Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à approuver la décision relative aux ressources propres de l’Union européenne, qui permet le financement du budget européen pour les sept prochaines années.
Cette décision a, cette année, une signification particulière puisqu’elle conditionne la mise en œuvre du plan de relance européen en permettant temporairement à l’Union européenne de recourir à l’emprunt.
Cet emprunt permettra ainsi de financer pour partie chacun des vingt-sept plans de relance nationaux, à hauteur de 750 milliards d’euros, et ce de deux manières : par une première enveloppe de prêts, qui n’est pas mutualisée, et par une seconde enveloppe de dotations budgétaires, mutualisée, elle.
Malheureusement, cette seconde enveloppe a été ramenée, après négociations, de 500 milliards à 390 milliards d’euros. À ce titre, 40 milliards d’euros reviendront à la France pour financer 40 % de son plan de relance. Nous ne mobiliserons pas la première enveloppe, la France empruntant à de meilleures conditions que ce qui serait proposé dans le cadre du prêt européen.
Certes, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que l’Union européenne contracte un prêt. Elle l’avait déjà fait pour soutenir les États membres hors zone euro confrontés à des menaces ou à des difficultés financières, notamment à la suite de la crise de 2008, ou encore récemment pour financer le programme européen de soutien temporaire à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence (SURE), en soutien aux États dont les assurances chômage sont fragilisées par la crise que nous vivons. Mais aujourd’hui le volume de cet emprunt change la nature de cet engagement européen.
Nous pouvons nous réjouir et saluer cet accord historique pour soutenir les États. C’est un premier tabou qui est levé. L’objectif est que cet emprunt soit remboursé, au moins en partie, par des ressources propres. Or nous sommes loin du grand soir annoncé et nous regrettons que la réforme du système de financement de l’Union européenne tant attendue soit de nouveau reportée. Le Brexit, qui va conduire à revoir la répartition des contributions, aurait dû au contraire nous conduire à l’accélérer. Nous risquons, dans les prochaines années, d’en payer le prix !
La réforme est, certes, programmée, mais elle arrivera malheureusement trop tard pour alléger les contributions des États membres, et surtout trop tard pour mettre les politiques européennes en cohérence avec les ambitions affichées en matière de transition écologique, de compétitivité et de solidarité.
Lorsque l’on prend la mesure des difficultés des négociations qui viennent de se dérouler, on imagine l’effort qu’il va falloir faire pour définir concrètement les modalités de mise en place des ressources propres.
Premièrement, il n’a pas été possible de supprimer les rabais dont continueront à bénéficier cinq États membres, et non les plus pauvres : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède. Ces pays sont parvenus à maintenir leur rabais pour au moins sept ans. Au total, ce sont 10 milliards d’euros qui vont s’envoler des caisses communautaires ! Nous ne pouvons que le regretter.
Deuxièmement, la France privilégiait la suppression de la ressource TVA. Or elle est non seulement maintenue, mais son taux d’appel augmente, passant de 0, 25 % à 0, 30 %, avec des problématiques liées à la justice fiscale.
Troisièmement, la France soutenait l’abaissement à 10 % du taux des frais d’assiette et de perception des droits de douane prélevés par les États membres : c’est l’inverse qui s’est produit. Le taux se trouve relevé de 20 % à 25 %, sous la pression notamment de la Belgique et des Pays-Bas, dont les ports constituent une source essentielle de la perception des droits de douane. Les sommes ainsi prélevées reviendront aux États, pour des montants supérieurs à ce qu’ils étaient et sans rapport avec la charge du recouvrement de ces impôts !
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez garanti à plusieurs reprises que les Français n’auraient pas à rembourser cette dette grâce aux nouvelles ressources propres envisagées. Néanmoins, cette perspective est fragile.
À l’heure actuelle, seule la taxe sur les plastiques non recyclés a été validée, mais son produit ne rapportera tout au plus, à terme, que 14 milliards d’euros par an, en raison, notamment, des allégements accordés à dix-sept États membres. On sait également que cette ressource a vocation à disparaître avec le recyclage du plastique.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, légitime à la fois pour son rendement et sa finalité écologique, suscite, on le sait, la réticence de plusieurs pays, notamment à l’est de l’Europe. Le travail de conviction est devant nous et devant vous !
Quant à la taxe sur les entreprises du numérique, certains États dans l’Union européenne, les Pays-Bas en tête, n’en veulent pas. De plus, rien n’est explicitement prévu sur l’articulation entre les avancées de l’Union européenne et les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à ce sujet. C’est pourtant la condition d’une concurrence loyale entre entreprises et une juste contrepartie à l’avantage que constitue le marché européen.
La ressource la plus prometteuse est l’impôt sur les sociétés avec une assiette commune. Il faut franchir le pas, monsieur le secrétaire d’État !
Enfin, par quel miracle la fameuse taxe sur les transactions financières sera-t-elle instaurée dans l’Union européenne d’ici à 2027 alors que chaque tentative de la mettre en œuvre échoue depuis dix ans ?
Je suis de ceux qui pensent qu’il est urgent de disposer d’une véritable taxe sur les transactions financières. Elle pourrait rapporter entre 55 milliards et 60 milliards d’euros par an et permettrait de rembourser le plan de relance européen tout en finançant les dépenses de santé et celles en faveur du climat. Le taux, il faut le signaler, serait modeste : 0, 1 %. Taxer la spéculation, c’est aussi une question de justice fiscale !
La Commission européenne a clairement signifié son souhait de voir la négociation se finaliser avant 2022. Où en est-on précisément, monsieur le secrétaire d’État ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’Union européenne a besoin de nouvelles ressources et elle a besoin que les négociations avancent vite, sans quoi la France devra rembourser sur ses fonds propres 75 milliards d’euros, qui sont à comparer aux 40 milliards d’euros obtenus.
Sans ressources propres, nous devrons augmenter nos contributions budgétaires. En effet, il est clairement écrit à l’article 5 de la décision qui nous est soumise que « les États membres devront, en dernier recours, mettre à disposition de la Commission les fonds nécessaires ».
Je reviendrai également sur le plan de relance européen, en particulier sur sa timidité, voire son indigence, dans la lutte contre les inégalités. Or la crise sanitaire a eu, en termes d’accroissement des inégalités, des effets considérables dans les États membres et entre les États membres.
Nos pays européens sont au bord d’une explosion sociale et l’Europe patine, comme le montrent les difficultés rencontrées par la Commission s’agissant des retards de livraison des vaccins en Europe.
Quand nos dirigeants questionneront-ils la main invisible du marché alors que l’on sait aujourd’hui clairement à qui elle donne ?
Si l’on ouvre la réflexion sur le volume financier du plan, la somme est loin de permettre de faire face à la crise sanitaire, sociale, sociétale et économique que traverse toute l’Europe.
Au regard de l’urgence de la situation, on peut se demander si cette enveloppe sera suffisante, car depuis qu’elle a été arrêtée en juin dernier, les perspectives de sortie de la crise s’éloignent de ce qui avait été envisagé.
Au même moment, le plan de relance de Joe Biden atteindra 1 900 milliards de dollars, auquel devrait venir se greffer un vaste programme de grands chantiers destinés, notamment, à accélérer la transition écologique des États-Unis. Il est dommage que l’Europe ne se donne pas davantage les moyens de relancer nos économies, de lutter contre la paupérisation des Européens et de combattre le dérèglement climatique.
La mise en œuvre de ce plan de relance suscite également des craintes. En effet, l’examen des plans de relance nationaux s’annonce complexe, pour ne pas dire opaque. Qui dit que la Commission européenne n’y appliquera pas, de manière déguisée, le pacte de stabilité aujourd’hui suspendu ? Attention aux réflexes qui conduisent à exiger des réformes structurelles libérales, lesquelles contraignent rapidement l’intervention publique.
Enfin, rien n’est prévu à ce jour s’agissant de la zone euro ; aucun instrument n’a été mis en place. Non seulement on en est au point mort sur sa consolidation, mais tous les outils du plan de relance ayant été mis dans le cadre communautaire, nous serons désormais obligés de négocier avec des États n’ayant pas l’euro comme monnaie.
Face à l’urgence de mise en œuvre du plan de relance, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat votera en faveur de ce projet de loi.
Néanmoins, vous l’aurez compris, nos interrogations nous conduisent à faire preuve d’une grande vigilance. Nous devons dès aujourd’hui commencer à travailler sur un mécanisme pérenne d’emprunt commun et à concrétiser la feuille de route en matière de ressources propres. La France, qui exercera la présidence tournante en 2022, aura une responsabilité à cet égard. Nous ne manquerons pas de le rappeler.