Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 26 janvier 2021 à 14h30
Code de la justice pénale des mineurs — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Éric Dupond-Moretti :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux, dans le prolongement des échanges très riches que nous avons eus en commission, de présenter à la Haute Assemblée le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

La loi pénale, tout particulièrement lorsqu’elle concerne les mineurs, suscite souvent des débats, parfois excessifs, mais toujours légitimes, surtout lorsqu’ils permettent de construire un consensus dans notre société, pour améliorer le sort de nos enfants et mieux protéger la société dans son ensemble.

Cette réforme est particulièrement attendue ; je suis fier de débattre avec vous d’un texte qui a fait l’objet d’une aussi large concertation avec tous les acteurs de la justice des mineurs. En outre, comme vous le savez, il a été enrichi par l’Assemblée nationale en première lecture et, désormais, par votre commission des lois. Je tiens d’ailleurs ici à saluer le travail constructif de votre rapporteure, Mme Canayer, qui a pointé très justement un certain nombre d’enjeux sur lesquels je reviendrai.

Comme je l’ai déjà dit lors de mon audition – je voudrais insister sur ce point –, cette réforme n’est en rien une construction hâtive, mais le fruit de plus de dix ans de consultations : ce sont quatre gardes des sceaux et presque autant de majorités qui ont préparé ce travail de codification et de clarification de notre droit. Le Sénat y a d’ailleurs largement contribué ; je pense, par exemple, au rapport que le sénateur Michel Amiel a rendu en 2018 sur les mineurs enfermés.

Longuement mûrie, cette réforme en est d’autant plus équilibrée. J’ai la certitude qu’elle parvient à répondre aux attentes des Français. Ainsi, elle améliore la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants tout en renforçant les principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945 : la primauté de l’éducatif, l’atténuation de la peine et la spécialisation des acteurs.

Permettez-moi de revenir en quelques mots sur les grands apports de ce texte.

Il consacre tout d’abord une justice des mineurs plus efficace et plus lisible, parce que désormais prévisible pour tous. La phase judiciaire éducative interviendra plus vite, dans un cadre procédural clarifié et simplifié.

La suppression de la phase de mise en examen devant le juge des enfants, associée à la généralisation de la procédure de césure, assure enfin une réponse éducative rapide, au plus près du passage à l’acte ; une telle réponse est un gage essentiel de la réactivité et de l’efficacité de la justice des mineurs, car une justice trop longue perd toutes ses vertus pédagogiques.

Rappelons la procédure : le mineur est convoqué à une première audience de culpabilité, dans un délai compris entre dix jours et trois mois. Cette première audience est cruciale, car elle permet de statuer sur la culpabilité du mineur dans un délai raisonnable et adapté à la particularité de son âge, alors qu’aujourd’hui ce délai est de dix-huit mois en moyenne. La seconde audience, qui vise au prononcé de la sanction, mesure éducative ou peine, intervient dans un délai compris entre six et neuf mois. Elle clôture une période de mise à l’épreuve éducative.

Le temps éducatif n’est pas raccourci ; c’est le temps judiciaire qui est encadré. La mesure éducative unique s’inscrit dans un continuum ; elle peut d’ailleurs se poursuivre au-delà de la majorité, jusqu’aux 21 ans du jeune.

La mise à l’épreuve éducative peut être adaptée selon la situation du mineur et son évolution ; elle comprend des modules d’insertion, de réparation, de placement et de santé. Vous retrouvez ici toutes les composantes de la mission menée par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, qui disposent désormais d’un cadre d’intervention clarifié et flexible.

La primauté de l’éducatif est ainsi garantie, grâce à une réponse éducative cohérente et encadrée par des délais de procédure.

L’effectivité de la réponse éducative permet de réduire le recours à la détention provisoire, qui concerne actuellement environ 80 % des mineurs détenus.

Les jugements rapides en audience unique restent exceptionnels et sont soumis à une appréciation individualisée des procureurs spécialisés, qui doivent concilier la gravité des faits reprochés et, bien sûr, la personnalité du mineur. Ces garde-fous sont nombreux, et le juge saisi garde la possibilité de revenir au principe de la césure.

Ainsi, les grands équilibres sont non seulement maintenus, mais même renforcés.

Je tiens également à mettre ici en valeur une conséquence essentielle et primordiale de la réforme : la meilleure prise en charge des victimes, qui seront mieux informées et mieux associées à toutes les étapes de la procédure.

Je souhaiterais ensuite revenir sur certaines des modifications apportées par votre commission, en commençant par celles qui touchent au fond du droit, avant d’en venir à la question indissociable de l’entrée en vigueur de la réforme. À ce titre, trois points me semblent devoir être évoqués. Certains appellent une convergence ; d’autres, la prolongation des débats.

La suppression par votre commission de l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD), intervention introduite à juste titre lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, ne peut qu’affaiblir l’exigence d’impartialité qui doit trouver à s’appliquer également aux mineurs et, comme c’est déjà le cas, aux majeurs. J’appelle votre attention sur les difficultés soulevées en pratique par l’intervention de plusieurs juges des enfants prévue par votre commission, notamment au sein des petites juridictions, où il n’y a souvent qu’un seul juge des enfants.

C’est pour ces raisons, tant juridiques que pratiques, que le Gouvernement vous proposera par amendement de garantir l’impartialité de la justice des mineurs, au stade de la mise en examen, en prévoyant l’intervention du juge des libertés et de la détention, sans que cela remette en cause d’une quelconque manière la continuité du suivi des mineurs par le juge des enfants.

Votre commission des lois est par ailleurs revenue sur les compétences du tribunal de police, pourtant bien établies et ne soulevant aucune difficulté juridique, pour les contraventions de faible intensité des quatre premières classes. Or l’ensemble des acteurs de terrain sont unanimes pour estimer que l’intervention d’un juge des enfants spécialisé doit rester dédiée au seul suivi éducatif de long terme. La confusion des procédures ne peut que nuire à la lisibilité de la justice des mineurs et, par conséquent, à son efficacité.

J’ai en revanche été convaincu par la proposition de votre commission visant à renforcer la force normative de la définition du discernement, désormais insérée dans la partie législative du code de la justice pénale des mineurs. Je souscris à cet objectif, tout en suggérant d’intégrer dans la rédaction les notions de « compréhension » et de « volonté », qui sont plus objectivables que celle de « maturité ». Nous pouvons ici nous référer à la définition adoptée par la Cour de cassation, qui a fait référence à la compréhension de la procédure pénale par le mineur.

Il nous faut enfin évoquer la question de l’entrée en vigueur de la réforme, qui est tout à la fois liée à la question des moyens et à l’importance des modifications apportées au texte lors des débats parlementaires.

Pour ce qui est des moyens, je veux souligner une fois de plus que le Gouvernement s’est employé, depuis de nombreux mois, à donner à toutes les parties prenantes les moyens indispensables à la bonne mise en œuvre de la réforme. C’est ainsi que des moyens humains supplémentaires importants ont été attribués aux juridictions et aux services de la protection judiciaire de la jeunesse : 252 emplois nouveaux seront créés d’ici à 2022 et 86 éducateurs recrutés dans le cadre des budgets alloués à la justice de proximité ; près de 72 magistrats ont été recrutés en 2020, dont 24 juges des enfants. L’inspection générale de la justice a également été missionnée pour favoriser l’adaptation des pratiques professionnelles et apporter un appui déterminant aux juridictions les plus en difficulté.

Je tiens à saluer ici la mobilisation exceptionnelle des acteurs de terrain pour s’approprier cette réforme au plus vite. En effet, de très nombreuses concertations locales ont été menées afin de parvenir à une appropriation de la réforme dans les meilleurs délais.

Enfin, les efforts conjugués des juridictions malgré la crise sanitaire ont permis l’apurement d’une partie des stocks – pardon pour ce terme néocapitalistique, mais c’est celui qui est utilisé –, grâce à la création d’audiences supplémentaires et à la réorientation des dossiers les plus anciens.

Aujourd’hui, la grande majorité des juridictions est désormais prête à intégrer la nouvelle procédure. Je vous l’ai dit en commission, seulement une dizaine d’entre elles se trouve en difficulté et bénéficie à ce titre d’un appui renforcé.

Toutefois, l’entrée en vigueur dépend aussi de la nature et de l’importance des modifications introduites par le législateur au texte de l’ordonnance, comme aux aléas liés au contexte de la crise sanitaire.

Quel est le dernier état de la situation ? À contexte sanitaire inchangé – vous savez à quel point il peut encore évoluer dans les semaines à venir – et au regard des derniers éléments communiqués par mes services, seule la modification substantielle liée à l’intervention du JLD dans la procédure conduit à des adaptations informatiques et opérationnelles telles qu’un temps supplémentaire de préparation peut être nécessaire.

Comme j’ai bon espoir que nos discussions permettent la réintroduction des dispositions relatives au JLD et, dans un esprit de dialogue constructif et de cohérence, le Gouvernement prend acte du report de la date de l’entrée en vigueur voté par votre commission.

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