Intervention de Pierre Charon

Réunion du 20 janvier 2021 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Pierre CharonPierre Charon :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, toutes les femmes doivent pouvoir décider si elles souhaitent devenir mères ou non. La loi Veil était indispensable et elle a atteint ses objectifs.

Permettre un accès à l’avortement dans la période de crise sanitaire que nous traversons est un droit que nous devons préserver et garantir à chaque femme.

Toutefois, doit-on répondre à la crise sanitaire par un allongement des délais d’IVG ? Chaque année, des femmes seraient obligées de se rendre à l’étranger parce qu’elles dépasseraient le délai légal. Aucun rapport, aucune étude ou analyse fiable sur ces chiffres n’est disponible, mais ce phénomène existe tout de même.

L’allongement du délai légal est, avant tout, l’aveu d’un échec collectif d’une politique sanitaire conduite depuis de nombreuses années en matière d’avortement.

D’après les chiffres du ministère des solidarités et de la santé, le nombre d’IVG en France a atteint son niveau le plus haut depuis trente ans : en 2019, la France enregistre 232 000 IVG.

Ce constat est d’autant plus accablant si on le compare avec la situation des autres pays européens. Selon l’Institut européen de bioéthique, le taux de recours à l’avortement est de 15, 6 pour 1 000 en France, 10 en Espagne, 11 au Danemark, 8 aux Pays-Bas, 5 en Italie et 4, 4 en Allemagne. Pourtant, la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a fait évoluer l’offre de soins en matière d’IVG et tenté de réduire les inégalités d’accès.

Ne serait-il pas souhaitable, en fin de compte, de mieux informer les patientes sur les délais légaux, d’assurer davantage de prévention et, surtout, de donner vraiment aux femmes la liberté de choisir la méthode et les conditions ?

Il y a quelques mois, le Conseil national de l’ordre des sages-femmes, dans une contribution à l’accès à l’IVG en France, notait « L’accès à l’IVG dans les douze semaines doit être réellement effectif en devenant un véritable droit opposable. Cela permettra de réduire les IVG tardives et les dépassements du délai légal ». Ce serait une erreur de penser que toutes les questions éthiques ont été examinées par le passé. N’y a-t-il vraiment aucune différence entre une IVG réalisée à dix, douze ou quatorze semaines de grossesse ?

Oui, ces deux semaines sont fondamentales puisqu’il s’agit du passage de l’embryon au fœtus, comme l’a rappelé Florence Lassarade. L’IVG devient plus difficile d’un point de vue technique, mais aussi psychologique.

C’est pour cette raison que l’Académie de médecine s’est officiellement prononcée contre l’allongement des délais. L’IVG ne peut pas être considérée comme un soin comme un autre, et les praticiens doivent pouvoir conserver la double clause de conscience.

Le Conseil national de l’ordre des médecins lui-même est inquiet de voir cette évolution législative se traduire par un affaiblissement du principe même de clause de conscience. Ce dernier a contribué au juste équilibre établi par la loi Veil. Aucun gouvernement n’a souhaité revenir sur cet équilibre, même en 2016. Je souhaite que nous conservions cette double liberté aux professionnels de santé.

Avant de conclure, permettez-moi une digression. Un amendement a été adopté par l’Assemblée nationale en juillet dernier dans la loi bioéthique concernant l’interruption médicale de grossesse, l’IMG. À la différence de l’IVG, l’IMG est un avortement médical qui peut être effectué à tout moment, au-delà des douze semaines légales et dans des conditions strictes.

Cet amendement tend à introduire dans le texte la possibilité d’avorter lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, mais que ce péril résulte « d’une détresse psychosociale ».

Cet amendement a suscité, en juillet dernier, le trouble dans l’opinion. L’idée qu’un avortement puisse avoir lieu jusqu’à neuf mois sur ce fondement est insupportable, puisqu’il porte atteinte à la dignité et au respect de l’être humain, et je vous fais grâce des techniques qui devraient être employées pour procéder à cette IMG.

Cet amendement a d’ailleurs été adopté en dépit d’un avis défavorable du rapporteur qui s’interrogeait, en séance, comme le secrétaire d’État, M. Taquet, sur la difficulté de décrire la « détresse psychosociale » d’une femme. Je souhaite que nous puissions revenir sur cet amendement inutile, dangereux et, j’ose le dire, honteux.

Je crois que nous sommes en train d’assister, dans notre pays, à une dérive dans notre pratique des IVG. Il faut que nous trouvions, ensemble, les moyens de réduire le nombre d’IVG pratiquées en France, qui est l’un des plus élevés d’Europe.

Pour l’ensemble de ces raisons, je voterai la question préalable.

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