Intervention de Agnès Canayer

Réunion du 26 janvier 2021 à 14h30
Code de la justice pénale des mineurs — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la modernisation de la justice pénale des mineurs est une réforme attendue. Ce constat est partagé. L’ordonnance du 2 février 1945, trente-neuf fois modifiée, a perdu de sa cohérence et de son efficacité. La sédimentation des réformes législatives a rendu ce texte peu lisible pour les juristes et peu compréhensible par les mineurs. Plus encore, l’ordonnance de 1945 ne permet plus de répondre aux exigences du respect des droits de l’enfant et de l’efficacité de la lutte contre la délinquance des mineurs.

Deux chiffres traduisent l’épuisement de l’ordonnance de 1945.

D’une part, il faut en moyenne dix-huit mois à la justice pénale des mineurs pour juger un mineur. Or, comme 60 % des auteurs ont entre 16 et 18 ans, la sanction arrive souvent après la majorité.

D’autre part, 80 % des mineurs emprisonnés sont en détention provisoire – vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux. Ce chiffre parle de lui-même

L’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, dont nous examinons aujourd’hui le projet de loi de ratification, répond clairement à cet ambitieux objectif de modernisation de la justice pénale des mineurs, mais elle a malheureusement pris une route sinueuse, qui impose l’allongement du chemin pour atteindre le but.

Les innovations apportées par le nouveau code de justice pénale des mineurs sont avant tout procédurales et appellent, mes chers collègues, plusieurs appréciations.

À ce stade, nous pouvons regretter le manque d’ambition de la réforme, l’acte manqué d’un véritable « code des mineurs » réformant à la fois l’enfance délinquante et l’enfance en danger. Malheureusement, l’enfant délinquant est trop souvent un enfant victime de carences éducatives, de parents absents, d’un manque de repères éducatifs. Je me félicite des amendements de ma collègue Valérie Boyer, qui tendent à mieux responsabiliser les parents.

Reste que nous pouvons aussi nous satisfaire que le projet reprenne les grands principes de l’ordonnance de 1945 : l’atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge, la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation des juridictions. Principes fondamentaux, ils constituent le socle de la justice pénale des mineurs, une justice adaptée à un public plus vulnérable.

La spécialisation de l’ensemble des magistrats qui interviennent auprès des mineurs est la base d’une justice familiarisée aux questions éducatives, indissociables de la répression des mineurs. C’est pourquoi la commission des lois du Sénat a souhaité appliquer ce principe dans son intégralité. Elle a décidé de supprimer le recours au tribunal de police pour les contraventions des quatre premières classes. Le juge des enfants, en tant que magistrat spécialisé, doit avoir une vision globale de l’ensemble des infractions commises par le mineur, même les plus modestes, pour agir le plus tôt possible. C’est l’esprit même du code de la justice pénale des mineurs.

De même, l’introduction du juge des libertés et de la détention par les députés pour statuer sur la détention provisoire des mineurs incarcérés avant l’audience de culpabilité nous paraît une atteinte inutile au principe de spécialisation des juridictions pour les mineurs. Certes, ce dispositif vise à mieux répondre à l’injonction du Conseil constitutionnel relative à l’impartialité du juge. Cependant, nous considérons que la conciliation des principes d’impartialité et de spécialisation sera plus équilibrée si le contentieux de la liberté et de la détention est confié à un juge des enfants autre que celui qui statuera sur la culpabilité ou, à défaut, à « un magistrat désigné par le président du tribunal judiciaire en raison de son expérience sur les questions de l’enfance ». C’est le sens de l’amendement adopté en commission.

Dans les faits, la spécialisation des JLD ne sera que de façade. Ils sont moins nombreux que les juges des enfants et, dans les petites juridictions, l’habilitation de tous les JLD reviendra à effacer le principe de spécialisation. Par ailleurs, les juges des libertés et de la détention seront accaparés par le contentieux de la dignité en prison au détriment du contentieux des mineurs délinquants.

Enfin, concernant les principes cardinaux, l’ordonnance de 2019 fixe l’âge pivot de la présomption de discernement à 13 ans. Tout mineur de moins de 13 ans est présumé ne pas être capable de discernement et ceux d’au moins 13 ans le sont. Ce principe nouveau appelle trois remarques.

Premièrement, l’âge de 13 ans répond aux attentes de l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France. Il n’existe pas aujourd’hui de consensus sur l’âge pivot applicable au discernement du mineur. En revanche, l’âge de 13 ans est reconnu dans le droit positif français.

Deuxièmement, l’introduction de la présomption simple est plus protectrice du mineur et de sa victime. Elle oblige le juge à se poser la question de la capacité de discernement de l’auteur. Si celui-ci a moins de 13 ans et que le juge prouve qu’il est capable de discernement, les poursuites pourront être engagées, comme dans la triste affaire de la petite Évaëlle, et a contrario. La présomption simple permet la souplesse de l’adaptation à la maturité du mineur, ce que ne permet pas de déceler la date d’anniversaire.

Troisièmement, le discernement est défini dans le code pénal, mais les critères retenus sont avant tout l’atteinte par des troubles psychiques ou neuropsychiques, insuffisants pour les mineurs. En la matière, la jurisprudence de la Cour de cassation est constante. C’est pourquoi il nous a paru important que cette définition puisse s’intégrer dans la partie législative de ce nouveau code de la justice pénale des mineurs et de rendre ce dernier plus moderne. Cette définition est attendue par les magistrats. Il appartiendra au pouvoir réglementaire de fixer les critères d’appréciation, et non l’inverse.

Enfin, nous pouvons nous féliciter de la simplification de la procédure et de la rationalisation de la gamme des sanctions applicables au mineur. La principale innovation de cette réforme procédurale consiste à ancrer la césure de la procédure comme principe et l’audience unique comme exception. Le mineur sera jugé selon la procédure de mise à l’épreuve éducative, qui se déroulera en trois phases : une audience de culpabilité, une période de mise à l’épreuve éducative et une audience de sanction.

Encadrée dans des délais courts – dix jours à trois mois pour l’audience de culpabilité, de six à neuf mois pour l’audience de sanction –, cette procédure a le mérite de fixer rapidement le mineur sur son sort et de permettre à la victime d’être indemnisée dans les meilleurs délais. Néanmoins, son efficacité dépendra non seulement des moyens dont disposera la justice des mineurs pour respecter les délais non contraignants, mais aussi de la capacité qu’auront les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à mettre en œuvre de manière instantanée les mesures éducatives. À cette fin, la commission des lois du Sénat a adopté un amendement obligeant la PJJ à fixer la date de mise en œuvre des mesures éducatives provisoires à l’audience de culpabilité. La continuité et la cohérence éducatives sont au cœur de la réforme.

Les mineurs déjà fortement connus ou pour lesquels il existe un risque de non-représentation peuvent être jugés au cours d’une audience unique, qui doit rester l’exception.

La rationalisation de la gamme des sanctions constitue un enjeu d’efficacité dans la politique de lutte contre la délinquance des mineurs, afin que la mesure soit, d’une part, mieux adaptée à la situation du mineur et, d’autre part, mieux comprise par le jeune.

Mes chers collègues, vous le comprenez, cette modernisation du code de la justice pénale des mineurs est une bonne réforme, voulue et attendue. C’est la raison pour laquelle, monsieur le garde des sceaux, nous ne comprenons pas la méthode employée, peu respectueuse du travail parlementaire et à marche forcée. Nous ne nous appesantirons pas sur le recours aux ordonnances : le parallélisme des formes ne s’imposait pas. Le contexte de 1945 n’est pas celui de 2019.

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