Ce texte ne va pas soulever des foules en délire ! Il ne va pas révolutionner notre droit positif. Essayons néanmoins d'en tirer le meilleur parti.
Cette proposition de loi relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement a été déposée par notre collègue députée Valéria Faure-Muntian. Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée et le texte a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale la semaine dernière.
Cette initiative est ancienne : elle reprend un dispositif introduit par amendement au Sénat par plusieurs collègues des groupes Les Républicains et La République En Marche dans le projet de loi « Pacte » mais cette disposition avait été censurée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel. L'origine de ce dispositif devrait faciliter son adoption par notre assemblée ; par cohérence avec notre position d'alors, je vous proposerai, non de le rejeter, mais de l'amender.
Sur le fond, ce texte structure les professions de courtiers en assurance et en opérations de banque et services de paiement. Son article unique met en place un système d'adhésion obligatoire à des associations professionnelles agréées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Ces associations seront principalement chargées d'accompagner ces professionnels, de leur fournir un service de médiation et de vérifier certaines conditions d'accès et d'exercice de leur activité.
Ce système s'inspire de celui qu'avait instauré la loi de sécurité financière du 1er août 2003 pour les conseillers en investissements financiers, système dont l'Autorité des marchés financiers (AMF) m'a dressé un bilan positif lors des auditions.
Ces associations de courtiers existent déjà ; six à huit d'entre elles estiment être prêtes à être agréées. L'entrée en vigueur de la réforme, initialement prévue pour le 1er janvier 2021, a été reportée au 1er avril 2022 par nos collègues députés pour tenir compte du décalage du calendrier lié à la crise.
Quel regard porter sur cette proposition de loi ? Je veux d'abord indiquer les problèmes qu'elle ne réglera pas ; ils sont importants et l'on ne doit pas nourrir de faux espoirs à cet égard.
Premièrement, ce texte n'apportera pas de solution aux dysfonctionnements de la libre prestation de services. Plusieurs assureurs étrangers dont les polices étaient souscrites par des particuliers ou des professionnels en France ont connu des défaillances, notamment dans le domaine de la construction ou de l'assurance automobile ; on relève même des cas frauduleux. De fait, le droit européen interdit de soumettre à une adhésion obligatoire les courtiers exerçant en France, au titre de la libre prestation de service ou de la liberté d'établissement. Des courtiers étrangers pourront donc continuer d'exercer en France sans être soumis aux dispositions de cette proposition de loi.
Deuxièmement, ce texte ne mettra pas fin aux pratiques commerciales déloyales parfois observées dans ce secteur. En effet, les associations professionnelles ne seront pas habilitées à contrôler le respect des pratiques de vente et du devoir de conseil vis-à-vis des clients. Le système proposé diffère sur ce point de celui qui est en vigueur pour les conseillers en investissements financiers, qui peuvent être contrôlés à ce titre par l'association à laquelle ils adhèrent. Le règlement général de l'AMF impose même un contrôle sur place de chacun des membres au moins une fois tous les cinq ans. Il n'y a rien d'équivalent dans cette proposition de loi, parce que ce serait contraire au droit européen, qui ne permet pas aux autorités publiques de déléguer aussi largement leurs pouvoirs de contrôle dans le champ de l'assurance. Seule l'ACPR peut effectuer ces contrôles.
En dépit de ces deux limites, je pense que ce texte représente un pas dans la bonne direction. En effet, si les courtiers font l'objet d'un encadrement croissant au niveau européen, grâce à la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d'assurances, les conditions d'exercice qui leur sont imposées sont peu contrôlées. Ainsi, l'ACPR réalise environ 70 contrôles par an, alors que 24 470 courtiers et 32 557 intermédiaires en opérations de banque et services de paiement sont immatriculés à l'Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance (Orias). Cette faiblesse du contrôle s'explique par une extrême atomisation du secteur, entre des agents généraux très encadrés, des courtiers déjà adhérents à des associations et d'autres beaucoup moins solides. Le turnover est immense - on relève près de 11 000 non-renouvellements chaque année ! -, l'inscription à l'Orias est très aisée et les exigences d'accès à la profession sont souvent peu respectées.
Avec le système proposé, les associations pourront désormais vérifier que les conditions d'exercice sont remplies, en particulier l'obligation d'offrir un service de médiation, de se former régulièrement et de souscrire à une garantie financière adéquate. C'est particulièrement nécessaire dans ce secteur très atomisé, où la plupart des acteurs sont des entrepreneurs individuels ou des TPE. L'obligation d'adhésion devrait par ailleurs permettre de limiter le turnover et de décourager les projets professionnels les moins aboutis.
Comme il ne s'agit pas d'embêter inutilement les professions déjà très encadrées, les agents généraux sont exclus du champ de l'obligation d'adhésion, y compris pour leurs activités accessoires de courtier. En effet, les assureurs opèrent déjà une sélection stricte des candidats à la profession d'agent général, leur imposent des obligations de formation bien supérieures au minimum requis par le droit européen et les auditent régulièrement.
Il me semble donc, compte tenu des contraintes du droit européen, que l'équilibre trouvé permettra de structurer la profession, sans excès de zèle.
Toutefois, cette proposition de loi gagnerait à évoluer sur deux principaux aspects ; je vous proposerai donc d'amender le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Le premier point d'amélioration possible concerne le contrôle de l'honorabilité des dirigeants et de leurs salariés, c'est-à-dire de l'absence de condamnations pénales. Actuellement, l'Orias tient un registre des intermédiaires et dispose à ce titre d'un accès automatisé et sécurisé au bulletin n° 2 du casier judiciaire pour vérifier l'honorabilité des dirigeants. En l'état, la proposition de loi imposerait pourtant aux associations agréées de demander les documents justifiant de l'honorabilité des dirigeants et salariés, ce qui représenterait une charge non négligeable, pour un niveau de garantie plus faible. Il est en effet aisé de fournir un faux extrait de casier judiciaire. Il me paraît donc préférable de confier l'ensemble du contrôle des conditions d'honorabilité des dirigeants et salariés à l'Orias.
Certains souhaiteraient aller plus loin en confiant la totalité des missions des associations à l'Orias, mais cela ne me semble pas souhaitable. D'abord, la gouvernance de l'Orias n'est pas adaptée. En effet, les assureurs et les banques sont très présents tant à la commission d'immatriculation qu'au conseil d'administration de cet organisme. Ensuite et surtout, l'Orias n'est outillé que pour effectuer le contrôle à l'entrée de conditions objectives. Il ne peut vérifier ni l'adéquation de la formation, ni la proportionnalité des garanties financières aux risques pris ; il ne peut proposer ni un accompagnement ni un service de médiation à la profession. Ce sont bien les associations qui ont vocation à effectuer ces missions, comme c'est le cas pour les conseillers en investissements financiers.
Le deuxième aménagement que je souhaite apporter concerne les domaines pour lesquels le droit européen interdit de confier aux associations des pouvoirs de contrôle, à savoir la fourniture de conseils, les pratiques de vente et la prévention des conflits d'intérêts. Pour ces derniers, je vous proposerai de permettre aux associations agréées d'édicter des recommandations à l'égard de leurs membres. Cette évolution permettrait aux associations de promouvoir les bonnes pratiques professionnelles et commerciales, sans pour autant créer d'obligations pour leurs adhérents.
Sous le bénéfice de ces deux aménagements et de six autres amendements rédactionnels ou de cohérence que je vous présenterai plus brièvement, je vous proposerai d'adopter cette proposition de loi.
Enfin, en application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, je suggère d'inclure dans le périmètre de la proposition de loi toutes les dispositions relatives aux conditions d'accès et d'exercice de leur profession applicables aux courtiers d'assurance ou aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, ainsi qu'à leurs mandataires.