La réunion

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François Villeroy de Galhau

À court et moyen termes, l'inflation devrait rester faible. La BCE et la Banque de France prévoient une inflation de l'ordre de 1 % d'ici fin 2022, et légèrement supérieure à 1,4 % en 2023 pour la zone euro. La politique monétaire accommodante doit donc être maintenue. Au-delà de cet horizon, les économistes sont divisés : certains estiment que l'augmentation des coûts de production tenant aux normes sanitaires et environnementales, une démondialisation partielle, la démographie et l'effet des politiques monétaires pourraient conduire à une accélération de l'inflation. La plupart des économistes jugent toutefois que l'inflation devrait rester faible. Bien que je sois plutôt de cet avis, la Banque de France ne peut s'engager à poursuivre une politique monétaire accommodante sur une perspective de long terme.

Monsieur Nougein, le taux qui a été indiqué par le ministre est un plafond. Des taux inférieurs à 2,5 % jusqu'à six ans sans garantie sont objectivement favorables par rapport aux références de marché. Les taux que vous avez évoqués correspondent à des emprunts à plus court terme avec des garanties du dirigeant. Les PGE ne sont pas destinés à permettre aux banques de réaliser des profits abusifs ; elles ont même enregistré des pertes. Quoi qu'il en soit, les PGE sont un succès français, tant du point de vue des volumes que des taux. De plus, 94 % des PGE ont été consentis à des TPE et PME, pour un total s'élevant à 75 % des montants.

Nous pouvons fournir des projections, monsieur Capo-Canellas. En matière de dette, j'estime qu'il serait sage d'appliquer un principe de précaution : l'expérience prouve que nous ne sommes jamais à l'abri d'un choc supplémentaire. Or le drame français est qu'en période normale nous nous contentons dans le meilleur des cas de stabiliser nos comptes publics, alors qu'il faudrait retrouver un degré de liberté nous permettant de faire face à d'éventuelles crises.

Je ne dispose pas d'éléments chiffrés sur les entreprises zombie. L'économie américaine traverse mieux ce choc que l'économie européenne, alors même que les États-Unis ont moins bien géré l'aspect sanitaire. Au-delà du stimulus budgétaire, qui a joué un rôle, l'économie américaine s'est mieux adaptée. Aujourd'hui il faut être à la fois keynésien et schumpétérien, c'est-à-dire qu'il faut soutenir l'économie tout en profitant de cette crise pour transformer notre économie.

Le débat relatif à la surimposition des entreprises paraît déconnecté du montant des baisses d'impôt qui leur sont consenties. La stabilité fiscale est aussi une condition d'efficacité des baisses d'impôt qui sont intervenues - et qui, parfois, ne sont même pas connues des dirigeants d'entreprises. Tel est mon sentiment personnel sur ce sujet, qui ne relève pas de la compétence de la Banque de France.

Monsieur Maurey, pour rembourser la dette sans augmenter les impôts, il faut déjà ne pas les baisser ! Nous avons besoin de temps, de croissance et de dépenses publiques efficaces. Le mélange entre ces trois éléments relève de la décision politique.

Le PGE a certainement permis des effets d'aubaine, mais je ne crois pas qu'il y ait eu d'effet d'éviction. Le taux de refus se situe entre 2 % et 3 %, soit un niveau extrêmement faible.

Je n'ai pas eu connaissance de difficultés d'accès à la monnaie pendant le premier confinement. Je rends d'ailleurs hommage aux personnels de la Banque de France qui ont effectué les activités de tri durant cette période. En tout état de cause, si l'on vous fait part de difficultés de cet ordre, n'hésitez pas à saisir votre directeur départemental de la Banque de France. Par ailleurs, je ne peux que soutenir l'idée d'une expérimentation avec La Poste.

J'en viens aux questions de Monsieur Lurel. L'inflation sous-jacente est faible. L'inflation totale en zone euro est de - 0,3 % ; elle est légèrement positive si on la corrige des facteurs exceptionnels, mais elle reste insuffisante.

S'agissant des achats d'actifs, Eurosystème détenait environ 2 600 milliards d'euros d'actifs fin 2019, et 3 660 milliards fin 2020, soit une forte augmentation.

Nous préférons parler de monnaie numérique plutôt que de monnaie digitale. Une étude est en cours ; dans le cadre de l'Eurosystème, nous déciderons mi-2021 d'un éventuel test. En tout état de cause, il peut y avoir de bonnes raisons d'instaurer une monnaie numérique publique de Banque centrale : nous ne pouvons pas laisser le champ libre à une monnaie privée.

Il y a un an, lorsque le taux de rémunération du livret A avait baissé à 0,5 % compte tenu de la baisse de l'inflation et des taux, j'avais indiqué qu'il s'agissait d'un plancher, et cela sera respecté. Le livret d'épargne populaire est quant à lui protégé de l'inflation puisqu'il est à 1 % ; il faut le développer, car il ne bénéficie qu'à la moitié des 15 millions de Français qui pourraient en profiter. La Banque de France a indiqué que le taux de rémunération moyen de certains plans épargne logement antérieurs à 2011 était supérieur à 4 % à vie. Cela peut nous amener à nous interroger, mais il appartiendra au Gouvernement et au Parlement de prendre une décision.

La réunion est close à 13 h 05.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Nous recevons cet après-midi M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, afin d'évoquer la mise en oeuvre des mesures de soutien et de relance de notre économie.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre venue. La dernière fois que notre commission vous a entendu, c'était en septembre 2020 pour la présentation du plan de relance et du projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à avoir regretté votre absence tout au long de nos débats budgétaires de l'automne en séance publique, et surtout lors de l'évocation de la mission « Plan de relance ». Aussi sommes-nous particulièrement impatients de vous entendre sur la mise en oeuvre des mesures de soutien et de relance de l'économie.

Cette audition est essentielle dans le contexte actuel, alors que l'on évoque un possible nouveau confinement - je reste très prudent - et que les perspectives de croissance s'affaiblissent de nouveau.

Quel premier bilan tirez-vous des mesures de soutien mises en oeuvre depuis mars 2020 ? Ont-elles, selon vous, atteint tous les résultats attendus et surtout, doivent-elles encore être complétées, compte tenu de la situation extrêmement difficile que connaissent certains secteurs de l'économie ? Nous avons bien repéré ce qu'était une courbe en K, avec des entreprises qui ont retrouvé quasiment leur niveau d'avant la crise et d'autres qui sont en très grande difficulté. Récemment, le ministre des comptes publics évoquait la sortie du « quoi qu'il en coûte », mais de manière plus nuancée que les titres de la presse... Comment envisagez-vous la sortie de ce soutien à l'économie, qui devra un jour se produire ?

Comment les mesures de relance, particulièrement nécessaires, vont-elles concrètement se mettre en oeuvre ? Le rythme d'engagement des projets est essentiel, mais comment relancer l'économie et retrouver de la confiance dans le contexte actuel de couvre-feu et peut-être, bientôt, de reconfinement ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance

Je suis très heureux de vous retrouver pour évoquer les mesures de soutien et de relance de notre économie, dans cette période de crise sanitaire persistante, et de crise économique la plus importante que la France ait eu à connaître depuis 1929 et depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup l'oublient, mais nous n'avons pas connu des chiffres de récession aussi graves depuis des décennies, ce qui explique notre niveau d'endettement et les mesures exceptionnelles.

Les chiffres sanitaires restent préoccupants. Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous devrons prendre des décisions dans les prochains jours. Rien n'est arrêté, nous suivons l'évolution de l'épidémie au jour le jour pour prendre les meilleures décisions le moment venu, en fonction de la situation sanitaire et de la nécessité de protéger les Français contre les conséquences de la crise économique.

Depuis le premier jour de cette crise, notre stratégie se traduit par beaucoup de lisibilité et beaucoup de constance. La lisibilité repose sur notre choix, comme dans d'autres pays européens, de protéger tous les salariés et toutes nos entreprises, depuis le premier jour de cette crise. Ce choix n'était pas évident à faire, mais nous avons établi un bilan des coûts et des avantages de cette stratégie.

Le coût de cette stratégie, c'est de la dépense d'argent public, mais à un coût modéré, étant donné le niveau des taux d'intérêt. L'énorme avantage, c'est que nous préservons des compétences que la France a mis des années à acquérir et nous évitons un tsunami de faillites. En 2020, nous avons eu moins de faillites qu'en 2019 alors que nous étions confrontés à la plus grave crise économique depuis 1929 : 35 000 faillites en 2020, contre 50 000 en 2019. Tel est notre choix stratégique : qu'est-il plus coûteux de faire ? Avoir des millions de chômeurs supplémentaires et des dizaines de milliers d'entreprises en faillite qui nous auraient fait perdre des compétences extrêmement difficiles à acquérir, des technologies difficiles à protéger, ou, au contraire, emprunter de l'argent public pour protéger nos salariés et nos entreprises ? Nous avons fait le second choix. C'est plus juste, mais aussi plus efficace économiquement, car nous rebondirons plus rapidement ensuite.

Malgré les jours difficiles dans lesquels nous sommes et la lassitude des Français, que je comprends, malgré l'épuisement lié à ces restrictions sanitaires - le couvre-feu à 18 heures n'est pas anodin - je suis convaincu que, durant la seconde partie de l'année 2021, une fois que, je l'espère, la crise sanitaire sera derrière nous, et que la vaccination aura produit tous ses effets, la France montrera des capacités de rebond économique exceptionnelles. Oui, le moment que nous traversons est particulièrement difficile. J'ai toujours indiqué, depuis la fin de l'année dernière, que ces premiers mois de 2021 seraient durs.

Mais nous avons devant nous, d'ici à la fin de l'année, la perspective d'un vrai redressement économique. Notre responsabilité est à la fois de protéger les secteurs qui sont les plus touchés par la crise et, dans le même temps, de préparer ce rebond de l'économie française en engageant immédiatement les mesures de relance que nous avons déjà définies et qui ont été adoptées au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

Ces deux volets de protection et de relance sont d'autant plus indispensables que l'économie française aujourd'hui, ce n'est pas une, mais deux économies. Vous avez une économie très durement touchée par la crise, avec des secteurs fermés comme les restaurants et les bars, avec des hôtels qui tournent avec 10 à 30 % de remplissage, et avec le secteur événementiel, le sport, la culture qui sont sinistrés et qui souffrent terriblement. Ils souffrent encore plus de l'absence de perspectives, parce que nous ne pouvons pas donner de calendrier - ce ne serait pas raisonnable. Il nous faudra aider cette économie-là en priorité. Aussi longtemps que la crise durera, nous serons là et assurerons des mesures de protection.

On parle moins d'une deuxième économie qui marche bien : c'est le secteur du luxe qui commence à rebondir, l'agroalimentaire, le bâtiment, les travaux publics qui ont embauché 20 000 personnes supplémentaires en 2020. Plus de 485 000 apprentis ont été embauchés dans ces secteurs en 2020, soit le meilleur chiffre depuis des années.

La réalité, en France, ce sont donc deux économies très différentes : l'une très durement touchée par la crise sanitaire, l'autre qui a déjà commencé à rebondir et qui doit être également accompagnée pour rebondir encore plus fort et créer les emplois dont nous avons besoin.

Depuis le premier jour, le volet de protection repose sur quatre piliers que nous adaptons au fur et à mesure.

Le premier, c'est le fonds de solidarité, qui n'a cessé d'évoluer. Au départ fonds universel protégeant tous les secteurs, il s'est concentré sur les secteurs les plus touchés : l'hôtellerie, les cafés, la restauration, le tourisme. Nous l'avons aussi élargi vers les entreprises de taille plus importante. Chacun voit bien qu'un groupe de restaurateurs à Lyon ou à Paris, qui avait trois ou quatre établissements, pouvait tenir les premiers mois de la crise grâce à sa trésorerie ; mais au fur et à mesure que la crise économique s'installe dans la durée et que les mesures de restrictions sanitaires se prolongent, il a aussi besoin de soutien. Ainsi, j'ai annoncé hier que nous allions débloquer un prêt garanti par l'État (PGE) de près d'un demi-milliard d'euros pour Accor Invest. En avril 2020, le groupe n'avait pas besoin de cet argent, car il avait des perspectives de reprise ; mais maintenant que la crise se prolonge, même des groupes comme Accor ont besoin du soutien de l'État. Le fonds de solidarité a donc évolué. Il représentait 13 milliards d'euros de dépenses en 2020 pour près de 2 millions d'entreprises, principalement des TPE et des PME. C'est dire si ce fonds de solidarité a été, et reste, l'un des piliers absolument essentiels de la réponse à la crise.

Le deuxième volet de la protection, c'est l'activité partielle avec 28 milliards d'euros dépensés en 2020 qui ont concerné jusqu'à 8 millions de salariés. Lors de la précédente crise, nous n'avions pas adopté ces dispositifs d'indemnisation du chômage partiel. Alors que la France avait été un peu moins touchée que son voisin allemand, elle avait eu plus de chômeurs parce qu'elle ne disposait pas de ce filet de sécurité. Nous avons tiré toutes les leçons de la crise de 2008-2009, en mettant en place le dispositif d'activité partielle le plus généreux et le plus protecteur d'Europe, ce qui nous a évité des vagues entières de licenciements au cours des derniers mois.

Le troisième pilier, également essentiel, c'est le PGE. Plus de 135 milliards d'euros ont été décaissés pour 650 000 entreprises. Il continue à faire l'objet de sollicitations de la part des secteurs les plus touchés. Je remercie les banques françaises qui ont fait preuve de sens des responsabilités. La durée totale de six ans qui comprend l'amortissement complet du PGE ne s'entend plus comme une année plus cinq avec le début du remboursement du capital au bout d'un an, mais deux années plus quatre. Toute entreprise a désormais le droit, quelle que soit sa taille, d'effectuer son premier remboursement un an plus tard que prévu. Par exemple, une PME ayant emprunté 150 000 euros en avril 2020 et qui aurait dû commencer à rembourser son capital à partir d'avril 2021 pourra, de droit, le rembourser à partir d'avril 2022.

Certes, cela renforce le poids des échéances qui ne se calculent plus sur cinq ans, mais sur quatre ans. Je suis prêt à regarder, pour certains secteurs plus touchés par la crise et pour lesquels les montants des prêts sont les plus importants, si un échéancier plus étendu serait possible. J'engagerai les discussions avec la Commission européenne en ce sens. Par exemple, des PME de l'aéronautique ont parfois engagé des PGE de plusieurs millions d'euros. Elles s'inquiètent de l'arrivée des échéances, car elles avaient misé sur une reprise du trafic aérien dans les prochains mois. Or la persistance de la crise sanitaire et la mutation du virus éloignent encore davantage le retour à la normale du trafic aérien. Il me paraît donc légitime de tenir compte de cette réalité sanitaire pour étudier avec la Commission européenne les cas des sous-traitants aéronautiques les plus touchés, et je m'y suis engagé à Toulouse. Car derrière ces entreprises, ce sont des compétences hors normes qui sont en jeu : des ouvriers qualifiés, des ingénieurs, des savoir-faire que nous avons mis des années à acquérir. Rien ne serait pire que de voir ces sous-traitants fermer faute de bol d'air financier supplémentaire.

Enfin, dernier instrument de cette protection, les exonérations de charges ont représenté 4 milliards d'euros en 2020.

La force et l'efficacité de la réponse économique française à la crise, c'est la simplicité de ces dispositifs et leur adaptation au fur et à mesure, pour qu'ils répondent aux besoins des entreprises. C'est aussi la certitude, pour les entreprises, que nous maintiendrons ces dispositifs aussi longtemps que cela sera nécessaire. Cette stratégie a été efficace.

Ces dispositifs ont également permis de protéger le pouvoir d'achat des ménages. Nous avons prévu une récession en 2020 d'environ 11 %, mais que nous pourrons probablement réviser dans un sens plus favorable grâce aux capacités de redressement de l'économie française au troisième trimestre et au mois de décembre, même si cette récession reste très violente. Avec la stabilité du pouvoir d'achat des Français, c'est bien la preuve que ces dispositifs ont été efficaces.

Je n'oublie pas, car nous regardons tout cela chaque jour avec la plus grande attention, que, derrière ces chiffres de stabilité du pouvoir d'achat et les 100 milliards d'euros d'épargne mis de côté par les Français en 2020, se cachent des situations très différentes. Des millions de nos compatriotes, plus fragiles et moins qualifiés, ont perdu leur emploi ou sont dans des situations extraordinairement difficiles. Je pense aux jeunes étudiants, aux femmes seules, aux personnes très peu qualifiées. S'il y a besoin, le moment venu, de mesures de soutien complémentaire pour répondre à ces situations individuelles très différentes et à ces premières victimes qui sont souvent celles qu'on entend le moins, nous le ferons.

Ces mesures seront donc maintenues. Elles ont un coût sur les finances publiques, avec un niveau de dette qui approche les 120 % de notre richesse nationale. Les Français n'ont pas d'inquiétude à avoir sur le financement de notre dette. En 2020, nous avons levé 290 milliards d'euros de dettes à moyen et long terme, pour un taux moyen de - 0,14 %. Nous empruntons à taux négatifs. La dernière levée de dettes que nous avons faite sur les marchés pour les obligations du Trésor à dix ans était à un taux de - 0,33 %. La semaine dernière, nous avons fait une levée de dette sur une maturité exceptionnelle à 50 ans, pour 7 milliards d'euros. Nous avons eu un livre d'ordres de 75 milliards d'euros, plus de dix fois notre besoin de financement, et le taux était de 0,59 %. Les ménages français aimeraient pouvoir emprunter pour leur logement à 0,59 % sur 50 ans ! Nous n'avons donc pas de difficultés de financement. Les taux restent très bas, et négatifs pour les échéances à dix ans. Le taux moyen de - 0,14 % est inférieur de 20 points de base au taux moyen de 2019, qui s'établissait à + 0,11 %.

Le spread, l'écart de taux d'intérêt entre la France et l'Allemagne, est le plus bas de ces dernières années. Si nous avons des taux aussi bas et une signature aussi crédible, c'est que la France s'engage sans aucune ambiguïté à rembourser sa dette. Rien ne serait plus dommageable à la qualité de la signature française que de laisser entendre que nous pourrions ne pas le faire. Nous la rembourserons le moment venu, après la crise sanitaire, par une croissance qui sera de retour, je l'espère, d'ici à la fin de l'année 2021, avec une capacité de rebond très puissante de l'économie française, mais aussi par la maîtrise des finances publiques qui devra être d'actualité lorsque les circonstances économiques nous le permettront. Enfin, nous la rembourserons par un certain nombre de mesures structurelles qui doivent rendre notre modèle social plus soutenable financièrement, notamment notre système de retraites.

Ce choix de protection est un choix collectif, fait par tous les États européens. La solidité et la crédibilité des décisions prises reposent aussi sur le fait qu'elles ont été prises en coordination étroite avec les autres partenaires européens, en particulier l'Allemagne.

Nous devons préparer le rebond de l'économie française avec la relance. Nous n'avons pas attendu le début de l'année 2021 pour engager celle-ci. Depuis fin 2020, nous avons engagé 10 milliards d'euros de crédits sur les 100 milliards d'euros du plan de relance ; 9 milliards d'euros ont été décaissés, dont quasiment la moitié pour la SNCF, pas simplement pour le plaisir de la recapitaliser, mais pour qu'elle puisse financer son plan fret, financer les rénovations de lignes et moderniser cet équipement d'un grand service public auquel nous sommes tous très attachés. Parmi ces décaissements, il y a aussi le plan de soutien aux jeunes, les mesures de soutien à l'apprentissage qui ont montré leur efficacité avec un demi-million d'apprentis embauchés en 2020, la rénovation des logements privés avec MaPrimeRenov qui démarre très fortement, et la transformation de notre industrie, avec en particulier le plan de digitalisation des PME, qui est absolument indispensable pour rattraper notre retard. Pour ce plan, nous avions prévu 280 millions d'euros grâce à un crédit d'impôt. Nous aurons sans doute 800 millions d'euros de crédits décaissés, tellement l'appel a été suivi de propositions des PME, en attente de ce type de dispositif.

Cette relance est clé pour transformer notre modèle économique, réussir la décarbonation et ouvrir de nouvelles filières et de nouvelles chaînes de valeur en France. C'est un enjeu absolument stratégique. La France s'est trop reposée sur ses lauriers ; elle avait trois ou quatre grandes filières industrielles grâce auxquelles elle avait un excédent commercial sur ces seules filières, mais un déficit commercial global. Elle n'a pas su renouveler ses filières et ses chaînes de valeur. Cette erreur stratégique a été commise depuis des années. Tant mieux d'avoir une filière du luxe qui se porte très bien, c'est un motif de fierté nationale ; c'est très bien d'avoir une industrie agroalimentaire puissante, l'ancien ministre de l'agriculture que je suis s'en félicite. C'est très bien d'avoir une filière viticole très puissante et une filière aéronautique qui fait partie, avec Boeing, des filières aéronautiques les plus avancées et les plus pertinentes du globe. Simplement, quand vous avez un virus qui empêche les avions de voler, votre filiale aéronautique est en grande difficulté ; quand vous avez des sanctions américaines sur le vin, votre filière viticole est en grande difficulté. Au bout du compte, il ne vous reste quasiment plus que la filière de luxe pour apporter des excédents commerciaux à la France. Il est irresponsable de faire reposer la croissance française et nos capacités d'excédent commercial uniquement sur des filières qui ont toutes dix à trente ans d'existence. Il faut savoir renouveler nos filières et les valoriser, parce qu'elles sont exceptionnelles et qu'elles sont un motif de fierté. Il faut ouvrir de nouvelles filières et de nouvelles chaînes de valeur. Je pense évidemment à tout le domaine de la santé, des biotechnologies et de l'immunothérapie. C'est peut-être l'une des leçons que nous pouvons tirer de l'expérience récente en France. Je pense au calcul quantique, à l'hydrogène, aux batteries électriques. Toutes ces filières et ces chaînes de valeur nous permettront de reconstituer des capacités de création de richesse dans notre pays. C'est maintenant qu'il faut investir, si nous voulons qu'à la sortie de la crise nous puissions avoir une économie plus compétitive et plus décarbonée, et tel est notre objectif grâce au plan de relance.

Certains me disent que 100 milliards d'euros, c'est insuffisant et qu'il faudrait rajouter un deuxième plan de relance de 100 milliards d'euros. Essayons déjà de décaisser le maximum de ces 100 milliards d'euros du plan de relance dès 2021. C'est un défi considérable. Vous êtes pour beaucoup des élus locaux, comme je le suis moi-même. Entre l'annonce du crédit et le moment où il bénéficie réellement à l'entreprise qui en a besoin, il faut que le dossier soit instruit, qu'il y ait un appel d'offres, que l'argent arrive jusqu'à l'intermédiaire - par exemple, la banque publique d'investissement - et puis qu'il parvienne jusqu'à l'entreprise. Cela peut prendre beaucoup de temps, et parfois trop.

Mon obsession et ma priorité, c'est la bonne exécution du plan de relance, adopté par le Parlement. J'y consacre beaucoup de temps, chaque semaine, avec mes équipes. L'essentiel est d'abord de décaisser ces 100 milliards d'euros le plus rapidement possible. Si nous voyons que les conditions continuent de se dégrader, qu'il peut y avoir besoin ici ou là des mesures complémentaires pour les personnes les plus touchées par la crise, nous sommes ouverts à toutes les propositions. Mais lorsqu'on gère une crise aussi importante que celle-là, il faut avoir des priorités. J'ai comme objectif d'avoir décaissé au minimum 40 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année 2021.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

J'apprécie votre prestation et votre volontarisme. Je fais partie de ceux qui, comme beaucoup, ont soutenu le Gouvernement lorsqu'il a fallu adopter en urgence des mesures de soutien à l'économie. Je ne veux pas doucher votre optimisme et parfois même votre enthousiasme. Je comprends que, dans des situations difficiles, il y a aussi des positions à tenir, notamment pour garantir la confiance de l'opinion, des acteurs économiques et de l'Europe. Je crois néanmoins que nous avons collectivement un devoir de lucidité sur la situation, et de vérité à l'endroit des Français.

La lucidité, c'est veiller à ce que l'enthousiasme ne soit pas trop débordant. À vous entendre, ce serait de l'argent facile. L'argent ne coûte pas cher puisqu'on emprunte même à des taux négatifs, sur 50 ans avec des taux exceptionnels. Mais il ne faudrait pas que ce soit des taux variables... Avant la crise sanitaire, le monde était différent.

C'est pourquoi nous devons affirmer notre volonté dans cette crise sanitaire planétaire. On pensait qu'il y aurait un épisode, mais nous en sommes déjà à trois ; et lorsqu'on voit les difficultés de la vaccination... Il faut tracer des perspectives sur les efforts à réaliser collectivement, n'oublions pas que les recettes publiques sont notamment issues des contributions acquittées par les acteurs économiques. Vous avez dit très subtilement qu'il faudrait envisager des réformes, notamment sur les retraites. Effectivement, il y a un temps pour tout. Il est encore trop tôt pour avancer précisément sur ces sujets, mais nous serons attendus collectivement et nous aurons un devoir de vérité sur les efforts qui devront être réalisés. Le retour à la normale s'accompagnera d'un effort exceptionnel, que cela plaise ou non, notamment de celles et ceux qui seront le plus en capacité de le faire, sans freiner le développement économique. Je ne veux pas berner les Français, et je suppose que vous non plus.

Les chiffres sont une chose mais nous avons aussi besoin d'échanger directement sur l'état d'esprit des Français, dont vous mesurez à la fois le doute et le souhait de sortir du tunnel, avec une véritable perspective. Or le climat actuel est un peu complexe pour trouver cette lumière au bout du tunnel...

Vous avez donné des précisions sur les PGE. Des informations claires doivent être données aux entreprises lorsqu'elles vont passer de cinq à quatre années de remboursement. Il faut leur demander où elles en sont, combien elles décaissent, combien cela coûte, et éviter de « mettre la poussière sous le tapis ». Plus cela dure, plus le montant est important. Il faut faire attention que ce ne soit pas dans deux ou trois ans. Ce matin, le gouverneur de la Banque de France estimait qu'entre 4,5 % et 6 % des entreprises pourraient connaître des désillusions. Envisagez-vous de convertir certains PGE en subventions ?

Sur le fonds de solidarité, le Sénat a déposé une proposition de loi tendant à instaurer une couverture assurantielle pour indemniser les pertes d'exploitation des entreprises consécutives à des évènements exceptionnels tels qu'une crise sanitaire majeure. Vous aviez d'abord été enthousiaste, puis j'ai cru comprendre que vous y avez finalement renoncé. Je vous invite à reconsidérer votre position, car c'est une forme de mépris de ce qu'attendent les entreprises et des options proposées par le Parlement.

Lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF), le Gouvernement nous avait assuré qu'un accord sur les prêts participatifs serait trouvé avec la Commission européenne d'ici à la fin décembre. À ce stade, ce n'est toujours pas le cas. Où en sont les discussions ? Quels sont les points restant à trancher ?

Le PLF pour 2021 prévoyait que 14,5 milliards d'euros soient engagés dès 2020 au titre du plan de relance. Le 21 janvier dernier, vous avez finalement fait état de 11 milliards d'euros engagés, et tout à l'heure de 10 milliards d'euros. Sur quels dispositifs les prévisions n'ont pas été confirmées ?

Je terminerai par la territorialisation, sujet important. Vous produisez un tableau de bord. Le Gouvernement, depuis début janvier, commence à signer des accords régionaux de relance, notamment avec les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie. Qu'en est-il dans les autres régions ? Ces contrats devront être coordonnés avec la nouvelle génération des contrats de plan État-région (CPER) ainsi qu'avec les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) conclus avec les intercommunalités et les départements. Quelle est la part du plan de relance de 100 milliards d'euros qui est définie et décidée par l'État et par ses opérateurs ? Quelle est la part qui va l'être en coopération avec les collectivités territoriales, puisque, dans ces accords, il y aura des cofinancements ? Quel est le financement additionnel que vous attendez des collectivités ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Sur l'état d'esprit des Français, ce n'est pas mon rôle de juger les Français. Mais je veux simplement faire part de ma très grande admiration devant le sens des responsabilités dont fait preuve l'immense majorité des Français et devant leur capacité à résister à des temps extraordinairement difficiles. On dit très souvent que les Français sont un peuple indiscipliné, et chacun y va de ses remarques sur nos compatriotes. La réalité, c'est qu'ils respectent, dans leur immense majorité, des règles sanitaires contraignantes. Ils font preuve de responsabilité et de beaucoup de solidarité les uns envers les autres. Je le vois notamment dans le secteur économique, entre donneurs d'ordres et sous-traitants. Dans le secteur financier, si les banques n'avaient pas été là pour les PGE, nous n'aurions pas pu résister à cette crise. Je veux vraiment, avec beaucoup de gravité, saluer la manière dont les Français traversent cette épreuve ; cela force l'admiration.

Quelles sont les perspectives ? Nous travaillons sur des scénarios différents, car c'est ma responsabilité de ministre des finances. Personne n'a de certitude. Ma première responsabilité, c'est de garantir qu'il y aura financièrement ce qu'il faut pour soutenir les Français, les salariés et les entreprises, comme l'a souhaité le Président de la République. C'est aussi étudier plusieurs options, et il y a au moins trois grands scénarios.

Le premier, c'est celui où la situation sanitaire ne nous oblige pas à prendre des mesures sanitaires complémentaires - c'est le scénario du statu quo. Nous arrivons à traverser cette période sans mesures de restrictions sanitaires supplémentaires qui pèsent sur l'économie. Dans ce cas-là, nous avons une croissance qui pourrait atteindre 6 % en 2021 et une vraie capacité de rebond de l'économie française. Soyons clairs, ce scénario n'est plus le plus probable, et il s'éloigne à mesure que la situation sanitaire reste préoccupante.

Le deuxième scénario, c'est celui où la situation sanitaire nous obligerait à prendre de nouvelles restrictions sanitaires qui pèseront nécessairement sur l'économie, plus ou moins en fonction de la dureté des mesures prises. Dans ce cas, nous aurons une croissance qui ne pourra pas atteindre 6 % en 2021. C'est la situation de tous les pays européens, sans exception. L'Allemagne a déjà indiqué que sa croissance serait sans doute très inférieure à ce qui avait été annoncé, de l'ordre de 3 %, en raison des mesures de confinement strictes et longues décidées par la chancelière Angela Merkel, car elles ont un impact fort sur les finances publiques et la croissance.

Le troisième scénario - dont j'ose espérer que c'est un pur scénario qui ne se réalisera pas - c'est qu'une nouvelle forme de virus arriverait au milieu de l'année et nous obligerait à rester dans des conditions sanitaires difficiles jusqu'à la fin de l'année 2021. Ce n'est pas le scénario le plus probable, mais c'est ma responsabilité d'envisager l'intégralité des scénarios, leur impact sur les finances publiques et sur la croissance française. Quel que soit le scénario qui se réalisera, les mesures de soutien économique resteront à disposition des salariés et des entreprises. C'est bien parce que je veux me préparer à tous les cas de figure que je présente en toute transparence l'intégralité des scénarios sur lesquels nous travaillons.

À mes yeux, le scénario de référence reste celui d'une amélioration de la situation au milieu de l'année 2021 qui permettra un rebond puissant de l'économie française dans la dernière partie de l'année 2021. Au cours des derniers mois, l'économie française a montré sa capacité à rebondir fortement, car les fondamentaux sont sains.

J'en viens à la question de la conversion des prêts garantis par l'État en subventions. Nous adaptons les dispositifs à la réalité de la situation économique. Pour les entreprises les plus en difficulté qui ont des perspectives de redressement plus lointaines, je n'exclus pas que nous puissions, au cas par cas et avec l'accord de la Commission européenne, transformer certains prêts garantis par l'État en subventions.

De la même façon, nous devons étudier la possibilité d'étaler davantage le remboursement des prêts consentis au secteur aéronautique, car les sommes empruntées sont importantes et le transport aérien ne se redresse pas. Je rappelle que nous avons obtenu un différé d'un an supplémentaire pour le remboursement du capital et des taux d'intérêt particulièrement attractifs.

Enfin, il faut soutenir la capacité d'investissement des entreprises. C'est l'un des enjeux stratégiques de la reprise, de la relance et donc de la création d'emplois. Je présenterai prochainement un dispositif de prêt participatif s'adressant à des entreprises qui souhaitent investir des quasi fonds propres dans des conditions financières les plus avantageuses possibles et avec un différé de remboursement de quatre ans.

S'agissant des frais fixes, nous avons mis en place en novembre dernier un crédit d'impôt permettant de rembourser la moitié des frais de loyer. Ce dispositif ne peut pas s'inscrire dans la durée, car cela reviendrait à transférer les charges des entreprises sur les bailleurs. Nous avons donc prévu la possibilité de prendre en compte dans le soutien de l'État jusqu'à 70 % des charges fixes des entreprises des secteurs les plus touchés par la crise et dont le chiffre d'affaires est d'au moins 1 million d'euros, et ce jusqu'à 3 millions d'euros. Nous négocions toutefois avec la Commission européenne afin de relever ce plafond, car il sera peut-être insuffisant si la crise dure, notamment pour des chaînes hôtelières ou de restauration.

Nous conservons donc les dispositifs existants, et nous ne cessons de les compléter et de les adapter afin de répondre le mieux possible à la situation des entreprises sur le terrain.

J'en viens à la question de la sous-consommation des crédits du plan de relance en 2020. Nous avions indiqué que nous consommerions 10 % du plan de relance en 2020, c'est-à-dire 10 milliards d'euros : 9,6 milliards ont précisément été consommés.

S'agissant des collectivités locales, le moindre décaissement observé en 2020 s'explique par une moindre baisse des recettes. L'État a eu la même bonne surprise du fait du fort rebond et des mesures prises pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages.

Les résultats de la prime à la conversion sont effectivement un peu inférieurs à ce que nous avions prévu, mais le bonus écologique fonctionne bien : nous avons multiplié par trois les ventes de véhicules électriques en 2020 en parts de marché. Alors qu'ils représentaient un peu moins de 1,9 % du marché, cette proportion a bondi à 6 % et la tendance reste la même. C'est pourquoi je mettrai toute ma détermination à lever les obstacles techniques au déploiement de 100 000 bornes électriques en 2021 sur le réseau routier français.

Enfin, nous continuerons à travailler main dans la main avec les régions pour le déploiement du plan de relance, et toutes les aides complémentaires sont bien sûr toujours les bienvenues.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

En juin dernier, on nous disait qu'il y aurait en 2021 un rebond de 9 % du PIB. Le virus n'a pas disparu. Ne faudrait-il pas faire preuve de davantage de modération dans les prévisions ? Si les laboratoires affirment que les vaccins seront efficaces contre les variants anglais et sud-africain, ils ne prennent aucun engagement quant aux variants brésilien et californien. C'est pourquoi je crains que le stop and go ne perdure en 2021. Travaillez-vous sur d'autres scénarios de long terme ?

Malgré l'action de votre ministère, on a compté 7,5 % de chômeurs supplémentaires en 2020. Disposez-vous d'une projection sur le nombre de chômeurs à la fin de l'année 2021 ? Le coût de l'activité partielle pour 2021 a-t-il été évalué ?

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Vous avez souligné qu'il n'y a jamais eu aussi peu de faillites, mais le PGE n'aura-t-il pas pour effet de reporter les faillites sur les prochaines années ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

En Allemagne, dont la situation avant la crise était très différente de la nôtre, la chute du PIB sera moitié moindre que dans notre pays. Nous nous félicitons aujourd'hui de nous endetter à de faibles taux, mais une augmentation des taux pourrait nous placer dans une situation intenable.

Nous avons fait des choix politiques radicaux de fermeture de certaines entreprises. Certains secteurs sont menacés de disparaître, alors que d'autres pays ont fait de tout autres choix. Dans mon département, certains hôpitaux sont fermés. Vue du terrain, la réponse de l'État paraît incompréhensible.

Dans mon département, une petite entreprise reconnue comme stratégique par l'État est au bord de la faillite du fait de l'interdiction de voyager. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour les petites structures qui sont passées entre les mailles du filet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Nous avions une dette dangereuse, alarmante, qui mettait en cause la solvabilité tant de l'État que des débiteurs privés. Aujourd'hui, la dette est faramineuse, mais elle devient solvable. Ce retournement suscite la perplexité.

Si nous devions être reconfinés, quelles seraient, à votre avis, les activités économiques essentielles ? Quels sont les secteurs qui doivent être ciblés dans le plan de réindustrialisation ? La santé, l'électronique et le textile me semblent être des secteurs prioritaires.

Dans un courrier, vous m'indiquiez que vous ne jugiez pas opportun que les entreprises durement touchées par la crise reviennent dès à présent sur le versement d'acomptes sur les dividendes. Je ne vous demanderai pas la liste des entreprises concernées, mais je souhaiterais connaître votre appréciation de leur nombre.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Cozic

Si le plan de relance mobilise d'importants moyens afin de répondre à l'impératif de transformation et de modernisation du tissu productif à l'horizon de 2030, il néglige l'enjeu de relance à court terme de l'économie française. Les crédits de la mission « Plan de relance » portent majoritairement sur des actions à l'horizon 2022-2023, voire plus lointain, à rebours de l'impératif de relance rapide. Le stimulus budgétaire de court terme est donc plus faible qu'annoncé.

De plus, le plan de relance est calibré pour les grosses collectivités qui disposent de l'arsenal administratif nécessaire pour traiter rapidement les dossiers. En revanche, les petites communes, qui ont pourtant été un maillon important dans la gestion de la crise, rencontrent des difficultés à monter les dossiers faute d'ingénierie et d'accompagnement suffisant. Comment rassurer ces petites communes quant à la volonté de l'État de les accompagner ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Taillé-Polian

Nous observons un déséquilibre majeur dans votre action entre l'aide et le soutien apportés à l'économie pour permettre son rebond ultérieur et la transition écologique et la lutte contre la pauvreté. Alors que l'épargne s'accumule, la paupérisation s'accélère. Face à des besoins de plus en plus importants, les mesures qui ont été prises en faveur des familles les plus en difficulté étaient trop faibles et à trop court terme. Des mesures complémentaires sont indispensables.

Les micro-entrepreneurs dont l'activité ne fait pas l'objet d'une mesure de fermeture administrative vont être touchés par l'arrêt des aides du fonds de solidarité. Par ailleurs, le Premier ministre s'était engagé à ce que 1 % des crédits du plan de relance soit fléché vers les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Or manifestement, il n'y a pas de fléchage. Il faut certes décaisser et financer les projets qui sont prêts, mais il faut aussi veiller à ce que ces crédits soient répartis de manière à ne pas aggraver les inégalités.

Vous avez indiqué que le remboursement de la dette interviendrait grâce à une baisse des dépenses publiques, notamment par le biais de réformes structurelles telles que celle des retraites. Quel est votre agenda ? N'y a-t-il pas d'autres voies à explorer, notamment fiscales, qui garantiraient davantage de justice ? Pourrons-nous enfin voter une taxe sur les Gafam ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Face à cette crise, la réponse du Gouvernement a été massive et il faut s'en féliciter. Pour autant, l'argent n'est pas facile, et après cette crise, des réformes structurelles devront être menées, ce qui impliquera des efforts de la part de nos concitoyens.

Je souhaite attirer votre attention sur la situation des opérateurs de trafic de passagers maritimes. Je plaide pour un remboursement de la part des charges salariales, de façon à restaurer les conditions de leur compétitivité sur le long terme.

Vous avez évoqué les conditions dans lesquelles la France emprunte actuellement. Je suppose qu'il s'agit d'emprunts à taux variables. Il faudra que nous soyons vigilants, car la charge des intérêts de la dette pourrait augmenter.

Enfin, concernant les filières de valeur qu'il nous faut relancer, j'estime que le numérique doit être une priorité à l'échelon européen. Il est important que l'Europe ait ses champions pour que nous ne soyons pas totalement dépendants des puissances étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémi Féraud

J'espère que le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR) sera l'occasion de dresser un état des lieux des actions engagées, car il nous est parfois difficile d'avoir une lecture claire des différents crédits et missions.

Lors de la discussion des crédits de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », le Sénat avait introduit des crédits supplémentaires en faveur de la culture, des outre-mer et des jeunes. Ne pensez-vous pas qu'il serait opportun de les réintroduire, notamment en ce qui concerne les jeunes ? Cela permettrait aussi de soutenir la consommation.

Quelle est la méthode retenue pour sélectionner les projets qui bénéficieront du plan d'investissements d'avenir ? Comment s'opère le choix des secteurs bénéficiaires ? Quel est le rôle du haut-commissaire au plan ?

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Nous bénéficions de très bons taux parce que la France n'a jamais failli à sa parole, mais aussi parce que l'on suppose que nous allons réindustrialiser notre pays et effectuer des réformes structurelles. Il faut que nous en soyons conscients.

S'agissant de l'aide aux entreprises, vous avez évoqué la simplicité des mesures et leur maintien aussi longtemps qu'il le faudra. Je souhaite vous faire part de l'angoisse des chefs d'entreprise qui ne pourront accéder aux aides du fait des conditions, notamment de chiffres d'affaires, auxquelles elles sont soumises. Pouvez-vous donner des garanties à ces chefs d'entreprise ?

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Sautarel

En matière de protection, il y a encore des trous dans la raquette, du fait notamment d'effets de seuil, de l'insuffisante prise en compte de l'amont des filières, ou de la saisonnalité de certaines activités, en particulier dans les territoires de montagne. Des ajustements sont nécessaires, en concertation avec le terrain.

Une entreprise de mon département travaille sur les thérapies par le microbiote. Après avoir été encouragée dans un premier temps, elle n'a finalement pas été retenue dans le cadre du premier appel à projets pour la résilience de l'économie. Par ailleurs, dans le cadre des contrats de relance signés entre l'État et les régions, il faudra veiller à ce que les gros investissements structurants ne se fassent pas au détriment d'une attention plus fine portée aux territoires. J'espère que cela pourra être corrigé dans les CPER.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je salue votre volontarisme, mais je vous trouve trop rassurant sur la dette. L'Agence France Trésor devra tout de même placer 300 milliards d'euros dans l'année. Comment convaincre les Français qu'il va falloir faire des réformes structurelles ? Le gouverneur de la Banque de France indiquait ce matin qu'il espérait que le niveau de la dette, de 120 % du PIB, reviendrait à 100 % dans dix ans. C'est ce qui nous sépare de la dernière crise !

Nous rencontrons des difficultés pour modéliser les effets de la crise. Le gouverneur de la Banque de France estime le taux de chute des entreprises bénéficiaires de PGE à 4 et 6 %. Cela me semble faible. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Segouin

Les TPE ont souscrit des PGE à hauteur de 25 % de leur chiffre d'affaires. Or leur seuil de rentabilité se situe entre 3 et 4 %, et elles devront rembourser en quatre ans. Je ne comprends pas la règle de calcul.

Quand nous avions une croissance en rythme normal à 1,5 %, nous étions incapables de rembourser le capital de la dette. Vous indiquez aujourd'hui que nous y parviendrons. Sur quelles prévisions de croissance fondez-vous cette conviction, sachant que nous devrons également rembourser la dette européenne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Arnaud

Les territoires de montagne sont particulièrement touchés par la décision regrettable de fermeture des remontées mécaniques.

Certaines entreprises qui souhaitent investir pour préparer le rebond n'ont pas obtenu de réponse, ou ont reçu une réponse négative aux demandes de financement qu'elles ont déposées. J'apprécierais que des instructions soient données aux services déconcentrés de l'État pour que les entrepreneurs obtiennent des explications quant aux raisons de ces refus éventuels.

S'agissant des collectivités territoriales, des trous dans la raquette demeurent. Les collectivités locales qui ont des activités de remontées mécaniques ne bénéficient pas d'accompagnement financier de l'État pour compenser les pertes. Cela altère la capacité d'autofinancement, et donc de rebond de ces collectivités locales pour accompagner le plan de relance. Je souhaiterais que l'on puisse améliorer la méthode de travail afin d'éviter que, par effet domino, des faillites n'entraînent d'autres faillites dans les territoires visés par cette décision gouvernementale particulièrement dure en matière de protection sanitaire.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

S'agissant des questions relatives à des dossiers particuliers, n'hésitez pas à m'écrire pour m'alerter lorsque vous estimez qu'ils méritent d'être réévalués. Stéphane Sautarel a cité le cas de l'entreprise Biose, dont le projet a été redéposé. Près de 900 projets de relocalisation dans les secteurs stratégiques ont été déposés. Nous en retiendrons 200. La sélection est donc importante, mais je réévaluerai volontiers les dossiers.

Monsieur Karoutchi, nous travaillons sur un certain nombre de scénarios. Le scénario de référence prévoit une amélioration de la situation économique à partir de la moitié de l'année 2021 et un fort rebond dans la dernière partie de l'année 2021. Je travaille aussi sur d'autres scénarios, dont j'espère qu'ils resteront purement spéculatifs, mais je reconnais que le virus nous a appris l'humilité. Il ne serait pas responsable du point de vue financier de s'enfermer dans une option unique.

En ce qui concerne le chômage, la situation est moins dégradée que prévu. Après avoir détruit plus de 700 000 emplois, l'économie française a montré qu'elle pouvait en recréer près de 500 000 grâce à des capacités de rebond exceptionnelles. Nous devons encore les améliorer, notamment en développant de nouveaux secteurs d'activité, mais les fondamentaux sont bons : nous avons amélioré la compétitivité de l'économie française, réduit la fiscalité qui pesait sur les ménages et les entreprises, amélioré le fonctionnement du marché du travail, réinvesti dans l'industrie, formé à de nouvelles compétences. Lorsque nous sommes entrés en crise, nous avions l'un des meilleurs taux de croissance de la zone euro, et un chômage qui avait baissé de près de 2 points.

La réindustrialisation est un enjeu absolument critique. Cette crise doit être une opportunité de transformer notre économie pour en faire une économie décarbonée et diversifiée de nature à contribuer à réduire les inégalités. L'inverse serait un échec historique.

Je partage totalement votre remarque sur les biotechnologies, M. Savoldelli : dans le plan de relance, notamment dans le plan d'investissements d'avenir, nous avons consacré des crédits importants aux biotechnologies, en particulier à l'immunothérapie, aux technologies de santé de pointe et à la digitalisation de la santé, car cela nous permettra de réduire les dépenses et de les rendre plus efficaces. La santé est un des champs industriels d'avenir pour le pays, et il reste encore beaucoup à faire.

Vous avez également cité l'électronique. Je suis favorable à la mise en place d'un programme d'intérêt commun européen sur les microprocesseurs les plus pointus possible. Nous devons continuer à investir dans cette filière industrielle performante.

J'en viens à la méthode qui préside au choix des filières : les critères ne sont pas fixés par des politiques, mais par des industriels, des scientifiques et des chercheurs. Tout vient de la base. M. Potier, président-directeur général d'Air liquide, et le Conseil national de l'industrie ont fait des propositions qui ont été validées par le Parlement.

Plusieurs conditions doivent être réunies. La première est l'existence d'un marché. C'est par exemple le cas des avions à hydrogène, des microprocesseurs, des biotechnologies, de l'oncologie de pointe adaptée à l'ADN de chaque personne, de la physique quantique. Le Président de la République a d'ailleurs annoncé que nous investirions près de 2 milliards d'euros dans cette filière.

La deuxième condition est de disposer des industries de base pour développer ces technologies. Pour reprendre l'exemple de l'hydrogène, les industriels français McPhy et Air liquide ont déjà la compétence pour franchir l'étape suivante, à savoir l'électrolyse qui permettra de fabriquer une énergie totalement décarbonée. Nous disposons également déjà d'un outil industriel dans le domaine des biotechnologies de la santé et de la microélectronique. Située à Crolles, STMicroelectronics est l'une des entreprises les plus performantes de la planète.

La troisième condition est de disposer des compétences et des formations. Nous allons ouvrir des filières de formation dans tous ces secteurs, car, au-delà de la question des coûts, il s'agit du premier obstacle à la réindustrialisation.

Enfin, la dernière condition est de bénéficier d'un soutien européen, car le milliard d'euros est l'unité de compte des stratégies de création de nouvelles chaînes de valeur. Le développement de l'hydrogène, des biotechnologies, des batteries électriques ou du calcul quantique nécessite une approche européenne, en l'occurrence principalement franco-allemande.

Nous devons aujourd'hui basculer d'une économie qui, depuis trente ou quarante ans, repose sur les mêmes chaînes de valeur à une nouvelle économie plus décarbonée, technologiquement plus avancée, ouvrant de nouvelles chaînes de valeur pour la France et garantissant à nos enfants et à nos petits-enfants non seulement des emplois, mais un niveau de vie suffisamment élevé.

Les jeunes de moins de 26 ans bénéficient des aides à l'embauche en CDI. Nous avons également mis en place des aides exceptionnelles pour les jeunes précaires, renforcé les dispositifs d'insertion et d'accompagnement comme la garantie jeunes, dont le nombre de bénéficiaires a été doublé, et les aides financières spécifiques telles que les deux repas par jour à 1 euro. Toutefois, nous sommes ouverts à l'étude d'autres dispositifs. M. Guerini a récemment proposé la création d'un capital jeune de 10 000 euros qui serait remboursé uniquement lorsque le bénéficiaire aurait un emploi qui lui permettrait de le faire dans de bonnes conditions. Cette idée mérite d'être étudiée.

Madame Taillé-Polian, le comité interministériel de la ville qui se tiendra vendredi prochain fera un suivi de l'engagement relatif aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nadia Hai est pleinement mobilisée sur ce sujet, notamment avec Mme Borne. Au travers du plan de relance, nous apportons des réponses très concrètes.

J'en viens à vos questions sur la dette. Je puis vous assurer que l'Agence France Trésor ne rencontre aucune difficulté à lever de la dette sur les marchés. Si tel n'était pas le cas, cela se traduirait par un spread beaucoup plus élevé avec l'Allemagne et par des taux d'intérêt très différents de ceux auxquels nous empruntons.

Par ailleurs, je rappelle que nous empruntons toujours à taux fixe. En cas de hausse des taux d'intérêt, le coût de la dette n'augmenterait donc que progressivement. J'estime qu'il est important de dire la vérité aux Français, sans jouer avec leurs peurs.

Bien entendu, ce raisonnement vaut tant que le ministre des finances français garantit aux marchés le remboursement de cette dette, même dans des délais longs. La crédibilité de la signature française tient aux mesures que nous prenons pour relancer la croissance et réduire les dépenses publiques ainsi qu'aux réformes structurelles, telles que la réforme des retraites, que nous ferons le moment venu.

Enfin, à ceux qui prédisent qu'on ne remboursera pas la dette, je rappelle que celle-ci est détenue à 25 % par des épargnants français, qui, dans ce cas, perdraient leur épargne.

Monsieur Savoldelli, les dividendes des entreprises du CAC 40 ont baissé de près de 50 % en 2020 ; les versements ont donc eux aussi diminué. Par ailleurs, les entreprises qui ont bénéficié des aides, notamment de prêts garantis par l'État et d'exonérations de charges, s'étaient engagées à ne pas verser de dividendes et à ne pas procéder à des rachats d'actions. Cet engagement a été tenu.

Enfin, le plan de relance comprend des dispositifs en faveur de la filière textile, qui a repris des couleurs depuis quelques années après avoir été abandonnée. Il me tient à coeur de renforcer cette filière.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Nous vous remercions, monsieur le ministre.

La réunion est close à 18 h 15.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.