Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme d’une négociation qui a duré plusieurs années s’agissant du budget de l’Union européenne pour la période 2021-2027, et huit mois seulement – un peu moins, en réalité – pour ce qui est du plan de relance, je suis très heureux de me trouver au Sénat afin de présenter ce projet de loi.
Ce texte, qui comporte un article unique, a en effet pour objet d’autoriser le Gouvernement à approuver la décision sur les ressources propres adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 14 décembre 2020.
Comme vous le savez, les traités européens prévoient que cette décision ne peut entrer en vigueur qu’après approbation par l’ensemble des États membres suivant leurs procédures nationales respectives. En ce qui concerne la France, l’article 53 de notre Constitution prévoit que l’approbation doit faire intervenir une loi, donc être votée par le Parlement.
Cette décision sur les ressources propres est un exercice traditionnel, qui revient tous les sept ans ; en l’espèce, le présent texte vise à concrétiser les résultats inédits et historiques obtenus à l’issue d’une négociation extraordinaire à la fois par son ampleur et par la gravité de la crise dans laquelle nous sommes et qui a accompagné sa conclusion.
Cette négociation a permis à la France de faire avancer – j’en suis convaincu – un certain nombre d’idées anciennes qu’elle portait et porte plus que jamais en réponse à cette crise.
En premier lieu, ce texte permet la mise en œuvre du volet relatif aux recettes de ce qui est, depuis le 1er janvier dernier, notre cadre commun européen, budgétaire et d’action politique, pour les sept prochaines années. Il permet en effet le déploiement du cadre financier pluriannuel 2021-2027 que j’évoquais, qui est doté, sur cette période de sept ans, de précisément 1 074 milliards d’euros, soit une augmentation de 12 % par rapport à la période précédente, alors que le contexte est celui de la sortie du Royaume-Uni.
La période budgétaire qui s’est ouverte le 1er janvier est ainsi marquée par le renforcement très important, en particulier à la suite de l’accord final trouvé avec le Parlement européen en novembre dernier, des moyens consacrés à plusieurs politiques fondamentales, prioritaires pour la France.
Je pense notamment à la politique de mobilité internationale étudiante, le programme Erasmus +, doté d’un peu plus de 26 milliards d’euros, soit un quasi-doublement par rapport à la période 2014-2020.
Je pense aussi aux 95 milliards d’euros qui abondent le programme de recherche dit « Horizon Europe », soit une hausse de près de 50 % par rapport à la précédente période budgétaire ; à l’augmentation d’un tiers des moyens du programme spatial européen, si essentiel à notre indépendance et à notre souveraineté technologiques et militaires ; aux plus de 5 milliards d’euros consacrés à un nouveau programme spécifique relatif à la santé, qui a notamment permis l’acquisition des premiers vaccins dont nous bénéficions aujourd’hui.
Ces diverses dotations interviennent de surcroît dans un contexte où nous avons pu préserver le budget de la politique agricole commune et renforcer les moyens de la politique de cohésion – vous savez qu’il n’y avait là rien d’acquis ni d’évident, loin de là, puisque la première proposition de la Commission, au printemps 2018, prévoyait un recul de 15 milliards d’euros des fonds consacrés à la politique agricole commune.
Nous avons, à l’issue de cette négociation, obtenu la stabilisation des paiements directs à nos agriculteurs sur les sept prochaines années et le renforcement de la politique qui finance les investissements de nos régions, en particulier dans les outre-mer.
Il est par ailleurs prévu, dans ce nouveau cadre budgétaire européen, que 30 % des dépenses soient consacrées à la transition énergétique et climatique et qu’aucune dépense ne puisse être jugée contraire à ladite transition – la Commission s’en assure via une méthodologie commune.
Mesdames, messieurs les sénateurs, de manière inédite dans les circonstances exceptionnelles liées à la crise, ce texte sur les ressources propres permet également la mise en œuvre du plan de relance de 750 milliards d’euros agréé par les chefs d’État et de gouvernement le 21 juillet dernier et définitivement adopté au niveau européen au mois de décembre dernier.
Il autorise le financement de ce plan de relance par une dette européenne commune et solidaire, qui était, là encore, sans doute impensable voilà quelques semaines.
Vous le savez, ce plan est le fruit d’une initiative franco-allemande lancée le 18 mai 2020, qui a fini, non sans difficultés, par aboutir à ce changement de paradigme. Il y a encore moins d’un an, le principe d’un emprunt européen restait un tabou. Je ne dis pas – nous aurons l’occasion d’en débattre – que cet emprunt ne soulève pas un certain nombre de questions, et j’espère, à ces interrogations, pouvoir répondre ce matin.
Néanmoins, il est absolument vital si nous voulons apporter une réponse immédiate à une crise extraordinaire dont nous ne pourrons nous sortir, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique, que si cette réponse est commune, européenne : en matière de vaccins comme de relance économique, il est inconcevable qu’un pays puisse s’en sortir si ses voisins européens ne s’en sortent pas eux-mêmes.
Cette crise a donc changé la donne : nous avons compris, à cette occasion, que nous avions besoin d’une réponse européenne massive et partagée ; nous avons compris que les outils budgétaires européens qui étaient à notre disposition étaient désormais insuffisants face aux besoins, en particulier dans certains États membres particulièrement touchés par la pandémie et par ses conséquences économiques.
Il est vrai aussi que les taux d’intérêt sont suffisamment faibles pour que nous puissions recourir à l’emprunt dans des conditions sûres, économiquement et financièrement raisonnables.
C’est la démonstration du succès d’un engagement européen et d’une méthode qui, sans être nouvelle, a été réactivée ces derniers mois, dans le cadre d’un effort collectif : une discussion franco-allemande, au départ difficile, qui a permis un accord entre nos deux pays ; une proposition de la Commission européenne au nom de l’intérêt commun des Vingt-Sept ; un débat entre l’ensemble des États membres pour construire et finaliser, sur un sujet aussi sensible, un accord unanime, obtenu – je le disais – l’été dernier, avalisé par le Parlement européen et désormais soumis à chaque parlement national pour ce qui concerne le volet relatif aux recettes, c’est-à-dire la mise en œuvre effective de l’ensemble de ce plan budgétaire. Telles sont nos procédures démocratiques !
Le plan de relance financera plus de 40 % du plan de relance français, soutenant nos initiatives dans l’ensemble des domaines visés par ce plan – vous avez eu l’occasion de les discuter et de les voter lors de l’examen du projet loi de finances pour 2021 notamment. Au titre des actions prioritaires ainsi financées, je citerai nos initiatives en faveur des jeunes, de la formation, de nos entreprises, de la transition écologique, de la rénovation énergétique des bâtiments, et j’en passe.
Pour le dire autrement, ce vote est essentiel au déroulement complet et rapide du plan de relance français dont nous avons grand besoin.
Au niveau européen, il permet de coordonner l’accélération des transitions verte et numérique. En la matière, nous avons inscrit des objectifs communs dans le plan de relance de l’Union européenne : au moins 37 % de dépenses en faveur de la transition écologique ; au moins 20 % en faveur de la transition numérique, en complément du budget ordinaire de l’Union.
En outre – c’est la troisième avancée que je souhaite évoquer –, cette décision du Conseil engage la rénovation profonde, pour la première fois depuis les années 1970, du système des ressources propres de l’Union européenne, avec la création, à vrai dire symbolique à ce stade – il s’agit d’un simple ajustement de notre système de ressources propres –, d’une forme de bonus-malus sur le recyclage du plastique, mais aussi, plus profondément et de manière beaucoup plus importante, avec la définition d’une feuille de route et d’un calendrier précis de mise en place progressive de véritables ressources propres nouvelles, agréés à vingt-sept et partagés avec le Parlement européen ; ce dernier en a fait, d’ailleurs, une condition de son approbation du budget et du plan de relance.
Ces nouvelles ressources propres permettront, par leur logique même, d’affirmer la solidarité européenne en mettant fin aux logiques de juste retour et aux calculs de soldes nets, sans doute nécessaires, mais à vrai dire stériles, car donnant une image très incomplète des bénéfices que nous retirons de l’Union européenne.
Elles permettront également de renforcer ladite solidarité en donnant à l’Union européenne des outils nouveaux au service de ses politiques publiques prioritaires, et surtout de financer cette relance européenne, de telle sorte que le remboursement du plan ne pèse pas sur les citoyens ou sur les entreprises de l’Union européenne.
Ainsi, très concrètement, de nouvelles ressources propres feront l’objet d’une proposition législative de la Commission européenne – tel est l’engagement pris – dès le premier semestre 2021, concernant deux volets précis : la taxation des services numériques et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui vise à ce que nos engagements climatiques ne se heurtent pas à l’application d’exigences moins fortes à l’égard de ceux qui exportent vers notre continent.
La mise en œuvre de ces deux ressources est prévue au plus tard d’ici au début de 2023 – cela fait partie de l’accord trouvé entre le Parlement européen et le Conseil à la fin de l’année 2020. Nous devons désormais accélérer dans la conduite de ce combat, que la France défend activement et qui sera une priorité de l’agenda de la présidence française de l’Union européenne, laquelle commence dans moins d’un an, puisqu’elle aura lieu au premier semestre 2022.
Toutes ces avancées sur le plan budgétaire s’accompagnent par ailleurs d’un renforcement, là encore inédit, de la garantie de nos valeurs, grâce à un règlement spécifique prévoyant un mécanisme de conditionnalité lié au respect de l’État de droit.
Vous le savez, ce nouvel instrument a été fortement débattu ; il a été un temps refusé par deux États membres, avant que nous ne trouvions un accord à l’occasion du Conseil européen des 10 et 11 décembre derniers. Cet accord préserve intégralement l’outil législatif qui avait été voté, donc ce mécanisme nouveau, cela sans ralentir la mise en œuvre de la relance au niveau européen – telles étaient nos deux conditions.
Parce que l’Europe n’est pas qu’un grand marché, parce qu’elle est un projet politique de souveraineté et de valeurs, ces dernières doivent aussi faire l’objet d’une exigence renforcée.
À ce stade, mesdames, messieurs les sénateurs, quatre de nos partenaires européens seulement ont approuvé la décision sur les ressources propres qui vous est présentée aujourd’hui : l’Italie, la Croatie, la Slovénie et Chypre.
Je note néanmoins que la précédente décision relative aux ressources propres avait donné lieu, à l’occasion du précédent cadre financier pluriannuel, à une approbation étalée sur deux ans ; cette fois, les engagements pris par nos partenaires indiquent que, compte tenu de l’importance et de l’urgence de la relance, nous pourrons sans doute procéder à cette approbation d’ici au mois de mai au plus tard, ce qui constitue, en la matière, un record.
Si votre assemblée adopte ce texte et autorise l’approbation de cette décision par le Gouvernement, nous serons l’un des premiers États membres à avoir achevé le processus consistant à approuver cette dette commune et ce plan de relance.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que cette décision est d’apparence technique, mais son article unique cache des enjeux multiples et essentiels, et je suis convaincu que ce texte est primordial.
Par votre vote, vous montrerez, je l’espère, votre soutien à une Union européenne qui a su surmonter ses tabous, parfois ses lenteurs, parfois ses défauts, en réponse à une crise sanitaire et économique dans laquelle nous ne pouvons agir et réussir qu’ensemble.