Intervention de Xavier Iacovelli

Réunion du 20 janvier 2021 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Xavier IacovelliXavier Iacovelli :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’avortement, dépénalisé et légalisé voilà plus de quarante-cinq ans, est devenu un droit qui fait, depuis plusieurs années, l’objet d’attaques répétées, en Europe et partout dans le monde.

Ces attaques, qui se traduisent bien souvent par des tentatives de culpabilisation des femmes, démontrent que ce droit reste fragile, contesté, et qu’il nous appartient de le protéger et d’en garantir l’effectivité.

« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame », disait Simone Veil, à la tribune de l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974.

Pourtant, près d’un demi-siècle plus tard, on constate que de nombreux freins rendent difficile l’accès à l’IVG pour les femmes se trouvant à la limite du délai légal ou vivant dans des territoires où les professionnels de santé pratiquant l’IVG se font rares.

Il convient de rappeler les chiffres : en 2019, quelque 232 200 avortements ont eu lieu sur notre territoire ; c’est le chiffre le plus élevé depuis 2001. Chaque année, entre 1 000 et 4 000 femmes, selon les sources, sont contraintes d’avorter à l’étranger en raison du dépassement du délai légal de douze semaines de grossesse et 5 % des IVG sont pratiquées chaque année, en France, entre la dixième et la douzième semaine. Ce chiffre atteint même 16, 7 % à Mayotte, ce qui démontre les importantes disparités sur notre territoire.

Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, les IVG dites « tardives » touchent particulièrement les plus jeunes – elles représentent 10, 5 % des IVG chez les mineures, 8, 5 % chez les 18-19 ans et 6, 6 % chez les 20-24 ans –, révélant ainsi des parcours plus longs ou une prise en compte plus tardive de leur grossesse.

Si certains pays, comme la Pologne, n’autorisent l’IVG qu’en cas de viol, d’inceste, de danger pour la mère ou de malformation grave du fœtus, plusieurs de nos voisins européens ont des délais plus étendus que la France : quatorze semaines en Espagne, dix-huit en Suède, vingt-deux aux Pays-Bas et même vingt-quatre semaines au Royaume-Uni.

Notre rôle, mes chers collègues, est d’entendre le cri d’alerte venu des associations et des professionnels de santé sur les nombreux freins qui persistent en matière d’accès à l’IVG. L’allongement de deux semaines des délais légaux permettrait en partie de répondre à la situation de femmes se trouvant proches du délai limite pour avorter et n’ayant d’autre recours que celui de partir à l’étranger.

À cet égard, je rappelle que le Comité consultatif national d’éthique a estimé, le 11 décembre dernier, que, en « fondant sa réflexion sur les principes d’autonomie, de bienfaisance, d’équité et de non-malfaisance à l’égard des femmes, [il n’y avait] pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines, passant ainsi de douze à quatorze semaines de grossesse. »

Le même avis a été donné dans un rapport, adopté à l’unanimité par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier, qui indiquait qu’il était souhaitable d’allonger ce délai si les professionnels étaient formés pour pratiquer cet acte.

Étendre les compétences des sages-femmes pour leur permettre de pratiquer des IVG instrumentales jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse constitue ainsi une avancée notoire. Il est en effet essentiel de renforcer l’offre médicale sur l’ensemble de notre territoire, qui présente d’importantes disparités ; je pense notamment aux territoires d’outre-mer.

Par ailleurs, l’amendement adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale visant à supprimer le délai de 48 heures de réflexion en cas d’entretien psychosocial, comme c’était préconisé dans le rapport de la délégation aux droits des femmes, permettra de fluidifier le parcours d’IVG.

Cette disposition, soutenue par les professionnels et par les acteurs de terrain, répond à la nécessité de mettre en œuvre un parcours d’IVG simplifié et accéléré pour toutes les femmes qui souhaitent y avoir recours.

La possibilité de sanctionner un pharmacien qui refuse la délivrance d’un contraceptif d’urgence me paraît une mesure de bon sens, allant vers une meilleure protection du droit des femmes à disposer de leur corps.

Enfin, ce texte supprime, à l’article 2, la clause de conscience spécifique à l’IVG. Il ne s’agit pas là de supprimer purement et simplement la clause de conscience, puisqu’une clause de conscience générale existe dans notre droit ; celle-ci suffit largement pour permettre à un médecin de ne pas pratiquer une IVG, sans avoir à en donner les motifs. Cette double clause de conscience, qui fait de l’IVG un acte à part, est source de stigmatisation pour les femmes qui souhaitent y avoir recours. Sa suppression à l’échelon législatif semble donc bienvenue.

La Drees, qui, en 2020, a pu analyser, pour la première fois, le recours à l’IVG selon la situation sociale, a démontré que les femmes aux revenus les plus faibles avaient plus souvent recours à l’IVG. Par ailleurs, chaque année, près de 1 000 jeunes filles de 12 à 14 ans tombent enceintes et 770 de ces grossesses se concluent par une IVG.

Il est donc nécessaire de mener une politique ambitieuse en matière d’accès à l’information et à la contraception pour toutes les femmes. L’entrée en vigueur de la prise en charge à 100 % de la contraception pour les jeunes filles de moins de 15 ans, depuis le 28 août 2020, traduit la volonté du Gouvernement et de sa majorité en la matière.

Je le rappelle, pour les jeunes filles ayant entre 15 et 18 ans, qui ont déjà accès à une contraception gratuite, le taux de recours à l’IVG a nettement baissé, puisqu’il est passé de 9, 5 pour mille à 6 pour mille entre 2012 et 2018.

Ainsi, les membres du groupe RDPI seront libres de leur vote, qu’ils détermineront en leur âme et conscience, sur cette proposition de loi, laquelle a le mérite de poser un débat crucial et d’identifier des pistes de réflexion intéressantes pour limiter les freins à l’accès à l’IVG. Je regrette que l’on ne puisse avoir un débat plus large sur les articles du texte – ma collègue Nadège Havet y reviendra – et une discussion de fond sur cette question, qui touche 50 % de la population française.

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