Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en mai 2018, la Commission européenne présentait sa proposition de cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027.
Notre assemblée s’était positionnée sur les priorités à financer avec cette enveloppe d’environ 1 100 milliards d’euros ; puis est survenue l’épidémie de covid-19. Le choc exceptionnel que ce virus a représenté pour l’Europe a conduit la Commission à revoir sa copie : elle a donc mis sur la table, en mai 2020, une nouvelle proposition, doublant presque la mise pour répondre à la pandémie par un instrument de relance de 750 milliards d’euros, financé par un emprunt commun.
Le Sénat a aussitôt adopté une résolution européenne pour marquer son soutien de principe à cette proposition, tout en s’inquiétant de son financement. Le Conseil européen du 21 juillet 2020 est ensuite parvenu à s’accorder sur les grandes lignes du budget et du plan de relance, la négociation n’ayant malheureusement pas permis de revenir sur les rabais, dont nous espérions la suppression.
Enrichi d’une conditionnalité sur l’État de droit, ce volet « dépenses » a été définitivement adopté en décembre dernier, parallèlement à l’adoption du volet « recettes », c’est-à-dire la décision relative aux ressources propres qu’il nous revient d’examiner aujourd’hui.
Cette décision, qui prévoit notamment le lancement d’un emprunt commun au nom de l’Union européenne, doit en effet être approuvée par chacun des États membres pour entrer en vigueur.
Notre assemblée se trouve donc devant une responsabilité historique : permettre, ou non, le financement du plan de relance européen. Mais je voudrais souligner qu’elle n’a pas cessé d’exercer cette responsabilité au fil des derniers mois, quand, à l’initiative de sa commission des affaires européennes, elle a soutenu le principe de ce plan de relance.
Il n’en reste pas moins aujourd’hui plusieurs questions de fond à débattre.
Tout d’abord, pourquoi une relance européenne financée par un emprunt commun ? Parce que la pandémie frappe toute l’Union et que cette épreuve partagée appelle notre solidarité commune, non pas au nom d’un fédéralisme qui ne dirait pas son nom, mais au nom des valeurs qui fondent le projet européen, et aussi, disons-le, au nom de notre intérêt bien compris : l’interconnexion entre les économies européennes est telle que la santé économique des uns conditionne celle des autres.
Après avoir longtemps résisté à tout emprunt commun, la chancelière Merkel a fini par se convaincre de la nécessité d’une telle décision : elle a compris que l’Allemagne ne sortirait pas de la récession sans sauver aussi les autres économies européennes, qui sont ses clients ou ses fournisseurs. Un plan de relance européen massif s’impose donc, à titre exceptionnel, pour répondre à une situation elle-même exceptionnelle créée par la pandémie.
Au vu du passif accumulé par notre pays, nous sommes nombreux ici à préférer éviter toute nouvelle dette ; mais comment financer ce plan de relance européen autrement que par l’emprunt, qui permet d’étaler la charge ?
La question n’est donc pas de savoir si la France aurait pu emprunter plus ou moins cher les 46 milliards d’euros que lui promet l’Europe ; elle est de savoir si, au fond, jouer en solo serait vraiment dans l’intérêt de notre pays. Il serait étrange que cela soit dans l’intérêt de la France, mais pas dans celui de l’Allemagne…
Autre question : pourquoi financer cet emprunt commun par de nouvelles ressources propres européennes ?
Sur les 750 milliards d’euros que l’Union européenne est autorisée à emprunter, une part sera mise à disposition des États membres sous forme de prêts, que chacun aura à charge de rembourser, et une autre sous forme de dotations budgétaires : ce sont ces 390 milliards d’euros de subventions qui feront l’objet d’un remboursement mutualisé.
Comment rembourser cette dette ? De deux choses l’une : soit chaque État membre devra augmenter sa contribution nationale au budget de l’Union européenne, soit cette dernière se dote de nouvelles ressources propres.
Notre contribution nationale au budget européen va déjà mécaniquement s’accroître de 7, 7 milliards d’euros en moyenne par an sur la période 2021-2027, parce que, malgré le Brexit, ce budget ne diminue pas, et parce que la pandémie de covid-19 réduit les droits de douane perçus par l’Union. Il n’est pas envisageable que cette charge s’alourdisse encore quand il faudra commencer à rembourser l’emprunt européen souscrit pour financer la relance.
Nous avons donc intérêt à introduire de nouvelles ressources propres ; mais faisons-le intelligemment : allons voir au-delà des frontières de l’Europe.