Intervention de Pierre-Antoine Levi

Réunion du 21 janvier 2021 à 14h30
Patrimoine sensoriel des campagnes françaises — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Pierre-Antoine LeviPierre-Antoine Levi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « La campagne c’est cette musique, cette agitation de branches, de feuilles et de cris qui s’enfle et s’architecture quand on ferme les yeux ». Ces mots de Maryline Desbiolles décrivent avec beaucoup de justesse les territoires ruraux.

Peut-on interdire à un coq de chanter, à des cigales de striduler ou encore à des grenouilles de coasser ? Faut-il mettre en sourdine les cloches des églises, les clarines des troupeaux, ou la mécanique des tracteurs ? Doit-on mettre fin aux odeurs de purin, de fumier ou de crottin de cheval ?

Cet été, le coq Maurice, poursuivi en justice, a même acquis une notoriété nationale, dépassant largement les frontières de sa basse-cour et de l’île d’Oléron. Son sort est ainsi beaucoup plus enviable que celui de son congénère Marcel, tué par un voisin excédé par les chants du gallinacé – paix à son âme !

Derrière ces affaires pittoresques, « clochemerlesques », se trouvent des problèmes de fond, comme l’a souligné notre collègue Olivier Paccaud lors de l’examen du texte en commission.

Les élus locaux sont de plus en plus sollicités et appelés à intervenir en tant que médiateurs dans de tels conflits de voisinage. Je tiens ici à leur rendre hommage. Comme l’a très justement souligné en commission notre collègue Marie-Pierre Monier, les conflits de voisinage qui parviennent jusqu’aux tribunaux constituent la partie émergée de l’iceberg : un bon nombre d’entre eux sont réglés bien en amont, le plus souvent grâce à la médiation active des maires.

Ces derniers, comme sur de nombreux autres sujets, ne comptent pas leurs heures pour trouver des solutions, pacifier les situations, en un mot faire vivre les territoires, les animer et préserver le lien social.

Comment en sommes-nous arrivés à une situation où les élus locaux doivent justifier de la normalité des sonneries des cloches, y compris la nuit, d’odeurs inhérentes aux territoires ruraux ou du bruit provoqué par les activités agricoles ? Des évidences ont été oubliées ; j’en citerai deux.

D’une part, on ne vit pas à la ville comme à la campagne. Les territoires ruraux ne sont pas des territoires silencieux et inodores. Le silence n’appartient pas plus à la campagne qu’à la ville.

D’autre part, les gênes dénoncées ne sont bien souvent que la traduction d’un territoire qui vit, avec des activités économiques qui lui sont propres.

La commission de la culture n’a que rarement l’occasion d’afficher son soutien au monde agricole. Permettez-moi de saisir l’occasion offerte par ce texte concernant des musiques pas toujours harmonieuses, j’en conviens, et de nouveaux aspects du patrimoine pour le faire.

Enfin, même la crise de la covid a eu un effet, certes indirect, sur la perception des sons et odeurs inhérents aux territoires ruraux. Le confinement a contraint nos concitoyens à demeurer au sein de leur domicile pendant de longues semaines. Dans certains territoires, on a constaté une utilisation accrue des résidences secondaires. Ces situations ont parfois entraîné l’exacerbation de conflits préexistants.

Au final, ce texte arrive à un moment propice : la période particulière que nous vivons et le développement du télétravail font que la ruralité est regardée avec un intérêt renouvelé. Je pense notamment à certains habitants de territoires urbains, et particulièrement des métropoles.

Dans ce contexte, il me semble important de rappeler un fait : on ne peut, en arrivant dans un lieu, quel qu’il soit, se retourner immédiatement contre un bruit ou une odeur inconnus. Il faut accepter une période d’acclimatation qui peut être plus ou moins longue.

Je salue l’initiative de notre collègue député de la Lozère Pierre Morel-À-L’Huissier, qui a sollicité le président de l’Assemblée nationale pour qu’il saisisse le Conseil d’État. Il en ressort un texte équilibré et juridiquement solide.

Pour la commission de la culture, ce texte permet d’atteindre deux objectifs fondamentaux : il apporte une reconnaissance juridique, et donc un début de protection, aux émissions olfactives et sonores des espaces naturels ; surtout, il doit servir de base à un dialogue constructif entre élus locaux et administrés, qu’ils soient habitants de longue date, nouveaux arrivants ou simplement de passage.

Ce texte prévoit ainsi de confier aux services régionaux de l’inventaire du patrimoine un rôle d’étude et de qualification de l’identité culturelle des territoires, dans toutes les composantes du patrimoine, y compris sensorielles. Après examen, ce nouveau rôle confié à ces services me semble particulièrement important.

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite toutefois attirer votre attention sur le fait que des moyens financiers et humains seront nécessaires pour mener à bien ces nouveaux travaux.

Le Gouvernement a accepté de lever le gage lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Je l’en remercie et j’espère que le soutien financier de l’État sera à la hauteur de l’ambition affichée pour l’élaboration de ce nouvel inventaire.

Je conclurai cette présentation en citant Frédéric Mistral : « Chaque année, le rossignol revêt des plumes neuves, mais il garde la même chanson. » Les territoires ruraux sont à l’image de ce rossignol : au fil des saisons et des années, ils évoluent, construisent leurs avenirs, mais leurs caractéristiques propres demeurent.

Pour Maurice et Marcel, les coqs, pour Victoire et Pétunia, vaches alpines porteuses de clarines trop bruyantes, mais surtout pour l’ensemble des élus des territoires ruraux qui s’investissent chaque jour pour faire vivre et défendre la ruralité, la commission de la culture vous propose d’adopter conforme ce texte équilibré et porteur d’outils de dialogue.

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