Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « La cigale s’endort comme meurt un poète, Lasse d’avoir vécu, fière d’avoir chanté ! », écrivait Maurice-Louis Faure, sénateur de la Drôme de 1902 à 1919, ancien ministre radical-socialiste, né et mort dans son département, dans le petit village de Saillans, et dont beaucoup ignorent certainement, dans cet hémicycle, qu’il était aussi poète.
Si le chant de la cigale inspire de si beaux vers, c’est qu’il est partie intégrante de l’essence du Sud ; j’éprouve pour ma part un plaisir tout particulier à l’entendre résonner dans mon département de la Drôme.
Cette beauté n’est pourtant pas perceptible par tous ; en témoigne la fameuse « affaire des cigales » qui a éclaté dans le Var en 2018, s’inscrivant dans la droite ligne des complaintes dénonçant, entre autres, le chant du coq.
Si de tels conflits ne parviennent pas tous jusqu’au tribunal, ils rencontrent souvent une forte résonance dans les médias locaux et nationaux, symptomatique de l’intérêt que porte l’opinion publique à ce sujet.
Il nous faut prendre garde au clivage qui semble ainsi se dessiner, opposant habitants de longue date des territoires ruraux et nouveaux arrivants. Ce clivage traduit selon moi l’individualisation de notre société, où de plus en plus de personnes sont réticentes à faire l’effort de compréhension mutuelle et d’ouverture nécessaire au vivre-ensemble.
La notion d’une « vie en îlots », employée par Danielle Even au cours de nos auditions, me semble à ce titre très juste. Christian Hugonnet, ingénieur acoustique, souligne quant à lui que, en matière de bruit, les décibels ne font pas tout : il faut un certain temps pour s’habituer à un nouvel environnement sonore ; c’est ce temps que certains ne sont pas prêts à prendre, d’autant qu’ils arrivent souvent forts d’une vision erronée de la ruralité, fantasmée comme un havre de calme loin de l’agitation urbaine.
Celles et ceux qui pratiquent au quotidien les territoires ruraux savent pourtant qu’ils bruissent de sons et d’odeurs liés aux activités indispensables à la vie de ces territoires – je pense par exemple aux bruits nocturnes des tracteurs des viticulteurs drômois.
Il est sans nul doute nécessaire de faire preuve de pédagogie pour déconstruire les idées reçues autour de la ruralité et des pratiques agricoles, qu’elles soient négatives ou images d’Épinal, et de faire prendre conscience des réalités de ces territoires et de leurs habitants. C’est un travail de longue haleine, mené principalement aujourd’hui par nos élus ruraux, qui sont en première ligne dans ces conflits de voisinage. Leur médiation suffit souvent à désamorcer ces conflits avant qu’ils ne donnent lieu à des poursuites. Nous nous devons de les assurer de notre soutien plein et entier.
Cette proposition de loi à la portée plus symbolique que pratique ne doit pas être perçue comme un renfermement sur eux-mêmes des territoires ruraux, dont nous connaissons toutes et tous la capacité d’innovation et d’adaptation. En posant les premiers jalons d’une discussion collective sur ce sujet essentiel, elle constitue au contraire une célébration de ce qui fait leur saveur et leur identité et envoie un signal fort de notre part aux élus ruraux.
Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte.