Intervention de Florence Lassarade

Réunion du 20 janvier 2021 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Florence LassaradeFlorence Lassarade :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1974, Simone Veil disait déjà que « l’avortement de convenance n’existe pas ». Le droit à l’avortement, c’est l’affirmation du droit des femmes à disposer de leur corps dans des conditions garantissant leur santé et leur sécurité.

Dans son discours de présentation du projet de loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse, Simone Veil soulignait aussi que « l’interruption de grossesse ne peut être que précoce, parce que ses risques physiques et psychiques, qui ne sont jamais nuls, deviennent trop sérieux après la fin de la dixième semaine qui suit la conception pour que l’on permette aux femmes de s’y exposer ».

Je rappelle que, du point de vue du droit, le fœtus n’est pas considéré comme une personne, mais que, en raison de sa nature, il ne peut être réduit à un objet. C’est pourquoi une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire. Cet avis est aussi celui du CCNE.

Le délai légal de recours à l’avortement a été allongé à douze semaines de grossesse en 2001. Plusieurs lois ont depuis lors renforcé le droit à l’avortement.

En 2019, le nombre d’IVG en France s’élevait à 232 244 ; on observe même une légère augmentation par rapport aux années précédentes. Ainsi, c’est environ une grossesse sur quatre qui a été interrompue volontairement.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit en premier lieu d’allonger le délai de recours à l’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines de grossesse.

La moitié des IVG réalisées en 2019 concerne des grossesses de moins de six semaines. Les IVG réalisées durant les deux dernières semaines du délai légal correspondent à 5, 3 % de l’ensemble des IVG, soit 12 000 en 2019.

Selon le CCNE, il y aurait entre 1 500 et 2 000 femmes qui feraient chaque année le déplacement dans d’autres pays européens pour pratiquer des IVG hors délai. C’est moitié moins que les 3 000 à 5 000 femmes mentionnées dans l’exposé des motifs de la proposition de loi et moitié moins que ce qu’affirment un certain nombre d’associations.

Par ailleurs, le palier de douze semaines de grossesse n’a pas été déterminé par hasard. C’est à cette période que l’embryon devient un fœtus.

À quatorze semaines, le fœtus mesure plus de dix centimètres et se meut. Il a un crâne ; ses principaux organes sont formés ; l’audition et les connexions neuronales sont développées, et l’on a 99 % de chances de déterminer son sexe.

Dans ces conditions, le geste médical pour pratiquer une IVG au-delà de douze semaines n’est plus le même. Le professeur Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, explique : « La tête du fœtus est ossifiée et il faut l’écraser. Le geste lui-même est donc terrible pour celui qui le fait et pour la patiente. Au sein du Collège, j’ai soumis quatre fois au vote cette mesure d’allongement des délais de deux semaines, et elle a chaque fois été refusée à 100 % des votants. »

Pour une IVG pratiquée après douze semaines, le geste médical n’est plus le même et le protocole doit être révisé en raison des risques importants que court la femme. Une IVG est une urgence médicale. C’est la prise en charge de cette urgence que nous devons améliorer.

Or les inégalités territoriales dans l’accès à l’IVG se sont accentuées au cours des quinze dernières années ; le nombre d’établissements réalisant une activité d’IVG a diminué de 22 %, notamment dans le secteur privé.

Dans un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, parmi les facteurs responsables de cette diminution, sont mentionnés l’impact des restructurations hospitalières, la fermeture d’hôpitaux de proximité, en particulier de maternités, mais également le refus de certains établissements de pratiquer un acte jugé peu rentable.

Monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, ne serait-il pas préférable de donner davantage de force au droit existant, en poursuivant nos efforts pour assurer une offre réelle et accessible de façon permanente afin de répondre aux besoins des femmes sur l’ensemble du territoire ?

L’allongement du délai d’IVG ne saurait être la solution pour pallier les déficiences de notre politique de santé reproductive, qui ne garantit pas suffisamment la prise en charge précoce des IVG.

Ensuite, l’article 1er ter de cette proposition de loi demande la suppression du délai de deux jours que la femme enceinte doit observer à l’issue de l’entretien psychosocial, dans le cas où elle accepte de recevoir un tel entretien, et avant de confirmer par écrit son souhait de recourir à une IVG. L’argument avancé est que cette suppression permettrait de fluidifier le parcours des femmes.

Or je rappelle que ce délai de réflexion ne s’impose que si la femme accepte l’entretien psychosocial. Recourir à une IVG n’est pas une décision facile à prendre. Il faut laisser cette possibilité aux femmes d’avoir un délai de réflexion quand elles le souhaitent.

Cette disposition existe parce qu’elle est garante d’une procédure qui n’est pas anodine. J’estime que la réflexion doit l’emporter sur la fluidification du parcours !

L’article 2 tend à supprimer la double clause de conscience dont bénéficient les praticiens. L’argument avancé consiste à dire qu’il existe déjà une clause réglementaire et que l’existence de cette clause légale est vécue comme une humiliation par les femmes qui recourent à l’IVG.

Cette clause est spécifique à l’IVG et ne concerne aucun autre acte médical. Pourquoi ? Parce que l’IVG n’est ni un acte anodin ni un acte de soin ordinaire pour les femmes qui y recourent ainsi que pour les praticiens. C’est pourquoi nous souhaitons conserver cette liberté. Cette clause empêche-t-elle les IVG ? Non, comme le montre le nombre d’IVG pratiquées chaque année en France.

Enfin, si le délai est allongé à quatorze semaines, un plus grand nombre de médecins et de sages-femmes refuseront de pratiquer l’IVG en raison du geste médical plus difficile et des risques de complications plus importants. Concrètement, cette mesure, si elle était adoptée, pourrait freiner une amélioration de la prise en charge des demandes.

Par conséquent, le groupe Les Républicains ne votera pas les mesures présentées dans la proposition de loi, car elles ne permettront pas réellement d’améliorer l’accès à l’IVG. Aujourd’hui, l’enjeu est celui d’une politique de santé sexuelle et reproductive efficace. Nous avons besoin d’une vraie politique de santé publique en matière de prévention et d’information sur la contraception, ainsi que sur l’IVG.

Il nous faut une politique volontariste, qui permette d’améliorer l’accessibilité à l’IVG sur l’ensemble du territoire. Entre la demande d’IVG et sa réalisation, il s’écoule souvent près de sept jours ; il faut réussir à réduire ce délai. Le droit des femmes sera davantage respecté par une prise en charge dans des délais courts induisant moins de complications.

Pour cela, l’offre médicale en matière d’accès à l’IVG, quelle que soit la technique utilisée, doit être augmentée en France, et des moyens pérennes et dédiés doivent être donnés aux structures qui s’engagent à réaliser les IVG.

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