Notre profession a tenu un même message depuis mars : il n'y aurait ni tsunami ni de raz-de-marée, compte tenu de la puissance de la réponse publique. Et effectivement, en 2020, le nombre d'ouvertures de procédures a diminué de 40 % par rapport à 2019. Au-delà des aides d'État, l'administration a accordé beaucoup plus facilement des moratoires et a beaucoup moins assigné les entreprises. Or les assignations représentent en moyenne 25 % des ouvertures de procédures collectives : cela a donc contribué à la baisse du nombre d'ouvertures. Le nombre d'immatriculations d'entreprises a augmenté par rapport à 2019 et la France conserve un taux de défaillances d'entreprises stable autour de 1 ou 1,5 %.
Le très bon rapport du Conseil d'analyse économique évoque une « zombification » ou une « hibernation » des entreprises. L'hibernation est un bon terme qui reflète bien la réalité du terrain : c'est une méthode naturelle qui a fait ses preuves...
De quels indicateurs disposons-nous ? Depuis la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, la direction générale des entreprises du ministère de l'économie, des finances et de la relance dispose d'un algorithme très puissant qui recueille les signaux faibles - inscriptions de privilèges, défauts de paiement, cotations Fiben, etc. Ces critères, extrêmement pertinents, sont partagés par les commissaires aux restructurations et prévention des difficultés des entreprises (CRP) pour prévenir les difficultés et constater les situations de défaillances. Notre Conseil national dispose aussi d'un observatoire des procédures collectives, dont nous mettons les données à la disposition de nos partenaires. Tous ces outils nous permettront, je l'espère, d'être assez prédictifs sur les difficultés rencontrées par les entreprises dans nos régions.
Qui sont les praticiens des faillites ? Nous sommes 450 professionnels et 5 000 collaborateurs exclusivement dédiés au traitement des procédures collectives. Il y a eu 52 000 procédures collectives en 2019 et 30 000 en 2020 : on est loin des 65 000 des années de crise 2008-2015 ! Depuis, la profession a augmenté d'environ 20 % et a gagné en efficacité : elle est aujourd'hui pleinement en mesure de répondre.
Les PME-TPE sont-elles suffisamment informées sur les procédures collectives ? Je ne le pense pas. Les mesures sont encore trop méconnues, mais nous portons notre part de responsabilité. Comment mieux communiquer sur cette boîte à outils ? M. le président Richelme s'est vu confier une mission sur ce sujet par le Gouvernement. Les ordonnances prises en urgence ont mis en place des mesures intéressantes. Je pense notamment à l'article 2 de l'ordonnance du 20 mai 2020 qui permet au président d'une juridiction de décaler une dette d'un créancier sans mise en demeure, ce qui permet d'accorder au débiteur deux ans de franchise. Je pense aussi à l'article 5 de la même ordonnance qui autorise la prolongation des plans de redressement et de sauvegarde jusqu'à deux ans. Nous sommes attentifs à l'application de ces mesures, notamment en veillant à ne pas mettre les créanciers à leur tour en difficulté.
Les audiences et échanges en visioconférence ont constitué une mesure redoutablement efficace : sans la généraliser, il convient de la pérenniser et de l'adapter à certaines procédures comme les procédures collectives.
La transposition de la directive est une opportunité pour la France, afin qu'elle devienne un modèle européen du restructuring. Elle pose la question très politique de l'équilibre entre le débiteur et le créancier. Il existe un risque que nous migrions vers un modèle anglo-saxon avec un contrôle des défaillances d'entreprises par les créanciers ; or nous constatons d'expérience que ce modèle n'est pas pérenne pour les entreprises. À quoi sert le droit des entreprises en difficulté : à protéger les entreprises pour leur contribution à la prospérité ou à indemniser les créanciers ? Qui doit avoir le pouvoir : le juge garant de l'intérêt général ou le créancier victime d'un impayé ? Deux arbitrages devront être réalisés dans la transposition : qui présente le plan de sauvegarde ? Selon nous, cela doit être l'entreprise pour que l'entrepreneur se sente protégé. Et que se passe-t-il en cas d'échec de la négociation ? Aujourd'hui, c'est le tribunal qui a la main, et nous pensons qu'il ne faut pas donner le pouvoir exclusivement aux seuls créanciers.
Même avec un remboursement décalé d'un an, le PGE ne doit pas étouffer les entreprises. La question de sa conversion en quasi-fonds propres se pose.
Nous sommes très inquiets de la question des baux commerciaux et notamment des petits fonds de commerce de centre-ville, comme les restaurants. Il faut une communication politique pour demander aux bailleurs de prendre part à l'effort collectif. Les mesures de prévention permettent de décaler leurs créances, mais il faut aller plus loin, car l'absence de versement du loyer, c'est la perte du droit au bail et donc la perte du fonds de commerce.
D'autres mesures législatives pourraient être envisagées comme un suramortissement fiscal des investissements, le relèvement des plafonds de réduction d'impôt pour les investissements ou encore la conversion des PGE que je viens d'évoquer.
Nous disposons d'une boîte à outils. Certaines mesures mériteront d'être pérennisées et intégrées dans la loi, je pense notamment au renforcement de la conciliation et de la visioconférence.