Intervention de Corinne Imbert

Réunion du 20 janvier 2021 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Question préalable

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous venons d’entendre la discussion générale concernant la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement.

Comme l’ont rappelé mes collègues, cette proposition de loi issue de l’Assemblée nationale affiche plusieurs objectifs, parmi lesquels l’allongement du délai légal d’accès à l’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines, soit seize semaines d’aménorrhée, la suppression de la double clause de conscience spécifique à l’IVG, l’extension de la compétence des sages-femmes en matière d’IVG, en permettant à ces dernières de pratiquer les interruptions volontaires de grossesse par voie chirurgicale jusqu’à la dixième semaine de grossesse, ou encore la suppression du délai de réflexion de deux jours pour confirmer une demande d’IVG en cas d’entretien psychosocial préalable.

Cette proposition de loi souhaite répondre à des situations dont tout le monde reconnaît qu’elles sont limitées en nombre, puisque ce sont plus de 230 000 interruptions volontaires de grossesse qui ont été réalisées en France en 2019, représentant environ une grossesse sur quatre, alors que, selon le CCNE, 1 500 à 2 000 femmes auraient été contraintes de partir à l’étranger pour avorter.

Toutefois, ce sont donc aussi 95 % de femmes qui ont recours à I’IVG en France avant la dixième semaine de grossesse. Ne croyez pas, mes chers collègues, que l’adoption de cette proposition de loi lèverait les difficultés que peuvent rencontrer certaines femmes et que vous avez été nombreux à évoquer à cette tribune.

Parmi les points de vigilance, force est de constater que le nombre d’établissements de santé pratiquant l’IVG s’est réduit depuis vingt ans. La question des moyens reste entière, car elle conduirait, si ces derniers sont insuffisants, à des délais trop longs de prise en charge.

Le nombre important d’IVG dans notre pays est la preuve que c’est un droit fondamental pour beaucoup de femmes, mais il doit aussi nous interroger sur le déficit d’information – notamment en milieu scolaire, mais pas seulement – puisque la majorité des femmes qui ont recours à l’IVG ont entre 19 ans et 29 ans.

De manière à lever toute ambiguïté concernant les intentions de cette motion tendant à opposer la question préalable que je présente au nom du groupe Les Républicains, je tiens à rappeler et à réaffirmer que cette proposition de loi n’a pas vocation à opposer les pro et les antiavortement. Je salue, à cet égard, le débat apaisé que nous avons eu en commission.

La position que nous défendons sur ce texte, en proposant cette motion, ne doit en aucun cas être perçue ou interprétée comme une remise en cause de la loi Veil. Nous sommes très attachés à cette loi dont nous avons célébré, le 17 janvier dernier, le quarante-sixième anniversaire de la promulgation. Aussi, je m’attarderai uniquement sur ce texte, sur ce qu’il contient et sur ce qu’il modifie par rapport au droit existant.

L’article 1er de cette proposition de loi prévoit l’allongement des délais légaux d’accès à l’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines, soit seize semaines d’aménorrhée. Cet allongement n’est pas sans poser de nombreuses questions du point de vue médical, ainsi que du point de vue éthique.

Tout avortement présente, par essence, des risques pour la femme. Allonger le délai d’interruption de grossesse augmente les risques de complications chez la femme, ainsi que pour les éventuelles futures grossesses.

Sur le plan médical, une proportion importante de gynécologues obstétriciens s’est prononcée défavorablement à l’allongement du délai de recours à l’avortement, craignant « des manœuvres chirurgicales qui peuvent être dangereuses pour les femmes ».

L’Académie de médecine affirme également que cet allongement entraînera inéluctablement une augmentation significative de complications à court ou à long terme. L’allongement du délai à seize semaines d’aménorrhée ne répond à aucune demande d’une majorité des femmes, qui espèrent, au contraire, une prise en charge plus rapide.

L’argument régulièrement mis en avant pour justifier cet allongement du délai légal de l’IVG est que, face aux difficultés rencontrées par les femmes sur le territoire français, il s’agirait d’un début de réponse. Prétendre régler un problème d’accès aux soins en allongeant le délai légal de l’IVG me semble être une erreur d’appréciation !

Au contraire, il est fondamental de se concentrer sur l’essence même de ce problème et de proposer des solutions qui permettront de le régler sur le temps long, à savoir renforcer l’offre de soins sur nos territoires.

Je tiens aussi à rappeler que les femmes ayant recours à l’IVG après la douzième semaine de grossesse ne le font pas uniquement par manque d’accès aux soins. La prévention me paraît, plus que jamais, nécessaire en matière de contraception.

Aussi, il est fondamental que les différents acteurs de terrain renforcent la prévention en sensibilisant de manière accrue les jeunes dans le cadre scolaire, mais également avec les professionnels de santé ou dans le cadre d’associations dédiées, afin de toucher un public plus large de filles et de garçons.

Une meilleure prévention, une meilleure information et des moyens pour offrir une réponse de quelques jours à la femme qui souhaite avorter, parce que l’IVG est une urgence, tels sont les enjeux qui sont devant nous. Le droit à l’IVG est un acquis fondamental pour les femmes. À nous de répondre à ces enjeux, pour qu’il puisse s’exercer pour toutes les femmes, plutôt que d’allonger un délai.

La deuxième mesure importante de ce texte vise à supprimer la double clause de conscience spécifique à l’IVG. Comme cela a été rappelé dans les interventions précédentes, cette clause fait partie du texte originel défendu par Simone Veil, permet à tout médecin de refuser de pratiquer une interruption volontaire de grossesse pour des raisons morales et vient s’ajouter à la clause de conscience générale dont dispose le corps médical.

D’une part, le Comité consultatif national d’éthique, dans son opinion du 11 décembre dernier en réponse à une saisine du ministre des solidarités et de la santé, rappelle que « la pratique d’une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire » et que la clause de conscience spécifique prévue par l’article L. 2212-8 du code de la santé publique « en souligne la singularité ». Le CCNE est donc est donc « favorable au maintien de la clause de conscience spécifique ».

D’autre part, il est probable que le rallongement de deux semaines conduirait un certain nombre de praticiens à refuser de pratiquer une interruption volontaire de grossesse.

À ceux qui avanceront que cette clause était une clause de compromis permettant à Simone Veil de faire voter sa loi, acceptons que, en 2021, elle reste un compromis, car, une fois encore, l’IVG n’est pas un acte médical ordinaire, encore moins à seize semaines d’aménorrhée.

L’article 1er bis de la présente proposition de loi étend la compétence des sages-femmes en matière d’interruption volontaire de grossesse en leur permettant également de pratiquer des IVG par voie chirurgicale jusqu’à la dixième semaine grossesse.

Je tiens simplement à rappeler que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 a acté la mise en place d’une expérimentation pour une durée de trois ans visant à permettre aux sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales en établissements de santé, sans limite de délais, moyennant une formation complémentaire obligatoire.

Même si je n’ignore pas que la proposition de loi a été votée avant l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale à l’Assemblée nationale, en raison de l’importance d’une telle décision, cette phase d’expérimentation nous paraît plus sage et plus adaptée.

Enfin, ce texte entend supprimer le délai de réflexion de deux jours pour confirmer une demande d’IVG en cas d’entretien psychosocial préalable. Encore une fois, l’avortement n’est pas une décision facile. Cette décision marque les femmes qui y ont recours. S’il est un droit fondamental pour toutes les femmes de notre pays, il est nécessaire de conserver ce délai.

Dans son discours à l’Assemblée nationale, Simone Veil affirmait : « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. » Quelque quarante-six ans plus tard, ces propos font toujours écho. Écouter les femmes, leur faire confiance et mieux les accompagner est un défi qui nous concerne tous. C’est un défi plus ambitieux, me semble-t-il, que d’allonger de deux semaines le délai légal d’accès à l’IVG.

Par le vote de cette motion tendant à opposer la question préalable, le groupe Les Républicains entend ainsi rappeler son attachement au droit existant. Ce point d’équilibre, fruit de la concertation et du débat, doit être protégé afin de ne pas dénaturer ce qui fait l’essence même du droit à l’avortement : « l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue ».

Mes chers collègues, parce que des améliorations peuvent être apportées à la question de la prise en charge des femmes souhaitant une IVG dans notre pays par le simple respect de la loi en vigueur, le groupe Les Républicains vous propose donc d’adopter la motion tendant à opposer la question préalable.

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