Intervention de Bruno Le Maire

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 janvier 2021 à 16h30
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie des finances et de la relance sur la mise en oeuvre des mesures de soutien et de relance de l'économie

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Je suis très heureux de vous retrouver pour évoquer les mesures de soutien et de relance de notre économie, dans cette période de crise sanitaire persistante, et de crise économique la plus importante que la France ait eu à connaître depuis 1929 et depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup l'oublient, mais nous n'avons pas connu des chiffres de récession aussi graves depuis des décennies, ce qui explique notre niveau d'endettement et les mesures exceptionnelles.

Les chiffres sanitaires restent préoccupants. Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous devrons prendre des décisions dans les prochains jours. Rien n'est arrêté, nous suivons l'évolution de l'épidémie au jour le jour pour prendre les meilleures décisions le moment venu, en fonction de la situation sanitaire et de la nécessité de protéger les Français contre les conséquences de la crise économique.

Depuis le premier jour de cette crise, notre stratégie se traduit par beaucoup de lisibilité et beaucoup de constance. La lisibilité repose sur notre choix, comme dans d'autres pays européens, de protéger tous les salariés et toutes nos entreprises, depuis le premier jour de cette crise. Ce choix n'était pas évident à faire, mais nous avons établi un bilan des coûts et des avantages de cette stratégie.

Le coût de cette stratégie, c'est de la dépense d'argent public, mais à un coût modéré, étant donné le niveau des taux d'intérêt. L'énorme avantage, c'est que nous préservons des compétences que la France a mis des années à acquérir et nous évitons un tsunami de faillites. En 2020, nous avons eu moins de faillites qu'en 2019 alors que nous étions confrontés à la plus grave crise économique depuis 1929 : 35 000 faillites en 2020, contre 50 000 en 2019. Tel est notre choix stratégique : qu'est-il plus coûteux de faire ? Avoir des millions de chômeurs supplémentaires et des dizaines de milliers d'entreprises en faillite qui nous auraient fait perdre des compétences extrêmement difficiles à acquérir, des technologies difficiles à protéger, ou, au contraire, emprunter de l'argent public pour protéger nos salariés et nos entreprises ? Nous avons fait le second choix. C'est plus juste, mais aussi plus efficace économiquement, car nous rebondirons plus rapidement ensuite.

Malgré les jours difficiles dans lesquels nous sommes et la lassitude des Français, que je comprends, malgré l'épuisement lié à ces restrictions sanitaires - le couvre-feu à 18 heures n'est pas anodin - je suis convaincu que, durant la seconde partie de l'année 2021, une fois que, je l'espère, la crise sanitaire sera derrière nous, et que la vaccination aura produit tous ses effets, la France montrera des capacités de rebond économique exceptionnelles. Oui, le moment que nous traversons est particulièrement difficile. J'ai toujours indiqué, depuis la fin de l'année dernière, que ces premiers mois de 2021 seraient durs.

Mais nous avons devant nous, d'ici à la fin de l'année, la perspective d'un vrai redressement économique. Notre responsabilité est à la fois de protéger les secteurs qui sont les plus touchés par la crise et, dans le même temps, de préparer ce rebond de l'économie française en engageant immédiatement les mesures de relance que nous avons déjà définies et qui ont été adoptées au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

Ces deux volets de protection et de relance sont d'autant plus indispensables que l'économie française aujourd'hui, ce n'est pas une, mais deux économies. Vous avez une économie très durement touchée par la crise, avec des secteurs fermés comme les restaurants et les bars, avec des hôtels qui tournent avec 10 à 30 % de remplissage, et avec le secteur événementiel, le sport, la culture qui sont sinistrés et qui souffrent terriblement. Ils souffrent encore plus de l'absence de perspectives, parce que nous ne pouvons pas donner de calendrier - ce ne serait pas raisonnable. Il nous faudra aider cette économie-là en priorité. Aussi longtemps que la crise durera, nous serons là et assurerons des mesures de protection.

On parle moins d'une deuxième économie qui marche bien : c'est le secteur du luxe qui commence à rebondir, l'agroalimentaire, le bâtiment, les travaux publics qui ont embauché 20 000 personnes supplémentaires en 2020. Plus de 485 000 apprentis ont été embauchés dans ces secteurs en 2020, soit le meilleur chiffre depuis des années.

La réalité, en France, ce sont donc deux économies très différentes : l'une très durement touchée par la crise sanitaire, l'autre qui a déjà commencé à rebondir et qui doit être également accompagnée pour rebondir encore plus fort et créer les emplois dont nous avons besoin.

Depuis le premier jour, le volet de protection repose sur quatre piliers que nous adaptons au fur et à mesure.

Le premier, c'est le fonds de solidarité, qui n'a cessé d'évoluer. Au départ fonds universel protégeant tous les secteurs, il s'est concentré sur les secteurs les plus touchés : l'hôtellerie, les cafés, la restauration, le tourisme. Nous l'avons aussi élargi vers les entreprises de taille plus importante. Chacun voit bien qu'un groupe de restaurateurs à Lyon ou à Paris, qui avait trois ou quatre établissements, pouvait tenir les premiers mois de la crise grâce à sa trésorerie ; mais au fur et à mesure que la crise économique s'installe dans la durée et que les mesures de restrictions sanitaires se prolongent, il a aussi besoin de soutien. Ainsi, j'ai annoncé hier que nous allions débloquer un prêt garanti par l'État (PGE) de près d'un demi-milliard d'euros pour Accor Invest. En avril 2020, le groupe n'avait pas besoin de cet argent, car il avait des perspectives de reprise ; mais maintenant que la crise se prolonge, même des groupes comme Accor ont besoin du soutien de l'État. Le fonds de solidarité a donc évolué. Il représentait 13 milliards d'euros de dépenses en 2020 pour près de 2 millions d'entreprises, principalement des TPE et des PME. C'est dire si ce fonds de solidarité a été, et reste, l'un des piliers absolument essentiels de la réponse à la crise.

Le deuxième volet de la protection, c'est l'activité partielle avec 28 milliards d'euros dépensés en 2020 qui ont concerné jusqu'à 8 millions de salariés. Lors de la précédente crise, nous n'avions pas adopté ces dispositifs d'indemnisation du chômage partiel. Alors que la France avait été un peu moins touchée que son voisin allemand, elle avait eu plus de chômeurs parce qu'elle ne disposait pas de ce filet de sécurité. Nous avons tiré toutes les leçons de la crise de 2008-2009, en mettant en place le dispositif d'activité partielle le plus généreux et le plus protecteur d'Europe, ce qui nous a évité des vagues entières de licenciements au cours des derniers mois.

Le troisième pilier, également essentiel, c'est le PGE. Plus de 135 milliards d'euros ont été décaissés pour 650 000 entreprises. Il continue à faire l'objet de sollicitations de la part des secteurs les plus touchés. Je remercie les banques françaises qui ont fait preuve de sens des responsabilités. La durée totale de six ans qui comprend l'amortissement complet du PGE ne s'entend plus comme une année plus cinq avec le début du remboursement du capital au bout d'un an, mais deux années plus quatre. Toute entreprise a désormais le droit, quelle que soit sa taille, d'effectuer son premier remboursement un an plus tard que prévu. Par exemple, une PME ayant emprunté 150 000 euros en avril 2020 et qui aurait dû commencer à rembourser son capital à partir d'avril 2021 pourra, de droit, le rembourser à partir d'avril 2022.

Certes, cela renforce le poids des échéances qui ne se calculent plus sur cinq ans, mais sur quatre ans. Je suis prêt à regarder, pour certains secteurs plus touchés par la crise et pour lesquels les montants des prêts sont les plus importants, si un échéancier plus étendu serait possible. J'engagerai les discussions avec la Commission européenne en ce sens. Par exemple, des PME de l'aéronautique ont parfois engagé des PGE de plusieurs millions d'euros. Elles s'inquiètent de l'arrivée des échéances, car elles avaient misé sur une reprise du trafic aérien dans les prochains mois. Or la persistance de la crise sanitaire et la mutation du virus éloignent encore davantage le retour à la normale du trafic aérien. Il me paraît donc légitime de tenir compte de cette réalité sanitaire pour étudier avec la Commission européenne les cas des sous-traitants aéronautiques les plus touchés, et je m'y suis engagé à Toulouse. Car derrière ces entreprises, ce sont des compétences hors normes qui sont en jeu : des ouvriers qualifiés, des ingénieurs, des savoir-faire que nous avons mis des années à acquérir. Rien ne serait pire que de voir ces sous-traitants fermer faute de bol d'air financier supplémentaire.

Enfin, dernier instrument de cette protection, les exonérations de charges ont représenté 4 milliards d'euros en 2020.

La force et l'efficacité de la réponse économique française à la crise, c'est la simplicité de ces dispositifs et leur adaptation au fur et à mesure, pour qu'ils répondent aux besoins des entreprises. C'est aussi la certitude, pour les entreprises, que nous maintiendrons ces dispositifs aussi longtemps que cela sera nécessaire. Cette stratégie a été efficace.

Ces dispositifs ont également permis de protéger le pouvoir d'achat des ménages. Nous avons prévu une récession en 2020 d'environ 11 %, mais que nous pourrons probablement réviser dans un sens plus favorable grâce aux capacités de redressement de l'économie française au troisième trimestre et au mois de décembre, même si cette récession reste très violente. Avec la stabilité du pouvoir d'achat des Français, c'est bien la preuve que ces dispositifs ont été efficaces.

Je n'oublie pas, car nous regardons tout cela chaque jour avec la plus grande attention, que, derrière ces chiffres de stabilité du pouvoir d'achat et les 100 milliards d'euros d'épargne mis de côté par les Français en 2020, se cachent des situations très différentes. Des millions de nos compatriotes, plus fragiles et moins qualifiés, ont perdu leur emploi ou sont dans des situations extraordinairement difficiles. Je pense aux jeunes étudiants, aux femmes seules, aux personnes très peu qualifiées. S'il y a besoin, le moment venu, de mesures de soutien complémentaire pour répondre à ces situations individuelles très différentes et à ces premières victimes qui sont souvent celles qu'on entend le moins, nous le ferons.

Ces mesures seront donc maintenues. Elles ont un coût sur les finances publiques, avec un niveau de dette qui approche les 120 % de notre richesse nationale. Les Français n'ont pas d'inquiétude à avoir sur le financement de notre dette. En 2020, nous avons levé 290 milliards d'euros de dettes à moyen et long terme, pour un taux moyen de - 0,14 %. Nous empruntons à taux négatifs. La dernière levée de dettes que nous avons faite sur les marchés pour les obligations du Trésor à dix ans était à un taux de - 0,33 %. La semaine dernière, nous avons fait une levée de dette sur une maturité exceptionnelle à 50 ans, pour 7 milliards d'euros. Nous avons eu un livre d'ordres de 75 milliards d'euros, plus de dix fois notre besoin de financement, et le taux était de 0,59 %. Les ménages français aimeraient pouvoir emprunter pour leur logement à 0,59 % sur 50 ans ! Nous n'avons donc pas de difficultés de financement. Les taux restent très bas, et négatifs pour les échéances à dix ans. Le taux moyen de - 0,14 % est inférieur de 20 points de base au taux moyen de 2019, qui s'établissait à + 0,11 %.

Le spread, l'écart de taux d'intérêt entre la France et l'Allemagne, est le plus bas de ces dernières années. Si nous avons des taux aussi bas et une signature aussi crédible, c'est que la France s'engage sans aucune ambiguïté à rembourser sa dette. Rien ne serait plus dommageable à la qualité de la signature française que de laisser entendre que nous pourrions ne pas le faire. Nous la rembourserons le moment venu, après la crise sanitaire, par une croissance qui sera de retour, je l'espère, d'ici à la fin de l'année 2021, avec une capacité de rebond très puissante de l'économie française, mais aussi par la maîtrise des finances publiques qui devra être d'actualité lorsque les circonstances économiques nous le permettront. Enfin, nous la rembourserons par un certain nombre de mesures structurelles qui doivent rendre notre modèle social plus soutenable financièrement, notamment notre système de retraites.

Ce choix de protection est un choix collectif, fait par tous les États européens. La solidité et la crédibilité des décisions prises reposent aussi sur le fait qu'elles ont été prises en coordination étroite avec les autres partenaires européens, en particulier l'Allemagne.

Nous devons préparer le rebond de l'économie française avec la relance. Nous n'avons pas attendu le début de l'année 2021 pour engager celle-ci. Depuis fin 2020, nous avons engagé 10 milliards d'euros de crédits sur les 100 milliards d'euros du plan de relance ; 9 milliards d'euros ont été décaissés, dont quasiment la moitié pour la SNCF, pas simplement pour le plaisir de la recapitaliser, mais pour qu'elle puisse financer son plan fret, financer les rénovations de lignes et moderniser cet équipement d'un grand service public auquel nous sommes tous très attachés. Parmi ces décaissements, il y a aussi le plan de soutien aux jeunes, les mesures de soutien à l'apprentissage qui ont montré leur efficacité avec un demi-million d'apprentis embauchés en 2020, la rénovation des logements privés avec MaPrimeRenov qui démarre très fortement, et la transformation de notre industrie, avec en particulier le plan de digitalisation des PME, qui est absolument indispensable pour rattraper notre retard. Pour ce plan, nous avions prévu 280 millions d'euros grâce à un crédit d'impôt. Nous aurons sans doute 800 millions d'euros de crédits décaissés, tellement l'appel a été suivi de propositions des PME, en attente de ce type de dispositif.

Cette relance est clé pour transformer notre modèle économique, réussir la décarbonation et ouvrir de nouvelles filières et de nouvelles chaînes de valeur en France. C'est un enjeu absolument stratégique. La France s'est trop reposée sur ses lauriers ; elle avait trois ou quatre grandes filières industrielles grâce auxquelles elle avait un excédent commercial sur ces seules filières, mais un déficit commercial global. Elle n'a pas su renouveler ses filières et ses chaînes de valeur. Cette erreur stratégique a été commise depuis des années. Tant mieux d'avoir une filière du luxe qui se porte très bien, c'est un motif de fierté nationale ; c'est très bien d'avoir une industrie agroalimentaire puissante, l'ancien ministre de l'agriculture que je suis s'en félicite. C'est très bien d'avoir une filière viticole très puissante et une filière aéronautique qui fait partie, avec Boeing, des filières aéronautiques les plus avancées et les plus pertinentes du globe. Simplement, quand vous avez un virus qui empêche les avions de voler, votre filiale aéronautique est en grande difficulté ; quand vous avez des sanctions américaines sur le vin, votre filière viticole est en grande difficulté. Au bout du compte, il ne vous reste quasiment plus que la filière de luxe pour apporter des excédents commerciaux à la France. Il est irresponsable de faire reposer la croissance française et nos capacités d'excédent commercial uniquement sur des filières qui ont toutes dix à trente ans d'existence. Il faut savoir renouveler nos filières et les valoriser, parce qu'elles sont exceptionnelles et qu'elles sont un motif de fierté. Il faut ouvrir de nouvelles filières et de nouvelles chaînes de valeur. Je pense évidemment à tout le domaine de la santé, des biotechnologies et de l'immunothérapie. C'est peut-être l'une des leçons que nous pouvons tirer de l'expérience récente en France. Je pense au calcul quantique, à l'hydrogène, aux batteries électriques. Toutes ces filières et ces chaînes de valeur nous permettront de reconstituer des capacités de création de richesse dans notre pays. C'est maintenant qu'il faut investir, si nous voulons qu'à la sortie de la crise nous puissions avoir une économie plus compétitive et plus décarbonée, et tel est notre objectif grâce au plan de relance.

Certains me disent que 100 milliards d'euros, c'est insuffisant et qu'il faudrait rajouter un deuxième plan de relance de 100 milliards d'euros. Essayons déjà de décaisser le maximum de ces 100 milliards d'euros du plan de relance dès 2021. C'est un défi considérable. Vous êtes pour beaucoup des élus locaux, comme je le suis moi-même. Entre l'annonce du crédit et le moment où il bénéficie réellement à l'entreprise qui en a besoin, il faut que le dossier soit instruit, qu'il y ait un appel d'offres, que l'argent arrive jusqu'à l'intermédiaire - par exemple, la banque publique d'investissement - et puis qu'il parvienne jusqu'à l'entreprise. Cela peut prendre beaucoup de temps, et parfois trop.

Mon obsession et ma priorité, c'est la bonne exécution du plan de relance, adopté par le Parlement. J'y consacre beaucoup de temps, chaque semaine, avec mes équipes. L'essentiel est d'abord de décaisser ces 100 milliards d'euros le plus rapidement possible. Si nous voyons que les conditions continuent de se dégrader, qu'il peut y avoir besoin ici ou là des mesures complémentaires pour les personnes les plus touchées par la crise, nous sommes ouverts à toutes les propositions. Mais lorsqu'on gère une crise aussi importante que celle-là, il faut avoir des priorités. J'ai comme objectif d'avoir décaissé au minimum 40 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année 2021.

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