Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 janvier 2021 à 11h05
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau :

Il est bon que l'on ne parle plus du Brexit, car il y a désormais un accord sur les échanges de biens. Ce dernier, cependant, ne couvre pas les services financiers, qui relèvent donc de discussions bilatérales et du seul régime d'équivalence, décidé du côté européen. Au sein de l'Union européenne, un rapatriement des activités sur l'épargne européenne s'étant effectuée au Royaume-Uni est nécessaire. Il y a eu, pour la place de Paris plus de 170 milliards d'euros d'actifs rapatriés, et 2 500 emplois directs.

Nous conclurons la revue stratégique d'ici l'automne prochain. Plusieurs sujets sont encore à l'ordre du jour, dont la clarification de l'objectif d'inflation et l'amélioration de notre communication, laquelle est très importante pour des raisons démocratiques et économiques.

Au niveau national, nous allons lancer le dispositif « La Banque de France à votre écoute » auprès des forces économiques et de l'ensemble de nos concitoyens, car la politique monétaire doit pouvoir relever du débat public. Dans les échanges qui précèdent la conclusion de la revue stratégique, nous serions heureux de tenir, avec votre commission, une session spécifique.

La Banque de France a un mandat hiérarchisé : priorité est donnée à l'inflation, avec la cible de 2 %. Mais en pratique, je ne vois pas une différence significative avec un l'exercice d'un mandat double, car l'inflation et l'emploi étant trop bas, les deux sont liés, et soutenir l'activité dans la perspective des 2 % c'est aussi contribuer de façon efficace à la lutte contre le chômage. Ainsi, entre 2013 et 2019, la politique monétaire a permis la création de deux à trois millions d'emplois dans la zone euro, sur un total de onze millions.

La question la plus nouvelle est celle de l'environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Je plaide vigoureusement pour que la revue stratégique marque un changement en ce sens. Ces enjeux ont déjà un effet par rapport à notre mandat de stabilité des prix, et la protection de l'environnement figure de toute façon parmi nos objectifs complémentaires. Je pense qu'il y a lieu d'obliger les institutions financières à intégrer les risques climatiques dans leur gestion. La Banque de France, qui est pionnière sur ces questions, a pris la tête du Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS - réseau des banques centrales et superviseurs pour verdir le système financier), qui compte aujourd'hui plus de 80 adhérents, dont la Réserve fédérale américaine. En outre, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) publiera les premiers tests de résistance climatiques au mois d'avril prochain.

L'ambition soutenant la percée que nous devrions accomplir en matière d'environnement doit être large : il conviendrait non pas de se focaliser sur les seules obligations vertes, mais d'intégrer le changement climatique dans toute notre analyse, notre modernisation économique, notre politique de collatérale de garantie et nos politiques d'achat.

Nous allons publier, cette semaine, la recommandation traduisant la décision du Haut conseil de stabilité financière (HCSF) du 17 décembre dernier. La recommandation prise en décembre 2019 s'est révélée efficace, par rapport à notre objectif visant à arrêter, dans l'intérêt même des ménages et de la stabilité financière, une dérive continue des conditions d'octroi qui n'est plus soutenable. En effet, depuis 2015, la durée des crédits s'allonge continuellement, et le taux d'effort augmente, la poursuite de cette tendance étant de nature à augmenter le risque de surendettement. L'inflexion, qui a fait de premiers progrès en 2020, doit se poursuivre à l'avenir. La recommandation s'avère de surcroît équilibrée.

Nous en avons, le 17 décembre dernier, ajusté et réglé certains paramètres, portant sur le taux d'effort et sur la prise en compte du différé initial d'installation et de remboursement. En contrepartie, nous tenions à renforcer tant le caractère contraignant de la recommandation - elle sera appliquée par tous les établissements bancaires - que la priorité donnée aux primo-accédants et autres accédants. Dès lors, sur une flexibilité que nous portons à 20 % de la production totale, 30 % au moins devront désormais être réservés par les banques aux primo-accédants.

À l'été, le HCSF prendra les dispositions juridiques nécessaires pour que la recommandation devienne une norme. Cette décision a été largement saluée : comptez d'autant plus sur la Banque de France et l'ACPR pour en garantir le respect dans toutes ses composantes, avec l'équilibre que j'ai décrit. Je crois que nous aurons ainsi préservé le modèle français de crédits immobiliers.

Monsieur Bocquet, les conditions économiques ont changé, notamment les taux d'intérêt et les taux de croissance, par rapport à ce qui avait été décidé dans les années 1990. Mais il ne faut pas perdre de vue la philosophie essentielle : un certain nombre de règles de précaution sont nécessaires sur la dette, pour éviter de fragiliser l'avenir. Plus nous voulons être capables de réagir dans l'urgence, plus il est nécessaire de donner une perspective pluriannuelle de confiance.

Il est vrai que la France a un très bon crédit ; historiquement, elle fait partie des rares pays qui n'ont jamais annulé leur dette, depuis deux siècles, ce qui peut expliquer la confiance des créanciers. Par ailleurs, je tiens à préciser que la soi-disant quiétude de ces derniers peut être un facteur volatile dans l'avenir. Je reconnais qu'il y a eu des cas de rupture brutale de la confiance des créanciers, comme en Grèce ou en Argentine. L'Italie a connu, en 2011-2012 et en 2018, deux alertes fortes sur ses niveaux de taux d'intérêt, qui ont affecté très défavorablement la croissance du pays. Je pense que l'on ne peut pas parier l'avenir de l'économie française sur l'idée que la confiance des créanciers, et donc de bas niveaux de taux d'intérêt, sont acquis à tout moment.

Je ne suis pas d'accord sur le fait que la BCE aurait outrepassé ses règles. Celles-ci prévoient simplement qu'il n'y a pas de financement monétaire des États ou des déficits. La BCE et la Banque de France n'ont pas le droit d'intervenir directement sur le marché primaire - s'il n'y a pas d'investisseurs privés, il n'y a donc pas de placement de la dette -, et ne peuvent racheter qu'une proportion limitée des lignes émises. L'argent mis en circulation par la BCE au titre de son pouvoir de création monétaire est non pas donné, mais toujours prêté. La BCE ne peut pas créer durablement de la richesse et de la croissance : seuls notre travail et la production le peuvent.

Sur le risque de bulle financière, nous avons publié le 7 janvier dernier notre évaluation des risques systémiques. J'appelle particulièrement votre attention sur le risque lié aux fonds de court terme, très dominants aux États-Unis, mais progressant en Europe, qui n'ont pas fait l'objet du même effort de régulation à la suite de la crise financière, et sur le risque d'une surévaluation éventuelle des marchés financiers.

Selon notre ordre de grandeur, le surplus d'épargne des Français, par rapport à l'épargne normale, est aujourd'hui d'un peu plus de 80 milliards d'euros et devrait se situer autour de 110 milliards à 120 milliards d'euros à la fin de l'année 2020, ce qui représente entre 4 % et 5 % du PIB. Cette épargne est déjà présente dans l'économie, sur des dépôts bancaires, des livrets A ou des contrats d'assurance vie, et recyclée pour des prêts aux entreprises, par exemple. Ce n'est donc pas de l'argent qui dort !

Je reste prudent sur la question de savoir si l'on peut faire de l'épargne une affectation plus directe à la reconstruction, et notamment aux entreprises, car il s'agit là d'un investissement risqué. Je pense qu'il convient de mettre directement l'épargne des ménages en face de l'investissement en entreprises pour partie, mais seulement pour les investisseurs les plus avisés et qui peuvent le mieux supporter un risque éventuel de perte, sans quoi on remettrait au centre la nécessité d'une garantie publique... L'épargne représente une réserve de croissance pour l'avenir, qui ne sera utilisée par nos concitoyens que lorsque la confiance sera revenue.

Je rejoins votre appréciation, monsieur Bascher, sur le sujet des crédits interentreprises. Il nous semble qu'il y a des risques, bien qu'il n'y ait pas d'alerte massive ou de durcissement. Le Médiateur national du crédit, Frédéric Visnovsky, co-préside d'ailleurs un comité de crise de suivi des délais de paiement.

Sur la totalité de la dette souveraine française, 600 milliards d'euros sont détenus par l'eurosystème, dont l'essentiel par la Banque de France, ce qui représente environ le quart de la dette publique française. Cela tient aux caractéristiques d'achat des titres souverains par les banques centrales nationales. A priori, la Banque de France ne détient pas de dette souveraine étrangère dans le cadre de la politique monétaire. En revanche, elle peut en détenir dans le cadre de ses réserves de change et de ses politiques de placement.

Le retour de notre activité à 100 % au troisième trimestre 2022 ne constitue qu'une prévision, monsieur Dallier. Nous avons d'ailleurs publié deux autres scénarios, dont un plus sévère. La troisième vague ayant encore changé les choses, nous restons prudents, mais ce que nous savons aujourd'hui reste compatible avec nos prévisions.

Vous avez posé la question de la règle d'or, qui rejoint d'ailleurs celle de l'adaptation des règles européennes. Aujourd'hui, la priorité est de lutter contre la crise et de le faire sans compter. Néanmoins, je formule le souhait que l'on vise une règle plus simple et mieux respectée par tous. Par exemple, vous savez que la règle européenne repose sur la notion de déficit structurel, soit un effort d'au moins 0,35 % par an d'amélioration du solde structurel. Techniquement, c'est un débat inextricable entre économistes. Mieux vaut donc se référer à la norme de dépenses, qui me paraît beaucoup plus simple.

Monsieur Canevet a posé la question de la perspective sur la dette. Je crois y avoir assez répondu. Je vous rejoins totalement sur les réformes structurelles. Dans le grand débat qui se focalise actuellement sur la politique monétaire et la politique budgétaire, nous oublions la troisième composante de la croissance, à savoir les réformes structurelles. De ce point de vue, je dirai un peu de bien du plan de relance français, qui a pour vertu d'être aussi d'un plan de transformation sur les trois « plus » : il est plus écologique - c'est la transformation verte -, il est plus numérique et il est plus qualifié - c'est la bataille des compétences. J'insiste sur ce troisième « plus », dont on parle moins, mais qui est le plus important. La France a su créer entre 2016 et 2019 1 million net d'emplois. C'était une superbe performance. Nous étions en retard sur les compétences, nous commençons à faire enfin des progrès sur la formation professionnelle et sur l'apprentissage.

Je partage votre souci en ce qui concerne l'aménagement du territoire. Mais il faut trouver la bonne façon d'y répondre. La Banque de France s'engage durablement à maintenir au moins une succursale par département. Par ailleurs, dès que nous pouvons délocaliser des activités parisiennes, nous le faisons.

Monsieur Cozic, je ne crois pas être en contradiction avec les propos de Laurence Boone. Je n'ai pas parlé d'austérité ni de baisse des dépenses publiques. Aujourd'hui, le soutien budgétaire est indispensable. Néanmoins, la France est le pays qui parle le plus d'austérité en Europe, mais c'est aussi le pays qui en est le plus loin historiquement ! On peut également faire des progrès en termes de performance et d'efficacité. Croire aux services publics, c'est aussi croire qu'ils peuvent être plus efficaces. En revanche, il y a un temps pour tout. Aujourd'hui, le temps n'est pas au resserrement de la politique budgétaire, même si la question se posera à l'avenir.

Je suis totalement d'accord avec vous sur l'importance des espèces. Penser que le billet n'a pas d'avenir est une vue quasi idéologique. Je ne crois pas à la société cashless dont on nous parle tant. Il y a les populations rurales, il y a les populations âgées, il y a les populations défavorisées : il faut que les Français aient le choix du moyen de paiement, cela fait partie de la confiance dans la monnaie. Simplement, pour préserver la filière billets, il faut qu'elle reste compétitive. Nous devons donc adapter notre réseau.

Madame Taillé-Polian a posé la question du niveau des PGE. Les Allemands ont été les rois de l'effet d'annonce. Ils ont annoncé 500 milliards d'euros d'enveloppes de prêts garantis quand la France en annonçait 300 milliards d'euros. Mais ce qui compte, c'est ce qui a été effectivement dépensé, soit 10 % de cette enveloppe en Allemagne, c'est-à-dire 2,5 fois moins qu'en France.

Didier Rambaud m'a interrogé sur l'inflation. Je n'en ai effectivement pas parlé, car elle joue assez peu sur l'évolution de la dette dans la durée. En effet, la remontée de l'inflation, a fortiori si elle est maîtrisée - ce qui est le travail de la Banque centrale -, se traduit par une remontée à peu près équivalente des taux. En revanche, une inflation qui augmenterait sans contrôle serait très inquiétante pour les prêteurs et se paierait plus que proportionnellement sur la montée des taux d'intérêt.

Enfin, sur la monnaie hélicoptère, nous sommes convaincus de l'efficacité des mesures non conventionnelles. On estime que sur les cinq années 2015-2019, soit avant 2020 et le renforcement des mesures, la politique monétaire non conventionnelle, dont le Quantitative Easing, a eu un effet sur l'inflation d'environ 0,4 % par an et un effet sur la croissance de 0,5 % par an. Je ne crois pas que la monnaie hélicoptère ferait mieux. En revanche, elle soulève un certain nombre de problèmes juridiques, car il s'agit d'une monnaie sans contrepartie. Voilà pourquoi l'annulation de dette n'est pas une solution.

Imaginons un instant que la Banque de France décide d'annuler les 600 milliards d'euros de dette. Certes, la France aurait gagné 600 milliards d'euros, mais elle constaterait aussitôt une perte équivalente au bilan de la Banque de France. Or, comme la Banque de France appartient à tous les Français, ce que nous aurions gagné dans la poche gauche, nous l'aurions perdu dans la poche droite !

Au fond, l'intuition de la monnaie hélicoptère, selon laquelle il faut aller au-delà de l'argent prêté et viser certaines entreprises ou certains ménages, avec des transferts durables, c'est de la politique budgétaire. La politique monétaire ne peut qu'y contribuer indirectement grâce aux taux très bas qu'elle permet. Nous assumons le fait que, dans notre mandat de lutte contre l'inflation, nous aidons les États, mais ce n'est pas notre objectif premier.

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