Le projet de loi qui nous est soumis vise à ratifier six ordonnances - quatre dans sa version initiale - prises sur le fondement de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020. Au total, 62 ordonnances avaient été prises dans le cadre de cette loi afin de répondre aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. Rappelons que le Gouvernement est toujours tenu de déposer un projet de loi de ratification des ordonnances prises, mais non de l'inscrire à l'ordre du jour du Parlement. En l'absence de ratification, une ordonnance demeure valide juridiquement, mais elle ne revêt qu'une valeur réglementaire, ce qui permet d'en contester ses dispositions devant le juge administratif. Dans ces conditions, pourquoi le Gouvernement a-t-il fait inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la ratification de ces quatre ordonnances ?
Une disposition bien particulière et importante a motivé ce choix : la réorganisation de la Banque publique d'investissement, Bpifrance, proposée à l'article 3 du texte. Le Gouvernement avait déjà tenté de procéder à cette ratification au sein de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (loi ASAP), ce que le Conseil constitutionnel avait censuré pour cause d'absence de lien avec les dispositions initiales du projet de loi.
Deux raisons principales expliquent que le Gouvernement tienne à conférer une valeur législative à la réorganisation de Bpifrance. La première est d'ordre juridique. La réorganisation opérée me semble d'une ampleur plus large que le champ de l'habilitation que nous avions accordée en mars dernier. Compte tenu de son caractère structurant pour les activités de Bpifrance, le Gouvernement veut se protéger de tout recours devant le juge administratif sur ce fondement. La seconde est d'ordre plus opérationnel. L'opération affecte les activités d'établissement de crédit exercées par Bpifrance. Or ce domaine s'inscrit dans un cadre extranational : la supervision relève de la Banque centrale européenne et les acteurs étrangers ne s'embarrassent pas des subtilités du régime français des ordonnances et veulent être assurés de la sécurité juridique de l'opération.
Cette réorganisation, autorisée par l'ordonnance du 17 juin 2020, est effective depuis fin décembre, avec les décisions des assemblées générales extraordinaires et un arrêté du ministre de l'économie et des finances.
Depuis la création de la Banque publique d'investissement en 2012, sa structure reposait sur une société holding, Bpifrance SA, chapeautant trois entités principales : Bpifrance Financement, établissement de crédit ; Bpifrance Participations, entité intervenant en fonds propres ; enfin, Bpifrance Assurance Export.
Comme l'a souligné le superviseur bancaire, cette organisation était structurellement déséquilibrée du point de vue des fonds propres. C'est un point de préoccupation ancien : un rapport de la Cour des comptes de 2016 alertait déjà sur la nécessité de renforcer les fonds propres de Bpifrance Financement pour assurer le respect des ratios de solvabilité prévus par la réglementation bancaire.
La réorganisation opérée vise à surmonter cette difficulté, au moyen d'une fusion-absorption de Bpifrance SA par l'établissement de crédit Bpifrance Financement, devenu la société de tête. L'intérêt de cette opération est double : d'une part, elle permet à l'établissement de crédit de bénéficier de la consolidation de Bpifrance Participations et ainsi de multiplier par plus de cinq le montant de ses fonds propres, de 4 milliards à environ 25 milliards d'euros, accroissant ainsi ses capacités de financement de l'économie ; d'autre part, elle simplifie l'organisation et la gouvernance de la structure.
Je veux évoquer deux effets de cette réorganisation. Le premier concerne la détention du capital. Jusqu'à présent, la société de tête était intégralement publique, avec un actionnariat partagé également entre l'État et la Caisse des dépôts et consignations. La filiale Bpifrance Financement était détenue à 91 % par la société de tête et à 9 % par des investisseurs privés, essentiellement des banques françaises. L'absorption par Bpifrance Financement de la société de tête se traduit par une modification des conditions de détention : désormais, 98,6 % du capital est détenu à parité par l'État et la Caisse des dépôts et consignations ; 1,4 % par des investisseurs privés.
L'ordonnance retient à cet effet une contrainte plus souple, en fixant un plancher de 95 % à la détention publique. Le Gouvernement indique que ce pourcentage a été retenu en amont de l'opération, pour préserver une certaine souplesse tant que les valorisations respectives n'étaient pas définitivement arrêtées. J'ai donc interrogé l'administration sur l'opportunité de modifier le plancher à l'aune de la participation finalement constatée ; il m'a été répondu que cette modification ne semblait pas utile et ralentirait l'adoption définitive du texte. Nous pourrons déposer un amendement en séance pour interroger le Gouvernement sur ses intentions en la matière.
Le second effet de cette réorganisation concerne les modalités d'intervention de Bpifrance et leurs effets sur les comptes publics. Jusqu'à présent, la société de tête était comptabilisée au sein des administrations publiques, comme organisme divers d'administration centrale (ODAC), de même que Bpifrance Participations. Tout endettement était donc comptabilisé dans la dette selon les critères de Maastricht. Seul Bpifrance Financement, en tant qu'établissement de crédit dont le capital était en partie détenu par des investisseurs privés, ne relevait pas du périmètre des administrations publiques.
L'opération modifie cet état de fait : désormais, l'entité de tête n'est plus comptabilisée comme une administration publique. La conséquence est d'importance : Bpifrance pourra s'endetter dans des conditions favorables, grâce à la garantie de l'État, sans que cela soit comptabilisé dans les indicateurs maastrichtiens. Un premier emprunt de 3 milliards d'euros est déjà prévu, ce qui permettra de renforcer le soutien à l'économie.
L'Assemblée nationale n'a pas modifié le fond de ces dispositions, procédant uniquement à des améliorations rédactionnelles de l'ordonnance relative à Bpifrance en introduisant un article 3 bis.
L'article 1er ratifie l'ordonnance du 10 juin 2020 relative au fonds de solidarité, à savoir celle qui a prolongé la durée d'existence de ce fonds jusqu'à la fin de l'année 2020 et a complété les modalités du contrôle de l'administration sur le versement des aides octroyées. De façon cohérente, l'Assemblée nationale a complété cet article afin de ratifier l'ensemble des ordonnances relatives au fonds de solidarité, à commencer par celle qui a prévu sa création le 25 mars 2020. Elle a également introduit un nouvel article 1er bis pour corriger une erreur de référence.
L'article 2 ratifie l'ordonnance du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique. Cette ordonnance adapte temporairement le droit de la commande publique sur trois points, afin de soutenir les petites et moyennes entreprises. Deux de ces mesures ont été reprises de façon pérenne dans la loi ASAP ; la plus importante visait à permettre aux entreprises en difficulté du fait de la crise de répondre aux marchés publics.
Enfin, l'article 4 ratifie l'ordonnance du 17 juin 2020 relative à l'octroi d'avances en compte courant aux entreprises en difficulté par divers véhicules de capital investissement. Cette ordonnance relève temporairement la part de leur actif que ces fonds peuvent prêter aux entreprises dont ils sont actionnaires. Ce plafond est relevé de 15 % à 20 %, ou 30 %, selon qu'ils sont ou non ouverts aux investisseurs particuliers.
Pour conclure, au bénéfice des observations que j'ai formulées, je vous propose d'adopter ce projet de loi sans modification à ce stade, de manière à sécuriser juridiquement la réorganisation de Bpifrance dans le sens des recommandations de la Cour des comptes.