Merci de me recevoir ce matin, pour ce qui est devenu, en effet, presque un rite, mais qui se tient cette année dans des circonstances très exceptionnelles. Je formule tous mes voeux notre cher pays, rudement éprouvé par la crise sanitaire depuis bientôt un an.
Je souhaite, comme vous, que 2021 soit une année meilleure, même si elle commence avec beaucoup d'incertitudes. Les vaccins, tôt ou tard, devraient freiner l'épidémie. Je voudrais en introduction évoquer la conjoncture économique et la situation des entreprises, avant d'aborder le débat sur la dette publique. Je dirai ensuite quelques mots sur l'engagement de la Banque de France dans les territoires.
Notre enquête mensuelle de conjoncture, menée auprès de 8 500 entreprises sur tout le territoire, s'est avérée, depuis mars dernier, la meilleure vigie pour éclairer la brume économique liée à la crise. La dernière, réalisée entre le 21 décembre et le 7 janvier dernier, situe l'économie française, en décembre, à 7 % en dessous de son niveau d'avant-crise. La prévision est identique pour janvier, après - 11 % en novembre. L'ouverture des commerces non essentiels représente l'essentiel de ce gain significatif de 4 % d'activité. La perte d'activité est aujourd'hui quatre fois moins lourde qu'au printemps, ou elle a atteint - 31 % en avril. Nous avons appris à travailler en nous protégeant, sauf pour les services à la personne, qui restent malheureusement les plus touchés.
Cette photographie reste compatible avec notre prévision d'ensemble publiée mi-décembre, qui évalue la récession à - 9 % en 2020. Ce chiffre est désormais quasi-définitif, ce qui signifie que la chute d'activité aura été moins profonde qu'attendu, même s'il s'agit d'une récession très lourde. Nous prévoyons un rebond de + 5 % en 2021, comme en 2022.
Nous avions fait déjà, mi-décembre, l'hypothèse, prudente, de restrictions maintenues au premier trimestre, pour lequel nous prévoyons un niveau d'activité inférieur de 7 % à celui de l'an passé, et levées progressivement d'ici le plein effet des vaccins au second semestre, où nous anticipons un niveau de - 3 %, comme en septembre 2020. Ceci reste bien sûr entouré d'incertitudes, notamment sur les règles sanitaires futures, et, si nécessaire, nous ajusterons notre prévision dans notre prochaine publication, prévue mi-mars.
La situation des entreprises préoccupe légitimement votre commission. Face à la crise de la covid, les pouvoirs publics ont rapidement et efficacement déployé un pont de financement pour les aider, et notamment les très petites entreprises (TPE) ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) et, à travers elles, l'ensemble de leurs salariés et des ménages.
Quelle est la taille de l'effort budgétaire français par rapport à celui de nos principaux voisins européens ? La meilleure évaluation est celle qu'a faite le système européen des banques centrales, afin d'appréhender la réalité des dépenses effectuées. Sans prétendre chiffrer ces efforts à la virgule près, je crois que les banques centrales en ont évalué l'ordre de grandeur avec précision et, surtout, indépendance. Le soutien budgétaire effectif est, en France, au moins comparable à celui de nos voisins européens, et supérieur à celui de l'Allemagne - je parle bien des dépenses effectivement réalisées, pas des annonces.
Les prêts garantis par l'État (PGE), avec 130 milliards d'euros accordés, sont un incontestable succès français. Bien sûr, ils conduisent à une augmentation de l'endettement des entreprises. D'après les analyses de la Banque de France, fin novembre, l'endettement brut cumulé des entreprises avait augmenté de 13 % par rapport à fin 2019, soit une hausse de 215 milliards d'euros. Cela dit - et c'est moins connu - cette hausse est presque compensée par une augmentation significative, de 197 milliards d'euros, de leur trésorerie. Bien sûr, ces chiffres agrégés ne reflètent pas nécessairement les situations individuelles.
Pour éviter que cet endettement ne fragilise les entreprises, il faudra passer d'une action générale en liquidité, qui était la priorité de l'an dernier, à une phase sélective en solvabilité, c'est-à-dire en fonds propres, concentrée sur les entreprises économiquement viables mais financièrement fragilisées par la crise. Le dispositif public de quasi-fonds propres est là, avec des montants suffisants, permettant d'atteindre 20 milliards d'euros de soutien en fonds propres.
Je formule à cet égard deux souhaits. D'abord, il vaudrait mieux expérimenter plusieurs instruments en parallèle : non seulement des prêts participatifs, mais aussi des obligations subordonnées, ou d'autres solutions. Et leur distribution devrait être assurée non seulement par les banques, mais aussi par les assurances et les fonds. Ce n'est pas toujours la tradition française que d'expérimenter plusieurs dispositifs publics en parallèle, mais cela servirait mieux l'intérêt des TPE et PME. Mon deuxième souhait est que ces distributeurs financiers soient aussi co-investisseurs privés et prennent une part, certes minoritaire, du risque. Si nous en restions à 100 % de risque public, nous manquerions probablement la nécessaire sélectivité, nécessaire pour éviter des sinistres budgétaires, mais surtout pour garantir la productivité future : il faut aider les entreprises qui ont une perspective de viabilité économique.
Monsieur le Président, vous avez abordé indirectement l'hypothèse d'une annulation de la dette publique. C'est une illusion séduisante, mais ce n'est pas une solution. Un prêteur, privé ou public, qui ne serait plus remboursé, ne prêtera plus. De manière plus spécifique, l'annulation de la dette publique détenue par la BCE et la Banque de France reviendrait à financer directement les États, ce qui est exclu par le traité fondateur de l'euro, qui ne constitue pas une règle européenne de plus mais un pacte de confiance, par lequel la France a engagé sa parole, non seulement vis-à-vis des autres États de l'euro, mais aussi vis-à-vis des citoyens français et de leur confiance dans la monnaie. En l'absence de consensus pour modifier ces traités, vouloir annuler les dettes signifierait quitter l'euro ; il faut le dire. En outre, cela ne produirait aucun gain net pour la collectivité nationale. L'économiste Olivier Blanchard, qui ne passe pas pour être un orthodoxe étroit, le dit ce matin dans la presse, en termes moins choisis que les miens.
Dès lors, quel est le chemin vers le désendettement ? Sur la photographie de départ, dans notre scénario central, notre dette publique atteindrait, d'ici 2022, 120 % du PIB. Le sac à dos des jeunes pèse ainsi, aujourd'hui, deux fois plus lourd qu'il y a vingt ans, et six fois plus lourd qu'il y a quarante ans. Soyons clairs : le supplément de dette publique que nous aurons accumulé en cette période de crise est totalement justifié, car il correspond à des mesures nécessaires pour contrer les effets de la covid. Le problème de la France est plutôt le niveau de dette, avoisinant les 100 % du PIB, avec lequel elle est entrée dans cette crise.
Dans des conditions économiques qui seront revenues à la normale - il ne s'agit pas de resserrer le déficit budgétaire avant qu'on ne soit solidement sortis de cette crise - il faut d'abord que le déficit public revienne autour de 3 % du PIB, pour que le ratio entre la dette et le PIB se stabilise : il s'agit de ce que les spécialistes appellent le solde stabilisant. Il se trouve que nous bénéficions de l'effet favorable du différentiel entre le taux de croissance et le taux d'intérêt. Dans ma génération, on apprenait dans les manuels qu'en moyenne, sur longue période, le taux de croissance était égal au taux d'intérêt. Cela n'est plus vrai, et le taux d'intérêt est inférieur au taux de croissance, en raison d'un excès mondial d'épargne. Cela dit, tant que le déficit public dépasse les 3 %, cet effet favorable ne suffit pas à compenser l'accumulation des déficits. En Allemagne ou au Pays-Bas, la situation de départ est meilleure, en raison d'une moindre accumulation des déficits.
Après la sortie de crise, à partir de 2023, pour commencer à réduire la dette, nous aurons besoin de combiner trois ingrédients : le temps, en nous donnant par exemple une perspective décennale ; la croissance, aidée par les réformes ; et une meilleure maîtrise de nos coûts publics, dépenses comme baisses d'impôts. Dans la durée, nous devrions donc tendre vers une stabilisation en volume des dépenses publiques primaires, c'est-à-dire hors charge de la dette.
La dette publique baisserait alors, significativement, de 20 points de PIB en dix ans. À titre indicatif, un objectif de croissance des dépenses de 0,5 % en volume permettrait une baisse moindre, mais significative, de dix points de PIB en dix ans. Pour mémoire, depuis dix ans, la croissance des dépenses publiques en volume a été en moyenne de 1,1 %. Tendre vers une stabilisation en volume est une ambition exigeante mais accessible. Il s'agit avant tout de l'efficacité de la dépense publique : nous avons le même modèle social que nos voisins européens, mais il nous coûte plus cher, puisque notre ratio de dépenses publiques est beaucoup plus élevé, atteignant 55 % du PIB en 2019, contre 45 % ailleurs. Pour être efficace, cet objectif de dépenses devrait s'accompagner d'une stabilisation des taux d'imposition et de cotisations sociales. Nous avons fait beaucoup de baisses d'impôt dans le passé, sans avoir toujours les moyens de les financer. En outre, la stabilité fiscale serait un facteur de prévisibilité pour les ménages et les entreprises. À l'inverse, si nous en restions au rythme de dépenses des dix dernières années, cela suffirait à peine à stabiliser le ratio de dette publique, ce qui nous fragiliserait beaucoup face aux prêteurs internationaux, a fortiori en cas de nouveau choc.
Je terminerai par l'engagement durable de la Banque de France dans les territoires, qui correspond à l'ambition d'efficacité de la dépense publique. Elle a, en effet, affiché des résultats convaincants en la matière ces cinq dernières années.
Mercredi dernier, nous avons annoncé la fermeture de treize de nos caisses de tri des billets d'ici la fin de l'année prochaine. Ce n'est pas la première adaptation de notre réseau fiduciaire : nous avons dû déjà passer de 210 caisses en 1980 à 72 en 2012, et à 37 actuellement. C'est une décision nécessaire, car en l'absence d'adaptation, notre réseau de caisses se serait retrouvé en sous-activité, de l'ordre de 40 % en 2022. Comme partout ailleurs, l'usage des espèces pour les transactions décline chez nos concitoyens : entre 2012 et 2019, le nombre de billets utilisés dans les paiements de proximité a déjà diminué de près de 20 % et, sur la seule année 2020, le nombre de billets reçus à nos guichets a baissé de près de 25 %.
Mais je tiens à donner ici trois garanties. La première s'adresse à nos collaborateurs, que nous accompagnerons vers d'autres activités : il n'y aura aucun départ contraint pour les 134 salariés concernés. La seconde garantie porte sur nos missions : nous maintiendrons 23 caisses en 2022 - entre une et trois par région -, car nous entendons rester au coeur de la filière fiduciaire et garantir aux Français la liberté de choix de leurs moyens de paiement. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces. Même si leur usage décline, elles sont particulièrement adaptées aux besoins des populations financièrement fragiles. La troisième garantie, essentielle, porte sur notre présence dans tout le territoire : nous ne quittons aucune ville à l'occasion de cette adaptation, et nous resterons durablement présents dans chaque département, avec 106 implantations permanentes pour nos activités de soutien aux entreprises et aux particuliers.
Ces services à l'économie et à la société sont plus que jamais au coeur de nos missions, dans la crise actuelle. Vous pouvez compter sur la Banque de France et sur la médiation du crédit - plus de 14 000 dossiers ont été traités en 2020, soit 14 fois plus qu'en 2019, pour près de 80 000 emplois préservés -, sur l'accompagnement des TPE-PME - plus de 10 000 saisines ont été enregistrées en 2020 - et des ménages en difficulté, dans chaque département.