Je salue nos collègues présents, ainsi que ceux qui sont reliés à nous par visioconférence, et également notre collègue Thani Mohamed Soihili qui représente notre commission des Lois. Nos échanges sont retransmis en direct par Public Sénat et suivis par de nombreux journalistes économiques.
Depuis le début de la session parlementaire, notre délégation a entendu de nombreux représentants du monde économique pour prendre la mesure de la crise et contribuer à éclairer l'avenir. L'évolution actuelle de la pandémie assombrit les perspectives du premier semestre 2021 et nous sommes particulièrement inquiets pour les TPE-PME qui ne parviennent plus à se projeter dans les prochains mois. Selon une enquête récemment publiée par Initiative France, près des deux tiers des entrepreneurs ayant lancé leur activité depuis moins de cinq ans, se disent gravement ou assez gravement touchés, et 27 % ne savent pas s'ils pourront poursuivre leur activité en 2021 : ces chiffres donnent le tournis ! La semaine dernière, la commission des affaires économiques du Sénat a entendu les auteurs d'Économie post-covid, Patrick Artus et Olivier Pastré, qui évoquaient un « bain de sang »... On parle beaucoup de relance, mais c'est aussi de survie dont il est question !
Dans ce contexte, il m'a semblé essentiel de réunir rapidement les représentants d'acteurs qui peuvent aujourd'hui apporter une analyse de la situation et formuler des propositions pour appréhender la question des défaillances d'entreprises, véritable épée de Damoclès à court terme, pour l'économie et pour l'emploi dans notre pays.
Même si les mesures mises en oeuvre par le Gouvernement ont été globalement saluées, de plus en plus de témoignages laissent penser, par exemple, que bon nombre de bénéficiaires du prêt garanti par l'État (PGE) ne rembourseront jamais ce prêt. Sommes-nous préparés à un tel scénario quand on sait que 635 000 entreprises en sont bénéficiaires - dont 94 % de TPE-PME - pour 128 milliards d'euros de prêts accordés ?
Souplesse et simplification des procédures ont été introduites par voie d'ordonnances en matière de droit des entreprises en difficulté. Si cette adaptation est plébiscitée par les entreprises et les praticiens du droit, la question de sa pérennisation à la sortie de crise se posera. Et doit-on aujourd'hui envisager d'autres mesures ?
Il est de notre devoir de nous poser les bonnes questions afin d'éviter que la période « d'hibernation des défaillances d'entreprises », pour reprendre l'expression du Conseil d'analyse économique, ne se transforme en un phénomène de faillites en cascade qui emporterait les entreprises les plus vertueuses ayant, en temps normal, de bons fondamentaux. Nous, parlementaires, sommes en contact permanent avec des entreprises en difficulté sur nos territoires.
Pour en débattre, nous recevons M. Georges Richelme, président de la Conférence générale des tribunaux de commerce ; Me Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), accompagné de Me Frédéric Abitbol, vice-président et de M. Alain Damais, directeur général ; Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française et de l'Association nationale des banques ; M. Pierre Goguet, président des Chambres de commerce et d'industrie (CCI France) ; M. Joël Fourny, président des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA France) ; Mme Stéphanie Pauzat, vice-présidente déléguée de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ; M. Patrick Martin, président délégué du Mouvement des entreprises de France (Medef), accompagné de Mme Joëlle Simon, directrice générale adjointe chargée des questions juridiques et de Mme Christine Lepage, responsable du pôle Économie ; et M. Laurent Munerot, vice-président de l'Union des entreprises de proximité (U2P).
Notre profession a tenu un même message depuis mars : il n'y aurait ni tsunami ni de raz-de-marée, compte tenu de la puissance de la réponse publique. Et effectivement, en 2020, le nombre d'ouvertures de procédures a diminué de 40 % par rapport à 2019. Au-delà des aides d'État, l'administration a accordé beaucoup plus facilement des moratoires et a beaucoup moins assigné les entreprises. Or les assignations représentent en moyenne 25 % des ouvertures de procédures collectives : cela a donc contribué à la baisse du nombre d'ouvertures. Le nombre d'immatriculations d'entreprises a augmenté par rapport à 2019 et la France conserve un taux de défaillances d'entreprises stable autour de 1 ou 1,5 %.
Le très bon rapport du Conseil d'analyse économique évoque une « zombification » ou une « hibernation » des entreprises. L'hibernation est un bon terme qui reflète bien la réalité du terrain : c'est une méthode naturelle qui a fait ses preuves...
De quels indicateurs disposons-nous ? Depuis la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, la direction générale des entreprises du ministère de l'économie, des finances et de la relance dispose d'un algorithme très puissant qui recueille les signaux faibles - inscriptions de privilèges, défauts de paiement, cotations Fiben, etc. Ces critères, extrêmement pertinents, sont partagés par les commissaires aux restructurations et prévention des difficultés des entreprises (CRP) pour prévenir les difficultés et constater les situations de défaillances. Notre Conseil national dispose aussi d'un observatoire des procédures collectives, dont nous mettons les données à la disposition de nos partenaires. Tous ces outils nous permettront, je l'espère, d'être assez prédictifs sur les difficultés rencontrées par les entreprises dans nos régions.
Qui sont les praticiens des faillites ? Nous sommes 450 professionnels et 5 000 collaborateurs exclusivement dédiés au traitement des procédures collectives. Il y a eu 52 000 procédures collectives en 2019 et 30 000 en 2020 : on est loin des 65 000 des années de crise 2008-2015 ! Depuis, la profession a augmenté d'environ 20 % et a gagné en efficacité : elle est aujourd'hui pleinement en mesure de répondre.
Les PME-TPE sont-elles suffisamment informées sur les procédures collectives ? Je ne le pense pas. Les mesures sont encore trop méconnues, mais nous portons notre part de responsabilité. Comment mieux communiquer sur cette boîte à outils ? M. le président Richelme s'est vu confier une mission sur ce sujet par le Gouvernement. Les ordonnances prises en urgence ont mis en place des mesures intéressantes. Je pense notamment à l'article 2 de l'ordonnance du 20 mai 2020 qui permet au président d'une juridiction de décaler une dette d'un créancier sans mise en demeure, ce qui permet d'accorder au débiteur deux ans de franchise. Je pense aussi à l'article 5 de la même ordonnance qui autorise la prolongation des plans de redressement et de sauvegarde jusqu'à deux ans. Nous sommes attentifs à l'application de ces mesures, notamment en veillant à ne pas mettre les créanciers à leur tour en difficulté.
Les audiences et échanges en visioconférence ont constitué une mesure redoutablement efficace : sans la généraliser, il convient de la pérenniser et de l'adapter à certaines procédures comme les procédures collectives.
La transposition de la directive est une opportunité pour la France, afin qu'elle devienne un modèle européen du restructuring. Elle pose la question très politique de l'équilibre entre le débiteur et le créancier. Il existe un risque que nous migrions vers un modèle anglo-saxon avec un contrôle des défaillances d'entreprises par les créanciers ; or nous constatons d'expérience que ce modèle n'est pas pérenne pour les entreprises. À quoi sert le droit des entreprises en difficulté : à protéger les entreprises pour leur contribution à la prospérité ou à indemniser les créanciers ? Qui doit avoir le pouvoir : le juge garant de l'intérêt général ou le créancier victime d'un impayé ? Deux arbitrages devront être réalisés dans la transposition : qui présente le plan de sauvegarde ? Selon nous, cela doit être l'entreprise pour que l'entrepreneur se sente protégé. Et que se passe-t-il en cas d'échec de la négociation ? Aujourd'hui, c'est le tribunal qui a la main, et nous pensons qu'il ne faut pas donner le pouvoir exclusivement aux seuls créanciers.
Même avec un remboursement décalé d'un an, le PGE ne doit pas étouffer les entreprises. La question de sa conversion en quasi-fonds propres se pose.
Nous sommes très inquiets de la question des baux commerciaux et notamment des petits fonds de commerce de centre-ville, comme les restaurants. Il faut une communication politique pour demander aux bailleurs de prendre part à l'effort collectif. Les mesures de prévention permettent de décaler leurs créances, mais il faut aller plus loin, car l'absence de versement du loyer, c'est la perte du droit au bail et donc la perte du fonds de commerce.
D'autres mesures législatives pourraient être envisagées comme un suramortissement fiscal des investissements, le relèvement des plafonds de réduction d'impôt pour les investissements ou encore la conversion des PGE que je viens d'évoquer.
Nous disposons d'une boîte à outils. Certaines mesures mériteront d'être pérennisées et intégrées dans la loi, je pense notamment au renforcement de la conciliation et de la visioconférence.
Nous travaillons sur la même matière que les administrateurs et les mandataires judiciaires : beaucoup a donc déjà été dit et bien dit par Me Basse.
En temps normal, chaque année, 45 000 procédures collectives sont ouvertes devant les tribunaux de commerce et 5 000 devant les tribunaux judiciaires - qui concernent notamment les agriculteurs. En 2020, nous avons assisté à une forte diminution du nombre de défaillances d'entreprises de l'ordre de - 38 à - 45 %.
N'oublions pas que la faillite n'existe plus en droit français, sauf en tant que sanction personnelle contre des dirigeants fautifs. Avec ce mot impropre, on stigmatise et on fait peur. Il convient de parler d'ouvertures de procédures collectives. Mais ce chiffre ne reflète pas parfaitement le nombre d'entreprises concernées, car une même entreprise peut faire l'objet de plusieurs procédures dans l'année.
Comment expliquer la forte diminution du nombre d'ouvertures de procédures collectives en 2020 ? Tout d'abord, en raison de la suspension de l'activité des tribunaux à partir du 19 mars. Celle-ci fut cependant moindre dans les tribunaux de commerce grâce aux efforts de leurs greffiers et de leurs juges élus et bénévoles qui ont rapidement mis en place des visio-audiences, comme l'a reconnu un rapport du Sénat. Par ailleurs, la Chancellerie a décidé une restriction des procédures, si bien que, pendant un temps, les procédures collectives n'ont pas pu être ouvertes. Quelques gros dossiers sont cependant arrivés dans les tribunaux : La Halle, Alinéa, Naf-Naf...
On observe une « hibernation », car les entreprises ont reçu des aides, mais ne savent pas quelles seront les futures aides. Nous devrions assister à partir de maintenant à une hausse des procédures de prévention - si tant est que celles-ci soient entrées dans les moeurs -, mais nous ne la constatons qu'à peine.
L'augmentation permanente du nombre d'immatriculations de nouvelles entreprises est un point positif. Au tribunal de Marseille - que j'ai présidé quelques années -, l'augmentation a été de + 16 % en 2020 par rapport à 2019 : on continue à créer des entreprises en France !
Les tribunaux se sont adaptés pour faire face : la visioconférence a permis de recevoir les entreprises ; les cellules de prévention montent en puissance ; et de plus en plus de présidents sortent de leur tribunal pour organiser des rencontres et diffuser l'information.
La moyenne d'emplois par procédure de prévention se situe autour d'une vingtaine de salariés : les TPE - qui comptent neuf salariés et moins - ne sont donc pas dans la démarche de prévention. Leurs dirigeants, isolés, manquent d'information et d'accompagnement. Il existe une vingtaine de dispositifs de prévention, mais le seul qui protège est le dispositif judiciaire, qui permet à l'entrepreneur d'être accompagné.
La réaction des pouvoirs publics et des parlementaires a été très forte : nous avons disposé des textes très rapidement. Il serait intéressant de pérenniser la visio-audience, mais sans la rendre obligatoire, car rien ne remplace le contact direct entre le juge et le dirigeant.
L'ordonnance du 20 mai a permis au débiteur de demander au président du tribunal la suspension de l'exécution des poursuites par les créanciers ; cela avait été souhaité par les juges consulaires afin de rétablir un équilibre dans la relation créancier-débiteur ; nous encourions en effet le risque que tous les débiteurs soient défaillants et que le crédit interentreprises soit bloqué. Cette suspension est utile, mais elle n'est pas encore assez utilisée pour les loyers commerciaux : le commerçant qui est locataire d'une foncière dans une galerie commerciale peut bénéficier de dix mois de conciliation pendant lesquels le bailleur ne peut pas exercer de poursuite ; le débiteur peut même demander au président du tribunal de fixer un délai de deux ans. Ainsi, le débiteur peut négocier à l'abri : cela pourrait utilement être intégré dans un texte à venir.
Dans la transposition de la directive, le juge doit garder la main. Ce sera aussi l'occasion de reposer la place de la procédure de sauvegarde qui n'a concerné en 2020 que 1 000 dossiers sur les 45 000 procédures collectives. Son caractère non confidentiel constitue un handicap : les débats sur la transposition devront s'attacher à ce point.
Les reports d'échéance des PGE suffiront-ils ? Faudra-t-il également envisager des moratoires ou d'autres modifications ? Là aussi, nous pouvons utiliser les procédures de prévention. Il serait intéressant de réfléchir à une transformation des créances fiscales ou sociales en obligations remboursables pendant la durée d'un plan, pour des entreprises qui pourraient structurellement le supporter. Le créancier pourrait ainsi conserver ses privilèges au cas où le plan n'irait pas à son terme. Enfin, il convient de pérenniser la conciliation.
et de l'Association nationale des banques. - Je suis très honorée que la profession bancaire soit associée à cette audition, qui permet de faire le point sur les entreprises en difficulté.
La crise que nous connaissons est fondamentalement de nature sanitaire. Avant celle-ci, nous avions déjà des entreprises en difficulté, mais nous avions également des fondamentaux économiques très solides. C'est grâce à la force de très nombreux acteurs économiques, dont les banques et les entreprises, que l'on dispose de davantage de moyens pour se concentrer sur ceux qui en ont le plus besoin. Aujourd'hui, 90 % de l'économie est revenu à la normale, grâce aux adaptations - il est important de bien resituer le sujet pour éviter des généralisations et des chiffres qui font très peur.
L'engagement des banques, marqué par la proximité, la réactivité et la personnalisation, a été notable. Cela s'est notamment illustré par la distribution rapide des PGE : ils représentent aujourd'hui environ 130 milliards d'euros, sur une masse de crédit de l'ordre de 1 300 milliards d'euros. Je rappelle que toutes les entreprises n'ont pas demandé de PGE - le taux de recours est de moins de 20 % -, et celles qui en ont eu besoin l'ont obtenu quasi systématiquement, soit 2,7 % de refus seulement.
Au-delà des PGE, beaucoup d'autres mesures ont été prises au quotidien, en proximité et de façon personnalisée, car c'est souvent par la personnalisation que l'on parvient à trouver des solutions adaptées aux entreprises.
Les indicateurs ont montré que la trésorerie des entreprises a évolué parallèlement aux crédits. Selon les chiffres de la Banque de France présentés avant le premier confinement, les crédits ont ainsi augmenté de 175 milliards d'euros, tandis que la trésorerie des entreprises a augmenté de 174 milliards d'euros. Autrement dit, la dette nette des entreprises a augmenté jusqu'à la fin du mois d'octobre d'un milliard d'euros environ. La trésorerie étant restée solide, on ne peut pas dire que la situation se soit dégradée de façon massive.
En outre, 50 à 70 % des entreprises ayant souscrit un PGE ne l'ont pas, ou très peu utilisé, et si certaines le conservent, c'est seulement par prudence.
Les moratoires, qui représentaient environ 20 milliards d'euros d'allègement de créance entre les mois de mars et de septembre, ont été accordés très largement, permettant aux entreprises de reprendre massivement leurs paiements, le taux non-paiement étant évalué entre seulement 1 et 5 % des crédits ayant bénéficié de moratoires.
L'enjeu aujourd'hui consiste à rembourser non seulement l'ensemble des PGE, mais aussi l'ensemble des crédits. Il n'y a pas d'inquiétude particulière sur les défauts d'ensemble, qui ont vocation à être absorbés, eu égard aux provisions qui ont été constituées et à l'état global de solidité financière. En revanche, comment bien accompagner les entreprises pour leur permettre de faire les meilleurs choix et d'utiliser de façon personnalisée les outils qu'elles ont à disposition ?
La profession bancaire a annoncé, la semaine dernière, que le dispositif personnalisé permettant de commencer à rembourser au bout de deux ans, et de ne pas ainsi étaler les paiements jusqu'à cinq ans, serait accordé automatiquement, c'est-à-dire dès lors que le chef d'entreprise en fait la demande. Les moratoires font encore partie de la palette de solutions à disposition des entreprises, et sont aujourd'hui plus adaptés.
La volonté collective est un atout essentiel de notre économie : personne dans le système n'est en retrait, et tout le monde contribue à identifier l'accompagnement des entreprises ; le véritable danger aujourd'hui consistant à « faire l'autruche » sur le sort des entreprises en difficulté... Le professionnalisme bancaire peut être aussi relevé : la France compte 360 000 banquiers, dont plusieurs dizaines de milliers, dans tous les réseaux, travaillent en proximité avec les petites entreprises. L'efficacité des outils financiers et juridiques, et leur capacité à être mobilisés sont également déterminantes.
Il conviendrait enfin de permettre des simplifications dès lors que les procédures s'avèrent trop complexes pour les petites entreprises qui ne peuvent pas y accéder, alors même qu'elles en ont besoin.
Les réseaux consulaires jouent un rôle important d'information et d'accompagnement, qui a été poussé à l'extrême durant cette période de crise. Si l'on s'en tient au seul premier confinement, notre réseau a ainsi contacté près d'un million d'entreprises, pour les informer de toutes les mesures d'accompagnement disponibles parmi le corpus très puissant d'aides mises en oeuvre par l'État.
Un travail d'information de même niveau est en cours sur le plan de relance, relatif tant à son volet européen que national. À la demande de la ministre de l'industrie, nous avons appelé 33 000 très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) ; 6 000 d'entre elles ont demandé un accompagnement par la suite. Nous sommes également en train d'appeler 45 000 commerçants pour les questions liées à leur transformation numérique et écologique.
Nous avons développé des outils d'information importants, et avons biensûr suivi l'évolution du nombre de déclarations de cessation de paiement et de l'appui de l'État, qui n'a pas été démenti jusqu'à présent.
La prévention et l'anticipation devant des dettes accumulées est nécessaire. Nous avons signé le 12 octobre dernier un protocole avec Bercy, afin de sensibiliser, dans un délai court, 52 000 entreprises à toutes les possibilités qui leurs sont offertes, et d'accompagner 10 000 d'entre elles.
Au-delà des outils d'information, nous avons développé la possibilité déjà existante d'effectuer un autodiagnostic en ligne. Toute une série de solutions a été diffusée à nos ressortissants, et un guide pratique relatif à la prévention des difficultés des entreprises a été distribué afin d'indiquer certaines procédures, comme la saisine de la Commission des chefs de services financiers (CCSF) pour décider d'un étalement. Bien entendu, des conseillers dédiés ont été mobilisés dans le cadre de la mise en oeuvre de ce dispositif.
Le Gouvernement nous a demandé de mettre particulièrement l'accent sur les secteurs S 1 et S 1 bis, c'est-à-dire sur les entreprises administrativement fermées.
Assez peu de plans sont présentés par les entreprises, alors même que les dettes s'accumulent, mais jamais le niveau de visibilité n'a été aussi bas. Ainsi, aucun prévisionnel fiable ne saurait être réalisé. Demander à des entreprises de s'engager sur des plans de remboursement bien établis, avec un maximum de sécurité sur les prévisions, est trop ambitieux et sans doute imprudent.
Les mesures sanitaires n'ayant de cesse d'évoluer, beaucoup de chefs d'entreprise refusent de s'engager sur un avenir qu'ils ne maîtrisent pas. Le rabaissement du couvre-feu à 18 heures, qui a fait chuter de 50 % le click and collect, les a confortés dans cette position.
Nous travaillons de près avec la Direction générale des entreprises (DGE) sur les signaux faibles - assignations de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) et des organismes sociaux -, mais ils ne fonctionnent pas actuellement. Nous ne disposons donc même pas du niveau de détérioration des entreprises, lequel continue de s'alourdir pour certaines d'entre elles, qui utilisent leur PGE pour financer de la perte ! Nous faisons ainsi le constat d'une aggravation de passifs, dont les juridictions devront prendre acte.
Je rejoins l'idée qu'il faille travailler ensemble, partager les indicateurs et être en suivi rapproché des entreprises. Le curseur mis par l'État est de l'ordre de 20 milliards d'euros sur les fonds propres, mais cela ne pourra avoir du sens que s'il y a un retour à une certaine rentabilité.
On veut réactiver les fonds d'investissement de proximité, mais le citoyen voudra une garantie de l'État, qui pour l'instant n'existe pas, et un peu de rentabilité, qui est encore aléatoire.
Le rôle des chambres de commerce et d'industrie (CCI) est de solidifier et de structurer un dossier, et d'encourager les entreprises à faire la démarche qui nous a été proposée tout à l'heure.
Je partage en tout point ce qui vient d'être dit. Je pense qu'il faut rester prudent aussi longtemps que nous sommes suspendus à l'évolution de la crise sanitaire, dont chacun convient qu'elle est imprévisible.
Il y a lieu de relativiser la gravité de la situation, sans la minorer pour autant. Certains secteurs d'activité manquent totalement de visibilité - hôtellerie et restauration, évènementiel, spectacles, stations de sports d'hiver, etc. -, mais cela ne correspond pas à une situation générale. Les études que le Medef mène hebdomadairement auprès des 91 fédérations adhérentes témoignent que bon nombre d'activités ont dépassé le niveau normatif d'activité, c'est-à-dire leur niveau de 2019, voire plus. Il est donc important que nous nous concentrions sur les situations critiques.
Les prévisions de défaut sur les PGE sont, selon les chiffres de la Fédération bancaire française (FBF) ou de la Banque publique d'investissements (Bpifrance), de l'ordre de 5 à 10 %. Sur les 130 milliards d'euros de PGE, 13 milliards seraient à risque. Ces risques sont très concentrés sur des TPE et PME qui bénéficient de la garantie de l'État à 90 %. L'exposition du système bancaire est de l'ordre de 1,3 milliard d'euros : c'est à la fois peu et beaucoup, au regard des engagements que Mme Atig a rappelés tout à l'heure.
Prenons garde à ne pas maintenir artificiellement en vie des entreprises « zombies », qui introduisent des distorsions de concurrence : alors qu'elles auraient dû disparaître en raison de leur mauvaise gestion, elles viennent perturber le fonctionnement des entreprises aux stratégies saines.
J'appelle votre attention sur un certain nombre de travaux réglementaires et législatifs en cours, qui conduiraient à déstabiliser fondamentalement l'assurance de garantie des salaires (AGS), mécanisme indispensable à la bonne marche du pays. L'adoption de dispositions nouvelles déstabiliserait totalement ce modèle économique, de telle sorte qu'il ne pourrait se rétablir qu'en quadruplant les cotisations versées par les seules entreprises, ce que le Medef juge très préjudiciable.
Les encours de crédits interentreprises représentent 650 milliards d'euros, soit deux fois et demi des engagements de court terme du système bancaire sur les entreprises. En 2009 et en 2010, la restriction très forte des crédits interentreprises avait eu un effet récessif majeur. Il est indispensable que l'État proroge les dispositifs de réassurance, au bénéfice des assureurs crédits, dont le modèle économique est extrêmement fragile.
En matière de cotation, la Banque de France, en 2021, a publiquement dit qu'elle ferait preuve de compréhension et s'appliquerait à apprécier les perspectives des entreprises à trois ans, et pas seulement sur la base de leur compte 2020. Les cotations Banque de France affectent les conditions de financement et l'attitude des assureurs crédit - il est important que nous restions attentifs à ce sujet. Je considère que les entreprises devraient donner suite aux questionnaires qui permettent d'établir les notations ; je compte sur M. Goguet pour les sensibiliser à l'importance de bien y répondre...
Le Medef a mis en place une cellule d'accompagnement, qui porte aussi sur la prévention et le rebond, à laquelle il associera bien sûr les banques et les professionnels du chiffre.
Les dispositifs imaginés par le ministère de l'économie, des finances et de la relance en matière de fonds propres et de prêts participatifs ne sont pas totalement aboutis et adaptés en l'état, compte tenu de la réglementation européenne contraignante. Sans parler de la volumétrie et de ce que prévoit la loi de finances sur la garantie de l'État de ces financements, leurs caractéristiques ne paraissent pas appropriées en termes de maturité et de rendement. Nous n'avons surtout pas à ce jour connaissance de la doctrine d'emploi de ces financements : sont-ils destinés à se substituer à des PGE pour des entreprises en difficulté pour les rembourser ou à financer des opérations d'investissement, voire de croissance externe ? Il y a une urgence à infléchir les conditions et la destination de ce dispositif.
Les avancées significatives des banques ces derniers jours vis-à-vis des PGE répondent à l'essentiel des préoccupations.
En conclusion, nous avons un sérieux effort de pédagogie et d'accompagnement à faire auprès de la minorité d'entreprises qui se trouvent en réelle difficulté ; le Medef va s'y employer.
Les entreprises de proximité, selon les secteurs, ont été directement impactées par les fermetures administratives. Nous avons constaté des problèmes de corrélation entre l'activité réelle de certaines entreprises et la nomenclature employée par les préfectures pour les entreprises devant être ou non fermées. Par exemple, les cordonniers ont été placés dans la catégorie des activités de « réparation d'ordinateurs et de biens personnels et domestiques », alors qu'ils n'étaient pas censés fermer au départ...
Des dommages collatéraux viennent s'ajouter à ces fermetures administratives : les pratiques de télétravail, notamment, ont entraîné des changements d'habitude de consommation et de localisation des achats, en raison du non-déplacement des personnels, aboutissant à d'importantes baisses d'activité et de chiffre d'affaires pour certaines entreprises. Une enquête que nous avons réalisée sur le quatrième trimestre de l'année 2020 a montré qu'un peu plus de 70 % des entreprises interrogées - artisans, commerçants alimentaires de proximité, hôtels, cafés, restaurants (HCR) et professions libérales - ont estimé subir une baisse d'activité et de chiffre d'affaires, de l'ordre de 25 % pour 31 % de ces entreprises.
Il existe une évolution différenciée de l'impact de la crise selon les filières, mais nous pouvons aisément observer que la restauration est totalement sinistrée et que l'artisanat des services - les coiffeurs notamment - a souffert d'importantes cessations d'activités pendant le confinement. Les professions libérales, qui ont vu baisser leurs activités à hauteur de 34 %, ont aussi été vivement touchées. À l'inverse, l'alimentation a été stable et a même progressé en 2020...
Nous pouvons constater que le maintien de l'activité va croissant avec l'augmentation de la taille des entreprises : plus l'entreprise a une taille importante, plus elle parvient à se maintenir en activité.
En matière d'aides, 41 % des artisans et commerçants alimentaires et des professions libérales interrogés ont eu recours au fonds de solidarité, dont je salue la création salutaire. Pour un tiers, les entreprises de ce secteur ont obtenu des reports de charges sociales et fiscales, et 17 % ont bénéficié du PGE. Les HCR (hôtels, cafés, restaurants) ont aussi bénéficié des différents dispositifs, à hauteur de 90 % pour le fonds de solidarité, et de 63 % pour le PGE. De même 55 % des entreprises d'artisanat et de commerce ont dépensé tout ou partie du PGE. Malgré tout, la moitié des chefs d'entreprise estiment que leur situation est saine ; un quart pensent que leur situation va se redresser en 2021 ; 3 % seulement déclarent qu'ils devront fermer dans les prochains mois. Cela concerne 90 000 entreprises et plus de 260 000 salariés. Les entreprises de proximité demandent le maintien du fonds de solidarité en 2021 et l'annulation des charges sociales dues au titre de 2020 pour les entreprises victimes de fermeture administrative.
Enfin, nous devons surtout être vigilants sur la poursuite de l'accompagnement bancaire. Nous sommes inquiets. Comme les résultats de 2020 seront mauvais, les banques risquent d'hésiter à les aider.
président des Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA France). - Les chambres consulaires représentent le premier interlocuteur des entreprises. Nous les informons en particulier sur les aides publiques auxquelles elles sont éligibles. Nous cherchons aussi à remédier à leur détresse psychologique, en aidant les artisans à retrouver confiance pour mieux rebondir. Beaucoup d'entreprises ont fait l'objet d'une fermeture administrative en raison de leur activité à cause de la crise. D'autres ont aussi été très touchées : dans le transport, le bâtiment, la fabrication de meubles, les services automobiles, etc. Le secteur alimentaire et les activités de proximité ont plutôt bien résisté.
Les défaillances d'entreprises ont baissé de 29 % en 2020 par rapport à 2019, mais ce chiffre n'est qu'un trompe-l'oeil : il faut craindre une accélération des défaillances lorsque les aides publiques s'arrêteront. Nous sommes aussi très inquiets en raison du surcroît de dettes accumulées. Le PGE a été largement souscrit. Deux tiers des entreprises artisanales ont sollicité des aides de trésorerie et ont eu recours aux différentes possibilités de décalage de dettes fiscales ou sociales, allongeant parfois les délais de paiement de leurs fournisseurs. Ces échéances sont repoussées, mais elles réapparaîtront à la fin de la crise sanitaire. Il est donc essentiel que les différents dispositifs d'aide publique ne s'arrêtent pas brutalement, sinon les défaillances augmenteront.
L'importance de la communication et de la diffusion de l'information auprès des entreprises a été soulignée. C'est le rôle des chambres consulaires. Nous travaillons avec toutes les parties pour anticiper les faillites, établir des moratoires pour permettre la poursuite de l'activité tout en remboursant les dettes. Les entreprises qui étaient rentables avant la crise ont une capacité de rebond après la crise, mais encore faut-il leur donner la possibilité d'étaler leurs créances ou d'épurer leurs dettes. Nous incitons aussi les entreprises qui auraient des difficultés à se manifester avant qu'il ne soit trop tard. Les tribunaux de commerce peuvent activer des mécanismes de prévention susceptibles de répondre aux situations d'urgence.
La question est aussi de savoir comment les entreprises artisanales pourront bénéficier du plan de relance : ce sera sans doute le cas de celles du numérique ou du digital, mais les autres auront du mal à répondre aux appels d'offres, faute aussi d'ingénierie en interne. Il serait donc judicieux qu'un volet concerne spécifiquement l'artisanat.
Nous avons mené, en décembre, une étude auprès des dirigeants de TPE-PME : 63 % sont inquiets pour la pérennité de leur entreprise, contre 47 % en septembre ; 52 % pensent ne pas pouvoir rembourser leur PGE.
Les groupements de prévention agréés (GPA) ont un rôle majeur à jouer en matière d'accompagnement des entreprises. Il serait judicieux de les déployer sur tout le territoire : les entrepreneurs ont peur des tribunaux et des procédures judiciaires. La culture financière n'est pas très développée dans les TPE, beaucoup n'ont pas de tableau de bord. Il faut donc les accompagner.
Nous identifions trois axes : la relance de l'activité ; le traitement de l'endettement ; la protection de l'entrepreneur comme personne physique. Pour relancer l'activité, nous proposons d'activer le levier de la commande publique, en privilégiant les entreprises françaises, en décentralisant les appels d'offres en région, en visant spécifiquement les TPE-PME et en permettant aux entreprises qui ont des procédures collectives en cours de répondre aux marchés publics. Le plan de relance ne semble pas descendre jusqu'au niveau des TPE-PME. Il convient de s'appuyer sur les régions pour le déployer. La transformation des PGE en fonds propres est une bonne idée ; nous proposons aussi, pour renforcer la solidité de l'entreprise, d'autoriser le basculement d'une partie des résultats en fonds propres, moyennant une réduction fiscale. Enfin, pour éviter les faillites en cascade, nous proposons de modifier l'ordre des créanciers, de telle sorte que les entreprises deviennent des créanciers de premier rang, à la place de l'État.
Il faut aussi traiter la question de l'endettement. Les entreprises s'endettent avec le PGE, et cette dette s'ajoute à celles qu'elles avaient contractées avant. Elles doivent aussi continuer à acquitter leurs autres charges, de différentes natures. Nous préconisons la mise en place d'un prêt de consolidation, à l'image du prêt de restructuration pour les particuliers, afin de grouper l'ensemble des dettes et d'étaler les remboursements sur une durée accrue, ce qui permet de diminuer les charges à court terme et de redonner une bouffée d'oxygène.
Pour les entreprises en difficulté, mais dont le modèle économique est viable - il ne s'agit pas d'arroser le sable -, une « subvention covid » consistant en l'annulation de la dette par le biais d'une médiation pourrait être une solution.
Le mécanisme du fonds de solidarité reste perfectible et comporte des lacunes que l'on pourrait combler. Il faudrait aussi circonscrire la dette covid dans le bilan, afin qu'elle ne soit pas prise en compte pour la cotation de la Banque de France, pour ne pas entraîner d'impact sur l'assurance-crédit ; beaucoup d'assureurs ont réduit leurs participations pendant le premier confinement. Nous suggérons aussi de faciliter la cession d'entreprise.
Dernière piste, la protection de la personne physique : beaucoup de chefs d'entreprise ont un statut de travailleur non salarié et n'ont donc pas d'allocation chômage en cas de liquidation, alors que leur patrimoine personnel est engagé. Nous proposons que les dettes sociales personnelles des dirigeants, qui relèvent du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), ex-régime social des indépendants (RSI), puissent rentrer dans le cadre de la liquidation judiciaire de la structure, afin que le dirigeant ne soit pas rattrapé un ou deux ans après sur son patrimoine personnel.
Il serait aussi utile de réviser le droit des cautions individuelles : la covid étant un cas de force majeure, la caution personnelle ne devrait pas être actionnée. Il faut éviter aussi de pénaliser le chef d'entreprise ; celui-ci ne devrait pas être inscrit au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) s'il a jusque-là toujours remboursé ses crédits normalement.
Il convient de vérifier que la hausse des créations d'entreprises correspond bien à des projets réels et non à des salariés au chômage qui se lancent pour avoir une activité annexe.
Enfin, si les banquiers ont joué le jeu du PGE lors du premier confinement, il semble que celui- ci soit désormais plus compliqué à obtenir. Les entreprises utilisent de plus en plus le PGE ; beaucoup y ont recours comme filet de sécurité, pour prévenir la défaillance d'un client ou d'éventuelles difficultés.
Merci pour ces éléments précis. Nous constatons que l'économie est à deux vitesses et qu'il est nécessaire de traiter les questions avec différenciation.
Merci de m'avoir convié à participer à vos débats. La commission des lois a créé en son sein une mission d'information sur les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises dans le contexte de la covid, dont je suis le rapporteur avec François Bonhomme. Nos travaux ne portent pas sur les mesures de soutien financier, qui relèvent d'autres structures du Sénat, mais sur l'ensemble des procédures juridiques.
De nombreuses mesures ont été prises depuis le début de la crise sanitaire pour aménager les procédures de traitement des difficultés des entreprises : gel temporaire de la situation des débiteurs, simplification de la procédure d'alerte, aménagement de la procédure de conciliation, création de nouveaux privilèges garantissant notamment les apports de trésorerie consentis pendant l'exécution du plan, facilitation de la cession d'entreprise, etc. Quel bilan dressez-vous de ces mesures ?
Il existe aussi de multiples outils destinés à détecter les difficultés des entreprises afin d'apporter une réponse précoce : procédure d'alerte, prérogatives d'enquête du président du tribunal de commerce, partage d'informations entre administrations publiques, etc. Ces différents outils vous paraissent-ils efficaces ?
La réforme des règles d'audit par les commissaires aux comptes a-t-elle nui à la détection précoce des difficultés des petites et moyennes entreprises ?
La plupart des entreprises que vous représentez relèvent de la juridiction des tribunaux de commerce ; pourtant, bon nombre d'entreprises, qu'il s'agisse des agriculteurs, des associations exerçant une activité économique ou des professions libérales, relèvent des tribunaux judiciaires. Ce partage des rôles vous paraît-il pertinent ? Les tribunaux judiciaires sont-ils armés pour faire face à la situation actuelle ?
La Conférence générale des tribunaux des juges consulaires de France a proposé, il y a deux ans, dans le cadre une d'une réflexion prospective qui a d'ailleurs inspiré des amendements de la commission des lois lors de l'examen de loi de programmation et de réforme pour la justice, la création d'un tribunal des activités économiques, qui serait compétent pour toutes les activités économiques, comme c'est déjà le cas chez plusieurs de nos voisins, comme en Belgique. L'idée sous-jacente est qu'il ne faut pas partir de l'acte de commerce, mais de l'acte économique, car l'acte de commerce est une notion trop étroite par rapport à celle d'activité économique générale. Cette réforme aurait tout son sens, notamment pour les associations qui ont une activité économique et dont certaines sont directement en concurrence avec des entreprises, mais pas tout à fait avec les mêmes responsabilités ni les mêmes obligations. Il convient encore d'approfondir la réflexion pour le monde agricole, car sa situation est particulière, notamment le rapport au patrimoine, et les tribunaux judiciaires fonctionnent bien en la matière. À cette exception, il semble possible d'inclure le secteur non marchand mais qui exerce une activité économique dans la compétence d'un tribunal unique, car au fond les problèmes sont les mêmes.
Pour le reste, notre boîte à outils pour traiter les difficultés des entreprises est très développée. Il n'y a pas lieu de la modifier en profondeur, sinon pour lui apporter des améliorations, à l'occasion de la transposition de la directive européenne.
Il faut dédramatiser le redressement judiciaire, qui n'est pas forcément une catastrophe, sauf si l'entreprise était déjà en situation critique - selon l'Observatoire du financement des entreprises, plus d'un tiers des TPE ont des fonds propres nuls ou négatifs et le moindre incident entraîne une procédure de liquidation ; ainsi, 70 % des ouvertures de procédures collectives sont des liquidations judiciaires directes. Mais ce n'est pas l'outil qui est en cause, plutôt la santé des entreprises et la formation des chefs d'entreprise : dans les TPE, ils n'ont souvent pas de culture économique et ignorent des notions fondamentales. C'est plus une question de pédagogie.
Le tissu économique en France est très divers. Vous semble-t-il que certaines entreprises ne sont pas aidées ou pas assez ? Il est aussi question de la fin du « quoi qu'il en coûte » à cause l'importance de la dette. Il semble indispensable pourtant de continuer à aider les entreprises.
Vous avez tous souligné la nécessité d'un accompagnement des entreprises. Si l'accompagnement des banques pendant le premier confinement a été bon, il semble que l'on constate, selon les retours que nous avons dans nos départements, plus de frilosité désormais. Qu'en est-il ?
Les défaillances risquent de se multiplier lorsque les aides financières cesseront. Vos structures sont-elles bien calibrées pour faire face aux besoins d'accompagnement en masse qui seront nécessaires, Enfin, des reconversions seront indispensables. Serez-vous prêts à aider vos adhérents en ce sens ?
Je souhaite exprimer mes préoccupations sur le financement des entreprises et notamment la question des PGE, et le fait de pouvoir les allonger. En effet, ces dispositifs ont été prévus au début du premier confinement, et on voit bien que la période difficile dure plus longtemps que ce qui était envisagé au départ. Il convient donc de pouvoir adapter les choses et en particulier de pouvoir différer les remboursements, non pas dans la période initialement prévue, mais peut-être en l'allongeant.
Par ailleurs, je suis totalement d'accord avec l'idée de la CPME de proposer un prêt de consolidation, qui permette, de manière générale, d'appréhender la situation et de remettre les entreprises dans une véritable capacité de remboursement de l'ensemble de leurs engagements.
Sur la question de l'évolution du droit des sociétés, je voudrais vous interroger pour savoir si la possibilité de reprise par le chef d'entreprise d'une activité défaillante est une solution qui mériterait d'être pérennisée ?
Enfin, une question pour le Medef qui a évoqué les risques liés aux évolutions règlementaires. Pourriez-vous préciser davantage ces risques ? Est-ce que cela concerne les engagements sollicités par le gouvernement liés à des questions de transition écologique ?
Le taux de refus des PGE a très peu évolué tout au long de la période : il est passé de 2,3 % à 2,7 %, on reste donc dans des niveaux à peu près contenus. Statistiquement, quand on passe de 50 000 entités à 600 000, comme c'est le cas actuellement, c'est une hausse très contenue, avec des taux de refus très semblables à ceux de l'été dernier. Depuis les mois d'avril ou mai derniers, on a supprimé certaines obligations, comme celle d'avoir un tableau de trésorerie. Cela constituait un véritable irritant. Le dispositif a donc été très vite adapté puisque la visibilité était totalement brouillée.
Aujourd'hui, une entreprise déjà très endettée qui demande un surplus de PGE bien supérieur à sa capacité, même pré-crise, peut se voir opposer un refus, car il existe un risque d'endettement excessif. Quelques cas similaires nous remontent, mais ils restent marginaux, entre dix et vingt. À chaque fois, il s'agissait de situations à la limite entre l'endettement et le surendettement.
Dans la phase actuelle, bien que la visibilité soit un peu brouillée pour beaucoup de secteurs, elle est quand même meilleure pour un certain nombre d'entités qu'elle ne l'était en mars. Par exemple, entre deux entreprises qui ont la même activité, avec l'une qui s'en sort bien et l'autre moins, on peut faire des comparaisons. Davantage de différentiation s'opère entre entreprises car il n'y a plus de mesures générales, absolues, définitives. Il est donc important de se pencher sur la situation de chacun, dans une approche personnalisée.
Je rejoins mes collègues présents sur l'utilisation d'une communication rassurante, non pas sur l'issue de la discussion mais sur l'importance pour les entreprises de « pousser la porte » : il faut aller voir son agence bancaire, aller voir la chambre consulaire pour faire le point, aller voir sa fédération professionnelle, quitte à entendre de mauvaises nouvelles. C'est évidemment très difficile à faire pour un chef d'entreprise en difficulté, mais il faut qu'il sache qu'il y a des personnes qui l'attendent de l'autre côté, que les solutions ne seront pas miraculeuses, mais que s'il ne pousse pas la porte, il ne trouvera pas cette solution, ou alors ses conséquences seront plus graves. C'est vraiment un message qu'il faut porter très fortement.
Au Medef, nous avons également une opinion extrêmement positive sur la grande réactivité des pouvoirs publics, sur les mesures qui ont été prises pour adapter le droit des entreprises en difficulté et sur l'adaptation des tribunaux. Dans toutes les crises, il faut essayer de voir les éléments positifs, ici elle a été un véritable accélérateur de l'évolution du droit et de la digitalisation du droit, ce qui a déjà été mentionné pour les audiences, mais qui se retrouve aussi pour le droit des sociétés avec la digitalisation des assemblées générales.
Sur la difficulté pour les PME d'avoir accès à des outils de prévention, les Medef territoriaux font remonter beaucoup d'initiatives. Je cite simplement trois exemples : le parrainage de primo-entrepreneurs par des chefs d'entreprise expérimentés pour l'aspect formation ; la mise à disposition d'outils de pilotage avec des indicateurs simples -- et notamment une cartographie des risques -- adaptés aux TPE ; et le développement, au niveau territorial, de cellules d'accompagnement du chef d'entreprise, petites structures confidentielles qui permettent d'aider le chef d'entreprise quand il rencontre des difficultés.
Sur les procédures, nous sommes d'ardents partisans des procédures amiables, mandats ad hoc et conciliation. Ce sont d'excellents outils, appréciés par les étrangers. Le droit français, comme cela a été dit par MM. Basse et Richelme, contient beaucoup de procédures, ce qui pourrait être vu comme une faiblesse, car cela brouille le message vis-à-vis des PME, mais cela nous donne surtout une grande flexibilité. Il ne faut pas perdre cette souplesse avec la transposition de la directive. Lors de cette transposition je pense qu'il faudrait simplifier et accélérer les procédures, car c'est la critique principale, et ne pas encombrer le droit par des classes de créanciers pour les petites entreprises.
Pour répondre à la question du sénateur Laurent sur : est-ce qu'il reste des entreprises qui ne sont pas aidées et lesquelles ? Bien sûr, il y a encore des trous dans la raquette. Au cours des derniers mois nous sommes souvent intervenus auprès des services publics pour faire ajouter aux listes S1 et S1bis, des entreprises et des activités qui en étaient exclues. Nous poursuivons notre action en ce sens, en concertation avec les services de Bercy, en particulier dans le cadre de la prolongation des mesures sanitaires. Beaucoup de secteurs ont été ajoutés, particulièrement s'agissant des activités amont et aval des secteurs fermés administrativement.
Aujourd'hui, ce qui nous préoccupe le plus, c'est la prolongation de ces mesures, initiées en mars 2020 et enrichies au cours des derniers mois. Nous souhaitons qu'elles aillent au bout, c'est-à-dire à la fin 1er semestre 2021, mais aussi tant que les activités seront fermées. Il s'agit donc de l'activité partielle, de l'exonération des charges sociales, du fonds de solidarité, du PGE. Parmi nos demandes d'amélioration du fonds de solidarité, nous souhaiterions supprimer le seuil de 50 salariés, pour en faire bénéficier toutes les entreprises du secteur S1bis particulièrement. Nous souhaitons que les entreprises dont les secteurs d'activité ont été ajoutés tardivement aux listes S1 et S1bis puissent bénéficier des mêmes aides que les secteurs identifiés dès le départ. Nous souhaiterions aussi que les subventions soient accordées à l'établissement et non à la société.
Pour répondre à la question du sénateur Canévet, il est vrai que les ordonnances ont mis un focus particulier sur la reprise de l'entreprise par le dirigeant, notamment à l'occasion de quelques reprises médiatisées. Or, cela était déjà permis dans le code de commerce, mais le dispositif a été renforcé par les ordonnances d'urgence, en indiquant que le dirigeant lui-même pouvait faire cette proposition, quand elle était, dans le texte, réservée exclusivement au ministère public.
Aujourd'hui, cette mesure est terminée. Elle courait jusqu'au 31 décembre 2020 et elle n'a pas été reconduite. Mais le texte du code demeure présent et, dans des conditions exceptionnelles, c'est-à-dire sur requête du ministère public, un dirigeant peut faire une proposition de reprise. Cette possibilité existe par ailleurs en Allemagne depuis des années. Nous pensons qu'il faut éviter l'effet d'aubaine, et l'on voit que les quelques reprises médiatiques faisant état de cette mesure concernaient des entreprises constituées majoritairement de fonds d'investissement. En terme de moralité économique, et face aux créanciers qui ont été lésés et voyaient le dirigeant reprendre l'entreprise avec un nettoyage des dettes - et c'est l'intérêt de la procédure collective -- cela a pu choquer.
En revanche, nous pensons que ce texte, l'article 442-3 du code de commerce, doit être maintenu pour les toutes petites entreprises, les petits entrepreneurs, avec des savoir-faire uniques. Il s'agit des cas où la personne morale de l'entreprise est irrémédiablement liée à la personne physique du dirigeant. Des entrepreneurs qui auraient pris de plein fouet l'épidémie de covid-19 et qui ont un art, un talent unique, et qui doivent pouvoir, avec l'accord du ministère public, conserver leur outil de production. Sinon c'est la France qui va perdre une grande richesse, des savoir-faire inestimables.
J'abonde dans le sens du président Basse. Je souhaiterais faire remarquer que le fait que cette mesure n'ait été applicable que sur une courte période ne lui a pas permis d'aller dans le sens de sa raison d'être de départ. Il s'agissait en réalité de toucher les entreprises touchées par l'épidémie de covid-19. Or, les dossiers qui sont venus à terme pendant cette période avaient été ouverts avant, il y a donc eu un décalage.
Effectivement le texte existe, il existait avant les ordonnances et il continue d'exister. Cela nous ramène à la notion d'accompagnement du dirigeant. Il ne sait pas forcément utiliser tous les textes. C'est un peu plus difficile de se faire accompagner quand on est déjà dans une procédure collective car c'est une procédure très normée, avec uniquement un mandataire en accompagnement, dans la plupart des cas.
En effet, pour les petites entreprises on est souvent en dessous du seuil de l'accompagnement par les administrateurs judiciaires. Or, le rôle des mandataires est de représenter les créanciers et pas l'entreprise. Il n'y a donc pas ici de réel accompagnement du dirigeant, qui pourra peut-être être soutenu par les ordres professionnels, les fédérations, etc.
Pour revenir au texte en lui-même, il existe, il faut savoir l'utiliser, et la mauvaise perception qu'on en a eu tient au fait qu'il n'a pas bénéficié aux entreprises auxquelles il était destiné, et cela car sa durée d`application était trop réduite. La question va par ailleurs se poser de savoir comment isoler un passif « covid-19 ».
Nous pourrions rebondir sur les propos du ministre Dussopt de ce matin, en se demandant « quand il n'y aura plus d'aides, que va-t-il se passer ? ». Je vous remercie pour ce grand tour d'horizon et pour votre présence dans la salle et en ligne, ainsi que pour la présence de nos collègues de la commission des Lois dont nous allons suivre avec attention les travaux. Bonne journée.
La réunion est close à 11 h 15.