Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, le thème sensible que nous abordons avec cette proposition de loi mobilise des convictions aussi ancrées que diverses.
L’interruption volontaire de grossesse est devenue un droit grâce au combat de ses militantes, grâce au courage de Simone Veil, grâce à l’élan d’une société vers l’émancipation, contre l’hypocrisie et contre l’emprise sur le corps des femmes.
L’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, restera un symbole des grands combats menés par le ministère des solidarités et de la santé pour mettre un terme aux avortements clandestins, qui avaient coûté tant de vies, et pour faire progresser le droit des femmes.
Qu’il me soit permis de saluer aujourd’hui celles et ceux qui, au quotidien, rendent possible l’exercice de ce droit des femmes à disposer de leur corps.
Le combat a trouvé sa place dans les livres d’histoire, mais c’est un héritage qu’il faut conjuguer au présent, et nous devons rester extrêmement vigilants. Le droit à l’avortement est aujourd’hui remis en cause dans nombre de pays où il passait pour acquis. Cela n’est pas l’apanage des tendances autoritaires : dans certaines démocraties, y compris à nos portes en Europe, des mouvements de recul nous interpellent.
Je n’oublie pas que les contrevérités et les discours culpabilisant les femmes circulent à grande vitesse sur les réseaux sociaux.
La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale a réalisé un rapport d’information très complet sur l’accès à l’IVG. Un constat détaillé et riche des écueils rencontrés encore aujourd’hui dans le parcours des femmes a ainsi été produit en auditionnant associations et professionnels.
La crise sanitaire que nous traversons n’est pas sans conséquence sur l’exercice du droit à l’avortement, mais tout a été fait pour que ce droit puisse demeurer effectif et s’exercer dans les meilleures conditions.
L’épidémie n’a pas remis en cause nos valeurs les plus fondamentales, et le ministère des solidarités et de la santé s’est pleinement mobilisé pour permettre l’accès à l’IVG dans les délais prévus.
Des mesures ont été prises – elles étaient nécessaires – pour préserver les femmes du covid-19, avec des circuits dédiés, et pour ménager les ressources hospitalières. Je pense à la priorité donnée à la simplification de la prise en charge des IVG médicamenteuses en ville, étendue jusqu’à neuf semaines d’aménorrhée.
Les médecins généralistes, les médecins gynécologues et les sages-femmes de ville, ainsi que les centres de planification familiale, se sont mobilisés de manière remarquable pour permettre à toutes les femmes, notamment celles qui étaient isolées, en situation complexe, ou éloignées de notre système de santé, d’exercer leur droit à l’IVG dans les meilleures conditions de sécurité et de qualité.
Toujours dans cet objectif de garantir l’accès à l’IVG durant la période de confinement, la téléconsultation a démontré toute sa pertinence pour réaliser les consultations qui structurent le parcours d’IVG médicamenteuse en ville. Le circuit du médicament a ainsi été aménagé afin de permettre aux femmes de se procurer les pilules abortives directement en pharmacie.
Dans la période pour le moins difficile que nous vivons, la protection du droit à l’avortement est restée, et demeure toujours, une priorité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’une des questions majeures posées par cette proposition de loi est celle de savoir si l’extension du délai légal faciliterait l’accès à l’IVG.
Il faut commencer par examiner de près les raisons qui conduisent aujourd’hui des femmes à se retrouver hors délai. Selon le planning familial, ces raisons sont de deux ordres.
Il y a, tout d’abord, celles qui sont liées à l’organisation des services et des soins, au manque d’information, à l’accessibilité des services, aux délais de rendez-vous, au manque de professionnels, ou encore à l’utilisation de la clause de conscience de façon « sélective » par des médecins.
Il y a, ensuite, des raisons personnelles, comme le diagnostic tardif de la grossesse, les grossesses d’adolescentes qui n’osent pas en parler, le départ ou la rupture du partenaire, ou des situations de chômage ou de précarité qui rendent le projet parental fragile.
Il y a donc des raisons objectives liées à nos organisations et des raisons individuelles qui tiennent le plus souvent à des situations de vulnérabilité.
Nous avons là un premier état des lieux qui permet d’identifier nos lacunes et de renforcer nos dispositifs, pour rendre le droit à l’IVG plus accessible, donc plus effectif – je dirai aussi plus adapté aux besoins individuels de chaque femme et davantage respectueux de leurs choix.
Par ailleurs, au regard des enjeux, le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, a été saisi afin d’éclairer les débats. Il a rendu à la fin de l’année dernière un avis favorable à l’extension du délai légal de l’interruption volontaire de grossesse.
S’agissant maintenant de la clause de conscience, les résultats de l’enquête conduite en 2019 auprès des agences régionales de santé, les ARS, n’ont pas fait apparaître, au niveau national, de difficultés d’accès à l’IVG qui soient liées à l’opposition de la clause de conscience par les professionnels.
Sur ce point, la proposition de loi revêt une portée qui est, semble-t-il, essentiellement symbolique, même si ce symbole a son importance, puisqu’elle marque l’obligation pour le professionnel refusant de pratiquer une IVG d’accompagner la femme vers une offre qui lui permettra d’exercer son droit à l’avortement.
Le corollaire pratique de cette mesure doit donc rester le développement de l’offre d’IVG, sa mise en visibilité, l’instauration d’un véritable parcours pour les femmes souhaitant une IVG, la formation des professionnels et le rappel de leur obligation d’orientation des femmes vers des lieux de prise en charge adaptée, tout particulièrement s’agissant des situations d’IVG tardives.
J’ajouterai quelques mots, avant de conclure, sur la pratique de l’IVG instrumentale par les sages-femmes. Ouvrir une pleine compétence en orthogénie à ces professionnels de santé peut représenter une véritable chance pour renforcer l’accès des femmes à l’IVG en tout point du territoire.
Certains préalables sont néanmoins incontournables avant de généraliser à toutes les sages-femmes, et en tout lieu, cette nouvelle compétence, afin d’assurer, d’une part, une prise en charge de qualité des femmes et, d’autre part, des conditions d’exercice sécurisées pour les sages-femmes : permettre l’accès à une formation adaptée, comme c’est le cas pour les IVG médicamenteuses ; savoir à quelles femmes, en fonction de leur état de santé, cette offre de prise en charge doit s’adresser ; identifier les modalités de coopération en cas de survenue de complications.
L’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit la mise en place d’une expérimentation de l’extension des compétences des sages-femmes à l’IVG instrumentale et permettra de définir les conditions nécessaires pour assurer la qualité et la sécurité de cette expérimentation, avant de proposer sa généralisation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai suivi vos échanges en commission ; je comprends que nous n’aurons pas l’occasion de débattre de chacun des articles en raison du dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable, sans préjuger du sort qui lui sera réservé.
Sur cette question, peu importent les opinions politiques : il faut avancer sereinement, dans le respect des convictions de chacun.
Je l’ai dit en préambule, le sujet n’est pas anodin : c’est un vrai débat de société. Même si le débat d’aujourd’hui sera écourté, il est essentiel que la proposition de loi poursuive son chemin.