Nous accueillons à présent M. François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, pour ce qu'il convient de qualifier de rendez-vous traditionnel de notre commission en début d'année. Je vous souhaite la bienvenue devant notre commission, reconstituée en octobre dernier après les élections sénatoriales.
Ce rendez-vous traditionnel intervient toutefois après une année 2020 exceptionnelle. L'an dernier, rien ne semblait devoir mettre un terme à l'optimisme des marchés financiers. La crise sanitaire sans précédent que nous connaissons, requérant des mesures de restriction inédites, a affecté durablement l'activité économique. C'est pourquoi nous sommes heureux de vous accueillir et de vous entendre sur la situation économique actuelle. Les différents scénarios que vous anticipez seront pour nous des éléments d'information très importants. De surcroît, un débat très nourri sur la dette s'est installé. Nous aimerions tout particulièrement vous entendre sur ce sujet. Selon vous, la dette de la Banque centrale européenne (BCE) revêt-elle des caractéristiques spécifiques ?
Par ailleurs, face à l'inscription de la crise dans le temps long, des questions se posent quant à la temporalité et aux modalités de la réponse apportée. Ainsi, la semaine dernière, juste avant que le ministre délégué aux comptes publics ne vienne devant notre commission, il alertait dans un article de presse sur la fin rapide du « quoi qu'il en coûte », en la liant naturellement à la fin de la pandémie, mais en instillant tout de même l'idée que tout ceci ne pouvait pas durer éternellement. Au même moment, le conseil des Gouverneurs actait la prolongation des facilités monétaires accordées depuis le début de la crise. Il s'agit d'un point majeur d'interrogation - et sans doute de débat - au sein de notre commission : de la réussite de la stratégie de sortie dépendra l'ampleur des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.
Merci de me recevoir ce matin, pour ce qui est devenu, en effet, presque un rite, mais qui se tient cette année dans des circonstances très exceptionnelles. Je formule tous mes voeux notre cher pays, rudement éprouvé par la crise sanitaire depuis bientôt un an.
Je souhaite, comme vous, que 2021 soit une année meilleure, même si elle commence avec beaucoup d'incertitudes. Les vaccins, tôt ou tard, devraient freiner l'épidémie. Je voudrais en introduction évoquer la conjoncture économique et la situation des entreprises, avant d'aborder le débat sur la dette publique. Je dirai ensuite quelques mots sur l'engagement de la Banque de France dans les territoires.
Notre enquête mensuelle de conjoncture, menée auprès de 8 500 entreprises sur tout le territoire, s'est avérée, depuis mars dernier, la meilleure vigie pour éclairer la brume économique liée à la crise. La dernière, réalisée entre le 21 décembre et le 7 janvier dernier, situe l'économie française, en décembre, à 7 % en dessous de son niveau d'avant-crise. La prévision est identique pour janvier, après - 11 % en novembre. L'ouverture des commerces non essentiels représente l'essentiel de ce gain significatif de 4 % d'activité. La perte d'activité est aujourd'hui quatre fois moins lourde qu'au printemps, ou elle a atteint - 31 % en avril. Nous avons appris à travailler en nous protégeant, sauf pour les services à la personne, qui restent malheureusement les plus touchés.
Cette photographie reste compatible avec notre prévision d'ensemble publiée mi-décembre, qui évalue la récession à - 9 % en 2020. Ce chiffre est désormais quasi-définitif, ce qui signifie que la chute d'activité aura été moins profonde qu'attendu, même s'il s'agit d'une récession très lourde. Nous prévoyons un rebond de + 5 % en 2021, comme en 2022.
Nous avions fait déjà, mi-décembre, l'hypothèse, prudente, de restrictions maintenues au premier trimestre, pour lequel nous prévoyons un niveau d'activité inférieur de 7 % à celui de l'an passé, et levées progressivement d'ici le plein effet des vaccins au second semestre, où nous anticipons un niveau de - 3 %, comme en septembre 2020. Ceci reste bien sûr entouré d'incertitudes, notamment sur les règles sanitaires futures, et, si nécessaire, nous ajusterons notre prévision dans notre prochaine publication, prévue mi-mars.
La situation des entreprises préoccupe légitimement votre commission. Face à la crise de la covid, les pouvoirs publics ont rapidement et efficacement déployé un pont de financement pour les aider, et notamment les très petites entreprises (TPE) ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) et, à travers elles, l'ensemble de leurs salariés et des ménages.
Quelle est la taille de l'effort budgétaire français par rapport à celui de nos principaux voisins européens ? La meilleure évaluation est celle qu'a faite le système européen des banques centrales, afin d'appréhender la réalité des dépenses effectuées. Sans prétendre chiffrer ces efforts à la virgule près, je crois que les banques centrales en ont évalué l'ordre de grandeur avec précision et, surtout, indépendance. Le soutien budgétaire effectif est, en France, au moins comparable à celui de nos voisins européens, et supérieur à celui de l'Allemagne - je parle bien des dépenses effectivement réalisées, pas des annonces.
Les prêts garantis par l'État (PGE), avec 130 milliards d'euros accordés, sont un incontestable succès français. Bien sûr, ils conduisent à une augmentation de l'endettement des entreprises. D'après les analyses de la Banque de France, fin novembre, l'endettement brut cumulé des entreprises avait augmenté de 13 % par rapport à fin 2019, soit une hausse de 215 milliards d'euros. Cela dit - et c'est moins connu - cette hausse est presque compensée par une augmentation significative, de 197 milliards d'euros, de leur trésorerie. Bien sûr, ces chiffres agrégés ne reflètent pas nécessairement les situations individuelles.
Pour éviter que cet endettement ne fragilise les entreprises, il faudra passer d'une action générale en liquidité, qui était la priorité de l'an dernier, à une phase sélective en solvabilité, c'est-à-dire en fonds propres, concentrée sur les entreprises économiquement viables mais financièrement fragilisées par la crise. Le dispositif public de quasi-fonds propres est là, avec des montants suffisants, permettant d'atteindre 20 milliards d'euros de soutien en fonds propres.
Je formule à cet égard deux souhaits. D'abord, il vaudrait mieux expérimenter plusieurs instruments en parallèle : non seulement des prêts participatifs, mais aussi des obligations subordonnées, ou d'autres solutions. Et leur distribution devrait être assurée non seulement par les banques, mais aussi par les assurances et les fonds. Ce n'est pas toujours la tradition française que d'expérimenter plusieurs dispositifs publics en parallèle, mais cela servirait mieux l'intérêt des TPE et PME. Mon deuxième souhait est que ces distributeurs financiers soient aussi co-investisseurs privés et prennent une part, certes minoritaire, du risque. Si nous en restions à 100 % de risque public, nous manquerions probablement la nécessaire sélectivité, nécessaire pour éviter des sinistres budgétaires, mais surtout pour garantir la productivité future : il faut aider les entreprises qui ont une perspective de viabilité économique.
Monsieur le Président, vous avez abordé indirectement l'hypothèse d'une annulation de la dette publique. C'est une illusion séduisante, mais ce n'est pas une solution. Un prêteur, privé ou public, qui ne serait plus remboursé, ne prêtera plus. De manière plus spécifique, l'annulation de la dette publique détenue par la BCE et la Banque de France reviendrait à financer directement les États, ce qui est exclu par le traité fondateur de l'euro, qui ne constitue pas une règle européenne de plus mais un pacte de confiance, par lequel la France a engagé sa parole, non seulement vis-à-vis des autres États de l'euro, mais aussi vis-à-vis des citoyens français et de leur confiance dans la monnaie. En l'absence de consensus pour modifier ces traités, vouloir annuler les dettes signifierait quitter l'euro ; il faut le dire. En outre, cela ne produirait aucun gain net pour la collectivité nationale. L'économiste Olivier Blanchard, qui ne passe pas pour être un orthodoxe étroit, le dit ce matin dans la presse, en termes moins choisis que les miens.
Dès lors, quel est le chemin vers le désendettement ? Sur la photographie de départ, dans notre scénario central, notre dette publique atteindrait, d'ici 2022, 120 % du PIB. Le sac à dos des jeunes pèse ainsi, aujourd'hui, deux fois plus lourd qu'il y a vingt ans, et six fois plus lourd qu'il y a quarante ans. Soyons clairs : le supplément de dette publique que nous aurons accumulé en cette période de crise est totalement justifié, car il correspond à des mesures nécessaires pour contrer les effets de la covid. Le problème de la France est plutôt le niveau de dette, avoisinant les 100 % du PIB, avec lequel elle est entrée dans cette crise.
Dans des conditions économiques qui seront revenues à la normale - il ne s'agit pas de resserrer le déficit budgétaire avant qu'on ne soit solidement sortis de cette crise - il faut d'abord que le déficit public revienne autour de 3 % du PIB, pour que le ratio entre la dette et le PIB se stabilise : il s'agit de ce que les spécialistes appellent le solde stabilisant. Il se trouve que nous bénéficions de l'effet favorable du différentiel entre le taux de croissance et le taux d'intérêt. Dans ma génération, on apprenait dans les manuels qu'en moyenne, sur longue période, le taux de croissance était égal au taux d'intérêt. Cela n'est plus vrai, et le taux d'intérêt est inférieur au taux de croissance, en raison d'un excès mondial d'épargne. Cela dit, tant que le déficit public dépasse les 3 %, cet effet favorable ne suffit pas à compenser l'accumulation des déficits. En Allemagne ou au Pays-Bas, la situation de départ est meilleure, en raison d'une moindre accumulation des déficits.
Après la sortie de crise, à partir de 2023, pour commencer à réduire la dette, nous aurons besoin de combiner trois ingrédients : le temps, en nous donnant par exemple une perspective décennale ; la croissance, aidée par les réformes ; et une meilleure maîtrise de nos coûts publics, dépenses comme baisses d'impôts. Dans la durée, nous devrions donc tendre vers une stabilisation en volume des dépenses publiques primaires, c'est-à-dire hors charge de la dette.
La dette publique baisserait alors, significativement, de 20 points de PIB en dix ans. À titre indicatif, un objectif de croissance des dépenses de 0,5 % en volume permettrait une baisse moindre, mais significative, de dix points de PIB en dix ans. Pour mémoire, depuis dix ans, la croissance des dépenses publiques en volume a été en moyenne de 1,1 %. Tendre vers une stabilisation en volume est une ambition exigeante mais accessible. Il s'agit avant tout de l'efficacité de la dépense publique : nous avons le même modèle social que nos voisins européens, mais il nous coûte plus cher, puisque notre ratio de dépenses publiques est beaucoup plus élevé, atteignant 55 % du PIB en 2019, contre 45 % ailleurs. Pour être efficace, cet objectif de dépenses devrait s'accompagner d'une stabilisation des taux d'imposition et de cotisations sociales. Nous avons fait beaucoup de baisses d'impôt dans le passé, sans avoir toujours les moyens de les financer. En outre, la stabilité fiscale serait un facteur de prévisibilité pour les ménages et les entreprises. À l'inverse, si nous en restions au rythme de dépenses des dix dernières années, cela suffirait à peine à stabiliser le ratio de dette publique, ce qui nous fragiliserait beaucoup face aux prêteurs internationaux, a fortiori en cas de nouveau choc.
Je terminerai par l'engagement durable de la Banque de France dans les territoires, qui correspond à l'ambition d'efficacité de la dépense publique. Elle a, en effet, affiché des résultats convaincants en la matière ces cinq dernières années.
Mercredi dernier, nous avons annoncé la fermeture de treize de nos caisses de tri des billets d'ici la fin de l'année prochaine. Ce n'est pas la première adaptation de notre réseau fiduciaire : nous avons dû déjà passer de 210 caisses en 1980 à 72 en 2012, et à 37 actuellement. C'est une décision nécessaire, car en l'absence d'adaptation, notre réseau de caisses se serait retrouvé en sous-activité, de l'ordre de 40 % en 2022. Comme partout ailleurs, l'usage des espèces pour les transactions décline chez nos concitoyens : entre 2012 et 2019, le nombre de billets utilisés dans les paiements de proximité a déjà diminué de près de 20 % et, sur la seule année 2020, le nombre de billets reçus à nos guichets a baissé de près de 25 %.
Mais je tiens à donner ici trois garanties. La première s'adresse à nos collaborateurs, que nous accompagnerons vers d'autres activités : il n'y aura aucun départ contraint pour les 134 salariés concernés. La seconde garantie porte sur nos missions : nous maintiendrons 23 caisses en 2022 - entre une et trois par région -, car nous entendons rester au coeur de la filière fiduciaire et garantir aux Français la liberté de choix de leurs moyens de paiement. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces. Même si leur usage décline, elles sont particulièrement adaptées aux besoins des populations financièrement fragiles. La troisième garantie, essentielle, porte sur notre présence dans tout le territoire : nous ne quittons aucune ville à l'occasion de cette adaptation, et nous resterons durablement présents dans chaque département, avec 106 implantations permanentes pour nos activités de soutien aux entreprises et aux particuliers.
Ces services à l'économie et à la société sont plus que jamais au coeur de nos missions, dans la crise actuelle. Vous pouvez compter sur la Banque de France et sur la médiation du crédit - plus de 14 000 dossiers ont été traités en 2020, soit 14 fois plus qu'en 2019, pour près de 80 000 emplois préservés -, sur l'accompagnement des TPE-PME - plus de 10 000 saisines ont été enregistrées en 2020 - et des ménages en difficulté, dans chaque département.
Au regard de l'endettement des entreprises, qui constitue le principal risque identifié, que pensez-vous du décalage d'un an supplémentaire du début du remboursement des PGE ? Quelles sont vos estimations du taux de sinistralité de ces prêts ?
La situation des banques soulève également des interrogations, car la part de crédits non performants pourrait augmenter en raison de la crise, dans un contexte d'érosion de leur rentabilité, sensiblement inférieure aux banques américaines. La Commission européenne doit présenter au printemps prochain ses propositions pour mettre en oeuvre les dernières dispositions des accords de Bâle III. Dans ce contexte, n'y a-t-il pas un risque pour la capacité des banques européennes à soutenir la relance de l'économie ? Est-il besoin de revoir les modalités de cet accord en raison de la crise sanitaire ?
Depuis le début de la crise, le Sénat s'est intéressé aux conséquences pour les assureurs, en termes de sinistralité. En attendant la mise en place d'un éventuel régime de prise en charge des pertes d'exploitation pour l'avenir - nous l'appelons de nos voeux, bien que Bruno Le Maire semble pour sa part désormais l'écarter -, nous avons adopté dans le projet de loi de finances une contribution exceptionnelle sur les primes d'assurance-dommage. En tant que régulateur, quel regard portez-vous sur le secteur des assurances : a-t-il réellement pâti de la crise, comme il l'indique, ou bien est-il résilient ?
Où en sont les travaux pour répondre aux carences identifiées dans l'accès aux espèces, et quelles garanties peut-on donner aux territoires pour assurer une couverture de qualité ?
Enfin, lors de l'examen du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte, j'avais proposé de compléter le cadre juridique des cryptoactifs. Le Gouvernement et l'Assemblée nationale s'y étaient alors opposés, préférant recourir à une ordonnance. Or cette dernière a été prise en décembre dernier, reprenant plusieurs de mes propositions. Le bitcoin a atteint des sommets en fin d'année 2020, voyant sa valeur multipliée par trois en deux mois. Surtout, Blackrock, premier gestionnaire d'actifs au monde, a annoncé qu'il pourrait désormais investir dans le bitcoin, reliant ainsi directement les cryptoactifs à la sphère financière. Pourtant, les institutions financières semblent à la peine pour appréhender ce phénomène, conçu en dehors des cadres traditionnels. Comment surmonter ce décalage ?
Je constate que l'on ne parle plus du Brexit aujourd'hui. Il a certes eu lieu, mais le mandat de négociation sur l'accord entre l'Union européenne et le Royaume-Uni a renvoyé à un traitement spécifique la question des marchés financiers. Qu'en est-il ? Quel accord pourrait être trouvé ?
S'agissant de la revue stratégique que conduit actuellement la Banque centrale européenne, des évolutions sont-elles envisagées dans la façon dont elle conduit son mandat ?
Enfin, sur le crédit immobilier, je souhaiterais avoir des précisions sur la décision du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), rendue en décembre dernier. La crise a-t-elle un impact sur le crédit immobilier ? Quelle réponse comptez-vous y apporter ?
Sur la question de l'endettement des entreprises et des PGE, je pense que la capacité de prolongation d'un an est une bonne chose, car on sentait bien monter l'inquiétude vis-à-vis d'un prétendu mur de remboursement au printemps prochain. Je rappelle que cette prolongation s'accompagne de possibilités d'amortissement, avec un étalement des paiements jusqu'à quatre ans, qui permettent de rembourser un PGE au fur et à mesure que la situation économique s'améliore.
La Banque de France estime - il ne s'agit que d'une prévision ! - que le taux de sinistralité se situe entre 4,5 % et 6 % du total des PGE. Les prêts concernés pourraient se traduire par des pertes couvertes par l'État à hauteur de 90 %.
S'agissant de la solvabilité et du renforcement ciblé des fonds propres, j'ai appelé à ce qu'il y ait plusieurs dispositifs qui puissent être mis en oeuvre en parallèle, car plusieurs financeurs interviennent en réalité - banques, assureurs et fonds -, et parce que les entreprises se trouvent dans des situations différentes. Il nous semble que le montant de 20 milliards d'euros, correspondant à ce que prévoit la loi de finances pour 2021, est adapté. Les dispositifs de type mécanismes de marché, les subventions définitives et le soutien fiscal - la capacité de réévaluation des bilans de franchise de plus-value constitue à ce titre une mesure intelligente - contribuent à renforcer les fonds propres des entreprises. Il conviendrait néanmoins que le dispositif de renforcement des fonds propres des entreprises prévu par la loi de finances pour 2021 soit mis en place assez rapidement, alors que nous allons entrer dans le temps de la reconstruction. Derrière la question des fonds propres, il y a l'investissement, dont on peut craindre qu'il soit une victime cachée de la crise, même s'il résiste relativement bien jusqu'à présent.
Je ne peux que relever la résilience du secteur bancaire en 2020 face à la crise. Il y certes eu un recul du résultat, compte tenu de la montée des provisions et de la charge du risque, mais la solvabilité a encore augmenté l'an passé. Les établissements on fait eux-mêmes des efforts, et la règlementation a été renforcée. Bien que nous soyons confrontés à une crise sanitaire qui entraîne une crise économique et sociale très grave, nous n'avons pas subi, cette fois-ci, de crise bancaire et financière, à la différence de 2010. Cela tient en bonne partie au renforcement des règles de sécurité, c'est-à-dire aux accords de Bâle III et, du côté des assureurs, à la directive européenne Solvabilité II. La France et l'Union européenne auraient donc tort de renoncer à ces instruments. Je précise d'ailleurs que les accords de Bâle III n'ont en rien empêché l'augmentation du crédit aux entreprises, de l'ordre de plus 20 % pour les TPE-PME. Il est donc nécessaire de procéder à leur transposition.
Cette dernière doit néanmoins être équitable, c'est-à-dire qu'il faut veiller à ce que les accords soient transposés partout, notamment des deux côtés de l'Atlantique. Elle doit être raisonnable, en évitant les surcharges indues ou excessives, et définitive, puisqu'il s'agit d'une stabilisation et d'un arrêt à la réglementation, seule l'évaluation du dispositif étant susceptible d'évoluer.
Je constate que le secteur français des assurances a été particulièrement résilient, son ratio de solvabilité - autour de 240 % - étant bien supérieur à ce qui est d'ordinaire nécessaire. Néanmoins, il est normal que le secteur souffre de la crise, compte tenu notamment de l'augmentation globale de la sinistralité et des taux bas. En dépit des difficultés, le secteur assurantiel doit continuer à remplir sa mission au service de l'économie et des entreprises.
La Banque de France tient au fiduciaire. S'agissant du réseau des distributeurs automatiques de billets (DAB), elle entretient un dialogue nourri avec les banques et les transporteurs de fonds. Sur le long terme, la situation du réseau est plutôt satisfaisante : de 1994 à aujourd'hui, le nombre de DAB est passé en France de 24 000 à 50 000, correspondant ainsi à un des taux les plus élevés d'Europe, rapporté à la population. Mais ces dernières années, la tendance s'est inversée, le parc de DAB a commencé à s'éroder. Le véritable problème tient à la disparition des DAB dans les communes. Sur l'année 2019, un déséquipement net de seize communes, à l'échelle nationale, a été enregistré. Il faut donc recourir à des formules supplémentaires pour favoriser l'accès des citoyens aux espèces : cashback, distributeurs financés par les communes, etc.
Les cryptoactifs ne remplissent aucune des fonctions traditionnelles d'une monnaie : il ne s'agit ni d'une réserve de valeur, ni d'une unité de compte, ni d'un moyen de paiement. Il y a derrière le bitcoin une technologie prometteuse, la blockchain, mais pour le reste, c'est un instrument purement spéculatif. Les risques sont élevés dans le domaine des cryptoactifs, appelant à une réglementation forte, qui les réserve à des investisseurs avisés. De ce point de vue, en France, les renforcements récents de l'ordonnance sont bienvenus, et je me réjouis de la présentation par la Commission européenne, en octobre dernier, du projet de directive market in crypto-assets (MICA).
Les critères budgétaires et financiers fixés par l'Union européenne - déficit annuel inférieur à 3 % du PIB et dette inférieure à 60 % du PIB - sont-ils encore opérants ? Une révision ne serait-elle pas souhaitable ?
Je constate que la dette préoccupe nos concitoyens, alors qu'elle ne semble pas du tout inquiéter nos créanciers. L'Agence France Trésor a levé un peu plus de 5 milliards d'euros le 25 janvier dernier, à des taux négatifs et à des durées variant de trois à six mois. Comment expliquer ce contraste entre la quiétude des créanciers et l'inquiétude des citoyens ?
Anthony Requin, président de l'Agence France Trésor, a déclaré, il y a quelques jours que « la demande par rapport à l'offre est assez importante. La France a un très bon crédit auprès des investisseurs. La dette française fait office de valeur refuge, un coffre-fort qu'elle fait payer. Les gens placent leurs économies pour être sûrs de récupérer leur somme, et un coffre-fort, ça se loue. Les investisseurs nous confient leurs liquidités, ils paient le prix de la location de cette sécurité : c'est le taux d'intérêt négatif que vous voyez. Le coffre-fort, c'est la signature de l'État [...] La France a levé, le 19 janvier, 7 milliards d'euros sur cinquante ans, à un taux historiquement bas ».
La BCE a outrepassé ses propres règles, même si, selon les précautions de langage, on dit qu'elle a pris des mesures non conventionnelles, qu'elle a opté pour une politique accommodante et qu'elle a pratiqué de l'assouplissement quantitatif. Pour ma part, je pense que l'annulation de la dette française détenue par la BCE donnerait beaucoup d'oxygène à la France, ainsi qu'aux autres pays se trouvant dans une situation analogue.
Pensez-vous qu'il existe un risque de bulle financière - les liquidités injectées ont en effet fait gonfler les marchés -, considérant ce paradoxe par lequel la sphère financière se porte bien, alors que l'économie réelle se trouve dans une situation alarmante ?
Enfin, ne pourrait-on pas mobiliser l'épargne des Français, alors qu'un afflux supplémentaire équivalent à 100 milliards d'euros a été enregistré ? Cela nous permettrait sans doute de nous extraire de la tutelle des marchés privés qui nous financent.
Où en sont les crédits interentreprises ? En septembre, la menace semblait assez claire, mais elle paraît avoir légèrement diminué.
Pouvez-vous nous dire quelle quantité de la dette française est détenue par la Banque de France, ainsi que sa maturité moyenne ? De plus, que détient-elle comme dette souveraine étrangère ?
Vous espérez un retour à une activité équivalente à celle précédant la crise au troisième trimestre 2022. Cette estimation me semble quelque peu optimiste...
J'insiste sur notre capacité à mesurer les effets de la crise. En 2020, il y a eu moins de dépôts de bilan qu'en 2019. Pour les entreprises qui ont bénéficié d'un PGE, vous vous attendiez à un taux de chute de 4,5 % à 6 %. Qu'est-ce que cela donne en nombre d'entreprises ? Votre prévision est-elle bien réaliste ? Que pensez-vous d'une règle d'or pour parvenir à la réduction de la dette à 100 % du PIB ?
Outre le maintien des dépenses en volume au niveau actuel, des réformes structurelles devront être menées pour que la compétitivité de notre pays soit assurée. Quelles sont les propositions que vous pouvez formuler en la matière ?
Dans les décisions de restructuration des réseaux de la Banque de France que vous prenez, il conviendrait que vous preniez en compte l'aménagement du territoire : l'enjeu est d'éviter de concentrer toutes les activités des grandes institutions financières dans les seules métropoles qui se portent bien.
Vous avez déclaré que la dette liée au covid-19 est justifiée, et que le problème consiste en ce que nous sommes entrés dans cette crise avec une dette trop élevée. Quand nous en sortirons, il faudra nous désendetter.
Un certain nombre d'économistes nous alertent sur les risques de l'austérité. Laurence Boone fait valoir qu'il faut que nous soyons certains que les gouvernements ne réduiront pas la dépense publique dans les années suivant la récession. Par le passé, le retour précipité aux règles budgétaires des traités européens et les cures d'austérité ont entraîné la zone euro dans une nouvelle récession, aggravant alors les écarts au sein de l'union monétaire, et le spectre de la colère sociale de nos concitoyens n'est pas très éloigné...
Au printemps dernier, les institutions européennes ont décidé de suspendre les règles budgétaires sans vraiment susciter de débat. Elles appellent les États à poursuivre l'usage de leur outil fiscal avec un haut niveau de dépenses publiques et des taxes faible, afin d'aider les économies à se redresser. Dans ce contexte, les politiques d'austérité, que l'on peut raisonnablement craindre, vous paraissent-elle être une solution pour l'avenir ?
Vous m'avez adressé un courrier, il y a quelques jours, m'informant de la fermeture de l'agence de la Banque de France au Mans, en faisant le constat d'une baisse générale de l'usage des espèces dans les transactions, de près de 20 % entre 2012 et 2019. Nos populations rurales ne sont pas toutes mondialisées, le e-commerce et la digitalisation des services sont de nature à complexifier les échanges. Pouvez-vous donc nous certifier que les territoires seront accompagnés de manière personnalisée et efficiente dans ces décisions de fermeture ?
S'agissant du montant des PGE, je m'interroge sur le niveau allemand, qui semble être très au-dessus des autres pays, singulièrement de la France. Quelle explication apportez-vous à ce phénomène ?
Je ne peux que souscrire à votre propos sur le fait qu'un certain nombre de baisses d'impôts étaient légèrement au-dessus de nos moyens, d'autant qu'elles n'ont fait qu'augmenter les inégalités. La diminution de la dépense publique pour revenir à des niveaux normaux du PIB, avec ce ratio qui nous préoccupe tous, est aussi en question. Comment, dans ce cadre, financer la réduction des inégalités et l'accord de Paris sur le climat, auquel Ursula von der Leyen a ajouté un objectif sur la biodiversité ? Peut-être faudrait-il réorienter la politique européenne monétaire, qui aujourd'hui déverse beaucoup d'argent sur les marchés, argent qui n'arrive jamais jusqu'à l'économie réelle ? Un Quantitative Easing vert constitue l'un des outils que nous pourrions utiliser pour y parvenir.
Je comprends bien les inquiétudes qui émergent sur la question du remboursement de la dette publique, mais l'annuler serait une idée idiote !
Vous nous avez donné un certain nombre de pistes sur les conditions de remboursement de cette dette, comme la maîtrise des dépenses publiques, mais, paradoxalement, vous n'avez pas parlé de l'inflation. Historiquement, la diminution du poids de la dette publique vient plus souvent de l'inflation que de la croissance réelle. Faudrait-il donc se réjouir d'un retour de l'inflation pour nous aider à diminuer cette dette ?
Je rejoins l'interrogation d'Éric Bocquet sur l'épargne des Français, qui n'a jamais été aussi importante. Quelles sont les pistes possibles pour la mobiliser davantage ?
La Banque de France a-t-elle mené des études pour évaluer l'intérêt de la politique de monnaie hélicoptère par rapport à celle du Quantitative Easing, actuellement pratiqué par la BCE ?
Il est bon que l'on ne parle plus du Brexit, car il y a désormais un accord sur les échanges de biens. Ce dernier, cependant, ne couvre pas les services financiers, qui relèvent donc de discussions bilatérales et du seul régime d'équivalence, décidé du côté européen. Au sein de l'Union européenne, un rapatriement des activités sur l'épargne européenne s'étant effectuée au Royaume-Uni est nécessaire. Il y a eu, pour la place de Paris plus de 170 milliards d'euros d'actifs rapatriés, et 2 500 emplois directs.
Nous conclurons la revue stratégique d'ici l'automne prochain. Plusieurs sujets sont encore à l'ordre du jour, dont la clarification de l'objectif d'inflation et l'amélioration de notre communication, laquelle est très importante pour des raisons démocratiques et économiques.
Au niveau national, nous allons lancer le dispositif « La Banque de France à votre écoute » auprès des forces économiques et de l'ensemble de nos concitoyens, car la politique monétaire doit pouvoir relever du débat public. Dans les échanges qui précèdent la conclusion de la revue stratégique, nous serions heureux de tenir, avec votre commission, une session spécifique.
La Banque de France a un mandat hiérarchisé : priorité est donnée à l'inflation, avec la cible de 2 %. Mais en pratique, je ne vois pas une différence significative avec un l'exercice d'un mandat double, car l'inflation et l'emploi étant trop bas, les deux sont liés, et soutenir l'activité dans la perspective des 2 % c'est aussi contribuer de façon efficace à la lutte contre le chômage. Ainsi, entre 2013 et 2019, la politique monétaire a permis la création de deux à trois millions d'emplois dans la zone euro, sur un total de onze millions.
La question la plus nouvelle est celle de l'environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Je plaide vigoureusement pour que la revue stratégique marque un changement en ce sens. Ces enjeux ont déjà un effet par rapport à notre mandat de stabilité des prix, et la protection de l'environnement figure de toute façon parmi nos objectifs complémentaires. Je pense qu'il y a lieu d'obliger les institutions financières à intégrer les risques climatiques dans leur gestion. La Banque de France, qui est pionnière sur ces questions, a pris la tête du Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS - réseau des banques centrales et superviseurs pour verdir le système financier), qui compte aujourd'hui plus de 80 adhérents, dont la Réserve fédérale américaine. En outre, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) publiera les premiers tests de résistance climatiques au mois d'avril prochain.
L'ambition soutenant la percée que nous devrions accomplir en matière d'environnement doit être large : il conviendrait non pas de se focaliser sur les seules obligations vertes, mais d'intégrer le changement climatique dans toute notre analyse, notre modernisation économique, notre politique de collatérale de garantie et nos politiques d'achat.
Nous allons publier, cette semaine, la recommandation traduisant la décision du Haut conseil de stabilité financière (HCSF) du 17 décembre dernier. La recommandation prise en décembre 2019 s'est révélée efficace, par rapport à notre objectif visant à arrêter, dans l'intérêt même des ménages et de la stabilité financière, une dérive continue des conditions d'octroi qui n'est plus soutenable. En effet, depuis 2015, la durée des crédits s'allonge continuellement, et le taux d'effort augmente, la poursuite de cette tendance étant de nature à augmenter le risque de surendettement. L'inflexion, qui a fait de premiers progrès en 2020, doit se poursuivre à l'avenir. La recommandation s'avère de surcroît équilibrée.
Nous en avons, le 17 décembre dernier, ajusté et réglé certains paramètres, portant sur le taux d'effort et sur la prise en compte du différé initial d'installation et de remboursement. En contrepartie, nous tenions à renforcer tant le caractère contraignant de la recommandation - elle sera appliquée par tous les établissements bancaires - que la priorité donnée aux primo-accédants et autres accédants. Dès lors, sur une flexibilité que nous portons à 20 % de la production totale, 30 % au moins devront désormais être réservés par les banques aux primo-accédants.
À l'été, le HCSF prendra les dispositions juridiques nécessaires pour que la recommandation devienne une norme. Cette décision a été largement saluée : comptez d'autant plus sur la Banque de France et l'ACPR pour en garantir le respect dans toutes ses composantes, avec l'équilibre que j'ai décrit. Je crois que nous aurons ainsi préservé le modèle français de crédits immobiliers.
Monsieur Bocquet, les conditions économiques ont changé, notamment les taux d'intérêt et les taux de croissance, par rapport à ce qui avait été décidé dans les années 1990. Mais il ne faut pas perdre de vue la philosophie essentielle : un certain nombre de règles de précaution sont nécessaires sur la dette, pour éviter de fragiliser l'avenir. Plus nous voulons être capables de réagir dans l'urgence, plus il est nécessaire de donner une perspective pluriannuelle de confiance.
Il est vrai que la France a un très bon crédit ; historiquement, elle fait partie des rares pays qui n'ont jamais annulé leur dette, depuis deux siècles, ce qui peut expliquer la confiance des créanciers. Par ailleurs, je tiens à préciser que la soi-disant quiétude de ces derniers peut être un facteur volatile dans l'avenir. Je reconnais qu'il y a eu des cas de rupture brutale de la confiance des créanciers, comme en Grèce ou en Argentine. L'Italie a connu, en 2011-2012 et en 2018, deux alertes fortes sur ses niveaux de taux d'intérêt, qui ont affecté très défavorablement la croissance du pays. Je pense que l'on ne peut pas parier l'avenir de l'économie française sur l'idée que la confiance des créanciers, et donc de bas niveaux de taux d'intérêt, sont acquis à tout moment.
Je ne suis pas d'accord sur le fait que la BCE aurait outrepassé ses règles. Celles-ci prévoient simplement qu'il n'y a pas de financement monétaire des États ou des déficits. La BCE et la Banque de France n'ont pas le droit d'intervenir directement sur le marché primaire - s'il n'y a pas d'investisseurs privés, il n'y a donc pas de placement de la dette -, et ne peuvent racheter qu'une proportion limitée des lignes émises. L'argent mis en circulation par la BCE au titre de son pouvoir de création monétaire est non pas donné, mais toujours prêté. La BCE ne peut pas créer durablement de la richesse et de la croissance : seuls notre travail et la production le peuvent.
Sur le risque de bulle financière, nous avons publié le 7 janvier dernier notre évaluation des risques systémiques. J'appelle particulièrement votre attention sur le risque lié aux fonds de court terme, très dominants aux États-Unis, mais progressant en Europe, qui n'ont pas fait l'objet du même effort de régulation à la suite de la crise financière, et sur le risque d'une surévaluation éventuelle des marchés financiers.
Selon notre ordre de grandeur, le surplus d'épargne des Français, par rapport à l'épargne normale, est aujourd'hui d'un peu plus de 80 milliards d'euros et devrait se situer autour de 110 milliards à 120 milliards d'euros à la fin de l'année 2020, ce qui représente entre 4 % et 5 % du PIB. Cette épargne est déjà présente dans l'économie, sur des dépôts bancaires, des livrets A ou des contrats d'assurance vie, et recyclée pour des prêts aux entreprises, par exemple. Ce n'est donc pas de l'argent qui dort !
Je reste prudent sur la question de savoir si l'on peut faire de l'épargne une affectation plus directe à la reconstruction, et notamment aux entreprises, car il s'agit là d'un investissement risqué. Je pense qu'il convient de mettre directement l'épargne des ménages en face de l'investissement en entreprises pour partie, mais seulement pour les investisseurs les plus avisés et qui peuvent le mieux supporter un risque éventuel de perte, sans quoi on remettrait au centre la nécessité d'une garantie publique... L'épargne représente une réserve de croissance pour l'avenir, qui ne sera utilisée par nos concitoyens que lorsque la confiance sera revenue.
Je rejoins votre appréciation, monsieur Bascher, sur le sujet des crédits interentreprises. Il nous semble qu'il y a des risques, bien qu'il n'y ait pas d'alerte massive ou de durcissement. Le Médiateur national du crédit, Frédéric Visnovsky, co-préside d'ailleurs un comité de crise de suivi des délais de paiement.
Sur la totalité de la dette souveraine française, 600 milliards d'euros sont détenus par l'eurosystème, dont l'essentiel par la Banque de France, ce qui représente environ le quart de la dette publique française. Cela tient aux caractéristiques d'achat des titres souverains par les banques centrales nationales. A priori, la Banque de France ne détient pas de dette souveraine étrangère dans le cadre de la politique monétaire. En revanche, elle peut en détenir dans le cadre de ses réserves de change et de ses politiques de placement.
Le retour de notre activité à 100 % au troisième trimestre 2022 ne constitue qu'une prévision, monsieur Dallier. Nous avons d'ailleurs publié deux autres scénarios, dont un plus sévère. La troisième vague ayant encore changé les choses, nous restons prudents, mais ce que nous savons aujourd'hui reste compatible avec nos prévisions.
Vous avez posé la question de la règle d'or, qui rejoint d'ailleurs celle de l'adaptation des règles européennes. Aujourd'hui, la priorité est de lutter contre la crise et de le faire sans compter. Néanmoins, je formule le souhait que l'on vise une règle plus simple et mieux respectée par tous. Par exemple, vous savez que la règle européenne repose sur la notion de déficit structurel, soit un effort d'au moins 0,35 % par an d'amélioration du solde structurel. Techniquement, c'est un débat inextricable entre économistes. Mieux vaut donc se référer à la norme de dépenses, qui me paraît beaucoup plus simple.
Monsieur Canevet a posé la question de la perspective sur la dette. Je crois y avoir assez répondu. Je vous rejoins totalement sur les réformes structurelles. Dans le grand débat qui se focalise actuellement sur la politique monétaire et la politique budgétaire, nous oublions la troisième composante de la croissance, à savoir les réformes structurelles. De ce point de vue, je dirai un peu de bien du plan de relance français, qui a pour vertu d'être aussi d'un plan de transformation sur les trois « plus » : il est plus écologique - c'est la transformation verte -, il est plus numérique et il est plus qualifié - c'est la bataille des compétences. J'insiste sur ce troisième « plus », dont on parle moins, mais qui est le plus important. La France a su créer entre 2016 et 2019 1 million net d'emplois. C'était une superbe performance. Nous étions en retard sur les compétences, nous commençons à faire enfin des progrès sur la formation professionnelle et sur l'apprentissage.
Je partage votre souci en ce qui concerne l'aménagement du territoire. Mais il faut trouver la bonne façon d'y répondre. La Banque de France s'engage durablement à maintenir au moins une succursale par département. Par ailleurs, dès que nous pouvons délocaliser des activités parisiennes, nous le faisons.
Monsieur Cozic, je ne crois pas être en contradiction avec les propos de Laurence Boone. Je n'ai pas parlé d'austérité ni de baisse des dépenses publiques. Aujourd'hui, le soutien budgétaire est indispensable. Néanmoins, la France est le pays qui parle le plus d'austérité en Europe, mais c'est aussi le pays qui en est le plus loin historiquement ! On peut également faire des progrès en termes de performance et d'efficacité. Croire aux services publics, c'est aussi croire qu'ils peuvent être plus efficaces. En revanche, il y a un temps pour tout. Aujourd'hui, le temps n'est pas au resserrement de la politique budgétaire, même si la question se posera à l'avenir.
Je suis totalement d'accord avec vous sur l'importance des espèces. Penser que le billet n'a pas d'avenir est une vue quasi idéologique. Je ne crois pas à la société cashless dont on nous parle tant. Il y a les populations rurales, il y a les populations âgées, il y a les populations défavorisées : il faut que les Français aient le choix du moyen de paiement, cela fait partie de la confiance dans la monnaie. Simplement, pour préserver la filière billets, il faut qu'elle reste compétitive. Nous devons donc adapter notre réseau.
Madame Taillé-Polian a posé la question du niveau des PGE. Les Allemands ont été les rois de l'effet d'annonce. Ils ont annoncé 500 milliards d'euros d'enveloppes de prêts garantis quand la France en annonçait 300 milliards d'euros. Mais ce qui compte, c'est ce qui a été effectivement dépensé, soit 10 % de cette enveloppe en Allemagne, c'est-à-dire 2,5 fois moins qu'en France.
Didier Rambaud m'a interrogé sur l'inflation. Je n'en ai effectivement pas parlé, car elle joue assez peu sur l'évolution de la dette dans la durée. En effet, la remontée de l'inflation, a fortiori si elle est maîtrisée - ce qui est le travail de la Banque centrale -, se traduit par une remontée à peu près équivalente des taux. En revanche, une inflation qui augmenterait sans contrôle serait très inquiétante pour les prêteurs et se paierait plus que proportionnellement sur la montée des taux d'intérêt.
Enfin, sur la monnaie hélicoptère, nous sommes convaincus de l'efficacité des mesures non conventionnelles. On estime que sur les cinq années 2015-2019, soit avant 2020 et le renforcement des mesures, la politique monétaire non conventionnelle, dont le Quantitative Easing, a eu un effet sur l'inflation d'environ 0,4 % par an et un effet sur la croissance de 0,5 % par an. Je ne crois pas que la monnaie hélicoptère ferait mieux. En revanche, elle soulève un certain nombre de problèmes juridiques, car il s'agit d'une monnaie sans contrepartie. Voilà pourquoi l'annulation de dette n'est pas une solution.
Imaginons un instant que la Banque de France décide d'annuler les 600 milliards d'euros de dette. Certes, la France aurait gagné 600 milliards d'euros, mais elle constaterait aussitôt une perte équivalente au bilan de la Banque de France. Or, comme la Banque de France appartient à tous les Français, ce que nous aurions gagné dans la poche gauche, nous l'aurions perdu dans la poche droite !
Au fond, l'intuition de la monnaie hélicoptère, selon laquelle il faut aller au-delà de l'argent prêté et viser certaines entreprises ou certains ménages, avec des transferts durables, c'est de la politique budgétaire. La politique monétaire ne peut qu'y contribuer indirectement grâce aux taux très bas qu'elle permet. Nous assumons le fait que, dans notre mandat de lutte contre l'inflation, nous aidons les États, mais ce n'est pas notre objectif premier.
Je souhaitais vous interroger sur les perspectives d'évolution de l'inflation, notamment en sortie de crise, mais vous avez déjà en partie répondu.
Je souhaiterais revenir rapidement sur les PGE. L'objectif de 300 milliards d'euros a-t-il été atteint ? Il faudra amortir et rembourser ces emprunts. Or, j'ai entendu avec stupéfaction le ministre des finances, M. Bruno Le Maire, indiquer que le taux, qui devait être d'environ 3 %, allait, grâce à lui, passer à 2,5 %. Mais actuellement, quand une entreprise normale, qui n'a pas fait appel au PGE, emprunte sur quatre ans, le taux va de 0,50 % pour un très bon dossier à 1 % pour un mauvais. Je suppose donc que les PGE doivent concerner de très mauvais dossiers ! Je ne comprends pas que les banques prennent des taux aussi importants, alors que l'État - c'est-à-dire nous - garantit 90 % du risque. Les banquiers veulent-ils faire un profit abusif ? C'est le ministre qui a annoncé ce taux, pas eux. Sur quatre ou cinq ans, même pour un dossier moyen, il serait normal que le taux soit d'environ 1 %. Nous parlons de chiffres considérables. Pouvez-vous exercer une influence à la fois sur le ministre des finances et sur les banques pour ramener le taux d'amortissement et les taux d'emprunt à un niveau raisonnable, c'est-à-dire autour de 1 % ?
À quelles conditions la Banque de France imagine-t-elle qu'une reprise de l'inflation soit possible dans une économie mondialisée ? On observe une pression constante à la baisse des prix de production, et le seul effet inflationniste porte actuellement sur les actifs mobiliers.
Merci pour les éléments que vous nous avez donnés sur la réalité des aides aux entreprises, notamment sous forme de prêts. Le ministre des comptes publics a indiqué il y a quelques jours qu'il fallait sortir du « quoi qu'il en coûte », sous réserve de la conjoncture sanitaire. Vous nous suggérez de revenir à 3 % de déficit, de stabiliser la dépense, deux objectifs louables. Pourriez-vous nous fournir des modèles de ces scénarios ? Nous avons besoin de pouvoir montrer que notre dette peut entrer dans un cycle vertueux. Et visualiser l'effet du niveau de la dépense publique sur la dette, à cet égard, aide beaucoup.
Vous avez parlé de soutenir l'économie, tout en insistant sur la sélectivité des aides. Il y a un débat sur les entreprises zombies. Il faut éviter de trop soutenir celles qui auraient connu des défaillances. Faut-il être plus sélectif dans les secteurs qui vont très mal ? Enfin, vous avez évoqué la compétitivité. Il semble que nous ayons un problème de déficit avec nos voisins européens. Est-ce dû à la surimposition des entreprises ? Nous avons entamé une réduction des impôts de production. Faut-il aller plus loin dans cette voie ? Si oui, comment le financer ?
Je ne reviendrai pas sur le verdissement de la politique monétaire, puisque vous avez déjà abordé ce sujet. Le Gouvernement a annoncé qu'il n'était pas question d'augmenter les impôts. Comment rembourser la dette sans augmenter les impôts ? Je n'ai pas la réponse, mais vous l'avez certainement !
Plusieurs entreprises se sont vues proposer des PGE par leur banque, alors qu'elles n'en avaient pas sollicité et n'en avaient pas besoin. Plusieurs banques m'ont confirmé qu'elles étaient allées au-devant de clients solvables pour ne prendre aucun risque. N'a-t-on pas trop privilégié la solvabilité par rapport à l'utilité de ces prêts ? Le phénomène que je rapporte, et qui est réel, est-il marginal ou important ?
Vous avez évoqué l'accès à la monnaie. Pendant le premier confinement, certains citoyens n'avaient plus aucun accès à la monnaie, parce que les DAB n'étaient pas alimentés, ou que les bureaux de poste étaient fermés. Dans mon département, un certain nombre de maires ont dû prêter personnellement des moyens de paiement à quelques administrés qui, sans cela, ne pouvaient même pas aller faire leurs courses. Comment éviter cela ? Certaines collectivités aimeraient que des DAB soient ouverts sur leur territoire, parce que c'est un facteur d'attractivité pour les commerces locaux. Les établissements bancaires ne souhaitent pas les ouvrir tant qu'il n'y a pas un certain seuil de mouvements, pour des questions de rentabilité. Depuis une dizaine d'années, j'ai eu l'occasion d'attirer l'attention, notamment des responsables de la Poste, sur le fait qu'on pouvait peut-être imaginer que la collectivité participe au financement du déficit. On me répond toujours qu'on va tenter des expérimentations. La Poste est en train d'envisager de mettre enfin en place une expérimentation dans mon département. Tant mieux : c'est un enjeu important, car il en va de l'attractivité de certains centres-bourgs.
Je souhaite revenir sur l'inflation sous-jacente. Quelle est sa tendance début 2021, en excluant les éléments volatils ? Quel est le montant des achats d'actifs pour 2020 ? Au 31 décembre 2019, je crois que la Banque de France détenait 611 milliards d'euros. Quel est le montant cumulé aujourd'hui ?
Sur les cryptomonnaies, j'ai entendu votre réponse. Où en est-on de l'émission d'une monnaie digitale de banque centrale de détail et de gros ? Le Libra de Facebook est un instrument de paiement de détail et aurait pour vocation de faciliter les paiements transfrontaliers. Qu'en pensez-vous ? J'ai fait partie de ceux qui ont commenté vos recommandations en matière d'épargne réglementée. Quelles sont vos recommandations aujourd'hui au Gouvernement ? J'avais l'impression d'une attaque contre l'épargne populaire, notamment sur le livret A, le livret de développement durable et, peut-être, l'épargne logement, par la remise en cause du régime de ces placements.