Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 4 février 2021 à 10h30
Système des ressources propres de l'union européenne — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés ce matin à examiner le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil du 14 décembre dernier relative au système des ressources propres de l’Union européenne.

Cette nouvelle décision constitue le volet « recettes » du budget européen pour la période 2021-2027, le volet « dépenses » étant couvert quant à lui par le cadre financier pluriannuel.

La grande nouveauté de ce budget réside essentiellement dans la réponse que les États membres ont souhaité donner aux conséquences économiques de la crise sanitaire, avec l’instauration d’un instrument de relance européen, financé par un emprunt sur les marchés de capitaux.

Pourquoi fallait-il réagir vite et fort au niveau européen ? Parce que, loin de constituer un choc symétrique, la crise sanitaire a touché plus durement les pays européens déjà fragilisés économiquement et budgétairement, au risque d’ailleurs de renforcer la divergence déjà constatée entre États à la suite de la crise financière et de la crise des dettes souveraines.

Afin de prévenir le risque de fragmentation de l’Union européenne, la mise en place d’un instrument de relance européen financé par l’emprunt s’est donc imposée. La crise sanitaire a ainsi, en quelque sorte, rebattu les cartes d’une négociation engagée entre les États membres en 2018 et qui, il faut le reconnaître, peinait à aboutir.

Pour la première fois, en effet, l’Union européenne devrait s’endetter pour financer solidairement des dépenses, et non de simples prêts, à une échelle suffisamment importante pour que celles-ci entrent dans une logique de stabilisation macroéconomique.

Les subventions européennes versées au titre de la « facilité pour la reprise et la résilience » pourraient financer 46 % du seul plan de relance de la France. Le taux de préfinancement de 13 % finalement retenu permettrait un premier versement de l’ordre de 5, 2 milliards d’euros d’ici à la fin du premier semestre. Une première tranche pourrait ensuite être débloquée d’ici à la fin de l’année et atteindre la cible de plus de 17 milliards d’euros en comptabilité nationale fixée en loi de finances.

Reste maintenant à savoir si, dans le contexte d’un rebond épidémique, le plan de relance français pourra réellement être mis en œuvre dans le calendrier prévu ; mais convenons qu’il s’agit d’un autre sujet.

Parallèlement, le montant des emprunts sur les marchés de capitaux s’élèverait à 750 milliards d’euros d’ici à 2026 : 360 milliards d’euros pour fournir des prêts et 390 milliards d’euros pour couvrir des dépenses.

Ce soutien de grande ampleur est opportunément assorti de « verrous » juridiques et politiques. Ainsi, la décision relative aux ressources propres encadre strictement l’emprunt : son montant – 750 milliards d’euros –, sa finalité – il doit être réalisé à la seule fin de faire face aux conséquences de la crise sanitaire –, sa temporalité – le remboursement du capital devrait ne débuter qu’en 2028 et s’achever en 2058 au plus tard.

Par ailleurs, toute révision de cet instrument de relance supposerait d’obtenir l’unanimité au Conseil de l’Union européenne et l’approbation de chacun des États membres. Un retour devant les parlements nationaux serait donc indispensable pour transformer cet instrument temporaire en mécanisme permanent d’inspiration fédérale.

L’instrument de relance européen a néanmoins été obtenu au prix de concessions mutuelles.

D’une part, alors même que la France figure parmi les États pour lesquels la chute du PIB devrait être la plus forte en 2020, elle devrait être aussi contributrice nette au titre de la facilité pour la reprise et la résilience, qui porte 80 % des subventions. En l’absence de nouvelles ressources propres, la contribution nette s’élèverait à environ 0, 8 % du PIB, étalée sur trente ans.

Pour autant – j’y reviendrai –, en dépassant cette vision strictement comptable et en tenant compte des retombées économiques à attendre du plan de relance européen, la France, il faut le dire, devrait tirer son épingle du jeu. En outre, je rappelle que l’effort de notre voisin et partenaire historique, l’Allemagne, est plus de deux fois supérieur au nôtre.

D’autre part, l’issue de la négociation n’a pas permis de mettre fin aux rabais, en dépit de la sortie du Royaume-Uni. Les États membres qui en bénéficient sont en effet parmi les principaux contributeurs nets à l’instrument de relance… C’est encore une fois, disons-le, monsieur le secrétaire d’État, une occasion manquée, même si l’on peut se réjouir que le niveau de la contribution française au financement de ces rabais diminue d’environ 20 %.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la mise en place d’un instrument de relance européen était nécessaire pour surmonter la crise que traversent les États membres en ce moment ; elle constitue selon moi un pas en avant pour la construction européenne, l’Union montrant ainsi sa capacité à agir collectivement et solidairement.

Pour autant, son succès réel reste à construire. C’est là mon principal point de vigilance à l’égard de cette décision. En effet, son ambition n’est pas seulement de soutenir la demande en sortie de crise, dans une logique keynésienne, mais aussi de stimuler la croissance européenne potentielle par l’investissement et par les réformes, en particulier dans les pays fragilisés qui bénéficient pour la première fois de subventions de grande ampleur, afin d’accélérer leur rattrapage économique.

De ce point de vue, la bonne utilisation des fonds européens dans le cadre des plans nationaux pour la reprise et la résilience sera cruciale.

Or la gouvernance retenue est le résultat d’un compromis fragile entre les pays « frugaux » d’Europe centrale et du Nord et les pays du sud de l’Europe.

Tout se jouera donc dans la mise en œuvre de ce compromis, et il faudra que la Commission européenne prenne ses responsabilités pour bloquer les financements si certains États membres « dérapent », comme l’y autorisent d’ailleurs les textes européens au titre de ses missions de surveillance et de vigilance.

Si ce plan est mis en œuvre comme attendu, la contribution nette de la France devrait pouvoir être contrebalancée par les retombées économiques de cette relance européenne coordonnée.

En première approximation, avec un taux de prélèvements obligatoires de l’ordre de 45 %, un surcroît d’activité cumulé de l’ordre de 2 % du PIB serait suffisant pour compenser l’augmentation de la contribution nette attendue de la France ; or il s’agit de l’estimation la plus pessimiste aujourd’hui disponible.

Par ailleurs, et c’est très important, seule l’introduction de nouvelles ressources propres permettra de soulager les budgets nationaux. À défaut, ces derniers se retrouveront en première ligne pour rembourser le plan de relance, la contribution annuelle de notre pays au remboursement du capital de l’emprunt étant estimée à 2, 5 milliards d’euros à compter de 2028.

Parmi les différentes options, la ressource fondée sur le système d’échange des quotas d’émissions me paraît la plus pertinente à l’heure actuelle : le système d’échange existe déjà ; cette ressource pourrait susciter des recettes très élevées ; enfin, elle serait cohérente avec les politiques environnementales européennes, ainsi qu’avec l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.

De façon complémentaire, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières se justifie à plusieurs titres, en raison de ses rendements potentiellement élevés notamment, et parce qu’il s’inscrit dans l’esprit du pacte vert pour l’Europe. En outre, cette ressource ne se substituera pas à des recettes aujourd’hui perçues par les budgets nationaux.

S’agissant enfin de la taxation des services numériques, je resterai prudent quant à la possibilité d’avancer dans les délais espérés au niveau européen, même si je vous sais, monsieur le secrétaire d’État, plus optimiste que moi. N’oublions pas non plus que nous ne parviendrons à une solution efficace qu’au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le présent projet de loi. Une telle adoption ne constituerait aucunement un blanc-seing, sachant qu’il existe des limites à cette décision – elle est le fruit de compromis –, que je me suis attaché à rappeler devant vous.

Enfin, la commission des finances de notre assemblée sera particulièrement attentive au suivi de la mise en œuvre du plan de relance européen, via notamment les travaux de contrôle budgétaire de notre collègue Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial sur la participation de la France au budget de l’Union européenne, que je sais particulièrement soucieux d’exercer cette vigilance et de permettre à la France de maîtriser l’ambition qui est la nôtre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion