondamentaux : il apporte une reconnaissance juridique, et donc un début de protection, aux émissions olfactives et sonores des espaces naturels ; surtout, il doit servir de base à un dialogue constructif entre élus locaux et administrés, qu’ils soient habitants de longue date, nouveaux arrivants ou simplement de passage.

Ce texte prévoit ainsi de confier aux services régionaux de l’inventaire du patrimoine un rôle d’étude et de qualification de l’identité culturelle des territoires, dans toutes les composantes du patrimoine, y compris sensorielles. Après examen, ce nouveau rôle confié à ces services me semble particulièrement important.

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite toutefois attirer votre attention sur le fait que des moyens financiers et humains seront nécessaires pour mener à bien ces nouveaux travaux.

Le Gouvernement a accepté de lever le gage lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Je l’en remercie et j’espère que le soutien financier de l’État sera à la hauteur de l’ambition affichée pour l’élaboration de ce nouvel inventaire.

Je conclurai cette présentation en citant Frédéric Mistral : « Chaque année, le rossignol revêt des plumes neuves, mais il garde la même chanson. » Les territoires ruraux sont à l’image de ce rossignol : au fil des saisons et des années, ils évoluent, construisent leurs avenirs, mais leurs caractéristiques propres demeurent.

Pour Maurice et Marcel, les coqs, pour Victoire et Pétunia, vaches alpines porteuses de clarines trop bruyantes, mais surtout pour l’ensemble des élus des territoires ruraux qui s’investissent chaque jour pour faire vivre et défendre la ruralité, la commission de la culture vous propose d’adopter conforme ce texte équilibré et porteur d’outils de dialogue.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il ne reste que vingt-six minutes pour terminer l’examen de ce texte et que le total des temps de parole impartis s’élève à quarante-cinq minutes. J’appelle donc chacun à la concision.

La parole est à Mme Monique de Marco.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à reconnaître, dans le code de l’environnement, que les sons et les odeurs caractéristiques de la vie rurale constituent un patrimoine sensoriel, immatériel, qui mérite d’être inventorié, étudié et protégé.

Elle vise aussi, indirectement, à lutter contre les recours en justice abusifs menés par des vacanciers ou des néoruraux qui auraient une vision en technicolor de la campagne, des villages et de la nature, à savoir une image photographique, inodore et silencieuse.

Dans ces conflits de voisinage, c’est aussi un conflit de territoires qui se joue, avec des frontières de plus en plus floues entre le périurbain et la campagne. Élue de Gironde, je constate chaque année que nos zones rurales de la métropole bordelaise, et bien d’autres, sont menacées par l’artificialisation des sols.

Les zones commerciales, lotissements et autres entrepôts fleurissent ici et là dans des zones agricoles déclassées et l’étalement urbain occasionne de nouveaux troubles de voisinage.

L’auteur de ce texte propose une reconnaissance essentiellement symbolique des sons et odeurs de la campagne, mais aussi un travail pour mieux connaître le traitement juridique des conflits de voisinage et apprécier la spécificité des territoires ruraux. Il nous semble un peu incongru de passer par la voie législative pour traiter ce sujet, d’autant plus que la portée juridique de cette proposition de loi est restreinte.

Je terminerai par une réflexion plus large pour éviter de rester sur une vision idéalisée de la campagne. Les activités agricoles, rurales, sont en constante évolution. Ce patrimoine sensoriel que nous souhaitons préserver aujourd’hui a été mis à mal par des décennies d’intensification des pratiques agricoles : depuis les déserts de la monoculture, aux ravages des algues vertes sur le littoral, de la disparition des haies aux élevages intensifs et aux projets de fermes-usines, dont les émanations ne sont certainement pas à préserver, sans oublier les épandages de pesticides, qui n’ont presque pas d’odeur, mais qui réduisent des millions d’oiseaux et d’insectes au silence.

M. François Bonhomme s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique de Marco

Toutefois, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires est favorable à ce texte qui constitue un effort louable et une première étape pour favoriser le vivre-ensemble.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi qu ’ au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. »

Cette phrase de Marcel Proust est emblématique de l’atmosphère qui règne dans À la recherche du temps perdu, chef-d’œuvre de notre littérature qui regorge de clochers, de bruits et d’effluves de la campagne, notamment ceux des célèbres aubépines.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

L’œuvre de Proust nous montre combien l’identité de nos territoires se construit bien souvent par les sons et les odeurs qu’ils produisent. Ces sons et ces odeurs constituent en quelque sorte le premier contact, le contact le plus immédiat, que nous offre le monde rural. De ce fait, l’attachement que nous portons à nos territoires est immanquablement lié à ces bruits et odeurs.

Cependant, vous le savez, ces sons et ces odeurs sont aussi le produit de l’activité économique des territoires. L’image d’Épinal de la campagne – je le regrette – conduit parfois à l’opposer catégoriquement à la ville en l’imaginant silencieuse et endormie, alors que le monde rural est évidemment dynamique et qu’il comporte, faut-il le rappeler, une part importante d’activités productives agricoles, artisanales et industrielles. Ces sons et ces odeurs qui nous occupent aujourd’hui en sont une manifestation parmi tant d’autres.

Je retiens par ailleurs de cette proposition de loi qu’elle ambitionne de consolider le vivre-ensemble, la cohésion, l’unité de nos territoires, qui sont parfois mis à mal par ces litiges entre néoruraux et ruraux. De tels litiges placent d’ailleurs les élus locaux dans une situation délicate, ces derniers étant fréquemment sollicités par ce type de conflits de voisinage. Cette question du vivre-ensemble revêt un caractère d’autant plus urgent qu’elle advient au moment où il est partout fragilisé.

Pour toutes ces raisons, on ne peut que saluer cette initiative consistant à consacrer au rang de composantes du patrimoine commun de la Nation les sons et les odeurs de notre environnement, et à les inventorier.

Notre groupe votera pour cette proposition de loi.

Applaudissements au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Bilhac

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la Cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Sallèdes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme ; par ces motifs, statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement ; déboute le sieur Rougier de son action et le condamne aux dépens… »

Ce sont les termes exacts de l’arrêt de la cour d’appel de Riom en date du 7 septembre 1995 portant sur un conflit de voisinage au sujet d’un poulailler. Par cet arrêt, le juge reconnaît qu’il convient d’accepter, en habitant à la campagne, les avantages et les inconvénients que cela comporte.

Depuis, nous avons connu l’affaire de feu le coq Maurice, désormais célèbre, trépassé en mai dernier sur l’île d’Oléron, celle des canards landais, …

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Bilhac

… mais également des affaires de vaches, un peu partout sur le territoire, à cause du bruit de leurs cloches ou de l’odeur de l’étable, sans oublier l’âne, les tracteurs, les cigales, les grenouilles, et j’en oublie certainement.

En ma qualité de maire, j’ai moi-même été convoqué au tribunal à la suite de la plainte d’un nouvel habitant incommodé par la sonnerie de l’horloge de Péret. Chaque maire rural de notre pays pourrait enrichir notre débat d’une ou plusieurs anecdotes.

Aujourd’hui, le monde rural n’est plus exclusivement un monde agricole, avec ses coutumes et son rythme de vie partagés par tous. Le prolongement de la ville hors de la ville a profondément modifié la structure sociétale de la ruralité.

Ces nouveaux habitants sont une véritable chance pour le monde rural ; ils permettent en effet de maintenir la vie dans les campagnes et d’y conserver l’école, le bistrot ou l’épicerie.

En même temps, des difficultés sont apparues, qui se traduisent par une judiciarisation croissante. Ce phénomène provient de la méconnaissance de la ruralité, souvent perçue de manière idéalisée, car elle est de plus en plus associée à un lieu de vacances, et non pas seulement à un lieu de vie et de résidence.

Un autre aspect, qui n’est pas abordé dans le texte – j’en dis un mot malgré tout –, concerne les conflits liés à la propriété foncière et à l’utilisation des sols. De plus en plus, on entend que la nature est à tout le monde et qu’elle doit être partagée. Si un droit universel d’accès à la nature existe dans les pays nordiques, tel n’est pas le cas en France : la majorité de nos campagnes appartient à une multitude de propriétaires privés.

Ces propriétaires terriens ont de tout temps accepté que les promeneurs, les randonneurs et les cueilleurs de champignons parcourent leurs terres, mais ils ne comprennent pas, aujourd’hui, que soit remis en cause leur droit de propriété ou de chasse. Il convient de rappeler que le droit de propriété est un droit imprescriptible figurant à l’article XVII de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.

Certes, notre société a évolué et doit évoluer ; mais, dans ce domaine comme dans d’autres, le dialogue laisse trop souvent la place aux invectives ou aux actions en justice. Partout, à la ville comme à la campagne, la tolérance et la compréhension mutuelle disparaissent.

Considérant que cette proposition de loi contribuera à pallier ces difficultés en clarifiant les responsabilités de chacun et en reconnaissant le patrimoine sensoriel de nos territoires dans toutes ses facettes, le groupe du RDSE votera en faveur de son adoption.

M. Jean-Claude Requier applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte vise à répondre à une interpellation récurrente des élus locaux, liée à la gêne ressentie par certains de nos concitoyens à l’égard ici d’un coq un peu trop enjoué, là de grenouilles qui coassent à des heures indues – ou pas, du reste –, et aux conflits qui peuvent en découler et qui empoisonnent parfois la vie des maires, en particulier, qui ont bien d’autres choses et d’autres crises à gérer en ce moment – nous en avons tous bien conscience…

Nous voterons donc évidemment ce texte.

Attention cependant à l’article 1er bis, qui renforce les missions des services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, lesquels peinent pourtant à remplir celles qui leur sont d’ores et déjà assignées. Depuis que cette compétence a été confiée aux régions, en 2005, ces services n’ont en effet toujours pas pu réaliser l’ensemble de l’inventaire du patrimoine ; leur confier de nouvelles missions sans nouveaux moyens pourrait évidemment leur compliquer la tâche.

Nous saluons l’article 1er ter : le rapport demandé permettra sans doute de mieux identifier ce qui relève ou non du trouble de voisinage, afin de faire évoluer la législation et, là encore, d’apporter des réponses concrètes aux élus locaux.

Reste que – chacun ici en a conscience – cette proposition de loi n’épuise malheureusement pas de nombreux sujets sous-jacents : la tendance de nos concitoyens, par exemple, à concevoir leur habitat, désormais, comme un lieu qui doit être hermétiquement isolé du reste du monde, ce qui dit quelque chose de notre société ; la judiciarisation croissante du règlement des conflits – ce n’est pas toujours ainsi, pourtant, qu’on peut les apaiser, au contraire ; une conception idéalisée, voire erronée, de la nature ou de la vie en milieu rural – il en a été question : la campagne conçue en quelque sorte comme un milieu sous cloche, dépourvu de toute activité humaine, ce qu’elle n’est évidemment pas.

Sans doute nous faut-il réfléchir aussi au fait que, compte tenu de l’évolution du prix du foncier, la vie dans les grandes agglomérations, au cœur des métropoles, est aujourd’hui inabordable pour beaucoup de nos concitoyens, qui se retrouvent dans des zones périurbaines ou rurales sans l’avoir nécessairement choisi ; ce qui devait ressembler à une forme d’ascenseur social se traduit parfois, finalement, par un sentiment de déclassement et d’abandon, avec son cortège de ressentiments.

Ces sujets ne sont pas épuisés ; ils nous invitent au travail pour défendre les services publics sur l’ensemble de nos territoires – aucun d’entre eux ne saurait être abandonné.

Je conclus en notant que vivre à la campagne, dans la ruralité, est aussi source d’épanouissement ; certains l’ont découvert à la faveur du confinement. De ce point de vue, il ne faut sans doute pas donner plus d’importance que cela à des phénomènes dont la médiatisation est parfois inversement proportionnelle à la réalité de la situation.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Monier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « La cigale s’endort comme meurt un poète, Lasse d’avoir vécu, fière d’avoir chanté ! », écrivait Maurice-Louis Faure, sénateur de la Drôme de 1902 à 1919, ancien ministre radical-socialiste, né et mort dans son département, dans le petit village de Saillans, et dont beaucoup ignorent certainement, dans cet hémicycle, qu’il était aussi poète.

Si le chant de la cigale inspire de si beaux vers, c’est qu’il est partie intégrante de l’essence du Sud ; j’éprouve pour ma part un plaisir tout particulier à l’entendre résonner dans mon département de la Drôme.

Cette beauté n’est pourtant pas perceptible par tous ; en témoigne la fameuse « affaire des cigales » qui a éclaté dans le Var en 2018, s’inscrivant dans la droite ligne des complaintes dénonçant, entre autres, le chant du coq.

Si de tels conflits ne parviennent pas tous jusqu’au tribunal, ils rencontrent souvent une forte résonance dans les médias locaux et nationaux, symptomatique de l’intérêt que porte l’opinion publique à ce sujet.

Il nous faut prendre garde au clivage qui semble ainsi se dessiner, opposant habitants de longue date des territoires ruraux et nouveaux arrivants. Ce clivage traduit selon moi l’individualisation de notre société, où de plus en plus de personnes sont réticentes à faire l’effort de compréhension mutuelle et d’ouverture nécessaire au vivre-ensemble.

La notion d’une « vie en îlots », employée par Danielle Even au cours de nos auditions, me semble à ce titre très juste. Christian Hugonnet, ingénieur acoustique, souligne quant à lui que, en matière de bruit, les décibels ne font pas tout : il faut un certain temps pour s’habituer à un nouvel environnement sonore ; c’est ce temps que certains ne sont pas prêts à prendre, d’autant qu’ils arrivent souvent forts d’une vision erronée de la ruralité, fantasmée comme un havre de calme loin de l’agitation urbaine.

Celles et ceux qui pratiquent au quotidien les territoires ruraux savent pourtant qu’ils bruissent de sons et d’odeurs liés aux activités indispensables à la vie de ces territoires – je pense par exemple aux bruits nocturnes des tracteurs des viticulteurs drômois.

Il est sans nul doute nécessaire de faire preuve de pédagogie pour déconstruire les idées reçues autour de la ruralité et des pratiques agricoles, qu’elles soient négatives ou images d’Épinal, et de faire prendre conscience des réalités de ces territoires et de leurs habitants. C’est un travail de longue haleine, mené principalement aujourd’hui par nos élus ruraux, qui sont en première ligne dans ces conflits de voisinage. Leur médiation suffit souvent à désamorcer ces conflits avant qu’ils ne donnent lieu à des poursuites. Nous nous devons de les assurer de notre soutien plein et entier.

Cette proposition de loi à la portée plus symbolique que pratique ne doit pas être perçue comme un renfermement sur eux-mêmes des territoires ruraux, dont nous connaissons toutes et tous la capacité d’innovation et d’adaptation. En posant les premiers jalons d’une discussion collective sur ce sujet essentiel, elle constitue au contraire une célébration de ce qui fait leur saveur et leur identité et envoie un signal fort de notre part aux élus ruraux.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte.

Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE, ainsi qu ’ au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, des territoires et des terroirs : tel est le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Imaginez une matinée d’été : un coq qui chante pour accueillir le soleil, le moteur d’un tracteur gagnant les champs, le clocher d’une église qui sonne l’angélus à sept heures. Vous ne rêvez pas : vous êtes bien en France !

Mais, contre toute attente, et face à l’agression boboïste, nous devons légiférer sur ces évidences pour écrire dans la loi qu’il est normal qu’un coq chante à la campagne, qu’une vache porte une cloche à la montagne, que des grenouilles coassent au bord de leur étang.

Aurait-on pu imaginer le père de Marcel Pagnol, néorural, professeur et fonctionnaire, porter plainte, dans la Provence de son époque, à cause du chant des cigales dans la garrigue et du son des cloches des églises ? C’est pourtant, aujourd’hui, la triste réalité : les mêmes qui supportent le bruit infernal du périphérique et des autoroutes et qui s’abrutissent dans les centres commerciaux exigent le silence absolu dans les campagnes !

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

C’est parce qu’ils ne le supportent pas qu’ils déménagent…

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Les attaques en justice se sont multipliées ces dernières années à l’encontre de tout ce qui fait l’âme de nos territoires ruraux.

Les touristes, vacanciers et néoruraux ont multiplié les plaintes à l’encontre de bruits et d’odeurs inhérents à la vie rurale et présents depuis toujours. Des bruits et des odeurs, mes chers collègues ? Non : des chants et des saveurs !

Il s’agit donc de protéger nos racines, notre culture, au sens premier de terroir, et au sens plus large de civilisation.

Cette nouvelle proposition de loi prévoit de protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ; il faut évidemment reconnaître qu’il existe un héritage rural qui, au-delà de simples sons et senteurs, incarne un mode de vie ancestral.

Ceux qui quittent les villes doivent accepter que la campagne ne soit pas une nature aseptisée, normalisée ; là aussi il s’agit d’assimilation. L’assimilation, en définitive, c’est le respect de la terre qui accueille et l’adoption inconditionnelle de ses traditions.

Mais l’objectif de ce texte est aussi de défendre nos paysans : ceux qui nous nourrissent chaque jour, malgré la rudesse de leur métier, doivent être au centre de nos préoccupations. Cette problématique est beaucoup plus large que celle de cette simple proposition de loi.

La réalité démographique nous le montre dans toutes nos régions : le choc social entre deux mondes aux cultures différentes bascule dans l’agressivité. Les paysans et autres ruraux vont se retrouver de plus en plus menacés par les zones périurbaines qui repoussent les limites des villes.

En quarante ans, plus de deux millions d’hectares de surfaces agricoles ont disparu au profit de l’artificialisation des sols. En parallèle, notre agriculture continue de sombrer dans une grave crise : de toutes les catégories sociales, c’est celle des exploitants agricoles qui connaît la mortalité par suicide la plus élevée.

Nous devons veiller à défendre la paysannerie française. « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » disait Sully ; la campagne, la culture et l’élevage font partie de notre ADN.

Les personnes qui n’acceptent pas d’entendre une moissonneuse travailler la nuit sont aujourd’hui la tristesse de notre pays et les fossoyeurs de notre identité.

Mes chers collègues, il nous appartient d’incarner la défense de notre patrimoine matériel et immatériel rural, de nos terroirs, du mode de vie paysan, de nos coutumes, car ils sont la cellule souche de notre pays. « Pas de pays sans paysans » ! Dois-je le rappeler ? Face à l’offensive de bobos « quinoaïsés », cela devient manifestement urgent !

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des lois subtilement utiles ou utilement subtiles. C’est le cas de ce texte, ni anecdotique, ni folklorique, mais symbolique : symbolique du sens que nous souhaitons donner à ce fameux vivre-ensemble, symbolique de l’attention que nous souhaitons porter à la ruralité, cette ruralité souvent oubliée, méprisée, que certains voudraient voir transformée en musée.

Il y a là 15 millions de Français et 28 000 communes qui n’incarnent pas que le passé et veulent avoir un avenir. Dans ces campagnes résonnent des moteurs de tracteurs, mais aussi certains bruits immémoriaux et souvent animaux ; quelques effluves peu raffinés y viennent parfois perturber des odorats délicats.

C’est ainsi que, régulièrement, des néoruraux, ou des touristes mal embouchés, viennent user de leurs droits devant les tribunaux ou faire le siège d’une mairie pour dénoncer des troubles anormaux de voisinage. Entre quelques grenouilles indisciplinées, des coqs ténors, des cloches trop matinales et des cigales craquetant trop fort, les exemples de plaintes et démarches ubuesques, mais bien réelles, ne sont pas si rares.

Cependant, au-delà de la loi, c’est une vision de notre société, une philosophie de notre vivre-ensemble qui sont en jeu.

Que veut-on donc ? Une ruralité de carte postale, sans saveurs ni odeurs, une ruralité policée, où le coq sait se tenir, où l’âne a perdu sa voix, où les cloches sont de marbre et muettes, où le claquement des sabots sur le bitume s’est évanoui, où la transhumance ne carillonne pas et n’inonde plus les routes d’écumes de toisons ?

Que veut-on donc ? Une société où l’individualisme exacerbé et l’isolationnisme aveugle triomphent, où l’on ne vit plus ensemble, mais côte à côte, hermétiquement séparés, où les relations sociales se judiciarisent toujours plus, où l’on veut faire tabula rasa de nos héritages millénaires, naturels et civilisationnels, au nom d’une modernité égoïste et intolérante ?

Le patrimoine, c’est ce que nous ont légué, transmis, offert, nos pères. C’est une part profonde, ancestrale, authentique, de notre identité. Ce patrimoine est naturel, minéral, monumental, peut-être aussi sensoriel – Proust et sa madeleine nous l’ont appris. Souhaitons-nous donc devenir des mannequins robotisés, déracinés, calfeutrés dans un environnement aseptisé de science-fiction ?

Comme la campagne, l’État de droit a ses charmes et ses méfaits. Probablement est-il regrettable de devoir passer par la loi pour protéger notre patrimoine sensoriel, mais c’est ainsi. Et si nous parachevons le travail commencé par l’Assemblée nationale, les grincheux verront désormais leur accès aux tribunaux limité, et nos maires y gagneront un bouclier de sagesse et de tranquillité.

Les membres du groupe Les Républicains voteront donc ce texte conforme, sans se boucher ni le nez ni les oreilles !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canevet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi destinée à protéger le patrimoine sensoriel de nos campagnes pourrait paraître surprenante. Elle s’inscrit pourtant dans le contexte de la judiciarisation croissante de nos sociétés, interrogeant l’identité de nos territoires et notre capacité à user de bon sens lorsqu’il s’agit de régler des différends.

Si les querelles de voisinage ont toujours existé, la médiatisation de certaines affaires a placé sur le devant de la scène ces marqueurs patrimoniaux que sont les bruits et les odeurs caractéristiques du monde rural.

Il s’agissait initialement d’inscrire la notion de « patrimoine sensoriel » au sein du code du patrimoine. L’auteur de la proposition de loi a eu la sagesse de soumettre son texte au Conseil d’État ; sur la base de ses recommandations, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a choisi de restreindre le périmètre du texte aux seuls aspects sonores et olfactifs. Les marqueurs en seront sélectionnés par une commission départementale selon qu’ils présentent ou non un intérêt suffisant pour rendre désirable leur préservation.

Aussi chant des cigales, danse des abeilles et bêlements de moutons pourraient-ils prochainement entrer dans le périmètre de protection du code de l’environnement.

Il ne s’agit pas d’opposer les agriculteurs aux néoruraux et aux touristes, mais de concilier l’ensemble des acteurs du monde rural afin de permettre le vivre-ensemble en bonne intelligence. L’intégration des nouveaux arrivants et des vacanciers aux activités d’un village est un facteur essentiel d’attractivité, et les difficultés d’adaptation à la vie locale constituent, avec les difficultés d’intégration sociale, le principal facteur d’échec de telles installations.

Or deux millions de citadins quittent chaque année les villes pour s’installer à la campagne. Ce nouvel exode urbain est un fait de société, appelé à s’accentuer. Saluons l’intérêt de nos concitoyens pour les ruralités ; mais quitter le brouhaha des grandes agglomérations n’est pas synonyme de calme absolu. La campagne a son propre rythme de vie, du son des carillons des églises au chant du coq en passant par les épandages d’engrais ou de fumier d’animaux.

Les risques de tensions entre nouveaux arrivants et agriculteurs figurent parmi les premières craintes des élus locaux soulevées par ces installations, même si les litiges ont trait avant tout à des problèmes plus structurants tels que la dépendance à la voiture, l’usage des sols ou la qualité de l’eau.

Dans un contexte où le recours au télétravail s’intensifie, les installations dans les campagnes sont un levier important de dynamisme territorial et contribuent au rééquilibrage de nos territoires ; il est essentiel de ne pas décourager les vocations tout en respectant l’identité et la culture du monde rural.

Le groupe Les Indépendants rejoint donc la commission de la culture dans ses conclusions et soutient cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu ’ au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Le temps imparti à l’examen des textes inscrits à l’ordre du jour réservé au groupe UC est près d’être écoulé ; nous pourrions néanmoins mener à bien la discussion de cette proposition de loi si les deux derniers orateurs inscrits acceptaient de renoncer à leur temps de parole.

Madame de La Provôté, monsieur Darnaud, acceptez-vous de renoncer à vos temps de parole respectifs ?

Mme Sonia de La Provôté et M. Mathieu Darnaud répondent positivement à cette demande.

Discours de Mme Sonia de La Provôté :

[Entre « cocorico », « ding dong » et autres croassements, je vous avoue n’avoir jamais imaginé commencer ainsi une intervention à la tribune.

Mais c’est bien de cela qu’il est question : les bruits, les odeurs de la campagne, qui nous sont si familiers, mais que certains n’apprécient plus guère.

Si la première réaction peut être de rire à l’évocation du sujet qui nous occupe aujourd’hui, derrière la gaudriole clochemerlesque, pour reprendre le mot si juste de notre rapporteur, et l’évocation bucolique et nostalgique du terroir glorifié par Pagnol et Colette, derrière les faits divers, le sort funeste du coq Marcel et les déboires judiciaires du coq Maurice, derrière tout cela se cache quelque chose de très profond.

Notre sujet est non pas la cloche du village ni les odeurs et bruits de basse-cour, mais un glissement culturel : se plaindre des nuisances sonores et olfactives de la campagne, c’est la refuser telle qu’elle est et a toujours été, et se conformer à la représentation irréelle de paysages silencieux, qui n’existent qu’en cartes postales.

C’est aussi considérer que l’activité agricole est une nuisance, alors qu’elle est indissociable des territoires ruraux, et que sa fonction, ses produits sont indispensables à tous.

Le phénomène est à la croisée de deux évolutions majeures.

La première, d’ordre psychosocial, est l’hygiénisation du monde – un mouvement ancien, accéléré ces dernières années.

L’autre évolution, beaucoup plus récente, est l’exode urbain : c’est le retour des citadins à la campagne et la « boboïsation » des champs, pour employer un terme certes plus connoté, mais aussi plus parlant.

Ces deux évolutions se traduisent dans les campagnes par une efflorescence des troubles du voisinage, des plaintes et des actions en justice. Ces conflits sont tout autant liés à la nature qu’à l’activité humaine agricole, et ils mobilisent de plus en plus les élus locaux, dont on sait qu’ils ont, par ailleurs, bien d’autres choses à faire…

En cette période d’urgence sanitaire, ce constat devrait tout particulièrement nous interpeller, car la pandémie ne peut qu’exacerber ce phénomène.

On commence déjà à se rendre compte, d’ailleurs, que l’expérience des confinements est en train de donner une vigueur sans précédent à l’exode urbain. Les citadins sont massivement en train de se mettre au vert ; preuve en sont les nombreuses transactions immobilières intervenues dans les communes rurales durant l’été 2020.

Fallait-il pour autant légiférer sur le chant du coq ou le son de la cloche ? Dans une époque de surproduction législative, la question est légitime, car on peut être tenté de répondre de prime abord par la négative, en raisonnant par l’absurde : s’il faut aujourd’hui protéger l’identité sonore et olfactive des campagnes, pourquoi ne protègerait-on pas l’identité sonore et olfactive des villes ?

Pourquoi ne pas inscrire les sirènes des ambulances ou le vrombissement des moteurs, si cruellement menacés par les véhicules électriques, à l’inventaire du patrimoine ?

Poser la question, c’est déjà y répondre, et donc trouver la raison d’être du présent texte : personne ne regrettera l’odeur des pots d’échappement, mais on ne peut pas en dire autant de la cymbalisation de la cigale.

Tout son n’est pas bruit, et tout bruit n’est pas nuisance.

Comme l’a très bien expliqué notre rapporteur, Pierre-Antoine Levi, dont je salue par ailleurs la qualité du travail, si ce texte est utile, c’est en tant que base de reconnaissance et de légitimation des sons et odeurs de la campagne. Ces sons et odeurs sont liés à la vie et à l’économie rurales ; ils en sont indissociables. Une base pour apaiser les esprits, donc ; cette base, surtout, aidera les élus locaux à accomplir leur nouvelle fonction de médiateurs sonores et olfactifs.

À titre personnel, je vois au présent texte un autre intérêt : il entre singulièrement en résonance avec le combat que nous menons ici pour le patrimoine non classé des communes rurales, le patrimoine vernaculaire ou le patrimoine des savoir-faire et des traditions.

Il contribue à éclairer d’un jour nouveau ce que nous devons considérer comme patrimonial.

En effet, le patrimoine, ce ne sont pas exclusivement des cathédrales et des tableaux. Le patrimoine, cela peut être des sons et des odeurs. C’est aussi une ambiance, un environnement, un ensemble qui doit vivre.

Le patrimoine matériel et immatériel appartient à la mémoire collective ; en lui se laisse identifier ce que l’on ne saurait perdre de notre histoire, en particulier celle du quotidien. Ce qui fait patrimoine, ici, c’est bien ce que l’on veut préserver ; c’est l’âme et la vie de nos territoires.

Cette proposition de loi offre un regard objectif et pragmatique et des outils utiles pour réconcilier, dans nos communes rurales, la vie des campagnes avec les aspirations des villes et celles du monde qui évolue ; le groupe Union Centriste y est favorable.]

Discours de M. Mathieu Darnaud :

[Élu du département rural de l’Ardèche, je puis témoigner de la préoccupation grandissante à l’égard du sujet dont nous débattons en cette heure. Les élus comme les habitants pressentent en effet que derrière ces picrocholines querelles de riverains, qui peuvent prêter à sourire, c’est la remise en cause de la société rurale qui se profile.

Je tiens donc d’abord à adresser mes félicitations à notre rapporteur et à ses collègues de la commission de la culture pour leurs travaux, et je salue leur choix en faveur d’une adoption conforme du texte transmis par l’Assemblée nationale.

Cette adoption permettra à l’excellente proposition de loi déposée par Pierre Morel-À-L’Huissier d’être promptement exécutoire, avec le soutien enthousiaste des sénateurs du groupe Les Républicains.

Les procédures assez baroques engagées contre des cloches, des cigales, des tracteurs, voire des coqs, comme à Vinzieux en Ardèche ou à Oléron, illustrent la montée d’un déni : celui de la nature même de ce qu’on appelle la campagne.

Pour les requérants qui font le siège de nos élus locaux, celle-ci devrait n’être, au fond, qu’un jardin fantasmé, exempt de toute activité susceptible de perturber la tranquillité de leur cocon.

Or la ruralité n’est pas un décor champêtre figé dans le silence d’une aquarelle. C’est un monde qui respire, qui s’active, qui produit et qui nourrit.

S’y installer, c’est choisir de goûter une meilleure qualité de vie, partager un autre rythme ; c’est s’épanouir dans un monde qui possède son harmonie propre, mais qui se veut éloigné autant de la frénésie des villes que du mutisme des villages fantômes.

Je sais que d’aucuns considèrent que l’inscription dans la loi de son patrimoine sensoriel et de sa protection font courir le risque de muséifier le monde rural.

Mais je pense le contraire : si ce texte est bienvenu, c’est justement parce que nous ne voulons pas dévitaliser nos campagnes et les voir se transformer, par la force des pétitionnaires ou celle des tribunaux, en aires de repos végétalisées sans odeur ni saveur, sans âme ni clameur.

Jusqu’à présent, la justice a certes plutôt donné tort aux plaignants scandalisés par l’outrecuidante présence d’un coq dans une basse-cour ou par le voisinage extravagant d’un troupeau de vaches dans un pré.

Mais, à l’heure de la judiciarisation d’une société au sein de laquelle chacun est fondé à s’estimer victime ou incommodé, il me semble nécessaire d’agir dès maintenant pour désamorcer les pressions qui, demain, pourraient rendre la vie impossible à nos élus.

Oui, l’ambiance de nos campagnes constitue bien un patrimoine.

Si la géographie dessine le visage de la France, c’est leur patrimoine sensoriel qui donne leur caractère à ces « patries charnelles » chères à Charles Péguy.

Songeons aux difficultés que nous éprouvons quand il s’agit de sauvegarder un paysage ou un édifice, dont l’existence se manifeste pourtant sous nos yeux.

Notre richesse immatérielle ne jouissant pas d’une telle visibilité, il appartient au législateur de lui accorder un soutien particulier. Car ce patrimoine sensoriel constitue, à l’instar de notre gastronomie ou de nos langues régionales, un legs civilisationnel. Et c’est à nous autres, humbles dépositaires, qu’il incombe de le transmettre aux générations futures.

Mes chers collègues, puisqu’en 2021 cela est devenu nécessaire, n’hésitons pas à affirmer que le chant d’un coq dans une basse-cour n’est pas une nuisance, sauf à considérer que la vie sur terre en est une ; que la cloche d’une église qui sonne les heures n’est pas un tapage ; qu’elle est au contraire l’expression d’un patrimoine vivant, qui ne se réduit pas à la contemplation du passé, mais scande au contraire le présent !

J’en terminerai par cette question initiale, celle du bruit.

Au printemps dernier, passé les premières semaines du confinement, au cours desquelles les citadins ont savouré le silence des grandes avenues, les mêmes ont découvert que leurs villes, privées du suc de leurs terrasses et de leurs concerts, n’avaient plus que l’écorce des cités-dortoirs.

Il en est de même de nos terroirs. Si l’on venait à les dépouiller de leurs vibrations et de leurs senteurs, leur caractère s’estomperait pour laisser place au plus mortifère des silences : celui du désert français.]

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

(Non modifié)

À la première phrase du premier alinéa du I de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, après le mot : « marins, », sont insérés les mots : « les sons et odeurs qui les caractérisent, ».

L ’ article 1 er est adopté.

(Non modifié)

I. – Les services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, par leurs missions de recherche et d’expertise au service des collectivités locales, de l’État et des particuliers, contribuent, dans toutes les composantes du patrimoine, à étudier et qualifier l’identité culturelle des territoires.

II. – Dans les territoires ruraux, les inventaires menés contribuent à connaître et faire connaître la richesse des patrimoines immobilier et mobilier conservés, leur relation avec le paysage et, dans leur diversité d’expressions et d’usages, les activités, pratiques et savoir-faire agricoles associés.

III. – Les données documentaires ainsi constituées à des fins de connaissance, de valorisation et d’aménagement du territoire enrichissent la connaissance du patrimoine culturel en général et sont susceptibles de concourir à l’élaboration des documents d’urbanisme. –

Adopté.

(Non modifié)

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport examinant la possibilité d’introduire dans le code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage. Il étudie les critères d’appréciation du caractère anormal de ce trouble, notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement. –

Adopté.

(Suppression maintenue)

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Antoine Levi

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. Mes chers collègues, je voudrais vous remercier d’avoir écourté vos interventions afin que nous puissions voter cette proposition de loi. Je suis navré pour mes deux collègues, Sonia de La Provôté et Mathieu Darnaud, qui ont accepté de renoncer à intervenir à la tribune. Le pari n’était pas gagné, mais nous avons réussi à voter ces deux propositions de loi. Merci, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir vous aussi sabordé votre intervention ; mais vous repartez avec un texte voté conforme !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

Monsieur le président, lors du scrutin public n° 57 sur l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, MM. Alain Richard et Martin Lévrier, Mme Marie Evrard et M. Thani Mohamed Soilihi souhaitaient s’abstenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Acte vous est donné de ces mises au point, ma chère collègue. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 26 janvier 2021 :

À quatorze heures trente et le soir :

Projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 288, 2020-2021) ;

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (texte de la commission n° 292, 2020-2021).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à seize heures dix.